Les impressions les plus délicates sont les plus fugitives ; si elles ne sont rendues sur l'instant, elles s'évaporent ou se matérialisent, deviennent banales, absolument comme les expressions de physionomie en passant du tableau du grand maître à la gravure ou à la mosaïque. Or ces sensations rapides et évanouissantes, éclairs de poésie et d'idéal, parfums subtils, traces des anges qui passent dans notre vie, sont justement ce qu'elle a de plus précieux. Mon journal intime est un cercueil où la momie de la journée se conserve, quelquefois embaumée, mais sèche, raide, grimaçante, morte enfin. - Il faut peut-être changer de méthode : au lieu de conserver les fleurs sèches, qui sont des cadavres inutiles, conserver le parfum qui est la vie.

Henri-Frédéric Amiel, Journal intime, 30 octobre 1852