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Les nouvelles identités au travail ont pour mot d'ordre l'amateurisme, puisqu'on ne saurait être sérieux à gagner moins de sept cents euros par mois et nettement moins d'ailleurs. Dans ces conditions, il est sommé d'économiser et d'acheter encore dans la mesure du possible, de s'endetter au moins à crédit et, agissant avec droiture, d'aider autour de soi qui est plus mal en point, il s'en trouve toujours. Ainsi se perdent dans la nuit des temps les générations successives immanquablement attentives à voir mourir au-dessus d'elles, souffrir en leur présence et conspuer, le tout mené avec tant de négligence qu'il est plus que normal que cette existence ne mérite au fond aucune rémunération potable. (p. 15)

Quelques rares filières universitaires perspirent, encore, en cascade d'agrément à l'œil, entre les roches et rocailles accumulées par une Éducation nationale toujours ordonnatrice, non seulement de dépenses, mais de ses projectiles un peu rudimentaires, au vu de la concurrence mondiale, que sont les Grandes et glorieuses Écoles qui veinent, forment et égaient le paysage à la française. Certes les plus jeunes diplômés catapultés à des postes responsables tracent dans les airs de très jolies figures, les menant ventre à terre pour de meilleurs revenus au plus vite, plutôt vers le privé, ou pectoral sinon, échouent ici ou là, désamorcés. Logique, en effet, nous fûmes la nation qui conçut l'Exocet, mais il y a longtemps. (p. 15-16)

L'écart peut être juge choquant entre les revenus des dirigeants d'entreprise qui s'envolent et ceux des salariés, quelle que soit la hauteur, à leur échelle stagnant, mais on oublie aussi que ces derniers ne font que semblant et demeurent au labeur trente-cinq à trente-neuf ou quarante-huit heures hebdomadaires, pendant des kyrielles d'annuités, à des taches inintéressantes, de plus, quand elles ne sont pénibles ou dangereuses, les jugent-ils, malgré tout l'arsenal parfait d'un droit de l'hygiène et du travail qui, protecteur, ne rend que plus merveilleuses encore, signifiantes, leurs activités quotidiennes. Tandis que ces pauvres présidents-directeurs généraux et cadres, éminemment supérieurs, si incertains du bien-fondé de leur activisme, participant si méchamment à ce monde injuste, paient et perdent beaucoup à jouer le vilain rôle, naturellement perçoivent donc, compensatoires, de très jolies prébendes pour si mal agir et commettre, mais qui les réconfortent peu, soyons-en sûrs. (p. 48-49)

Jérôme Mauche, La loi des rendements décroissants (Seuil, Déplacements, 2007)

Le rire et l’intelligence d’une syntaxe très travaillée comme antidote à la doxa sociale et politique d’aujourd’hui, dans 202 morceaux de texte qui décomposent et recomposent le discours des médias, comme l'écrit Jérôme Mauche dans sa postface (p. 185-191) :
« Au-delà d’un certain seuil, l’efficacité productive diminue – et finalement toute chose.
(…) Puissent les rendements décroître au-delà d’un seuil certain.
(…) Une lecture, un trimestre durant, de divers magazines et de journaux à vocation informative rapportant des faits, des mouvements, des évolutions et des anticipations aussi. (...)
Écrire à partir de ce qui est écrit déjà.
Ne serait-ce que pour constater que ce n’était pas cela qui était écrit en fait. »

Né en 1965, Jérôme Mauche vit à Paris. Critique d’art et directeur de la collection « Grands soirs » aux éditions des Petits Matins, il a déjà publié :
Les possibles (Nicolas Philippe, 2002)
Fenêtres, portes et façades (Mix, 2002)
Ésaü à la chasse (Mix, 2003)
Électuaire du discount (Le Bleu du ciel, 2004)
Superadobe (Le Bleu du ciel, 2005)
Tuyautés de pans de flûte de mémoire (L'Attente, 2005)
L'hypostase sous-tendue du coup de maître raté (Mix, 2006)

en ligne :
- d’autres extraits sur le site de François Bon, qui dirige la collection « Déplacements »
et trois critiques plus complètes que la mienne :
- Marc Pautrel
- Philippe Rahmy (remue.net)
- libr-critique