Encore trois morceaux de Jérôme Mauche, même s'il n'inspire pas beaucoup les commentateurs :

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Certes, au jardin du bien et du mal consommer, les individus vivent et évoluent dévêtus, paradisiaques, mus par leurs perpétuelles envies, désirs et besoins superfétatoires et délicieux, sans cesse suscités et renouvelés à la perfection, en particulier l'été. À la plus belle des saisons, en effet, un gros effort promotionnel est perceptible qui enclenche une très jolie frénésie d'achat insatiable et paisible (et ce ne sont pourtant pas les soldes). Car nul n'ignore qu'à l'automne, lorsque les pommes seront splendides et mûres sur leurs branches, si tentantes, il conviendra cette fois de se mettre alors au boulot, rhabiller son costume-cravate, les transports en commun bondés, les collègues de travail et les dossiers, bosser dur pour, au final, quand on fait ses comptes, avoir à peine de quoi vivre et dans le péché de plus. (p. 32-33)

Si au plan micro les petits malheurs font les bons comptes, dans la sphère macro-économique la rudesse des cœurs aimants, mais qui s'attirent, à tout bout de champ, l'emporte, comme la limaille de fer magnétise à son tour l'investissement qui, espère-t-on, en retour électrisera la croissance. Le plus sûr moyen n'en reste pas moins toujours la peau de chat ou de chamois, à défaut, pour mieux trotter et astiquer avec. Ainsi, à la marge, faudrait-il, par incitation, renouveler les foyers et familles, et plus régulièrement leurs grands équipements sentimentaux que, par habitude et négligence, on laisse rouiller en idylle malgré elle, avec ce qui s'ensuit, en termes de pénible service après-vente, de la séparation de corps au divorce, du grand âge à l'ennui, incapable de rompre de mauvaises habitudes. Car on ne peut, hélas, demander à la nation économique l'élimination pure et simple comme de la relation, encore qu'en son temps on vit massacrer sans crainte, mais par idéologie, et dans le feu nos chères petites bêtes félines jetées. (p. 84-85)

Le personnel, le turnover constant, est seul à même de satisfaire la clientèle dont la surface, par la perturbation du jeu, maintient à égalité les intervenants et rompt ce fossé, un peu inutile et néfaste, de l’employat au consommat, alors que se constate, non seulement à coups de bons d'achat, que pour se simplifier la vie, le salarié dans la distribution opère le plus gros de ses courses sur son propre lieu de travail. Sans aspirer à l'extension de pratiques qui sinon (nous n'en sommes là) brouilleraient les frontiéres vie publique-privée externe, permettant ainsi à la banque lorsqu'on fait un plein d'argent de directement emplir son réfrigérateur, tout en prélevant les agios de retard, sur place, dans les hypers et supermarchés, plus de mixité dans les tâches laborieuses et consuméristes est souhaitée. Ainsi, les employés un peu honteux de travailler pourront eux-mêmes passer pour des clients qui éprouvent, de leur coté, la culpabilité normale d'acheter et de vivre, quand on songe à la moyenne économique du monde entier. Avec un border-line expérimental, innovant et attrayant pour chacun de ne savoir jamais où se trouve, en tant qu'acheteur, le produit qu'il souhaite et, en tant que salarié, où pouvoir et dans quel rayonnage, le mettre en place, le décharger et, surtout à la caisse, lieu du jugement par excellence, se demander s'il achète, s'il est acheté en retour, s'il vole, ou un peu des deux à la fois, et pour le compte de qui au final. (p. 169-170)

Jérôme Mauche, La loi des rendements décroissants (Seuil, Déplacements, 2007)