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... remarqué que tout ce qui est couvert, dissimulé à la vue, est toujours d'une couleur éclatante : le blanc de la peau sous les vêtements, et, sous la peau, quand ils apparaissent par une plaie, le sang, la chair rouge, ou encore une carrière au flanc d'une montagne, un champ qu'on vient de labourer, une tranchée ouverte dans la rue mettant à jour la terre orange, les canalisations, les tuyaux. Et cette impression de scandaleux, d'interdit, qui émane des choses dont la destination première n'était pas d'être exposées aux regards, qui étaient faites pour rester dans l'obscurité, les ténèbres. Ou plutôt choses qui sont elles-mêmes les ténèbres, nous révélant que celles-ci ne sont pas noires, absence de couleurs comme on se le figure, mais (comme lorsqu'on ferme les yeux et qu'on presse fortement sur les paupières) violence, éblouissement, éclat : pourpre, cinabre, soufre, corail, amarante, feu, cuivre, fauve, turquoise, jade, bronze : une somptuosité extraite, arrachée du cœur opaque des métaux, de la terre.

Claude Simon, Histoire (Minuit, 1967, p. 129-130)