parler en mieux
Par cgat le samedi 28 avril 2007, 00:05 - écrivains - Lien permanent
Transmettre sa nervosité, transmettre son stress, je ne demande que ça,
qu'on me transmette son stress. La musique ne calme pas mes nerfs, elle les
chauffe à blanc.
Je ne fais de bonnes choses que stressée. NTM me porte sur les nerfs, c'est une
bénédiction.
Un mot, quelques syllabes, qui me tapent sur le système, je m'y accroche,
crispée, tendue, percluse de crampes, et je prends le train de la phrase. C'est
toujours comme ça avec la musique, on s'accroche à un mot et on prend le train.
Quand j'écoute « Sympathy for the devil », je m'accroche et mon cerveau
grésille sur pleased to meet you. Le texte ne m'importe pas, mais il y
a des mots qui ne sont pas anodins. Il y a toujours un, deux, trois mots qui
déclenchent quelque chose, un mouvement, un geste, qui fixent toute
l'attention, toute l'énergie, qui m'aspirent, me vrillent les nerfs. Il y a par
exemple le mot « feu », le mot « bombe ».
La greffe du stress prend toujours sur NTM, sur la scansion affolée du verbe,
nationale est la lobotomie que nous acceptons, il n'y a pas de couleur pour
être cartonneur. Une batterie déglinguée au fond des artères, empire du
rythme. Le beat qui fédère, cellule rythmique initiale insécable, échantillon
mis en boucle, et sur lequel viennent se fixer, s'imbriquer une multiplicité
d'autres événements rythmiques, une multitude de lignes superposées,
contaminées, qui s'appellent, se toisent, se répondent, se provoquent ; et
ces lignes à leur tour perturbées, déviées, agressées par d'autres événements
singuliers, par d'autres motifs : bruits, scratches, séquences parlées. Un
fourbi inextricable, et aux platines le dj Concepteur Détonateur S.
(...)
Rapper c'est parler en mieux, c'est parler avec tous les accents, toutes les
intonations, toutes les nuances, toutes les modulations de fréquence, c'est
parler avec des hauts et des bas, se rompre, accélérer, décélérer, aller,
venir, suspendre et replonger, c'est parler la bouche pleine, c'est épouser
enfin toutes les dépressions des terrains accidentés et mouvants que nous
habitons. Rapper c'est parler à ras du sol, l'oreille collée au goudron qui
renvoie l'écho de ceux qui marchent, c'est parler la gueule dans la terre,
c'est parler avec au fond de la gorge le temps qu'il fait. Rapper c'est avoir
une très haute idée de ce que parler veut faire, peut faire ; rapper c'est
ne pas se contenter de parler, c'est parler de telle sorte que la matière des
mots nous ébranle bien au-delà de tout ce qu'ils veulent dire. Rapper c'est
inventer parler, disloquer parler, laisser passer les bruits alentour,
bouillons sonores, masse bruyante hérissée, qui nous tombe dessus comme une
grêle coupante.
Joy Sorman, Du bruit (Gallimard, 2007, p. 67-69 et p. 149-150)
Joy Sorman est née en 1973.
Son premier roman, Boys, boys, boys (Gallimard, 2005) avait obtenu le Prix de
Flore.
On peut lire un entretien dans Buzz littéraire et une critique de
Jacques Morice dans Télérama.
Commentaires
C'est bien dit..mais j'aurais aimé qu'elle dédie son livre à IAM plutôt qu'à NTM ;-)
sans être très fan de NTM moi non plus, j'aime bien la façon dont Joy Sorman parle de ce que cette musique lui fait ...
Il y a également une interview de Joy Sorman sur le site de Télérama. Je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'elle dit, mais j'ai tout de même acheté son bouquin samedi. A suivre ;-)
merci beaucoup, Pazpatu, de me signaler les pages (entretien audio, lecture video et critique) sur le livre de Joy Sorman, que l'on trouve là (pour les autres) :
http://www.teleramaradio.fr/article.php3?id_article=762