lignes de fuite

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jeudi 2 novembre 2006

elle habite aussi chez gallimard

J'ai envie de signaler un beau billet râleur de Chloé Delaume sur les mutations de l'édition, l'indigence de la critique et la lassitude qui gagne :

« (...) Être lucide. Prendre une feuille de papier, y inscrire au feutre noir : je ne suis pas bancable. Noter la mise en place nettement plus importante depuis que Verticales aux côtés de POL et de Joelle Losfeld est une voiture balai du groupe Gallimard. Reconnaître que les 7000 exemplaires mis sur le marché, je les lui dois, au groupe Gallimard. Attendre les retours d’ici les mois à venir, et voir si finalement j’ai dépassé le seuil de mon chiffre habituel, mes 4000 par objet, enfin quand ça se passe dans de bonnes conditions. Faire de rapides calculs, et conclure comme toujours que je ne peux pas en vivre, même en travaillant sérieusement, parutions régulières, avances, commandes, rythme soutenu. J’écris des livres dont on se branle, je sais que ça ne changera pas. (...) »

mercredi 1 novembre 2006

suspense insoutenable

Livre Hebdo communique la dernière sélection du Renaudot, qui sera décerné comme le Goncourt lundi prochain : « Angot disparaît. Littell est évincé, se rapprochant ainsi du Goncourt. Schneider, en lice pour le Goncourt aussi, a du coup toutes ses chances. »
Le suspense est insoutenable et rien n'est joué, on le voit !

dernière sélection du Renaudot :
Vénus Khoury-Ghata, La maison aux orties (Actes Sud)
Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic (Seuil)
Gabriel Matzneff, Voici venir le fiancé (Table ronde)
Patrick et Olivier Poivre d'Arvor, Disparaître (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)

dernière sélection du Goncourt :
Alain Fleischer, L'amant en culottes courtes (Seuil)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)
François Vallejo, Ouest (V. Hamy)

mardi 31 octobre 2006

riquiqui, le néant

huston_professeurs_de_desespoir.jpg

Je n'ai pas encore lu Lignes de faille, mais les romans et les essais de Nancy Huston peuvent tous être recommandés.
On peut commencer par :
Instruments des ténèbres (Actes sud, 1996)
L'Empreinte de l'ange (Actes sud, 1998)
ou Dolce agonia (Actes sud, 2001) pour les romans,
Journal de la création (Actes sud, 1990)
ou Professeurs de désespoir (Actes sud, 2004) pour les essais.
L'essentiel de ses livres sont publiés chez Actes sud.

Nancy Huston est née en 1953 à Calgary, au Canada. Elle vit en France depuis l'âge de 20 ans ; elle a suivi les séminaires de Roland Barthes et vit aujourd'hui avec avec Tzvetan Todorov. Son écriture, à la fois très intelligente, très construite et terriblement fragile et émouvante, parvient comme bien peu à restituer l'infinie complexité de l'humanité.

Deux citations piochées dans mes tablettes numériques (pour donner envie) :

Sous ses airs intimidants d’illimité, le néant est en fait une chose étroite et étriquée, je dirais même plus, riquiqui. La vie humaine mérite des jugements moins simplistes que la dichotomie espoir/désespoir : tout à la fois merveilleuse et terrible, désopilante et atroce, noble et ignoble, bien et mal, elle est complexe, donc imprévisible, donc passionnante : c'est la condition de notre réflexion et la source exclusive de notre lumière. (Professeurs de désespoir, p. 352-353)

Ah ! la complexité insondable de ces interactions humaines, chacun de nous se baladant avec ses petits critères selon lesquels on juge les autres, tout en s'efforçant de répondre à leurs critères à eux - mais discrètement, sans en avoir l'air, en faisant semblant de n'être que soi-même et de n'avoir besoin de l'approbation de personne... Il n'y a aucun étalon-or, rien que ces perpétuels glissements, rajustements et compromis, chacun agitant absurdement le pied dans l'air à la recherche d'un bout de terre ferme où le poser... (Instruments des ténèbres)

On peut aussi lire en ligne une très belle présentation-rencontre de Nancy Huston en sorcière due à Mona Chollet, et voir là une photo que j'aime bien.

lundi 30 octobre 2006

suite du feuilleton des prix

huston_lignes_de_faille.gif




Le Prix Femina a été attribué à Nancy Huston pour Lignes de faille (Actes Sud) et le Prix Medicis à Sorj Chalandon pour Une promesse (Grasset)...

