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Quelle truculente connerie. Quelle construction grotesque. La Bibliothèque internationale de Bathory, disent-elles. Regardez. Mais regardez comme c'est laid. Monstrueux. Elles ont dépensé des milliards pour élever une construction ressemblant, disent-elles, à un livre ouvert. Quelle pitoyable connerie, une bibliothèque en forme de livre. Pourquoi ne pas l'avoir construite en forme de pomme ? Ça donne la gerbe d'entrer dans un bouquin. On est là pour lire des bouquins pas pour entrer dedans, non. Un p'tit bonbon ? dit L'Hippopo, une vieille habituée de la Bibliothèque internationale de Bathory, coutumière de cette jubilation négative devant la construction monumentale. Contraindre des milliers de personnes à entrer dans un bouquin chaque fois qu'elles voudront trouver un livre rare relève d'un procédé infamant digne des peines médiévales. Entrer dans un bouquin ouvert par la main de Monsieur le Président des Nations européennes ? Ou un bouquin ouvert par la main généreuse de l'actionnaire principale du monopole couvrant la fabrication de bouquins + la production de x chaînes d'Images + du journal généralement lu par les invitées de Bathory ? Quelle connerie, a-hu-rissante connerie. La joie la fait revivre. La Joie sinistre envahit L'Hippopo, qui doit faire partie du clan non organisé des fous de la Bibliothèque internationale de Bathory, une bibliothèque étant toujours fréquentée par une quantité non négligeable de fous.
Un p'tit bonbon ? L'Hippopo est quelqu'un d'important. Elle est vêtue d'un imperméable impeccable et suce des bonbons. Elle porte également un sac en plastique contenant un cahier, un stylo et un étui à lunettes. Elle est professeur dans un pays lointain aux moeurs et normes fort heureusement différentes de celles qui ont cours à la Bibliothèque internationale de Bathory. Elle est gonflée du bonheur qu'il y a à être dans le vrai et à assommer le monde entier de la vérité nue. Nudas veritas. Quelques élues doivent prendre conscience du désastre. Que l'on ne fasse pas semblant de trouver ça beau, intéressant ou commode. Pas commode. Une amie à moi est venue récemment à la Bibliothèque internationale de Bathory. Elle a des difficultés à marcher. Elle est vieux. Elle a des problèmes aux jambes. Elle m'a dit. Elle a raison. Elle m'a dit mais pourquoi ont-elles fait des escaliers ? Pourquoi ont-elles fait un escalier pour monter, pour ensuite devoir en prendre un second pour redescendre ? Elle la nomme la Bibliothèque internationale d'Absurdie. Quelle connerie, convenez-en, vous ne trouvez pas ça beau. Vous ne pouvez pas trouver ça beau, un livre rigide ouvert toujours à la même page.

Voyage en Absurdie, suite. Ce jardin. Ce joli jardin coincé entre les murs de la bibliothèque supposés nous évoquer des pages de livres. Ce cloître. Qu'il est beau et stimulant de marcher, et en marchant de penser, alors que l'on contemple un cloître qui offre à nos yeux diverses métaphores de nos connaissances. Qu'il est clair, qu'il est joli, qu'il est reposant, ce cloître d'arbres hauts coincé au milieu des pages d'un livre. L'image est belle. L'image est grandiose. Des arbres coincés entre les pages d'un livre. Quelle connerie. Vaste connerie. Vous n'allez pas me dire que vous travaillez bien sachant qu'elles ont mis des arbres pour nous cacher le soleil comme si on était les idiots d'une démonstration platonicienne. Elles ont mis des arbres de la montagne à côté d'un fleuve. Nous sommes à côté d'un fleuve et elles ont mis, non pas des arbres généralement plantés à côté des fleuves ou des rivières, non, elles ont planté, elles ont planté des arbres qui poussent généralement en haute montagne. Comment voulez-vous que ces arbres tiennent le coup ? Elles sont par conséquent obligées d'investir dans des câbles métalliques pour empêcher les arbres de s'écrouler sur les vitres de la bibliothèque, qui bordent les tables où nous essayons péniblement de travailler.

Isabelle Zribi, Bienvenue à Bathory (Verticales, 2007, p. 55-57)
(merci cairo de m'avoir signalé ce texte)

Isabelle Zribi est née en 1974
Elle co-anime la revue Action restreinte et a déjà publié M. J. Faust (Comp'Act, 2003)

Dans la Revue X, une vidéo sur fond de BiB.