singulièrement touchant
Par cgat le samedi 28 juin 2008, 00:28 - écrivains - Lien permanent
Diderot remarque quelque part dans ses écrits sur les Salons comme la vie dans le tableau n’est pas l’esquisse d’un mouvement mais la possibilité d'une mobilité de l'image dont le spectateur est la mise en perspective. Le spectateur accomplit le tableau par les mouvements que son corps et son regard dessinent. En se promenant.
À travers les voies désolées des banlieues, j’accomplis les immeubles, les barres et les écoles. (p. 7-8)
J’ai noté : ce projet compose avec les signes aléatoires et confus que suppose l’aventure, l’exercice du journal est confronter un référent mouvant, multiple, à une énonciation stable, noter par le caractère successif de l’existence les variations dans la continuité. (p. 18)
Samedi, le 12. Vernissage, Paris Ils voulaient savoir de quoi il retournait très vite parlez-moi de votre travail je dis notre rapport au monde que déjà le groupe est vers la sortie mais ils sont pressés on comprend peut-être il a dit vous peignez des immeubles comme ça peut-être j’ai précisé la confrontation de l’architecture et du paysage et comment dans le regard cela devient peinture. Est-ce que j’aurais dit je peins de la peinture ? (p. 24)
Je n’ai pas dit la stupeur du paysage inerte, les choses comme engourdies, abruties de lassitude. Constate par la fenêtre : lieux immuables sous un ciel immuable. Comment pourrait-on dire les choses là ? La qualité du regard que vous posez sur elles, leur façon de faire bloc tout en étant mal établies dans leur importance. Tout à la fois dures dans la vue que vous vous faites d’elles et fondues dans les mouvements du monde qui sont comme une houle. Le regard pointu que vous posez dessus quand les regarder est se laisser flotter sans langage et sans direction. C’est là et c’est pas là, et sans doute pour cela appelle à la contemplation. Pour peu que vous les photographiiez les choses ceux qui passent vous regardent puis regardent face à vous comme ils regarderaient le vide. (p. 26)
Communes, ordinaires, sans paroles. Si vous portez sur eux une attention suffisante, le mur gris aperçu de passage à l’angle d’une rue quelconque devient singulièrement touchant jusqu’à sembler dans son existence morne développer depuis lui toutes les diagonales du monde. (p. 29)
Sol à carreaux simple - pourrait être celui d’une cuisine dans un immeuble de 70 - beige, jaune, gris. 10 par 10. La composition symétrique semble légèrement décentrée sur la gauche et je ne sais pas bien pourquoi ce détail simplement déjà vous donnerait des larmes : ce petit décalage à gauche.
En fait on peut tenter l’analyse bien sûr la conjugaison de la symétrie stricte, toute de principe, et de l’intrusion humaine, du jeu émouvant, comme gauche, que cela induit à la mécanique mais ça n’épuise pas le fait. À Venise j’avais passé des minutes à genoux - une génuflexion d’athée ou d’amoureux fou, et j’ai perdu le souffle - devant cette vierge de Giorgione entourée de deux soldats. Une composition en triangle sur fond d’horizontales. Pour dire leur présence, leur épaisseur, j’ai pas bien les mots mais tout cela avait quelque chose d’exact, le jeu exact et magnifique des volumes dans la lumière. Un mur auquel s’adosse le trône, et derrière, un paysage. Tout ça projeté à la surface comme un monde. Je ne veux plus regarder les reproductions papier ou Internet qui échouent totalement à cet endroit du tableau, conserve seulement le souvenir d’il y a maintenant trois ans. (p. 31-32)Et comme un point de contact de dire d’une figure sereine et close du musée Guimet, sensuelle et spirituelle terriblement et aussi d’une barre HLM avec linge aux rebords qu’elles sont à leurs différentes manières habitées. (p. 34)
Jérémy Liron, Le livre l’immeuble le tableau (publie.net, 2008)
Grâce à publie.net également, on peut arpenter, à la recherche de ce qui constitue, au plus intime, l’émotion esthétique, les « espèces d’espaces » de nos villes et banlieues contemporaines, en compagnie de Jérémy Liron, qui les peint et photographie aussi, et les raconte au quotidien dans son blog Les pas perdus (dont la composition ci-dessous est extraite : allez-y pour cliquer et l'agrandir).
post-scriptum : Jérémy Liron expose en ce moment à la Galerie Isabelle Gounod
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