je ne rêve pas de devenir critique littéraire
Par cgat le vendredi 20 mars 2009, 03:14 - blogs et internet - Lien permanent
Trouver, rencontrer, voler, au lieu de régler, reconnaître et juger. Car reconnaître, c'est le contraire de la rencontre. Juger, c'est le métier de beaucoup de gens, et ce n'est pas un bon métier, mais c'est aussi l'usage que beaucoup de gens font de l'écriture. (...) La justice, la justesse, sont de mauvaises idées. Y opposer la formule de Godard : pas une image juste, juste une image. C'est la même chose en philosophie, comme dans un film ou une chanson : pas d'idées justes, juste des idées. Juste des idées, c'est la rencontre, c'est le devenir, le vol et les noces, cet « entre-deux » des solitudes.
Gilles Deleuze ; Claire Parnet, Dialogues (1977, réed. Flammarion Champs, p. 15)
Le Salon du livre a cette année découvert l’existence des blogs de lecteurs, mais cela a été le plus souvent pour les dénigrer, l’attitude la plus courante consistant à dire que oui, bien sûr, il existait quelques « véritables » critiques littéraires en ligne, par exemple ceux qui l’étaient déjà avant, mais qu'ils surnageaient dans un océan de n’importe quoi, l’essentiel des blogueurs étant illégitimes (pas validés par une autorité), carriéristes (beaucoup espèrent devenir de « vrais » critiques), superficiels, bavards, bêtement fans, narcissiques, etc. etc.
Puisque lignes de fuite appartient (plus ou moins) à cette catégorie, et toutes ces critiques me paraissant relever d'une méconnaissance absolue, je tiens à préciser que pour ma part :
- je ne rêve absolument pas de devenir critique littéraire, car je n’aime pas du tout le côté normatif de cette activité : je ne souhaite pas juger et ne pense pas que mes goûts doivent être ceux de tous ; cela me désobligerait même beaucoup que cela soit le cas.
- je n’essaie donc pas d’écrire des critiques littéraires (je m’efforce, même, de ne pas en écrire) mais juste de faire passer des morceaux de textes, des images et des liens, tout en donnant par quelques mots l’envie d’aller y voir de plus près, si affinités.
- je parle donc essentiellement des livres et des sites que j’aime, ne voyant pas l’intérêt de parler des autres, sinon par masochisme ou, attitude plus répandue, pour s’ériger en juge sévère et craint façon Rinaldi, Naulleau, ou Stalker.
- que je ne fais pas court par défaut mais par choix : pour laisser la place aux textes ; car en tant qu’internaute, je lis rarement les billets qui excèdent un écran ; car, plus généralement, je pense qu’il est souvent plus facile de faire long que de faire court.
::: J’ajoute que je suis heureuse et infiniment honorée que mes lignes de fuite soient l’un des sites favoris d'Éric Chevillard !
Commentaires
"passeuse", ça vous va ?
Et la légitimité des légitimes...
il y a, dans vos mises en ligne quotidiennes, quelque chose qui touche à une évidence, très loin (libérée, en fait) de la posture-critique-littéraire-prise-de-position, forcée celle là, assujettie à tout un jeu serré de contraintes sociales, une posture qui finit effectivement par lasser, fatiguer, épuiser l’intérêt, provoquer l’indifférence (sanction suprême !), car elle induit chez le lecteur une attitude non pas de curieux, mais, stupide, il n’y a pas d’autres mots, de juge du jugement d’autrui, ce qui en passant revient à concéder à cet autrui une « grandeur » qu’il n’a pas. On trouve un peu, mais autrement, cette même posture libre, mais attentive, impliquée et authentique, intéressante, de traiter le texte littéraire chez Berlol par ex, qui, je le répète, ne s'y prend pas du tout comme vous, mais avec tous les deux ce résultat que vos sites, et d'autres bien sûr, finissent par devenir des rendez-vous incontournables, s’imposant naturellement, le matin, à l'heure où l’on allume ce sacré bon sang de bon soir d'ordi, comme naguère on déployait le journal, l’esprit comme vivifié par un plaisir anticipatoire, et ça, tous ces gens qui font salon pour parler doctement de choses qu'ils découvrent après coup, et de loin, avant de passer rapidement, trop, à autre chose, ne l'ont pas compris, bovins lorgnant les trains qu’ils ne prennent jamais, et nous, nous qui l’avons pris depuis longtemps ce train, nous qui voyageons en compartiment numérique première classe, nous en rions, nous en rions.
