la perfection de la paresse
Par cgat le vendredi 20 juillet 2007, 00:53 - essais - Lien permanent
À la demande générale, encore un peu de littérature subversive : dans un court texte écrit d’un seul jet le 15 février 1921, le peintre et théoricien Kazimir Malevitch se livre à une réhabilitation de la paresse « mère de la perfection », non sans prendre malicieusement l’exemple du modèle de perfection que les hommes se sont donné, Dieu lui-même :
Le travail doit être maudit, comme l’enseignent les légendes sur le paradis, tandis que la paresse doit être le but essentiel de l’homme. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. C’est cette inversion que je voudrais tirer au clair. (p. 12)
L’argent n’est rien d’autre qu’un petit morceau de paresse. Plus on en aura et plus on connaîtra la félicité de la paresse. (p. 16)
L'homme, le peuple, l'humanité entière se fixent toujours un but et ce but est toujours dans le futur : un de ces objectifs est la perfection, c'est-à-dire Dieu. L'imagination humaine l'a décrit et a même donné le détail des jours de la création, d'où il ressort que Dieu construisit le monde en six jours et que le septième il se reposa. Combien de temps ce jour se prolonge-t-il, on ne le sait pas, mais en tout cas, le septième jour est celui du repos. On peut admettre que le premier moment de repos soit un repos physique, mais en réalité, il n'en a pas été ainsi : s'il avait dû construire l'univers en effectuant un travail physique, Dieu aurait dû travailler autant qu'un homme ; il est clair qu'il ne s'agissait pas d'un travail physique, et qu'en conséquence il n'avait pas besoin de se reposer. Pour effectuer sa création, il n'avait qu'à prononcer les mots « Que cela soit » : l'univers dans toute sa diversité a été créé en répétant six fois « Que cela soit ». Depuis ce temps, Dieu ne crée plus, il se repose sur le trône de la paresse et contemple sa propre sagesse. (p. 29-30)
Ainsi se justifie la légende de Dieu comme perfection de la « Paresse ». (p. 32)
Kazimir Malevitch, La Paresse comme vérité effective de l’homme (1921) (Allia, 1995)
Commentaires
J'ai la flemme d'applaudir ! Pourtant, ça le mérite.
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Mais alors... ceux qui veulent nous forcer à travailler... ce sont les env..., les employés du diable !
et maintenant, ils dirigent le monde !
Mon Dieu, mon Dieu, à quoi nous as-tu abandonné ?...
Judicieuse citation à opposer au récent discours de notre chère ministre de l'économie qui le 10 juillet dernier n'a pas hésité à dénoncer devant les députés " cette tradition de fainéantise qu'on retrouve au XIX ème siècle chez de nombreux auteurs. Paul Lafargue, dans son livre "le droit à la paresse", recommande à l'homme de ne travailler que trois heures par jour, et de passer le reste du temps à fainéanter et à bombancer" (sic). Et le "dernier avatar de ce droit à la paresse, c'est la loi sur les 35 heures, ultime expression de cette tendance historique à considérer le travail comme une servitude"(resic). Et la ministre de regretter que la France soit "un pays qui pense (reresic), alors qu'il faut cesser de penser, de tergiverser et se retrousser simplement les manches".
No comment.
Source : Canard Enchaine du 18 juillet.
j'avais raté ce discours édifiant ! merci de me le signaler guytournaye je vais de ce pas acheter le Canard
et s'il est clairement posé désormais que "penser" est une forme de résistance ...... tu as peut-être raison, berlol : aux armes (de l'esprit) citoyens !
Merci pour ce texte !
Pour répondre à guytournaye : oui, on entend de plus en plus ce discours : ne surtout pas être un intellectuel, ne surtout pas penser. Dans quelle lignée situer cette "tendance historique" ?
On évoquait Rimbaud : "J'ai de mes ancêtres gaulois [...] la cervelle étroite"...
"Reconsidérer le travail, c’est rompre avec une tradition de mépris qui trouve sa source dans l’Ancien Régime, quand les nobles avaient défense de s’adonner au commerce. La Révolution Française n’a pas mis fin à cette attitude. On la retrouve au XIXè siècle chez de nombreux auteurs : Paul Lafargue, dans son livre Le droit à la paresse, recommande à l’homme de ne travailler que trois heures par jour, et de passer le reste du temps à « fainéanter et bombancer ».