... tandis qu'on annonce que Madeleine Chapsal a été exclue du jury Femina pour avoir été trop bavarde, que Régine Deforges a démissionné par solidarité et que le Figaro Magazine titre « Prix littéraires : la grande magouille » : la rentrée littéraire, c'est mieux que Dallas (« ton univers impitoyaableuh ») !

:::: triple post scriptum vespéral ::::

- le Figaro donne à lire en ligne des extraits édifiants du cinquième tome des Mémoires de Jacques Brenner, qui, mort en 2001, fut longtemps conseiller littéraire de la maison Grasset et, à partir de 1986, juré du prix Renaudot ; publié chez Pauvert, il est intitulé La Cuisine des prix et couvre la période 1980-1993.

- ces dames du Femina avaient également à redire à l'encontre du Journal d'hier et d'aujourd'hui (Fayard, 2006) de Madeleine Chapsal, jugé diffamatoire à leur égard. En voyant les images de l'exclusion dans les journaux télévisés (qui ont préféré retenir cet épisode croustillant plutôt que de parler des livres) on a l'impression qu'il s'agit pour les vieilles dames teintes en blond d'exclure les vieilles dames teintes en roux ..!

- j'apprends dans Blogauteurs la création d'un nouveau prix pour les femmes (on se méfie), avec un jury de femmes (plus jeunes et donc plus brunes) le Prix Lilas. À suivre ...

dimanche 29 octobre 2006

concessions

Ne faites pas le fier. Respirer c’est déjà être consentant. D’autres concessions suivront, toutes emmanchées l’une à l’autre. En voici une. Suffit, arrêtons-la.

Henri Michaux, « Tranches de Savoir », Face aux verrous (Gallimard, 1992, p. 73)

videognome

à lire en ligne, deux écrivains qui racontent la télévision :
- Chloé Delaume raconte sa vie d'« écrivain en promo » dans Videognome
- Philippe Adam évoque les émissions « littéraires (mais pas tant que ça) ».

vendredi 27 octobre 2006

faire avancer le schmilblick

Ce soir (ou jamais!) parle ce soir d'internet. Je n'apprend pas grand chose, mais trouve sympatique le blogueur de service (qui sera bientôt publié), Ron l'infirmier. Il explique avec humour comment se procurer un appareil photo gratuit ou détourner le buzz pour attirer les lecteurs (ce qui marche en ce moment : proposer des vidéos de Florence Foresti). Sur le champ, je lui rend visite par chez lui, où il commente déjà sa prestation : quelle réactivité ! et waooh ... déjà 63 commentaires : ça en jette !
ps : la technique Florence Foresti fait des émules.

Chez La littérature, un commentaire de FB, toujours curieux de qui se cache sous un pseudo, attire ma propre curiosité : « au fait, la littérature est-elle née le 16 décembre 1959 ? ». Est-ce que vous pensez à quelqu'un, FB, ou bien est-ce que c'était juste pour faire avancer le schmilblick (on trouve vraiment tout dans wikipedia) ?

jeudi 26 octobre 2006

et d'un !

Ces messieurs-(dames) (combien d'immortelles, quatre (!) je crois) de l'Académie Française ont tiré les premiers et couronné celui qui, de l'avis général des professionnels de la profession, devait l'être.

