photographie bougée
Par cgat le dimanche 28 janvier 2007, 22:22 - écrivains - Lien permanent
Quelques autres bribes impressionnistes concernant le colloque sur les Enjeux contemporains du roman ( sans prétendre égaler l'inégalable et savoureux impressionnisme de Si par hasard à qui j'ai emprunté la photo ci dessus).
::: le Nouveau roman revient souvent dans les propos, le plus souvent comme un héritage un peu lourd à porter ; Claude Simon semble pris dans un devenir Proust (l'oeuvre incontournable dont tout le monde parle sans l'avoir forcément lue) et Robbe-Grillet (cité très négativement à plusieurs reprises) faire figure de repoussoir.
::: en dépit du caractère précis, documenté et souvent judicieux des questions posées par les modérateurs (Dominique Viart, Thierry Guichard, Dominique Rabaté, Pierre Schoentjes, etc.) les écrivains n'y répondent pas ou pas vraiment, répondent à côté, parlent d'autre chose ; certains affirment clairement ce qui crève les yeux : ils ne sont pas les mieux placés pour parler de leurs romans.
::: m'éveuvent tout particulièrement (identification sans doute) ceux pour qui la parole n'est pas facile : Nicole Caligaris, Laurent Mauvignier ou Tanguy Viel, par exemple.
::: Nicole Caligaris dit chercher à transcrire dans ses romans ce qu'elle ressent de notre moderne humanité : non des identités constituées en personnages mais des « foyers de conscience multiples (...) comme des foyers lumineux qui entrent en rapport les uns avec les autres ».
::: Laurent Mauvignier décrit son sentiment qu'écrire l'« opacifie » : quand j'écris, dit-il, « je ne cherche pas à comprendre mais à comprendre pourquoi je ne comprends pas »
::: Tanguy Viel voudrait « ajouter des couches » à ses récits qu'il trouve trop simples ; tandis que Christine Montalbetti et Marie Darrieussecq, ses voisines de table ronde, reprennent à leur compte un propos qu'il a tenu un jour : les romanciers des années 60-70 sont une « génération fantôme », discrète, inquiète, un peu perdue et entre-deux.
::: Marie Darrieussecq a pour projet d'écrire La Princesse de Clèves et se réjouit d'avance de voir ce titre sous son nom et sur une couverture POL : beau projet ... d'autant qu'elle souhaite y raconter le départ d'une fusée vers une lune de Jupiter.
::: Devenirs du roman est présenté par Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Oliver Rohe : j'y reviendrais lorsque je l'aurai lu, mais de leurs interventions je retiens en particuler que « le roman n'a pas de dehors » ; c'est un espace « impur, batard, poreux, pluriel », qui avec la fin des interdits avant-gardistes a retrouvé aujourd'hui la liberté de tout absorber ; pour cela il suffit de « se placer à l'endroit le plus ouvert (...) là où il y aurait le plus de courant d'air possible » et surtout de pratiquer la « soustraction du sens » (où l'on retrouve Deleuze) ; le volume (qui mêle entretiens et textes théoriques) n'est pas un manifeste mais une « photographie bougée » et lacunaire du roman actuel .
Lire aussi Ronald Kappla dans remue.net aujourd'hui.
Commentaires
Merci pour ce compte-rendu. Quand on ne peut pas y être, c'est toujours mieux que rien.
Il n'est pas nouveau que les auteurs ne soient pas les mieux placés pour parler de leurs oeuvres...
Robbe-Grillet, justement, a très bien dit que ce qu'il écrivait était la forme la plus concentrée et la plus précise de ce qu'il avait à dire — et par conséquent qu'il ne pouvait "dire mieux" lors d'entretiens ou de colloques...
merci pour le "mieux que rien" : je plaisante ... mais ne doute pas un seul instant que tu aurais fait beaucoup mieux, plus complet et avec enregistrement mp3 des débats
rien de très nouveau en effet : je suis de plus en plus persuadée que la littérature n'est pas vraiment affaire de nouveau
quant à Robbe-Grillet il a tout de même beaucoup parlé de de son oeuvre ! je pense que c'est d'ailleurs ce qu'on lui reproche ... je précise que, même si je lui préfère d'autres figures du Nouveau roman, ses romans ne méritent pas pour autant d'être jetés avec l'eau du bain théorique
Pardon pour le "mieux que rien", mais tu m'as compris...
Et dommage pour le MP3, en effet.
Comme pour Sollers ou pour Houellebecq, l'image de Robbe-Grillet s'est dégradée à partir du moment où il a commencé à jouer avec les médias, ou pour le dire plus simplement, à trop apparaître. Je pense qu'il y en a d'autres dans le même cas...
Est-ce parce que cela court-circuite l'oeuvre ? Est-ce parce que cela provoque des jalousies ? Est-ce parce que la personne "réelle" médiatisée est toujours moins bien que l'auteur inventé par la lecture des oeuvres ? Je ne sais...