ne changez rien, on vous adore comme cela!
question de fond posée ici, notre intervention (nos interventions, pardon) questionnant à la fois la littérature et nos pratiques de lecteurs, mais en l'exerçant subjectivement, et non plus depuis position d'énonciation liée au rôle à la fois juge et prescripteur des médias critiques
dans le Matricule des Anges, longtemps que je lis les chroniques et les dossiers, mais laisse tomber les recensions de livre
phénomène bizarre avec fuseaux horaires : avais lu fièrement ce billet à heure de mise en ligne, mais version partielle ? !
j'ajoute que suis en désaccord total avec dernier § mais rassuré par le fait que 80% de mes propres billets, dépassant la page écran, ne sont pas lus ici! - j'ai le réflexe contraire : dans mon Netvibes, quand je vois qu'un billet (je ne parle pas de LdF) ne fait que 5 ou 6 lignes je me dis que ça vaut pas vraiment le clic
merci à tous !
"passeuse" me va très bien, Brigitte
... ou "pa(re)sseuse" !
sur la question de la longueur, F, ne sois pas "rassuré" : j'ai écrit "rarement" et tiers livre fait partie des exceptions
mais dans les billets longs de nombre de blogs il y a le plus souvent 2 ou 3 idées très délayées : je survole et ça me suffit
j'ai moi même eu l'occasion d'écrire long (genre 700 pages de thèse) et très court (genre 500 signes de notice d'expo) : le deuxième exercice est nettement plus difficile
et sur le fond il me semble que le très court, le fragment (avec son exagération/exaspération façon facebook ou twitter) sont la forme la plus appropriée à internet, que ce soit pour le commentaire ou pour l'écriture (voir autofictif, liminaire, contretemps, erratique ...)
quant à ta question sur les fluctuations de mes billets au moment de la mise en ligne : il m'arrive en effet assez souvent de me relire et de corriger juste après la mise en ligne (pour couper et dégraisser assez souvent, pour revenir au propos précédent!)
Désolé de vous contredire miss cgat
mais quand je lis :
"La séduction infinie du « style » Echenoz, inimitable et indescriptible lui aussi, agit une fois encore, avec la tentation de tout citer ; pourtant, comme le jeune Zatopek, j’ai « horreur du sport » (p. 12), et ce n’est certainement pas moi qui irai jamais lire « Courir » en pédalant !"
ca donne envie de lire ce livre ce que j'ai fait comme apres lecture d'une critique... donc je propose comme sous titre de Lignes de fuite : "blog d'une critique pa(re)sseuse et modeste"
merci Bobo !... mais tu ne me contredis pas vraiment (juste je ne suis pas sûre que "modeste" me plaise plus que ça...) : si je peux donner envie de lire les livres que je cite, tant mieux ; mais je ne veux pas être dans la posture de qui dit ce qu'il faut lire
il ne faut jamais lire (le point étant le faut et l'obligation) - de toute façon bourse et temps limitent - vous pouvez faire passer le désir, ce qui est déjà vivifiant - et puis cela fait son chemin
Bonjour.
Un peu réductrice, votre allusion. Vous ne pensez pas qu'il y a dans Stalker bien des billets qui évoquent de grands livres, comme celui en lien ?
Cordialement.
Bien sûr, Stalker, c'est la loi du genre que de mêler grands livres et critiques négatives : pour assassiner Simon Rinaldi encense Proust.
Je voulais simplement dire que telle n'était pas ma posture, mais si je vous ai cité c'est que vous possédez un réel talent dans l'exercice de l'assassinat critique, et qu'il m'arrive de goûter le sel de vos critiques.
Tout ce que vous risquez c'est de finir à l'Académie française !
Oh, rassurez-vous, je n'ai aucun goût pour l'immortalité, surtout celle, dérisoire et grotesque, conférée paraît-il par la Coupole...