Le dernier avatar de ce droit à la paresse, c’est, dans les années 90, le mythe post-industriel de la « fin du travail » : l’homme pourrait, illusion suprême, être définitivement remplacé par des machines et des ordinateurs. La loi des trente-cinq heures est l’ultime expression de cette tendance historique à considérer le travail comme une servitude.
Comment ne pas voir quels préjugés aristocratiques recouvre une telle conception ? A l’inverse, la remise à l’honneur du travail, pour laquelle les Français se sont si clairement prononcés en élisant Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République, fait accomplir à notre peuple son véritable tournant démocratique. (...)
Mais c’est une vieille habitude nationale : la France est un pays qui pense. Il n’y a guère une idéologie dont nous n’avons fait la théorie. Nous possédons dans nos bibliothèques de quoi discuter pour les siècles à venir. C’est pourquoi j’aimerais vous dire : assez pensé maintenant. Retroussons nos manches."
... vite, des scellés sur ces bibliothèques pleines de livres qui donnent à penser et dépravent notre belle jeunesse, alors que les paroles du rap et du R'n'B montrent bien qu'elle aussi préfère le fric aux livres ; incrédule, je suis allée vérifier, tout le discours est en ligne là :
http://www.minefi.gouv.fr/discours-...
En même temps, je voudrais rappeler qu'il y a quelque chose comme 2 millions de chômeurs en France.
S'attaquer à la paresse en visant d'abord les discours et les intellectuels, c'est une chose, dans un sens idéologique, acceptable.
Mais le discours contre la paresse insulte en même temps tous ceux qui voudraient bien avoir du travail et qui n'en ont pas et qui sont, de fait, plus ou moins considérés comme des fainéants, qui devraient se lever plus tôt, rappelez-vous, et maintenant qui doivent se remonter les manches.
Mais pour faire quoi, puisqu'on ne leur donne pas de travail ?
À moins qu'il s'agisse de leur dire que faire "quelque chose", c'est, au sens propre, n'importe quoi : accepter n'importe quel emploi, n'importe où, comme un bon petit pion qui n'a pas à vouloir faire passer d'abord ses goûts personnels, sa formation, ses diplômes, etc.
Un reportage de France 2 sur l'emploi au Danemark a récemment montré cela : une grande souplesse du système (dixit) et des gens qui disent avoir fait toutes sortes d'emplois, en changeant tous les un ou deux ans selon les aléas et le bon vouloir des entreprises, c'est-à-dire ne pouvant JAMAIS construire de progression de carrière, donc JAMAIS évoluer en salaire, etc. Simplement, ils sont contents d'avoir "du travail".
C'est une grande réussite du patronat parce que ce nouveau lumpen-prolétariat ne se constituera JAMAIS en groupes, syndicats, partis politiques pour protester, ayant déjà intégré l'idée de sa chance, et croyant, sous-éduqué qu'il est, au respect de sa dignité humaine — alors que n'est respectée que sa nature de travailleur-consommateur (un tube digestif, en quelque sorte).
au-delà même des dérives que tu décris, il me semble que c’est tout autrement qu’il faut prendre le problème du chômage, et que ce qui est grave c’est que nos dirigeants (quel que soit leur bord politique d’ailleurs) tordent le raisonnement en toute connaissance de cause
un taux élevé de chômage non seulement n’est pas nuisible mais il est nécessaire à la survie de l’icône « travail », pourtant en coma dépassé : je me suis laissé dire qu’on apprend dans les grandes écoles d’administration qu’il est un taux de chômage en dessous duquel, pour la paix sociales et la docilité de chacun, il convient de ne pas descendre
là je n’ai pas trop le temps de développer car contrairement à mes belles théories je dois aller travailler ce samedi
je conseille deux lectures :
le "Manifeste du travail" (Krisis), qui est en ligne là :
http://paris.indymedia.org/article....
et "Radiation" de Guy Tournaye (Gallimard) : suivre son lien ci-dessus ou voir là :
http://blog.lignesdefuite.fr/post/2...
A Madame Lagarde il faudrait répondre ce que dit Hannah Arendt à propos de l'origine du mal " D’où vient le mal quand il n’y a ni mobile, ni volonté de le commettre ? De l’absence de pensée justement. Les hommes sans pensée sont somnambules et l’on sait qu’à l’homme qui dort rien n’est impossible : marcher, sauter dans le vide, tuer…"
Madame Lagarde malade...
belle citation mfe ... et beau jeu de mots berlol !