prenez garde à ces lignes
Par cgat le dimanche 31 août 2008, 01:03 - citations - Lien permanent
Vous êtes à la campagne, il pleut, il faut tuer le temps, vous prenez un livre, le premier livre venu, vous vous mettez à lire ce livre comme vous liriez le journal officiel de la préfecture ou la feuille d’affiches du chef-lieu, pensant à autre chose, distrait, un peu bâillant. Tout à coup vous vous sentez saisi, votre pensée semble ne plus être à vous, votre distraction s’est dissipée, une sorte d’absorption, presque une sujétion, lui succède, vous n’êtes plus maître de vous lever et de vous en aller. Quelqu’un vous tient. Qui donc ? ce livre.
Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas.
Un livre est un engrenage. Prenez garde à ces lignes noires sur du papier blanc ; ce sont des forces ; elles se combinent, se composent, se décomposent, entrent l’une dans l’autre, pivotent l’une sur l’autre, se dévident, se nouent, s’accouplent, travaillent. Telle ligne mord, telle ligne serre et presse, telle ligne entraîne, telle ligne subjugue. Les idées sont un rouage. Vous vous sentez tiré par le livre. Il ne vous lâchera qu’après avoir donné une façon à votre esprit. Quelquefois les lecteurs sortent du livre tout à fait transformés.
Victor Hugo, « Du génie », Proses philosophiques de 1860-65
Commentaires
le grand Victor à la plume puissante
D'accord à 10.000 % ! C'est LE cœur de la littérature qui bat.
j'ai voulu entrer quelques lignes du texte de Hugo sur Google ("un livre est un engrenage... forces" - lignes de fuite est venu en premier, c'est légitime et bon signe, mais aussitôt suivi de cela :
http://www.culture.gouv.fr/culture/...
rassurez-moi, vous n'y êtes pour rien ? (Vivendi a disparu de l'horizon depuis, ô vanités)
en prolongeant, suis tombé sur cet intéressant article Hugo
http://groupugo.div.jussieu.fr/Grou...
avec cette appréciation de Stendhal
Certains critiques — sont-ce des critiques ? — prennent des sens qui leur manquent pour des perfections que n'a pas autrui. Quand Beyle, dit Stendhal, le même qui préférait les mémoires du maréchal Gouvion-Saint-Cyr à Homère et qui tous les matins lisait une page du Code pour s'enseigner les secrets du style, quand Beyle raille Chateaubriand pour telle expression, d'un vague si précis : « la cime indéterminée des forêts », l'honnête Beyle n'a pas conscience que le sentiment de la nature lui fait défaut, et ressemble à un sourd qui, voyant chanter la Malibran, s'écrierait : Qu'est-ce cette grimace ? [p. 571]
le chez Victor a ses hauts et ses bas - ah, dimanches pluvieux...
B G-B, je n'y suis pour rien, promis !.. et merci pour l'article
Un livres est quelqu'un et Victor aussi !