Quelques commentaires : le NouvelObs, Libération, Le Figaro, L'Express. Dans les blogs : Pierre Assouline applaudit et en veut encore ; Buzz littéraire cite avec perfidie une remarque de Littell sur la littérature contemporaine (Madame Figaro).

En 1671, la même Académie française attribuait son premier Prix de l'éloquence à Madeleine de Scudéry (1607-1701).
Je ne sais pas s'il s'agissait là du premier prix littéraire ?...

le trou qu'il faut au cerveau

Les réjouissantes chroniques « Vu à la télévision » de Christian Prigent, publiées jadis dans Le Matricule des anges sont disponibles en ligne, je viens de le découvrir par hasard ; en voici quelques extraits pour donner envie d'aller lire le reste :

Félix à Star Ac'
Aux temps héroïques, la BD faisait tautologique. Exemple : Félix le chat. Image : Félix regarde un éléphant. Félix (bulle) : " Oh, je vois un éléphant ! " Texte en bas de case : " Félix voit un éléphant ". Hop, on passe télé. 19 h, Star Ac'. Sandra fait la gueule (zoom sur du larmoi). Sandra : " J'étais pas à l'aise : le texte, je l'ai pas écrit ". Phrase en bas d'écran : " Sandra n'est pas à l'aise car le texte n'a pas été écrit par elle ". Félix et Sandra : même combat. Pas rater client, même mal-entendant. Et toi, mets ta peau de débile léger. Après t'es content : ça t'a fait le trou qu'il faut au cerveau pour gober la pub.
Rappel des faits
Si tu déconfis devant ta télé chaque soir pile heure poule c'est pour le bon shoot de pensée zéro : piquouze d'FMP 1 + ligne de chromos = trip dodo et qu'elles nous la foutent, la paix, les idées. Bien sûr tu pourrais te caler le cul au creux du fauteuil et feuilleter livres tombés en flopées comme à chaque rentrée en proues de gondoles. Ça serait pareil comme effet ronron : FMP itou et chromos de même. Sauf que pas le son ni la belle nature vue d'hélicoptère comme si on y est ni, comme si t'y fus, la boue des tranchées et le gaz moutarde et tout le boucan ou le débarquement avec Rommel et ses jumelles, Bourvil en bretelles et les petits gars avec la traction, tout ça en couleurs. Pourquoi tu mettrais des pages en écran entre toi et ça si livres disent pareil en forme identique mais en moins goûteux et moins ras collé au vrai existé, sexy, rigolo, même chez Christine Angot ?
« Dimanche soir », LMDA, 59, janvier 2005

Mais c'est plus encore : le présentateur parle à un tout-le-monde invisible à lui, anonyme total. Il ne parle donc au vrai à personne. Et personne n'attend une autre parole que celle qu'il adresse à ce tout-le-monde et dans le langage rasé au plus près du médiatisable. Homme tronc c'est Homme trou. Et moi là devant mon nom est personne : trou pareil, trou à remplir. (...)
La télé est sans style : coulis impersonnel d'images et de paroles. Forme unique (comme il y a une pensée unique et l'unicité de la forme est la condition du stéréotype de la pensée). Ce pourquoi elle est vide et dérisoire : tout s'inscrit à plat, cadré, arasé par la norme médiane du communicable. Tout s'y prend à la lettre (à la lettre de l'image et de sa légende en bulles de paroles). Donc tout y invite à la parodie : de son sérieux compassé comme de son comique surjoué, de son tragique emphatique comme de son burlesque convenu. Elle nous montre au miroir de nos soumissions, de nos banalités, de nos assignations ahuries. À elle seule elle est tout un dictionnaire des idées reçues, un Quid des truismes. En cela, elle peut fasciner. Comme la bêtise fascine (comme elle fascinait Flaubert). En cela aussi elle impulse l'envie de la styliser en bouffonnerie carnavalisée.
Voilà sans doute pourquoi, après, comme dit le poète, " la séance des rythmes ", j'irai encore quasi chaque soir me vider la tête devant le bocal lumineux ad hoc : c'est sa fonction. Et dodo l'enfant gavé de fables, de chromos et de mythes sommaires qu'elle fait de nous.
« Bonne nuit, les petits », LMDA, 69, janvier 2006

