cet entonnoir sidéral
Par cgat le lundi 22 décembre 2008, 01:25 - citations - Lien permanent
À la BNF, la Très Grande Bibliothèque de France, la quadruple stèle Francois-Mitterrand, flanquée de noms de victoires, Tolbiac, Austerlitz, j'arrivai à midi le 12 juin 2002 pour dire Booz endormi. Je ne déteste pas cet endroit rude, dressé sur un champ de bataille au milieu d'un désert. Il prédispose au vide, au remuement amer des gros bouquins qu'on ne lira pas, aux alcools raides. Il aspire le vide universel : l'ensemble, on le sait, est une immense esplanade délavée comme un pont de bateau, coincée entre quatre bouquins de béton posés sur le pied et ouverts sur rien, à pic, illisibles. Ça contient des livres. C'est pensé à la serpe, dans une mimésis hâtive, mais très efficace et juste. Ça n'a pas plus de cœur que n'en avait, à ce qu'on dit, son fondateur éponyme. Ça ne manque pas de gueule. Le ciel était celui qui convient a ce lieu : gris avec des fulgurations bleues, venté, à la fois tonique et aveuglant, accablant. Les nuages allaient vite. Le taxi m'avait déposé à l'ouest, près de la Seine ; il faut monter les trois volées de marches triomphales vers Francois-Mitterrand ; je les montai. Il faut monter aussi vers le fauteuil de pierre de Charlemagne, à Aix-la-Chapelle, je venais de le lire dans le train de la main de Hugo. On monte vers le vide et la toute-puissance.
Je traversai vite cet entonnoir sidéral, ce trou perdu où les quatre in-octavo de cent mètres se renvoient l'un à l'autre le vent jour après jour. Nul ne s'y attarde, c'est trop beau peut-être, c'est trop raide. Je fus vite dans le sous-sol du bouquin de l'est, où je devais lire, et où je lus.
(,,,)
Nous quittâmes le trou perdu de Tolbiac pour le vrai Paris habité. Le soleil avait vaincu les nuages, il revenait, les quatre tours resplendissaient : le vide en moi avait fait du chemin, prétendait à la lumière. La Seine miroitait, le vide et la lumière allaient vite sur les voitures du quai.
Pierre Michon, Corps du roi (Verdier, 2002, p. 95-98)
(le troisième roi-mage, pour ms !)
Commentaires
que j'aime retrouver cette trop réelle description du coté sportif de l'endroit !(et lors de ma première et une des rares visites, le vent m'a interdit d'arriver jusqu"à la bénévolente descente à l'abri) - comme je me limitais aux expositions j'ai guetté celles qui se tenaient encore de temps en temps à coté de mon bureau place Louvois dans les ors de l'ancienne
toute métaphore de rassemblage des 3 guignols évoqués par la parenthèse ci-dessus risque bien d'être loupée, mais la christique est certainement la pire possible!
m'étonne pas que ce passage de rhétorique fonctionnelle du cher Pierrot, bien loin de sa grâce quand il aborde la Châtre ou Arthur allant se faire photographier à Montmartre ait dû plaire à la webmaster prolétaire (et néanmoins, en son miroir...)
merci cgat pour le professionnalisme du choix de l'extrait
et roi mage faut pas le prendre mal, c'est juste que c'est la saison (mais guignols jamais !)
ce n'est sans doute pas le plus beau texte de Michon, mais il est très juste !
Et il se lit le sourire aux lèvres.
et la dernière phrase c'est du Michon pur jus, faut reconnaître
... pur jus ... encore ai-je pudiquement passé sous silence (sous les points de suspension) le passage où il s'alcoolise à l'hippopotamus !
Pas le plus beau ? Peut-être, mais quel titre superbe que "Le ciel est un très grand homme"...
(le reste du recueil m'avait moins emballé, mais ce texte-ci, cuite à l'hippopotamus comprise, j'en garde un très bon souvenir)
je viens de le relire, "le ciel est un très grand homme" (aussi grand que PM himself ?!) et les 3 lectures publiques de Booz qu'il raconte, ce qui est un culot qui n'appartient qu'à lui
j'ai aussi remonté l'agenda de mon Outlook, mais avant janvier 2003 c'est blanc, c'est bizarre de découvrir que l'ordi a tout gardé depuis 5 ans, mais c'est rageant parce que je revois Pierre lire Booz – vraiment extraordinaire sa lecture – et je n'arrive plus du tout à retrouver où et quand ça pouvait être (plutôt ici à Tours ?)
il y a encore le programme en ligne :
http://chroniques.bnf.fr/archives/f...
l'envoyée spécial de Labyrinthe aurait dû enregistrer ?
entonnoir sidéral... drôle mais le livre que je lisais et relisais sans cesse ces derniers temps en parlait de long large et travers, et c'était la tour eiffel sidérale de ce bon vieux cendrars, à propos du sac à charbon que l'on ne voit pas, malheureusement, sous nos latitudes... pas possible que michon n'y ait pas pensé.
cf. http://www.cosmovisions.com/SacChar...
c'est intéressant ! je ne connaissais pas le "sac à charbon" :
et c'est dans quel texte de Cendrars ?
le livre s'appelle (je le mets ci-dessus mais ai dû mal m'exprimer) La Tour Eiffel Sidérale, c'est le dernier texte autobiographique de cendrars, après la main coupée et bourlinguer, un livre magnifique...