accepter de sombrer dans le ridicule
Par cgat le samedi 10 janvier 2009, 01:14 - écrivains - Lien permanent
Tu continues à écrivasser, mon bel écrivassier ? Tu bricoles la phrase, tu te pavanes, tu marches encore de long en large dans un bouquin comme un plouc sur son bout de jardin ? De quoi tu parles ? De qui ? Je ne t'entends pas !
Je ne t'entends pas, tu comprends, je n'entends plus rien. Tu crois que la mort est un music-hall ? Qu'on écoute là-bas des bardes? Qu’on éclate de rire à s'en décrocher le maxillaire en écoutant tes histoires ? Tu t'imagines qu'on a de quoi faire des larmes en se tapant des élégies comme on se tape des pauvres nanas dans tes romans ? Tu m'amuses, pauvre amour, avec tes œuvres complètes que tu étires désespérément chaque nuit sur ton clavier comme un garçonnet de huit ans son petit kiki ! (p. 51)
J'ai sans doute ridiculisé la réalité par habitude, et puis c'est plus facile de raconter des histoires. Un observateur peu amène, pourrait dire que je tords le réel pour éviter de me cogner la tête contre son métal froid. Un peu comme je me garde d'avoir un revolver sous mon oreiller. Un coup est si vite parti. (p. 62)
- Espèce d'écrivain !
Toi et les tiens vous êtes des charognards. Vous vous nourrissez de cadavres et de souvenirs. Vous êtes des dieux ratés, les bibliothèques sont des charniers. Aucun personnage n’a jamais ressuscité. Dostoïevski, Joyce, Kafka, et toute cette clique qui t'a dévergondé, sont des malappris, des jean-foutre, des fripons, des coquins, des paltoquets ! Ils ont expulsé leur époque par les voies naturelles pour en barbouiller toutes ces feuilles de papier aux traînées noires et tristes comme des canaux où les mots flottent ventre à l'air comme des poissons d'eau douce bouillis par la canicule.
- Espèce de spirite !
Ne joue pas les innocents. Tu rêves de faire apparaître mon ectoplasme, afin de me mettre en bière une deuxième fois dans un de tes bouquins scintillants de suffisance et d'absurdité !Je t'enguirlande, mais que veux-tu, parfois la mort m’irrite. En attendant, dépêche-toi d'aller te coucher. Tu mènes une vie de patachon devant cet ordinateur dont tu tripotes compulsivement les touches comme une onaniste enchantée sa ribambelle de clitoris. (p. 112-113)
- Dites-moi, que ce roman, j’ai eu raison de l’écrire.
Ma demande est ridicule. Mais un écrivain doit accepter de sombrer dans le
ridicule, autrement il ne serait même pas un humain. (p. 216)
Régis Jauffret, Lacrimosa (Gallimard, 2008)
Commentaires
un blocage là - mon coté coincé, qui ne se manifeste pas toujours mais chaque fois que j'ai l'impression que pour une oeuvre moyenne un auteur exploite l'histoire d'un ou d"une autre
comme vous dites, brigetoun, moyen, moyen...
c'est du 2nd degré, probablement - la webmaster nous est intermittement inaccessible
Ben, moi, je n'ai pas trouvé ça si moyen que ça. Dans le lot de ce qui a fait la rentrée littéraire, j'avoue que je me suis régalée de cette écriture ironique derrière laquelle il aime à se cacher. Ironique et sensible. Cette façon de masquer la réalité pour mieux être mis à nu.
Si Jauffret se suicidait, on aimerait mieux son livre...
Il est pourtant en l'état excellent (je le maintiens).
Triste époque ?
De premier degré en second degré, de vérité en mystère, de charme caché en séduction distanciée, de je donne en je reprends.
Aaarrghhh
j'aime bien l'idée d'être "intermittement inaccessible" !
et, à mon sens, c'est également le cas de Jauffret, qui excelle dans l'art de se planquer derrière l'excès (de second degré, de mauvais goût, de comparaisons, de conditionnels, de glauque, de ridicule, de pitrerie, etc. etc.), chose qui moi me touche terriblement mais dont je comprends tout à fait quelle puisse agacer
(par exemple Philippe De Jonckheere : http://www.leportillon.com/Mauvais-...)
de ce fait il n'est pas facile à citer et j'ai choisi un peu par provoc (pour leur côté "je donne et je reprends" justement) certains des extraits ci-dessus
en tout cas j'ai beaucoup aimé Lacrimosa, comme tout ce que j'ai lu de lui
Ce qui devait arriver arriva : à l'heure du laitier, la crime osa appréhender le narrateur de " Lacrimosa ", le menotter (évidemment) et incarcérer ce pervers obsédé textuel. Tout juste on lui remit du papier hygiénique, de l'encre fétide et une plume de corbeau. Alors il continua de tracer des lignes et des signes, pour mon bon plaisir (entre autres)...
J'aime beaucoup Jauffret découvert par Lacrimosa en ce qui me concerne et ayant dévider partiellement sa bibliographie depuis... avec bonheur.