les minutes de suif de la clarté
Par cgat le mercredi 25 juillet 2007, 00:10 - écrivains - Lien permanent
La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j’ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme assis. Sa maigreur d’ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L’écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore.
Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains.René Char, Feuillets d’Hypnos, 178 (Œuvres complètes, Gallimard, Pléiade, 1983, p. 218)
Comme souvent, dans l’exposition consacrée à René Char à la BnF, me parlent notamment les correspondances entre les textes et les tableaux présentés : ici, parmi de nombreux tableaux de contemporains dont René Char a souvent été l’ami, est exposé un beau tableau peu connu de Georges de La Tour, « La découverte du corps de saint Alexis » (1648, Nancy, Musée Lorrain) qui m'a donné envie d'aller lire ce que le poète écrit à propos de ce peintre.
Le « Prisonnier » (vers 1640-1645, Épinal, Musée départemental d'art
ancien et contemporain) dont il est question dans le beau texte ci-dessus, a
depuis été rebaptisé « Job et sa femme » puis « Les railleries
de la femme de Job », ce qui infléchit considérablement sa signification.
On peut lire d’autres extraits de René Char sur Georges de La Tour sur le site
Educnet : « La
Madeleine à la veilleuse - René Char et Georges de La Tour ».
à voir et lire aussi en ligne :
- un site René Char
- une page et des documents Arte
- une page Télérama
- « Parole d’orage : à propos de René Char » par Laurent
Margantin (Revue des ressources)
Commentaires
Magnifique poésie prosée de Char...A lire, aussi, sa correspondance avec Camus qui parâit en ce moment chez Galli
merci pour ce fil iconographique...
Lors du spectacle (je ne sais pas comment l'appeler) des Feuillet d'Hypnos de Fisbach à Avignon, au milieu de pas mal d'horreurs de mise en scène, ce passage où il parle du Prisonnier est un des plus beau : les 106 figurants prennent la pose du tableau. À cet instant, la mise en scène voulait dire quelque chose.
je ne suis pas arrivée jusqu'au prisonnier, je suis sortie à l'ennui, dans les 40.
J'ai acheté "le nu perdu" il y a quelques jours - la quasi vieillesse
"quelle barbarie experte voudra bien de nous demain ?...
Entre télescope et microscope, c'est là que nous sommes, en mer des tempêtes, au centre de l'écart, arc-boutés, cruels, opposants, hôtes indésirables.
Echec de la philosophie et de l'art tragique, échec au seul profit de la science-action..."
Et pour "ligne de fuite" deux phrases de Réné Char extraites d'un appel du 12/2/67 placardé par lui en soutien à un de ses amis candidat aux législatives je crois :
"Les grandes vacances de la volonté populaire sont terminées
L'hypnose de neuf années se dissipe. Les français détrompés rentrent aux villes et aux campagnes. Ils comprennent qu'à l'orée du large futur planétaire il leur faut élire leurs vrais représentants et non des commis mimétiques, affalés aux pieds d'un pouvoir qui idéalise et exalte, par la grâce de son orgueil et de son génie du faire-valoir, ses fautes, les donnant comme de fallacieuses preuves de grandeur"...
Le reste est à voir à l'expo, je crois bien que ce texte ne se trouve nulle part ailleursPardon çà René Char pour l'emprunt et le erreurs possibles. Je l'ai lu au lendemain des dernières législatives
Bonne journée à tous et merci à CGAT de regarder dans le rétro.
merci à vous tous pour ces citations et précisions : la citation politique reste en effet hélas plus que jamais d'actualité, Cairo ! et quant à la mise en scène de Fisbach (concernant laquelle j'avais lu avec grand plaisir vos billets, Brigetoun et Caroline), si ce passage peut y être sauvé c'est sans doute qu'il est assez fort pour lui résister
J'ai découvert Char et ses Feuillets grâce à Fisbach. C'était beau, intense, poétique, j'ai adoré ce spectacle. Je vais m'acheter le Pléiade dès que je rentre. C'est magnifique quand un "passeur" vous fait découvrir une œuvre.
vous êtes le/a premier/ère à dire du bien de la mise en scène de Fisbach : je suis heureuse de ce contrepoint - et, ne l'ayant pas vue, je ne me risquerai pas à arbitrer