cet être fragile, inquiet, réceptif excessivement
Par cgat le lundi 8 décembre 2008, 01:58 - citations - Lien permanent
(...) Agir, c’est ce que l'écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Écrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les cœurs, ouvrent un monde meilleur. Et cependant, à cet instant même, une voix lui souffle que cela ne se pourra pas, que les mots sont des mots que le vent de la société emporte, que les rêves ne sont que des chimères. De quel droit se vouloir meilleur ? Est-ce vraiment à l'écrivain de chercher des issues ? N’est-il pas dans la position du garde champêtre dans la pièce du Knock ou Le Triomphe de la médecine, qui voudrait empêcher un tremblement de terre ? Comment l'écrivain pourrait-il agir, alors qu’il ne sait que se souvenir ?
La solitude sera son lot. Elle l’a toujours été. Enfant, il était cet être fragile, inquiet, réceptif excessivement, cette fille que décrit Colette, qui ne peut que regarder ses parents se déchirer, ses grands yeux noirs agrandis par une sorte d'atttention douloureuse. La solitude est aimante aux écrivains, c’est dans sa compagnie qu’ils trouvent l’essence du bonheur. C’est un bonheur contradictoire, mélange de douleur et de délectation, un triomphe dérisoire, un mal sourd et omniprésent, à la manière d’une petite musique obsédante. L'écrivain est l’être qui cultive le mieux cette plante vénéneuse et nécessaire , qui ne croît que sur le sol de sa propre incapacité. Il voulait parler pour tous, pour tous les temps : le voilà, la voici dans sa chambre, devant le miroir trop blanc de la page vide, sous l’abat-jour qui distille une lumière secrète. Devant l’écran trop vif de son ordinateur, à écouter le bruit de ses doigts qui clic-claquent sur les touches. C’est cela, sa forêt. L'écrivain en connaît trop bien chaque sente. Si parfois quelque chose s’en échappe, comme un oiseau levé par un chien à l’aube, c’est sous son regard éberlué – c’était au hasard, c’était malgré lui, malgré elle. (...)
Jean-Marie Gustave Le Clézio , « Dans la forêt des paradoxes »,
Bretagne, 4 novembre 2008
Discours de
réception du Prix Nobel, Stockholm, 7 novembre 2008
post-scriptum :
::: une photo et
le pdf offerts par le tiers livre
:::
l'avis de Pierre Assouline
::: une mise
au point salutaire dans L'autofictif
::: le
dossier France Culture
Commentaires
sur France Culture à midi
Très beau texte infiniment juste Merci j'ai fait un peu de copie...
et après cette mise en appêtit, tiers livre sous le titre "humanité, générosité et littérature " donne généreusement un PDF intégral
Comme j'ai la chance de ne plus être une travailleuse va occuper ma matinée et me permettre de goûter la vie
mais, est ce pour une question de temps ou pour insister sur le rôle de l'écriture il semble avoir supprimé ce beau passage commençant par "la solitude" jusqu'à "malgré lui, malgré elle" et je l'ai repris avant de vérifier que c'est ce qui vous avez retenue vous aussi
ouille ! "avait" retenue
qui a supprimé quoi, Brigetoun, il y a une autre source ?
en écoutant sur France Culture, ou alors j'étais vraiment très distraite
probablement les petits ciseaux numériques de la réalisation, pour rester dans le timing ?