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Longtemps, nous avons résisté à diverses pressions et refusé de céder trop facilement à d'extravagantes demandes. Par exemple, on nous avait demandé un mode d'emploi pour lire décapage. Ça nous semblait tellement incongru qu'on avait d'abord cru qu'une poignée de godelureaux morbihannais nous voulait du mal. Comme nous ne pouvions tolérer de nous faire mener en bateau par de tels individus, nous avons feint l'indifférence. On pensait qu'ils ne donneraient pas suite. Erreur ! C'était sans compter sur leur acharnement. Un jour, c'est tout le Sud-Ouest qui a fait pression pour connaître la bonne attitude à adopter face à décapage. Et ensuite l'Est, pour qu'on explique le sens de lecture qui convient le mieux à la revue. Et même la Belgique s’y est mise pour qu'on explicite deux trois traits d'esprit. Il fallait donc prendre la chose en considération. Nous nous sommes installés autour d'une table, mais comme nous n’avions pas de table, nous nous sommes avachis dans de profonds fauteuils. L’ordre du jour était sérieux et jamais un comité de rédaction n'a été aussi grave. Quelqu'un a dit : « Faudrait attendre Jean pour commencer», mais comme il n'y avait pas de Jean, personne ne l’a attendu. Et heureusement, parce qu’on peut dire aujourd'hui qu'aucun Jean n’est jamais venu au comité de rédaction. Pour La moitié de l'assistance, il convenait de préciser aux lecteurs qu'il fallait lire décapage en commençant par le début, ce qui a vivement contrarié les adeptes de la lecture inversée. Comme c'était Le premier point de discorde, on a tout de suite organisé un vote, précisant que la majorité l’emporterait. Malheureusement, personne ne s'y attendait, on obtint une égalité parfaite. Devant un tel équilibre, il convenait de ne pas perdre la face. On organisa un second tour, imaginant sans doute que des adeptes de la lecture inversée recouvreraient la raison et rallieraient l'autre camp. Ou l'inverse, puisque la balance pouvait pencher d'un côté ou de l'autre, du moment qu'elle penchait. Résultat égalité parfaite, encore une fois. Ce qui surprit plus d'un votant puisque, de leurs propres aveux, certains avaient changé leur fusil d'épaule. Ne voulant pas perdre de temps avec ce premier point, un compromis qui sembla contenter tout le monde fut trouvé. On nota donc : 1) décapage se lit indifféremment du début à la fin ou de la fin au début. Tout Le monde paraissait satisfait. On proposa même d'en rester là pour cette séance, prétextant une partie de badminton à terminer. Mais l'excuse fut décrétée irrecevable par les joueurs d'échecs qui, eux, n'avaient aucune partie en cours. On passa donc au second point : comment être publié dans décapage. Cette question passionne les jeunes filles âgées de vingt-quatre ans, du signe du verseau, qui plus est, du premier décan. Une étude scientifique qui a coûté une fortune nous a appris cela. On lança à la volée qu'il fallait payer pour publier dans décapage, ou coucher, ou payer et coucher, ce qui n'amusa personne puisqu'avec de tels propos on avait bien conscience de ne pas faire avancer le débat. Certains voulaient fermer la rédaction sur elle-même, d'autres, au contraire, souhaitaient qu'elle reste ouverte à tous. En six ans, rappela quelqu'un, décapage a tout fait pour ne pas s'asphyxier, multipliant les participations étonnantes, déjouant tout esprit de copinage. Pareils propos gonflèrent les poitrines, et on insista pour noter ce deuxième point ainsi : 2) Nous lisons avec la même attention tous les textes qui font moins de 12000 signes, qu'ils soient écrits par un académicien ou un plumitif de Perros-Guirec. À ce stade de la réflexion, un sentiment de grande satisfaction planait au-dessus de nos têtes. Un peu comme si on venait de réussir en un temps record la montée du mont Ventoux à bicyclette, avec un vent défavorable. Avant de réfléchir au troisième point, on proposa un jeu stupide pour se détendre puisqu'une tension palpable s'était petit à petit installée. Il fallait imiter des tableaux. Rien de plus divertissant que ce jeu ! Le premier imité fut « Le Cri » de Munch. Aucun mérite : c'est une œuvre facile à reproduire, il suffit d'appliquer ses mains sur ses joues et d'ouvrir grand la bouche, La réponse fut unanimement donnée dans un même élan. Ensuite, on vit : « La Jeune fille à la perle » de Johannes Vermeer, « Autoportrait à l'oreille coupée » de Van Gogh et un Picasso que personne n’a vraiment reconnu. L’un de nous s'est vexé : on ne reconnaissait pas non plus son Dali. Il était temps d'arrêter le jeu. Il nous restait encore beaucoup de choses à voir. On s'attaqua au prix de la revue. Deux théories s’opposaient. La première : maintenir un prix modique de 3 euros, pas plus, pour faciliter l’achat d'impulsion dans les librairies qui nous diffusent. Quelqu'un de plus fourbe que les autres rappela que seules deux librairies nous diffusaient et que franchement on pouvait passer à 7 ou 10 euros. C'est aussi l'avis de tous ceux qui reçoivent pour une raison ou une autre gracieusement la revue. Ils ne trouvent pas son prix assez élevé. On voit bien que ce n'est pas eux qui font le chèque pour l'abonnement. Cela dit, on argumenta en ce sens : deuxième théorie. On rappela que les libraires rechignaient à prendre la revue en dépôt puisque sur 3 euros ils ne gagnaient pratiquement rien. On contre-argumenta : des revues à 15 euros il y en a plein les étalages, c'est bien la preuve que personne ne les achète. La revue n’est pas là pour satisfaire les libraires ou le rédacteur en chef. Il était temps de conclure sur ce point. On nota : 3) décapage s'adresse aux lecteurs, c'est pour ça que son prix est modique. Même si ce numéro passe à 5 euros, modéra quelqu'un.
À suivre.

Décapage, 31, juin 2007, p. 4

Quant aux splendides couvertures de la revue Décapage, elles sont dues au photographe Baudoin : pour voir d’autres photos de « Parisiennes » (et autres), son site est là.