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Elle s'offre aux passants d'Oxford,
mine de sang, de feuilles et de nuit,
tous phares braqués cette foule jetée hors du rêve
mais jamais si longtemps visible, jamais si
illuminée de soi-même - qu'ici maintenant
livre ouvert sous la lampe, ou le jour
à la dérive des regards : c'est elle
et ce n'est pas elle, ici
la Chasse

refuit avec ses lignes et ses silhouettes

cavaliers et piqueurs, lancés ou hésitants
animaux bondissant arrêtés, entrainés
aux pôles du regard en mouvement qui luit
et passe au milieu d’eux
vers le fond des forets -

et croit les devancer, traverser tout l'espace
et rejoindre l'orée,
ce regard ! - comme il semble égaré,
au centre de quelles futaies, de quels taillis
épuisé ! aux abois, quand sonne l'hallali
du temps qui l'en arrache, et l'en détourne ;
comme il tremble ici dans le noir,
en reconnaît la meute indicible sur lui...
Mais les poursuivants sont restés des ombres
immobiles et muettes dans le champ, rien
ne s'est approché ; les pins cachent
une même seconde éternelle,
une même danse sacrée.

(…)
Qu'avons-nous à aimer ici ? membrane
exacte entre l'homme et I’œuvre,
entre le monde et son surgissement,
clin d'œil nocturne intimidant sur nous
qui passions là, à égale distance
du coupable et de l'innocent ?
Qu’avons-nous a aimer encore
auprès de qui, comment le dire ? -
tu te perds au-dehors, comment le maintenir,
ce frémissement d'ailes, à leur hauteur ? -
la voix se détériore, et même s'en veut, mais –
comme au-dessus de frêles sommets en bouquets :
cette lune d'aube irréelle !
comme elle parait définitive
(et l'air absent de veiller sur
la Création désolée)

Fabien Vasseur, « Ultimo Uccello », Le front se déplace (Belin, L’extrême contemporain, 2008, p. 54-55)

Fabien Vasseur est né en 1970 à Calais. Il est professeur en classes préparatoires et l'auteur d’une thèse sur l’œuvre de Philippe Jaccottet. Le front se déplace, son premier livre, recueille des poèmes écrits entre 1994 et 2006 et publiés notamment dans la revue Po&sie.