Accuser un texte d'illisibilité, c'est s'offusquer que la littérature ne nous dise pas le monde en clair. C'est se formaliser qu'elle ne nous en fasse pas le don symbolique. C'est donc supposer que la littérature doit nous nommer le monde. (p. 66)

Alors voici ce que m’a dit l’ange éloquent quoique toujours un peu patraque de la littérature :
« Je ne t'offre pas le monde, mais la vérité de ce que le monde est pour toi : le dessin énervant d'un manque et la forme informe d'un désir. Venant à moi, ce n’est pas le monde que tu viens aimer, que tu veux voir apparaître dans sa plénitude, dont tu veux recevoir le présent gratifiant – mais ce qui te fait manquer au monde et manquer le monde : ce qui fait que tu parles. Venant à moi tu viens pour courir à cette perte : tu viens pour voir s’effectuer ce retrait au sens, cette esquive du donné, cette mise à distance des choses. Tu viens en moi communier avec la vérité de la langue, c’est-à-dire partager un manque. Tu viens pour préférer l’insatisfaction à la satisfaction. (…) » (p. 71-72)

Christian Prigent, Une erreur de la nature (POL, 1996)