parler devient une course d'obstacles
Par cgat le lundi 22 octobre 2007, 00:58 - écrivains - Lien permanent
Le parleur est souvent comme un nageur en difficulté : l’expression à la mode, c’est l’aubaine d’une bouée surgissant dans le combat contre la noyade. Mais elle signale aussi la satisfaction de parler la langue commune. (p. 45)
Toutes ces conversations provoquent en moi une réaction inattendue : à force de les avoir critiqués et moqués, certains mots deviennent impossibles. Quand je commence une phrase par aujourd'hui, pour évoquer l'actualité, quand j'estime qu'une idée est réactionnaire, une voix intérieure me lance « Bêtise ! » Tout à coup, parler devient une course d'obstacles. C'est l'effet que voulait provoquer Flaubert, avec son Dictionnaire des idées reçues : Il faudrait que, dans tout le cours du livre, il n’y eût pas un seul mot de mon cru, et qu'une fois qu'on l'aurait lu on n'osât plus parler, de peur de dire naturellement une des phrases qui s'y trouvent. (p. 89)
En y repensant, et en extrapolant, je me demande, puisqu'une des formes de la bêtise consiste à parler sans savoir, s'il ne serait pas plus sage de s'en tenir au silence sur la plupart des questions compliquées.
- Et hop ! Te voilà retombé dans une acception de la bêtise comme pure sottise. On est bien obligé de dire des bêtises, quand on cherche. Nul ne pouvant maîtriser tous les savoirs (certes ! j'ai eu une pensée émue pour Bouvard et Pécuchet et Clara), et malgré cela, chacun étant incité, depuis l'inaugural étonnement d'être, à penser, à imaginer, à émettre des hypothèses - bref, à exercer son humaine compétence -, on doit forcément avancer sur les sables mouvants, au risque de se tromper, d'être conduit à réviser sa pesée, à la changer du tout au tout, mais on doit y aller, sinon on n'est pas un homme. Et il vaut mieux dire des bêtises que rester dans le silence des animaux.
J'ai immédiatement sorti de ma poche le petit livre coquille d'œuf : Musil avait écrit quelque chose qui allait dans le même sens. Nous sommes tous bêtes à l'occasion ; à l’occasion aussi, nous sommes contraints d’agir aveuglément ou à demi aveuglément, sans quoi le monde s’arrêterait ; et si quelqu’un tirait des dangers de la bêtise cette règle : « Abstiens-toi de juger et de trancher chaque fois que tu manques d’informations », nous nous figerions. (p. 97-98)Belinda Cannone, La bêtise s'améliore (Stock, 2007)
Commentaires
Le sens peut-il naître du non-sens ? se demandait autrefois Friedrich Wallner dans un article qui associait les travaux sur la question de Mach, Musil et Wittgenstein... "L'abscence de philosophie, voilà ce qui est, à cette époque [en 1923], la philosophie juste." nous disait déjà Musil.
Pour en revenir à la simple forme des idées, on appréciera dans la même collection coquille, "Quelques remarques à propos de l'art tape-à-l'oeil", la conférence de H. Broch sur le Kitsch, dont je ne me rappelle plus la nouvelle traduction choisie par Allia. Deux pensées viennoises complémentaires.
Merci pour ce conseil de lecture :
http://www.alliaeditions.com/Catalo...
Tant dans cette petite collection "coquille d'œuf" consacrée à des rééditions que dans celle consacrée aux contemporains, les éditions Allia proposent d'excellents textes.
merci itou