une distance impraticable entre lui et la vie
Par cgat le dimanche 26 avril 2009, 03:22 - écrivains - Lien permanent
La vie avait achevé de faire de Jean-Charles Langlois le pessimiste qu'enfant il avait déjà pressenti en lui. Certains traits de notre caractère nous sont en effet immédiatement perceptibles dès la petite enfance : les enfants ne peuvent se le formuler ainsi, mais il est avéré que nombre d'entre eux éprouvent nettement quelques mouvements de l'âme qu'ils se surprendront, à l'âge adulte, à retrouver intacts. D'aussi loin qu'il se souvienne, les miroirs d'enfance renvoyaient à Jean-Charles Langlois le sentiment d'une forme un peu aqueuse de mélancolie doublée d'une lucidité qui le laissait souvent interdit. Au regard des grands et de leur optimisme nécessaire, cela passait pour une onde poétique, une curiosité prometteuse. Mais si le petit Jean-Charles avait été en âge de mettre ses humeurs en concepts, certainement aurait-il démenti la sentimentalité adulte : il n'ouvrait grands les yeux que par étonnement devant ce qu'il constatait du monde. Comme chez les personnages des romans qu'il aimait, Langlois eut très tôt l'impression d'une distance impraticable entre lui et la vie : l'avancement dans l'âge lui permettra simplement de la creuser et d'en décider souverainement. (p. 125-126)
Mon contemporain sera une femme. Comme ses initiales sont les mêmes que celles de Marguerite Duras et qu'elle-même est écrivain, c'est par ce procédé que je la désignerai.
M.D. sera à sa table de travail, achevant la relecture d'un recueil de nouvelles qu'elle espère pouvoir adresser ces jours prochains à son éditeur, et ce faisant être dans les temps pour la rentrée littéraire de janvier. Sans illusion toutefois : elle n'a pas la notoriété de l'autre. Et puis ce n'est pas une question de notoriété, mais de talent. Elle n'en est pas dépourvue, elle le sait bien, mais enfin tout cela reste cantonné à une littérature qui ne passera pas l'hiver, et la mort moins encore.
Sans qu'elle ait très bien compris pourquoi ni comment la chose avait pu se produire, M.D. aura achevé d'écrire le recueil en un mois. La première nouvelle est datée du 21 juillet 2004, la dernière (il y en aura dix) du 21 août. Jamais elle n'aura écrit aussi vite. Elle se demandera d'ailleurs ce qui a bien pu la conduire à n'inventer que des histoires où rôde l'inlassable de la mort. Bien sûr elle aura lu les classiques, Chandler, Hammett, Simenon, mais enfin le roman policier, pas même le polar, n'étaient à proprement parler sa littérature. Mais la mort c'est la vie, alors à quoi bon se lancer dans la vie si c'est pour en gommer la mort. Et si ce n'est pas la mort c'est la violence, la même chose en pire. La preuve, elle n'a jamais eu peur de la mort, toujours de la violence. On n'a jamais peur de ce qu'on ne connaît pas.
Donc, M.D. sera à sa table de travail. Elle relira mot à mot ces histoires qui lui tombèrent sous les doigts, s'étonnant elle-même de leur rythme, de leur sonorité, de leurs caprices, quand ce n'est pas des personnages eux-mêmes. C'est qu'ils sont si réels ces personnages, si proches. Elle se demandera si le lecteur aura conscience de la réalité fantomatique de ces personnages dans son cerveau. Car M.D. n'aura jamais eu besoin des critiques pour évaluer les limites de son art. Elle se dira que tout ça n'est pas si mauvais au fond, que cela vaut bien quelques-uns de ces succès qu'ils exhibent dans les devantures, mais enfin elle sait parfaitement que tout se destinera toujours au vent, aux landes au vent et à la nuit. (p. 147-148)Marc Villemain, Et que morts s’ensuivent (Seuil, 2009)
De la mélancolie à l'humour noir, du cannibalisme à la critique littéraire, ces onze nouvelles diaboliquement efficaces, suivies par une amusante « exposition des corps », explorent « l'inlassable de la mort » et de la violence à travers une brassée de personnages que l'on devine souvent, en effet, très proches de l'auteur ... et peut-être le personnage récurrent de Géraldine Bouvier est-il comme une figure de lectrice (?).
Marc Villemain est né le 1er octobre 1968.
Il a publié auparavant :
- Monsieur Lévy (Plon, 2003)
- Et je dirai au monde toute la haine qu’il m’inspire (Maren Sell,
2006)
et il est aussi blogueur :
::: Cyclothymies, fluctuations,
paradoxes et autres angoisses..., son blog
::: Les sept mains, blog
collectif
::: son site
Commentaires
un ton distancié remarquablement efficace, même quand la parole est donnée à un "je"
Et les lignes de fuite toujours dans leur rôle de tentatrices
Perec d'accord, pour ce qui suit... est-ce une blague ?
J'ai bien aimé le recueil dans son ensemble et sa clôture par "l'exposition des corps" m'a bien plu aussi.