mellano.jpg

Les papillons sur neige

Dans un champ de neige, des fils tendus à deux centimètres du sol enserrent délicatement quelques centaines de papillons. Lorsque la température l’indique, leurs ailes battent et caressent le sol.
La poudreuse remue, le son vient juste après.
Frisetti quasi imperceptibles.
Pédale de bruit blanc.
Hélices de soie sur froid raisonnable.
Cette pièce est courte car les battements d’agonie ne peuvent durer plus de quelques secondes, même avec les espèces les plus résistantes.
Cette pièce est compliquée car on doit conserver les papillons finement ligotés dans de très longues et très coûteuses boîtes climatisées qu’on ouvrira, synchrones, au moment choisi.
Un tel holocauste papillonaire n’est pas très moral, mais qui a entendu cet hymne à la légèreté empêchée ne l’oubliera jamais.

Variante autorisée : Des feuilles à cigarettes remplacent les papillons. Quatre vingt sept pour cent d’effet poétique supprimé.
(p. 10)

Noiseglasses

Il y a de ces chochottes !
On a tellement domestiqué les sons de notre environnement avec des inventions comme l'audiomotique ou les corpositeurs que certaines personnes ne supportent même plus la magnifique disharmonie du son des villes, les frottements hasardeux de bruits qui n'étaient pas faits pour se rencontrer, les collisions désaccordées, les mariages contre-nature.
On a donc créé les noiseglasses, chaussées immédiatement par les pantouflards que trop de vie sonore éblouit. Les noiseglasses domptent, accordent, gèrent les volumes et trient les informations qui parviennent à nos oreilles.
Un klaxon devient une délicieuse tierce mineure, posée en habile contretemps sur les hauts talons qui vous croisent, eux-mêmes calqués sur le tempo d'une sirène d'ambulance, ostinato passager accordé aux mouettes survolant le camion poubelle pentatonique.

L'invention est assez récente et les résultats un peu lisses mais on peut espérer que tout cela va s'affiner. On voit déjà fleurir toute une flopée d'options.
Sur les chantiers, avec l'option « Baroque », le son des pelleteuses et des marteaux piqueurs devient un délice.
On peut aussi inverser le principe en amplifiant les disharmonies.
(p. 70-71)

Raisonnement

Il est entendu qu'un corps sonore mis en mouvement provoque une vibration qui va s'atténuant.
Mais pourquoi s'arrêterait-elle ?
Tous les sons passés résonnent encore, extrêmement faibles, dans un decrescendo infini. On ne les entend plus mais ils sont bien là.
Ils chargent les endroits, influencent une vocation de harpiste, se glissent dans la mélodie machinale d'un air qu'on sifflote, orientent les goûts, suggèrent des phobies et conditionnent le futur sonore environnant.

Ces harmoniques fantômes, diapasons des lieux.
(p. 94)

Effet papillon

Il n'est finalement pas tellement conseillé de pousser trop avant la réalisation de la première recette de ce recueil.
En effet, on nous informe, un peu tard il est vrai, des effets catastrophiques que les quelques concerts de papillons sur neige auraient soi-disant déclenché.
Raz-de-marée, typhons, tornades, tsunamis et tutti quanti.
Tout cela en Floride comme par hasard.

Le principe de précaution rend désormais illicite cette pratique. Vous pouvez donc bazarder vos boîtes climatisées ou en faire des pots d'effleur.
Désolé.
(p. 138)

Olivier Mellano, La Funghimiracolette et autres trésors de l'équilibre (MF, 2008)

Olivier Mellano, né à Paris en 1971, est aussi musicien : son premier livre est une symphonie de pièces musicales imaginaires – des « œuvres irréalisées, impossibles, futures, inaudibles, oubliées, inentendues mais toujours pensables » - en forme de poèmes flirtant avec la (science-)fiction.
Les pièces de cette partition vont souvent par paires : la « Funghimiracolette » qui donne le drôle de titre est une île (p. 59-60) ou une forêt (p. 125) ; ou par séries : à la fin du livre, une table des matières mais aussi une liste de neufs « Parcours thématiques » qui invite à relire chaque pièce comme faisant partie d’une fiction (friction ?)
L'ensemble compose une réjouissante machine textuelle à la Raymond Roussel, comme le souligne Emmanuel Tugny dans sa postface, « D’un théâtre des machines » (p. 141-144).

::: le site d’Olivier Mellano et sa page myspace
::: un entretien sur le Ralbum (Léo Scheer, 2008)
::: « L’effet papillon » selon Laure Limongi