un bloc de plexiglas
Par cgat le mercredi 21 février 2007, 00:37 - citations - Lien permanent
On dirait des gens obligés de se battre dans un couloir contre les parois duquel ils se cogneraient sans cesse, ou plutôt entre deux plaques de verre tellement rapprochées qu'à la fin ils semblent pris, immobilisés tels quels, comme ces animaux ou ces objets enfermés dans un bloc de plexiglas, encastrés les uns dans les autres par la pression des deux parois transparentes qui ne laissent plus subsister à la fin entre les combattants le moindre vide, tout espace (par exemple entre une cuirasse, un bouclier, une épaule, ou entre un bras levé et l'une de ces hautes coiffures surmontant les visages de leurs étranges cylindres allant en s'évasant, c'est-à-dire cylindre au départ, autour du front, puis coniques), tout espace, donc, intégralement rempli (par une portion de visage, un profil, un autre casque, un œil, le fer d'une hache), le ciel lui-même, au-dessus du moutonnement des têtes (découpé par les lances, roses, blanches, ou brunes, les courbes des étendards) aussi dur que du mortier, aussi matériel que le bleu des aciers, aussi impénétrable que les visages des combattants, les profils corbins ou prognathes empreints de cette impassibilité, de cette sérénité brutale qui constitue de tous temps l'apanage des puissants et de leur entourage (valets, portiers d'hôtel, chauffeurs de voitures de maîtres, gens de la haute couture), s'extériorisant dans un mélange de raffinements inouïs ou même agressivement ridicules (comme ces chapeaux, ces coiffures, ces plissés, ces pourpoints, ces jabots tuyautés, ces armures exagérément ornées), d'insolence, d'équivoques préciosités la belle jeunesse de Rome ces beaux danseurs si fleuris jaloux de conserver leur jolie figure ne soutiendraient pas l'éclat du fer brillant devant leurs yeux, le sol, où piétinent les jambes mêlées des chevaux et des fantassins, d'une couleur claire aussi, gris-vert, et rigoureusement plat comme celui, artificiellement damé, d'un terrain de jeu, d'une place ou d'une scène de théâtre
Claude Simon, La Bataille de Pharsale (Minuit, 1969, p. 104-105)
Commentaires
CHEMIN DE NUIT
Il est des mondes où manque singulièrement l'espace pour l'ombre qui a découvert le chemin de la nuit. Les peuplades de chimères qui croient y résider passent leur temps à se quereller pour des sujets fictifs et anodins, meublant leurs rêves de batailles sanguinaires et de conquêtes hallucinées, donnant corps dans leur délire à ce qui n'est que volutes moirés de poussière. Tous les guerriers sont dans le camp du bien et peignent à la hache les traits du mal sur d'imaginaires ennemis qui rehaussent leur propre valeur, du moins le pensent-ils. Epiques épopées du ridicule, comedia dell'arte pour sérieux indigents, tableaux de rêves et cauchemars que ne contemplent plus, même en souriant, les évadés harmoniques, occupés qu'ils sont à se prélasser dans l'herbe fraîche de la poésie et de rêves beaucoup plus substantiels.
dans un espace quasiment sans perpective les places sont chères. Tiens ça irait bien pour une petite région du monde