Oui, sauf mauvaise foi patente, les livres d'ARG méritent toute notre considération (je ne suis pas sûr que ceux qui le critiquent l'aient lu — on en revient à Bayard...).
Sur la question de savoir si "la littérature est affaire de nouveau", je ne suis pas sûr d'être tout à fait d'accord... Plutôt pas d'accord même, ce qui n'empêche pas, fort heureusement, des permanences. Et j'ai regretté, d'ailleurs, lors de la première table ronde, que sous prétexte que oui bien sûr toujours il y a de la continuité, on ait évacué en quelques minutes la tentative de caractériser ce qui avait pu ou non créer rupture au tournant des années 1979-1980. Marc Jimenez appellerait ça un "traitement anesthésiant" des œuvres, replacées "dans le contexte aseptisé d'une histoire de l'art exempte d'aspérités" (M. Jimenez, La critique, crise de l'art ou consensus culturel ? — Klincksieck). Bref, j'aurais aimé que Dominique Viart ait plus l'occasion de s'expliquer là-dessus, ça avait l'air intéressant. Depuis le temps que je me dis ça, je vais finir par l'acheter, son bouquin d'avec Bruno Vercier.
Du premier matin, il faudra aussi retenir le non-événement qu'a constitué la deuxième table ronde. Danielle Sallenave nous a rejoué le coup de "l'art qui meurt de la culture", comme si ce combat-là n'était pas perdu de longue date. Comme si on en était encore à la critique de "l'industrie culturelle" ou de la "société du spectacle" (selon que l'on préfère la formulation adornienne ou debordienne). Comme si, surtout, ça venait de tomber, c'était tout récent, et heureusement que Sallenave, avec ses boucles d'oreilles chics et sa pose de normalienne, venait nous informer du péril grand qui nous guettait, dans un salon luxueux du 7ème arrondissement. Le pire, c'est que sur certains points je serais presque d'accord avec elle, mais je crois que le combat d'aujourd'hui, c'est bien plus d'essayer de faire passer, avec la culture, un peu d'art sous le manteau. Et surtout, ne pas le dire comme ça, ne pas venir délivrer la parole d'apocalypse si dogmatiquement. C'est pas comme ça qu'on va avancer. Et pour le coup, Dominique Rabaté, lui, sans doute victime du traitement anesthésiant, n'était pas du tout d'accord, et les deux ont fini par se fâcher, boudant ou s'invectivant tour à tour. Et Madame le Grantauteur de finir par quitter l'estrade. On a bien ri. (Enfin, apparemment pas eux.)
J'ai préféré le lendemain matin, même si ce coup-ci c'était Daeninckx qui s'était fait porté pâle, après que la veille, Echenoz avait manqué à l'appel. Pas grave, bien content d'avoir entendu la génération cinquantenaire, Jean Rouaud et compagnie, un peu moins anesthésiés peut-être que les trentenaires.
Je râle un peu, mais en fait très beau colloque, même si je n'ai eu l'occasion d'assister qu'à une petite moitié de celui-ci (j'ai râté les Viel, Mauvignier, etc., que tu cites). J'ai un reproche important cependant : j'ai eu l'impression d'assister à un colloque "Enjeux contemporains de l'écriture", ou peut-être "Enjeux contemporains de la prose", mais pas vraiment "Enjeux contemporains du roman" : il m'a manqué un bout de réflexion sur le "genre" lui-même, ce que j'étais venu chercher. Peut-être ces discussions-là ont-elles eu lieu précisément quand je n'étais pas là... Je n'ai pas eu vraiment de réponse de la part de Jean Rouaud, sur pourquoi sur ses bouquins il y avait écrit "roman", et pas sur ceux de Michon par exemple. Je pense ici surtout à "La Grande Beune" : pas moins dans la "fiction romanesque" qu'un autre, et si Michon refuse l'étiquette "roman", c'est plus pour une affaire de structure narrative globale, que de degré d'inscription ou non de la fiction dans le réel (ce que suggérait Rouaud).
Enfin bon bref : faudra en refaire plus souvent des colloques comme ça...
J'ajoute : l'enjeu contemporain, à mon sens, n'est pas le roman : plutôt de faire passer un peu de littérature en douce, discreto, sous le manteau du roman.
(Même François Bon, pour "Daewoo" et pour "Tumulte", il a repris l'étiquette "roman". C'est peut-être à la demande de son éditeur, mais je n'y crois pas : je me demande si cette étiquette n'est pas quelque chose d'autre, et qui ne serait pas non plus simplement le "clin-d'œil" qu'il veut faire croire que c'est... hmm... à creuser... si quelqu'un a des pistes...)
merci pour ces précisions, jenbamin
je n'étais, au contraire, pas très d'accord avec Danièle Sallenave, mais j'ai trouvé que la salle était assez injuste avec elle (il faut dire qu'arrivée trop tard j'étais le matin non dans l'auditorium mais dans une des petites salles de rez-de-chaussée où les débats étaient retransmis sur un écran - pas totalement dans l'ambiance, donc) peut-être à cause de « ses boucles d'oreilles chics et sa pose de normalienne » (mais alors c'est du délit de sale gueule : défendons les normaliennes injustement discriminées..!)
