Le garçon s'était planté face à la vitre de la portière, les mains accrochées aux poches par les pouces. Plus jeune, on avait dû lui faire pratiquer le rugby, le water-polo, ou le hockey sur glace. Un sport pour apprendre le sens de l'affrontement, la retenue en cas d'échec, l'esprit d'équipe, toutes notions restées floues, sans application directe, sauf la posture des pouces accrochés aux poches, genoux souples, épaules basses en réserve. Elle, son amie, avait appris de sa mère comment montrer qu'on a tout en gardant l'air de rien, comment se tenir sous l'ombre dune varangue en observant ceux qui brûlent vifs sous le soleil, et rester sur cette fine lisière, le bout des doigts de pieds exposé à la chaleur, mais la nuque baignée de fraîcheur. (p. 38)

Autour de nous, les hommes habillés en hommes qui travaillent se tiennent comme des hommes qui sont en ce moment même, là, en plein travail ; ils consultent leur ordinateur portable ou discutent avec un autre gars en plein travail. Le fait que certains n'aient pas de cravate n'y change rien. On voit bien que de toute façon ils maîtrisent le port de la cravate, à tel point qu'ils s'autorisent parfois à l'enlever et à la mettre dans la poche, le temps du trajet en train par exemple. Ils sont prêts à la remettre, ils sauront quand ce sera le moment, ils font ça sans y penser. (p. 51)

Cécile Reyboz, Chanson pour bestioles (Actes sud, 2008)

Ces citations pour saluer un autre prix, dont je n'ai pas parlé encore car son côté prix de femmes ne me plaît pas tellement ; mais le Prix Lilas a été décerné le 26 mars dernier à Cécile Reyboz pour son beau roman Chanson pour Bestioles.