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Monsieur, cette matière est toujours délicate,
Et, sur le bel esprit, nous aimons qu'on nous flatte :
Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom,
Je disais, en voyant des vers de sa façon,
Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire ;
Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements
Qu'on a de faire éclat de tels amusements ;
Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages,
On s'expose à jouer de mauvais personnages.
(...)
Je ne dis pas cela ; mais, enfin, lui disais-je,
Quel besoin, si pressant, avez-vous de rimer ?
Et qui, diantre, vous pousse à vous faire imprimer ?
Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre,
Ce n'est qu'aux malheureux, qui composent pour vivre.
Croyez-moi, résistez à vos tentations,
Dérobez au public, ces occupations ;
Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que, dans la cour, vous avez d'honnête homme,
Pour prendre, de la main d'un avide imprimeur,
Celui de ridicule, et misérable auteur.
C'est ce que je tâchai de lui faire comprendre.

Molière, Le Misanthrope (1666), acte I, scène II, v. 341-373