Quelques liens pour ceux qui ne connaîtraient pas Christian Prigent :
- entretien Le Matricule des anges
- textes dans Faire Part, 14/15
- notice P.O.L
- page remue.net
- page Le Terrier
- page Printemps de poètes
- page Hôtel Beury.

mercredi 25 octobre 2006

premier roman

max_monnehay_corpus_christine.jpg

Le prix du Premier roman a été décerné à Max Monnehay (née en 1981) pour Corpus Christine (Albin Michel). Elle est mignonne, son éditeur clame qu'elle est la nouvelle Amélie Nothomb ... son roman m'est un peu tombé des mains, mais il en faut pour tous les goûts.

à voir en ligne :
- une page qui s'intitule Blog de Max Monnehay : créé le 14 octobre dernier, une seule page un seul billet pour l'instant, à suivre ...?
- page Evene
- Christophe Greuet dans Culture Café

Sinon, il n'y a plus que 4 romans dans la dernière sélection du Goncourt (6 novembre) :
(Nancy Huston, qui n'est qu'une femme, a été abandonnée au Fémina, mais JL est toujours là)
(à signaler : un dessin amusant de Daniel Pennac dans le blog de Pierre Assouline)

Alain Fleischer, L'amant en culottes courtes (Seuil)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)
François Vallejo, Ouest (V. Hamy)

six dans celle du Fémina (30 octobre) :

Françoise Henry , Le rêve de Martin (Grasset)
Nancy Huston, Lignes de faille (Actes Sud)
Jonathan Littell, Les Bienveillantes (Gallimard)
Laurent Mauvignier, Dans la foule (Minuit)
Olivier et Patrick Poivre d’Arvor, Disparaître (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)

et trois dans celle du Prix Décembre (7 novembre) :

Pierre Guyotat, Coma (Mercure)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Philippe Vilain, Paris l'après-midi (Grasset)

Je viens également, grâce à Prix-Littéraires : le blog, de découvrir l'existence du Prix du style (!) : crée en 2005, il a été attribué alors à Stéphane Audeguy pour La théorie des nuages (Gallimard, 2005). Il sera décerné le 8 novembre et sa dernière sélection a le mérite de changer un peu et de ne pas se limiter aux seuls romans:

Pierre Charras, Bonne nuit, doux prince, Mercure de France (roman)
Gérard Genette, Bardadrac, Seuil (roman)
Denis Grozdanovitch, Brefs aperçus sur l'éternel féminin, Robert Laffont (récit)
Joël Pommerat, Cet enfant, Actes Sud (pièce de théâtre)
Frédéric Schiffter, Le philosophe sans qualités, Flammarion (essai)
Emmanuel Venet, Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud, Verdier (récit).

mardi 24 octobre 2006

tout sauf fabriquée ?

M'intéresse tout particulièrement la façon dont les écrivains se comportent lorsqu'il deviennent « visibles » sur les plateaux de télévision : nous en parlions il y a quelques jours chez Berlol à propos de Philippe Sollers et Michel Onfray ; un autre sujet fécond de ce point de vue est le « sujet Angot » pour reprendre ses propres termes. On pouvait il y a quelques semaines lire dans Les Inrockuptibles (j'aurais préféré créer un lien mais en dépit de leurs professions de foi sur le partage en ligne il n'y proposent quasi rien, ce qui est dommage!) l'article suivant :

