voyage en absurdie
Par cgat le mercredi 24 janvier 2007, 00:45 - écrivains - Lien permanent
Quelle truculente connerie. Quelle construction grotesque. La Bibliothèque
internationale de Bathory, disent-elles. Regardez. Mais regardez comme c'est
laid. Monstrueux. Elles ont dépensé des milliards pour élever une construction
ressemblant, disent-elles, à un livre ouvert. Quelle pitoyable connerie, une
bibliothèque en forme de livre. Pourquoi ne pas l'avoir construite en forme de
pomme ? Ça donne la gerbe d'entrer dans un bouquin. On est là pour lire
des bouquins pas pour entrer dedans, non. Un p'tit bonbon ? dit L'Hippopo,
une vieille habituée de la Bibliothèque internationale de Bathory, coutumière
de cette jubilation négative devant la construction monumentale. Contraindre
des milliers de personnes à entrer dans un bouquin chaque fois qu'elles
voudront trouver un livre rare relève d'un procédé infamant digne des peines
médiévales. Entrer dans un bouquin ouvert par la main de Monsieur le Président
des Nations européennes ? Ou un bouquin ouvert par la main généreuse de
l'actionnaire principale du monopole couvrant la fabrication de bouquins + la
production de x chaînes d'Images + du journal généralement lu par les invitées
de Bathory ? Quelle connerie, a-hu-rissante connerie. La joie la fait
revivre. La Joie sinistre envahit L'Hippopo, qui doit faire partie du clan non
organisé des fous de la Bibliothèque internationale de Bathory, une
bibliothèque étant toujours fréquentée par une quantité non négligeable de
fous.
Un p'tit bonbon ? L'Hippopo est quelqu'un d'important. Elle est vêtue d'un
imperméable impeccable et suce des bonbons. Elle porte également un sac en
plastique contenant un cahier, un stylo et un étui à lunettes. Elle est
professeur dans un pays lointain aux moeurs et normes fort heureusement
différentes de celles qui ont cours à la Bibliothèque internationale de
Bathory. Elle est gonflée du bonheur qu'il y a à être dans le vrai et à
assommer le monde entier de la vérité nue. Nudas veritas. Quelques
élues doivent prendre conscience du désastre. Que l'on ne fasse pas semblant de
trouver ça beau, intéressant ou commode. Pas commode. Une amie à moi est venue
récemment à la Bibliothèque internationale de Bathory. Elle a des difficultés à
marcher. Elle est vieux. Elle a des problèmes aux jambes. Elle m'a dit. Elle a
raison. Elle m'a dit mais pourquoi ont-elles fait des escaliers ? Pourquoi
ont-elles fait un escalier pour monter, pour ensuite devoir en prendre un
second pour redescendre ? Elle la nomme la Bibliothèque internationale
d'Absurdie. Quelle connerie, convenez-en, vous ne trouvez pas ça beau. Vous ne
pouvez pas trouver ça beau, un livre rigide ouvert toujours à la même page.
Voyage en Absurdie, suite. Ce jardin. Ce joli jardin coincé entre les murs de la bibliothèque supposés nous évoquer des pages de livres. Ce cloître. Qu'il est beau et stimulant de marcher, et en marchant de penser, alors que l'on contemple un cloître qui offre à nos yeux diverses métaphores de nos connaissances. Qu'il est clair, qu'il est joli, qu'il est reposant, ce cloître d'arbres hauts coincé au milieu des pages d'un livre. L'image est belle. L'image est grandiose. Des arbres coincés entre les pages d'un livre. Quelle connerie. Vaste connerie. Vous n'allez pas me dire que vous travaillez bien sachant qu'elles ont mis des arbres pour nous cacher le soleil comme si on était les idiots d'une démonstration platonicienne. Elles ont mis des arbres de la montagne à côté d'un fleuve. Nous sommes à côté d'un fleuve et elles ont mis, non pas des arbres généralement plantés à côté des fleuves ou des rivières, non, elles ont planté, elles ont planté des arbres qui poussent généralement en haute montagne. Comment voulez-vous que ces arbres tiennent le coup ? Elles sont par conséquent obligées d'investir dans des câbles métalliques pour empêcher les arbres de s'écrouler sur les vitres de la bibliothèque, qui bordent les tables où nous essayons péniblement de travailler.
Isabelle Zribi, Bienvenue à Bathory (Verticales, 2007, p. 55-57)
(merci cairo de m'avoir signalé ce texte)
Isabelle Zribi est née en 1974
Elle co-anime la revue Action restreinte et a déjà publié M. J. Faust (Comp'Act, 2003)
Dans la Revue X, une vidéo sur fond de BiB.
Commentaires
ma que j'aime ça ! et le livre dans lequel il faut entrer, et le jardin coincé sont posés ou creusé dans un mastaba parcouru par les vents que l'on ne peut franchir qu'à quatre pattes si on ne s'est pas lestée auparavant (le mastaba c'était autrefois résevé aux morts, non ?)
Cet(te) auteur(e) lisait ses textes (ou un texte) à un salon de la poésie (ou au salon de la poésie) en novembre ou décembre, dans le Marais, ce que je sais, c'est que c'était bien, que c'était déjà fugué.
Du livre des hontes aussi, j'aurais voulu précédemment écrire un mot, ne serait-ce que j'avais vu, que j'étais passé, que moi aussi j'avais lu avec attrait, mais personne n'était venu l'écrire avant moi, et je m'étais abstenu. Ce soir, vin aidant, sans doute, et quelque à-quoi-bon-se-taire me tentant, je vins ne rien dire autre que je passe ici.
Pour rester dans l'inutile.
vin aidant ou pas, merci à vous de laisser ici quelques mots, inutiles peut-être mais agréables, en passant
à la demande générale (et à celle, off the record, de cairo) j'ajoute ce soir un autre passage concernant la BnF, pardon la BiB
merci Cgat de tes remerciements
merci de répondre aux voix off;
c'est vrai , les idées sont là
c'est vrai c'est fugué, Alain.
Ca ne manquerait-il pas de contrepoint ?
bonsoir à toutes, invitées de Lignes de mire, merci à cairo pour avoir sollicité un nouveau passage de l'Hipoppo. A quand les puissants passages de l'antibiographie de E.B sur le blog,lesquels sont époustoufflants !
I.Zribi is so rock'n roll J'adore ! Pour avoir assisté à quelques lectures d'I.Z je peux vous assurer que c'est une sacrée performer!
bien à vous,
C.R une invitée grande belle et blonde.
lignes de fuite, désolée, il est tard!
je ne vais pas citer tout le roman pour laisser à chacun le plaisir de le lire, mais "enchantée/enchantée", chère "invitée" !
une explication en forme de citation pour ceux qui n'ont pas encore lu : " Bathory se présente comme un paradis sur terre. La différence des sexes a disparu et tous les habitants (les "invitées" en patois local) sont des elles. (…) toutes les invitées sont jeunes, blondes, minces et heureuses. Toutes sourient, parlent, dansent. On n'est pas dans une putain de vieille story." (p. 9-10)
j'ajoute dans mon billet un lien vers une vidéo signalée par cairo (merci à lui (même s'il ne correspond pas tout à fait à la description physique de l'invitée))