Dans le vrai-faux roman familial qu’est Paris-Brest, l’émotion des souvenirs est mise en abîme comme le manuscrit dans la valise ou la crème écoeurante dans la pâtisserie du même nom : la peur de trop en dire et l’impossibilité d’échapper au dévoilement des secrets de famille rendent nécessaire la réinvention ludique des codes du roman familial. La lecture en est tout à fait jubilatoire … et très émouvante en même temps : « Techniquement tout était clair. Psychologiquement non. Psychologiquement rien n'est jamais clair mais techniquement si. » (p. 107). Encore quelques extraits pour le plaisir :

Même aujourd'hui, avec tout le recul que j'ai sur la situation, je peux dire comme lui que oui, tout le monde s'en fout des histoires de famille. Mais tout le monde s'en fout de tout, aurais-je quand même pu lui répondre si le sens de la repartie ne me venait pas toujours avec retard, avec plusieurs années de retard quand je me dis désormais que oui, c'est ça, exactement ça que j'aurais dû lui répondre. (p. 47-48)

De toute façon, mon histoire familiale n'intéressait personne, et mon histoire familiale n'est jamais devenue un livre, pour toutes les raisons que j'aurai sûrement l'occasion d'expliquer, mais seulement un manuscrit que j'avais soigneusement rangé dans ma valise, que maintenant pour la première fois j'allais faire entrer dans la maison. J'ai pensé c'est comme des poupées russes, maintenant dans la maison familiale il y a l'histoire de la maison familiale. (p. 59)

Sauf que dans mon livre je ne l'ai pas appelé comme ça. Dans mon livre, je lui ai donné un autre nom qui n'a pas d'importance. En tout cas on comprend très vite qu'il ne devrait pas être là, dans l'intimité de la famille, que déjà la tension monte avec ma mère, enfin, pas vraiment ma mère mais une femme avec des lunettes noires qui enterre sa vieille mère et qui est quand même ma mère dans le roman, parce que c'est raconté à la première personne, donc par moi en quelque sorte, enfin quelqu'un proche de moi, disons, assez proche pour que les gens qui me connaissent comprennent que c'est moi. Ma mère, par exemple, comprendra tout de suite que c'est moi. (p. 175-176)

Tanguy Viel est né à Brest en 1973.
Si vous ne les connaissez pas, lisez aussi très vite ses autres romans et textes courts :
- Le Black-Note, roman (Minuit, 1998)
- Cinéma, roman (Minuit, 1999)
- Tout s'explique : réflexions à partir d'« Explications » de Pierre Guyotat (Inventaire/Invention, 2000)
- L'Absolue perfection du crime, roman (Minuit, 2001 et « double », 2006)
- Maladie (Inventaire/Invention, 2002)
- Mélancolies (Inventaire/Invention, 2005)
- Insoupçonnable, roman (Minuit, 2006)
- Paris-Brest, roman (Minuit, 2009)

::: Roger-Michel Allemand. « Tanguy Viel : imaginaires d'un romancier contemporain ». Entretien (@nalyses, 3 janvier 2009)

::: à lire aussi, le dossier consacré à Tanguy Viel dans Le Matricule des anges de janvier.