Indispensable Angot
« Depuis sa fameuse interpellation, sur le plateau de Bouillon de culture, en septembre 1999, du romancier Jean-Marie Laclavetine, à qui elle reprochait en toute franchise son absence de talent, Christine Angot s'est fabriqué une "image" médiatique pour le moins controversée. Cette image de femme farouche et inquiétante, à la langue bien pendue, semble en fait tout sauf fabriquée : elle fait corps avec un personnage - le cas Angot -, dont le reflet télévisuel est un miroir parfait de la personne écrivain. Angot est "cash"; comme on dit aujourd'hui, elle "aime la vérité qui fait mal autant que les cons la vérité flatteuse" (L'Usage de la vie). Incapable de tricher avec elle-même, de composer avec ses ennemis, de travestir sa réalité, de transiger au lieu de plaider. Plaider sa cause, ses causes. Même lorsqu'elle fait des efforts pour être "calme" sur un plateau télé (qu'elle peut quitter lorsqu'elle se sent mal reçue, comme chez Thierry Ardisson), le naturel lui revient à un rythme galopant. Elle fulmine, sort de ses gonds, hurle, mord, telle une douce créature de Tex Avery soudainement devenue enragée. Et tant pis pour les esprits habitués aux codes de la fausse politesse télévisuelle: comme elle le confiait la semaine dernière dans En aparté sur Canal+, son coup de griffe contre Laclavetine venait aussi pour venger des années passées à regarder les invités de Pivot se congratuler les uns les autres, comme si tout le monde littéraire il était beau et gentil.
Sa nouvelle rentrée télévisuelle ne devrait pas arranger son cas. Gare à l'intervieweur qui aurait "mal" lu son roman Rendez-vous. Pour l'avoir simplement traitée de "naïve"en amour, Pascale Clark se fit sèchement rembarrer. Pour Angot, soit on est naïf, soit on est écrivain, il faut choisir son camp, le sien étant déjà trouvé. Mais c'est sur le plateau de la nouvelle émission de Laurent Ruquier, On n'est pas couché, sur France 2, qu'elle excella dans son registre sanguin. Face au journaliste Éric Zemmour, parti dans une diatribe réactionnaire contre les jeunes de banlieue et l'école, on la vit se prendre la tête entre les mains et hurler "Mais c'est pas possible!", comme atteinte dans sa chair par l'expression de la bêtise bienpensante. C'est là, dans cette posture de l'animal blessé, dans ce cri d'un loup solitaire, dans cet appel désespéré à en finir avec la connerie, qu'Angot, sans gants, dérange et rassure à la fois. La violence de ses attitudes ne fait que répondre à la violence de discours irrecevables. Sur la scène du théâtre télévisuel, elle s'agite comme si l'urgence de la situation l'exhortait à tout donner d'elle-même, absolument tout. Sa parole en résistance, son corps en transe, sont aussi ce que la télévision offre de plus fort et de plus juste comme spectacle : la voix isolée d'Angot résonne dans un trop plein de facticité, de faux-semblants et de vulgarité. Grâce à elle, on sait qu'il est possible d'être vivant à la télévision, d'y trouver sa place, fût-elle inconfortable. »
(Jean-Marie Durand, Les Inrockuptibles, 565, 26 septembre 2006)

angot_rendez-vous.jpg

... tout sauf fabriquée, l'image publique de Christine Angot : je n'en suis pas certaine (même si, bien sûr, écouter Éric Zemmour sans broncher est difficile).

L'image médiatique de l'écrivain me semble au contraire très travaillée, tout comme est très travaillée la photo de Nan Goldin, célèbre photographe de l'intimité, qui orne la jaquette de Rendez-vous (Flammarion, 2006) : intimité de la chambre, mais fenêtre ouverte sur l'extérieur, sensualité des bretelles sur des épaules nues, mais pose intellectuelle de la main qui soutient la tête, jeux d'ombres et de lumières qui cachent le visage pour mieux le dévoiler. (dans le même numéro des Inrocks, lire p. 30 l'analyse d'Olivier Nicklaus, « Coquetterie de Christine A. » au sujet de cette photo).

