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Introduction à la vie douce
Si la douceur était une faiblesse, si elle n'était que le contraire de la violence, et le signe infamant d'une impuissance, on ne voit pas bien comment elle aurait pu survivre, depuis le temps, à tous ses ennemis.
Pour autant, la douceur n'est pas un pouvoir. Par exemple, elle peut difficilement donner lieu à l'élaboration d'un concept, ou de slogans. Sont-ce là les symptômes d'une coupable faiblesse ? Je ne crois pas. Simplement, la virulence, l'intensité, la puissance de la douceur ne se situent pas dans ce plan-là. Et si jamais la douceur parvenait un jour à occuper une situation dominante dans notre société, il faudrait aussi l'abandonner, comme on quitte une position, comme on déserte. Mais ce n'est pas, comme on dit, demain la veille.
La douceur est vouée à une irrémédiable minorité : ce charme est son secret. C'est précisément pourquoi, il me semble, toutes sortes de forces politiques, sociales, morales s'acharnent à la falsifier. Toute force réactive hait la douceur et cherche à la remplacer par d'odieux simulacres : la mièvrerie, la niaiserie, l'infantilisme, le consensus.
Je propose d'appeler ici douceur l'ensemble des puissances d'une existence libre ; définition générale, mais non vague, si l'on veut bien y réfléchir.
J'entends déjà ricaner les cyniques, les habiles, les réalistes, tous les petits malins à qui on ne la fait pas, et qui vont dire : la douceur, combien de divisions ? S'il faut défendre la douceur, c'est contre ces faibles-là, parce qu'ils sont les plus nombreux, et partant les plus forts. Mais comment la défendrons-nous ? On n'imagine pas un Manifeste, ni même un Traité de la douceur : trop de bruit, trop de gestes. L'éloge ici convient, qui fera un livre aux contours incertains, mais que la gaieté continûment inspire ; je ne sache pas qu'elle exclue la fermeté ou la force.
Cependant, dans ce combat très particulier que nous livrons pour la douceur, tous les moyens ne sont pas bons. En effet, la douceur suppose toujours une affirmation, une joie même si, par ruse et dans l'adversité, elle peut se présenter sous les espèces de la négativité. La douceur commande une sorte de guérilla, avec ses caches d'armes, ses décrochages, ses pièges et ses alliances. Dans ton combat contre le monde, seconde le monde : nous devons cette exhortation à l'un des génies les plus doux de la littérature mondiale. Tâchons de n'être pas indigne tout à fait de cette exhortation.

Stéphane Audeguy, Petit éloge de la douceur (Folio, 2007, p. 9-10)

Parce qu'on n'imagine pas un « manifeste » de la douceur, son éloge prend la forme légère d'un abécédaire drôle, émouvant et souvent surprenant :

Forme du présent livre
L’avantage de l’abécédaire est d’être entièrement arbitraire. En cela il soustrait son contenu au sérieux d’une logique univoque. Il fallait bien qu’un livre consacré à la douceur présentât quelques courbes ; et, comme disent les mécaniciens, du jeu. (p. 61)

Stéphane Audeguy est né à Tours en 1964, il a publié :
La théorie des nuages (Gallimard, 2005)
Fils unique (Gallimard, 2006)

D'autres extraits dans le tiers livre de François Bon