quant au débat de fond sur le genre roman, j'ai trouvé qu'il était abordé intelligemment dans la dernière table ronde autour du collectif Inculte, à qui Dominique Viart a posé d'excellentes questions. J'ai aussi beaucoup aimé la façon dont Régis Jauffret, de manière mi-sérieuse mi-clownesque, a parlé du roman (sans doute car son "Microfictions" lui attire inévitablement la question de la part des critiques) : le roman a toujours été une genre ouvert, poreux et fourre-tout ; le roman balzacien qui est aujourd'hui la référence « n'est pas né tout habillé » ; est roman tout livre dont son auteur déclare qu'il l'est ; « le roman est un genre de vieux », etc.
C'est donc bien en fait ce que j'imaginais : les discussions "génériques" ont eu lieu quand j'avais le dos tourné... Encore une fois, bien dommage que tout le colloque ne soit pas accessible en ligne.
Quant à Danielle Sallenave : j'étais, moi aussi, dans une des salles du rez-de-chaussée, et peut-être justement la retransmission sur écran accentuait à mes yeux le côté grand-guignolesque de l'incident. Sallenave avait un peu chauffé la salle lors de la première table ronde (elle était alors dans le public), en posant une question qui n'en était pas une, monopolisant le micro pendant quelques longues minutes, tout ça pour nous faire sa pose de Grantauteur, en nous expliquant qu'il n'y avait plus de posture d'auteur, que ne comptait plus que l'expérience radicale d'écrire, etc. Jean-Benoit Puech avait l'air bien amusé : on le comprend.
Et pour ce qui est du délit de sale gueule : un bourge est un bourge, et a une gueule de bourge, il n'y peut pas forcément grand'chose (je sors justement d'une réunion de (bonne) famille...). Quand le bourge a fréquenté la prestigieuse rue d'Ulm, il devient un peu plus responsable de sa gueule de bourge, parce qu'on pourrait attendre de lui qu'il utilise ses neurones pour se rendre compte de la gueule qu'il a. Quand, de surcroît, le même bourge continue de faire figurer "normalien" sur sa bio, quand celle-ci est résumée en 4 ou 5 lignes (cf. plaquette de présentation du colloque), et quand ledit bourge a quitté ladite rue depuis plusieurs dizaines d'années, on commence à avoir du mal à lui trouver des circonstances atténuantes : Ulm est (devrait être) pour moi un lieu d'excellence intellectuelle, pas un lieu de prestige social. Et quand, pour couronner le tout, le bourge en question — ou peut-être d'ailleurs LA bourge, je ne suis pas sexiste — vient nous servir un discours ultra-radical, et se vexe comme un enfant de dix ans, non vraiment, j'y insiste, condamnation sans appel. Les normaliens et normaliennes n'ont vraiment pas besoin qu'on les défende : les discriminations, tout à fait injustes, sont à 99 % dans l'autre sens.
On aura deviné que, si je me permets d'être aussi vif dans la critique, c'est bien entendu que moi-même, j'en suis : bourge un peu (mais pas quand même des boucles d'oreille aussi chics que celles de Sallenave), normalien un peu (mais pas sur ma bio en 4 lignes, alors que sorti de là depuis moin longtemps que Sallenave), radical parfois un peu (mais pas dogmatique, non, surtout pas, pas dogmatique, je vous en prie...). En fait, à Sallenave, il manque le sens de l'humour : ça je ne pardonne jamais aux gens.
Bon, tout ceci est bien sûr parfaitement anecdotique... juste le plaisir de "bouffer du normalien", j'ai plus de curé sous la main (sauf mon cousin cet aprem, mais lui je l'aime bien) !
les normaliens discriminés, c'était pour rire : j'attache moi aussi une grande importance à l'humour!
d'ailleurs, confidence pour confidence, si votre propos m'a amusée, c'est que je suis moi aussi un peu normalienne (sous-normalienne, de fait, car normalienne de Saint-Cloud, qui n'existe même plus!) : pas bourge du tout avant de l'être (j'ai bénéficié de l'ascenseur social juste avant qu'il ne soit cassé) je crains de l'être devenue (un peu) après ; mais j'ai des circonstances atténuantes : je ne porte pas de boucles d'oreille chic, ne suis pas dogmatique (j'espère) ni universitaire ... et j'essaie même d'utiliser mes neurones (quand ils acceptent de coopérer!)
Ah, attention ! Ne commencez paz à discriminer injustement les universitaires : je vais me sentir visé... !
oups ! j'ai gaffé ! c'est que j'ai souvent l'impression que le statut d'universitaire rend certains un peu dogmatiques (ce que j'interprète comme un "raidissement" dans la posture docte nécessaire au quotidien dans l'enseignement) ... mais j'aggrave mon cas, là ! (je fais confiance à votre humour)
les universitaires, c'est comme les normaliens, les bourges et les curés : y'en a des biens, y'en a des biens...
Faut voir...