du début à la fin ou de la fin au début
Par cgat le jeudi 19 juillet 2007, 00:19 - édition - Lien permanent
Longtemps, nous avons résisté à diverses pressions et refusé de céder trop
facilement à d'extravagantes demandes. Par exemple, on nous avait demandé un
mode d'emploi pour lire décapage. Ça nous semblait tellement incongru qu'on
avait d'abord cru qu'une poignée de godelureaux morbihannais nous voulait du
mal. Comme nous ne pouvions tolérer de nous faire mener en bateau par de tels
individus, nous avons feint l'indifférence. On pensait qu'ils ne donneraient
pas suite. Erreur ! C'était sans compter sur leur acharnement. Un jour,
c'est tout le Sud-Ouest qui a fait pression pour connaître la bonne attitude à
adopter face à décapage. Et ensuite l'Est, pour qu'on explique le sens de
lecture qui convient le mieux à la revue. Et même la Belgique s’y est mise pour
qu'on explicite deux trois traits d'esprit. Il fallait donc prendre la chose en
considération. Nous nous sommes installés autour d'une table, mais comme nous
n’avions pas de table, nous nous sommes avachis dans de profonds fauteuils.
L’ordre du jour était sérieux et jamais un comité de rédaction n'a été aussi
grave. Quelqu'un a dit : « Faudrait attendre Jean pour commencer»,
mais comme il n'y avait pas de Jean, personne ne l’a attendu. Et heureusement,
parce qu’on peut dire aujourd'hui qu'aucun Jean n’est jamais venu au comité de
rédaction. Pour La moitié de l'assistance, il convenait de préciser aux
lecteurs qu'il fallait lire décapage en commençant par le début, ce qui a
vivement contrarié les adeptes de la lecture inversée. Comme c'était Le premier
point de discorde, on a tout de suite organisé un vote, précisant que la
majorité l’emporterait. Malheureusement, personne ne s'y attendait, on obtint
une égalité parfaite. Devant un tel équilibre, il convenait de ne pas perdre la
face. On organisa un second tour, imaginant sans doute que des adeptes de la
lecture inversée recouvreraient la raison et rallieraient l'autre camp. Ou
l'inverse, puisque la balance pouvait pencher d'un côté ou de l'autre, du
moment qu'elle penchait. Résultat égalité parfaite, encore une fois. Ce qui
surprit plus d'un votant puisque, de leurs propres aveux, certains avaient
changé leur fusil d'épaule. Ne voulant pas perdre de temps avec ce premier
point, un compromis qui sembla contenter tout le monde fut trouvé. On nota
donc : 1) décapage se lit indifféremment du début à la fin ou de la fin au
début. Tout Le monde paraissait satisfait. On proposa même d'en rester là pour
cette séance, prétextant une partie de badminton à terminer. Mais l'excuse fut
décrétée irrecevable par les joueurs d'échecs qui, eux, n'avaient aucune partie
en cours. On passa donc au second point : comment être publié dans
décapage. Cette question passionne les jeunes filles âgées de vingt-quatre ans,
du signe du verseau, qui plus est, du premier décan. Une étude scientifique qui
a coûté une fortune nous a appris cela. On lança à la volée qu'il fallait payer
pour publier dans décapage, ou coucher, ou payer et coucher, ce qui n'amusa
personne puisqu'avec de tels propos on avait bien conscience de ne pas faire
avancer le débat. Certains voulaient fermer la rédaction sur elle-même,
d'autres, au contraire, souhaitaient qu'elle reste ouverte à tous. En six ans,
rappela quelqu'un, décapage a tout fait pour ne pas s'asphyxier, multipliant
les participations étonnantes, déjouant tout esprit de copinage. Pareils propos
gonflèrent les poitrines, et on insista pour noter ce deuxième point
ainsi : 2) Nous lisons avec la même attention tous les textes qui font
moins de 12000 signes, qu'ils soient écrits par un académicien ou un plumitif
de Perros-Guirec. À ce stade de la réflexion, un sentiment de grande
satisfaction planait au-dessus de nos têtes. Un peu comme si on venait de
réussir en un temps record la montée du mont Ventoux à bicyclette, avec un vent
défavorable. Avant de réfléchir au troisième point, on proposa un jeu stupide
pour se détendre puisqu'une tension palpable s'était petit à petit installée.
Il fallait imiter des tableaux. Rien de plus divertissant que ce jeu ! Le
premier imité fut « Le Cri » de Munch. Aucun mérite : c'est une
œuvre facile à reproduire, il suffit d'appliquer ses mains sur ses joues et
d'ouvrir grand la bouche, La réponse fut unanimement donnée dans un même élan.
Ensuite, on vit : « La Jeune fille à la perle » de Johannes
Vermeer, « Autoportrait à l'oreille coupée » de Van Gogh et un
Picasso que personne n’a vraiment reconnu. L’un de nous s'est vexé : on ne
reconnaissait pas non plus son Dali. Il était temps d'arrêter le jeu. Il nous
restait encore beaucoup de choses à voir. On s'attaqua au prix de la revue.
Deux théories s’opposaient. La première : maintenir un prix modique de 3
euros, pas plus, pour faciliter l’achat d'impulsion dans les librairies qui
nous diffusent. Quelqu'un de plus fourbe que les autres rappela que seules deux
librairies nous diffusaient et que franchement on pouvait passer à 7 ou 10
euros. C'est aussi l'avis de tous ceux qui reçoivent pour une raison ou une
autre gracieusement la revue. Ils ne trouvent pas son prix assez élevé. On voit
bien que ce n'est pas eux qui font le chèque pour l'abonnement. Cela dit, on
argumenta en ce sens : deuxième théorie. On rappela que les libraires
rechignaient à prendre la revue en dépôt puisque sur 3 euros ils ne gagnaient
pratiquement rien. On contre-argumenta : des revues à 15 euros il y en a
plein les étalages, c'est bien la preuve que personne ne les achète. La revue
n’est pas là pour satisfaire les libraires ou le rédacteur en chef. Il était
temps de conclure sur ce point. On nota : 3) décapage s'adresse aux
lecteurs, c'est pour ça que son prix est modique. Même si ce numéro passe à 5
euros, modéra quelqu'un.
À suivre.
Décapage, 31, juin 2007, p. 4
Quant aux splendides couvertures de la revue Décapage, elles sont dues au photographe Baudoin : pour voir d’autres photos de « Parisiennes » (et autres), son site est là.
Commentaires
16h35, aucun commentaire : la déferlante paresseuse d'hier a fait des victimes
En fait, quand le billet est trop long, les commentaires le sont d'autant moins... (pas toujours, mais souvent, comme si le temps passé à lire n'était plus disponible pour écrire)
tu as raison, j'ai remarqué ça aussi et c'est peut-être le bon diagnostic : à moins qu'il s'agisse de l'envie de remplir la page blanche quand le billet est trop court