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Tu continues à écrivasser, mon bel écrivassier ? Tu bricoles la phrase, tu te pavanes, tu marches encore de long en large dans un bouquin comme un plouc sur son bout de jardin ? De quoi tu parles ? De qui ? Je ne t'entends pas !
Je ne t'entends pas, tu comprends, je n'entends plus rien. Tu crois que la mort est un music-hall ? Qu'on écoute là-bas des bardes? Qu’on éclate de rire à s'en décrocher le maxillaire en écoutant tes histoires ? Tu t'imagines qu'on a de quoi faire des larmes en se tapant des élégies comme on se tape des pauvres nanas dans tes romans ? Tu m'amuses, pauvre amour, avec tes œuvres complètes que tu étires désespérément chaque nuit sur ton clavier comme un garçonnet de huit ans son petit kiki ! (p. 51)

J'ai sans doute ridiculisé la réalité par habitude, et puis c'est plus facile de raconter des histoires. Un observateur peu amène, pourrait dire que je tords le réel pour éviter de me cogner la tête contre son métal froid. Un peu comme je me garde d'avoir un revolver sous mon oreiller. Un coup est si vite parti. (p. 62)

- Espèce d'écrivain !
Toi et les tiens vous êtes des charognards. Vous vous nourrissez de cadavres et de souvenirs. Vous êtes des dieux ratés, les bibliothèques sont des charniers. Aucun personnage n’a jamais ressuscité. Dostoïevski, Joyce, Kafka, et toute cette clique qui t'a dévergondé, sont des malappris, des jean-foutre, des fripons, des coquins, des paltoquets ! Ils ont expulsé leur époque par les voies naturelles pour en barbouiller toutes ces feuilles de papier aux traînées noires et tristes comme des canaux où les mots flottent ventre à l'air comme des poissons d'eau douce bouillis par la canicule.
- Espèce de spirite !
Ne joue pas les innocents. Tu rêves de faire apparaître mon ectoplasme, afin de me mettre en bière une deuxième fois dans un de tes bouquins scintillants de suffisance et d'absurdité !

Je t'enguirlande, mais que veux-tu, parfois la mort m’irrite. En attendant, dépêche-toi d'aller te coucher. Tu mènes une vie de patachon devant cet ordinateur dont tu tripotes compulsivement les touches comme une onaniste enchantée sa ribambelle de clitoris. (p. 112-113)

- Dites-moi, que ce roman, j’ai eu raison de l’écrire.
Ma demande est ridicule. Mais un écrivain doit accepter de sombrer dans le ridicule, autrement il ne serait même pas un humain. (p. 216)

Régis Jauffret, Lacrimosa (Gallimard, 2008)