clinamen généralisé
Par cgat le vendredi 16 janvier 2009, 00:11 - citations - Lien permanent
Les lectures du Jeudi de l'Oulipo de ce soir étaient consacrées à Jean Queval, membre fondateur : ce fut l'occasion de lire un texte de Jacques Roubaud sur Jean Queval et le « clinamen généralisé » que j'ai toujours beaucoup aimé et que je ne résiste pas au plaisir de citer :
Jean Queval avait une pratique de la contrainte oulipienne originale, plus intuitive que théorique (quasiment a-théorique) et sévèrement déconcertante pour les esprits non prévenus. Pour essayer d'en donner une idée je procéderai indirectement : il est clair à quiconque s'y est essayé qu'écrire un texte suivant une contrainte oulipienne un peu « difficile » est parfois exaspérant. Car on rencontre constamment, au-delà de la difficulté à suivre les consignes strictes de la règle (ce qui est parfaitement maîtrisable), le regret de ne pouvoir employer tel mot, telle image, telle construction syntaxique, qui nous sembleraient s'imposer, mais qui nous sont interdits. L'Oulipo a donc introduit, pour de telles situations, le « concept » de clinamen (dont l'origine démocritienne indique assez bien la finalité : un coup de pouce donné au mouvement rectiligne, uniforme et terriblement monotone des atomes originels pour, par collisions, mettre en marche le monde du texte dans sa variété). Le « clinamen » est une violation intentionnelle de la contrainte, à des fins esthétiques (un bon clinamen suppose donc qu'il existe, aussi, une solution suivant la contrainte, mais qu'on ignorera de manière délibérée, et pas parce qu'on n'est pas capable de la trouver). Il existe ensuite, bien évidemment, des clinamens répétés qui sont soumis, eux, à une nouvelle contrainte. Bon. Dans ces conditions, la ligne « quevalienne » de l'Oulipo peut être caractérisée comme étant celle du clinamen généralisé.
Je ne donnerai que deux variétés de « contraintes quevaliennes » (les contraintes quevaliennes ne sont pas, contrairement aux contraintes lelionniennes qui peuvent se passer totalement d'exemples, « détachables » des textes qui les illustrent) :
- la contrainte canada-dry : un texte en contrainte canada-dry à l'air d'être écrit suivant une contrainte; il ressemble à un texte sous contrainte, il en a le goût et la couleur. Mais il n'y a pas de contrainte. (François Caradec est un maître de la contrainte « canada-dry ».)
- la contrainte dite « de l'exposé de mathématicien » ou « contrainte de Polya » : un texte est annoncé comme composé suivant une contrainte nouvelle A. Il semble respecter un moment (avec des erreurs) la contrainte B, mais passe sans prévenir à la contrainte C, qui est bien connue et pas du tout nouvelle (et d'ailleurs il ne la respecte pas).
C'est dans cet esprit que Jean Queval a inventé une notion oulipienne dont la fécondité ne s'est pas démentie depuis : l'Alexandrin de longueur variable, ou ALVA.
Jacques Roubaud, Poésie, etcetera : ménage (Stock, 1995, p. 217-219)
Commentaires
Là, vous avez tiré plus vite que votre ombre!
là vraiment... on s'incline !
merci ! merci !
... mais c'était facile : ouvrir mon fichier "roubaud citations.doc" et copier/coller
une fois n'est pas coutume, j'ai envie d'importer les commentaires laissés dans facebook à ce sujet (j'espère que personne ne n'en tiendra rigueur) :
Christine milite pour le clinamen généralisé. 23:27 - Commenter
Odile Noël à 23:34, le 15 janvier
Kesako??? cli quoi??? J'oase pas imaginer ce que c'est!
Lionel-Edouard Martin à 23:44, le 15 janvier
On n'est jamais assez oblique, c'est dans la nature des choses.
Christine Genin à 23:44, le 15 janvier
pas de panique, ce n'est ni une perversion érotique ni une maladie grave, mais un très joli concept épicurien remis à la mode par les oulipiens, "un mot pour la liberté", disait Perec :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Clinam...
Odile Noël à 23:46, le 15 janvier
Ca ressemble à la définition de facebook!
Odile Noël à 23:47, le 15 janvier
Et effectivement, j'avais pensé à une perversion érotique ou à une MST... On ne peut rien cacher!!!
Christine Genin à 00:19, le 16 janvier
pour préciser la notion, un joli texte de Roubaud sur le clinamen généralisé :
http://blog.lignesdefuite.fr/post/2...
Lionel-Edouard Martin à 00:27, le 16 janvier
(Je vous renverrais bien au cher Lucrèce - oulipien, faut-il croire, avant l'heure...)
Christine Genin à 00:30, le 16 janvier
" qu'un rien dévie en quelque chose de sa ligne "
Odile Noël à 00:32, le 16 janvier
Et si on pratiquait une contraite oulipienne pour la rédaction des statuts???
Benjamin Renaud à 00:34, le 16 janvier
l'oblique, c'est bien, mais à condition que cela obéisse à un dictamen...
Christine Genin à 00:38, le 16 janvier
... l'alexandrin de longueur variable ?
Odile Noël à 00:40, le 16 janvier
LOL!!!!!!
Lionel-Edouard Martin à 00:41, le 16 janvier
"id facit exiguum clinamen principiorum
nec regione loci certa nec tempore certo"
- bref, oulipo n'a rien inventé (invente-t-on, du reste, jamais rien ?)
Christine Genin à 00:44, le 16 janvier
s'il est bien un mouvement qui est conscient de ne rien inventer et rend à Lucrèce ce qui vient de Lucrèce, c'est bien l'oulipo
Lionel-Edouard Martin à 00:48, le 16 janvier
Paradoxalement, d'ailleurs, "clinamen" n'est employé qu'une seule fois dans le Natura rerum, dans le livre II, je viens de le vérifier (quant à être cuistre, autant l'être jusqu'au bout). On peut même se demander si ce n'est pas un néologisme de Lucrèce. J'aime bien l'idée de le voir resurgir à plus de 2000 ans de sa première occurrence.
Lionel-Edouard Martin à 01:00, le 16 janvier
('fin bref, on a les émotions qu'on peut...)
Christine Genin à 01:14, le 16 janvier
moi aussi je trouve ça émouvant, cette reprise d'un beau concept
ayant vécu le premier élément du tercet du jour de Chevillard (plusieurs heures sans électricité) je ne découvre que maintenant, et suis sous le charme de cette méthode - me demande si je saurais la suivre