Christine Angot me semble-t-il sur-joue toujours un peu (façon Actor studio) une indignation (qui souvent est probablement réelle). En disant cela je n'entends pas critiquer cet artifice, qui n'est qu'une intelligence du système télécratique, une manière de ruser avec les jeux de rôles qu'il impose, pour se créer une place propre dans le spectacle, un emploi qui « dérange et rassure à la fois ». Cela semble être la position la plus tenable dès lors qu'on accepte de parler dans la télé, comme d'autres écrivains (de Michel Houellebecq à Sollers, de Chloé Delaume à Amélie Nothomb) l'ont compris. Cette position, si elle assure une visibilité accrue, n'est d'ailleurs pas toujours confortable, notamment car elle expose quasi inévitablement à la critique féroce des intellectuels qui pour la plupart se font gloire de ne pas supporter (ni même regarder, disent-ils) la télé, et qui pourtant confondent deux choses très distinctes : l'image médiatique de l'écrivain et ses livres.

lundi 23 octobre 2006

invisibles

boulin_roman_national.jpg

Autre premier roman, Supplément au roman national de Jean-Éric Boulin ne fait pas l'unanimité parmi les critiques. Il s'agit d'un portrait politique de la France, à travers quatre personnages emblématiques (Kamel Barek, terroriste, François Hollande, homme politique, Yann Guillois, assassin, et Le peuple) avec des anticipations (la guerre civile au printemps 2007 notamment) qu'on espère erronées. Le roman est parfois déservi par une écriture naturaliste jusqu'à la nausée, animée par la hargne mais sans beaucoup de nuances, parfois lassante dans la juxtapositions de propositions courtes et de longues énumérations ; mais il est efficace et dérangeant, car il a le mérite de prendre à bras le corps les problèmes de notre société. Jean-Éric Boulin décrit par exemple de façon très convaincante l'opposition radicale (et meurtrière de toute espérance), entre les visibles (ceux qui passent à la télé) et les invisibles (les autres, qui les regardent) :

Yann Guillois aurait pu être n'importe qui. Dans la rixe des ego, il ne partait pas le moins armé. Il n'a pas de réseaux mais peu importe. Il a dévoré des biographies. Il s'est passionné pour les leaders, les chefs de file, les responsables, les forces vives, et leur ascension au sommet d'organisations, leur goût du pouvoir, leurs duels en rase campagne, leur consommation de beaux corps, leur patience. Il avait cru lui aussi trouver les courants ascendants du libéralisme. Il était de leur trempe. De taille pour briguer une de ces vies intempestives, transatlantiques, mobiles comme des capitaux, racontées dans Public, Paris Match, les portraits du Monde, Figaroscope, des vies faites de mille des vôtres, où la mort n'a pas de prise. Les élus de la nouvelle ère fouissent comme jamais dans l'Histoire, sportifs, intellectuels, starlettes, politiques, patrons, titulaires d'une chaire, d'une révolte, d'une revendication, d'une organisation, spécialistes, vedettes altermondialistes, comiques, cumulant femmes, argent, narcissisme. La liste s'arrête quelque part. Leurs réussites tapissent le quotidien du peuple, des invisibles, les mortels, les exploités, les balayeurs, les professions intermédiaires, ceux qui pètent, puent, sans don, sans rien. Pour eux, le cancer, les odeurs d'aisselles, les bassins collés aux métros bondés, le multiethnique, la marque Dia, la peur, la mort, sans tambour ni trompette. (p. 74-75)

Yann Guillois a vu François Hollande à la télé, puis Michaël Youn, puis Jack Lang, puis Alain Finkielkraut puis Philippe Douste-Blazy puis Gérard Darmon puis Laurent Ruquier puis Arnaud Montebourg. Chez Ardisson, à Tout le monde en parle. Ça s'est fini par un karaoké. Sordide. La société est si lisse qu'elle ne laisse aucune prise.
Faire vivre notre pacte républicain. Les acquis sociaux. Le pitch. Les dernières tendances. La valeur travail. Yann Guillois exhorté à être compétitif. Les voix officielles rassurent. Les médias en patriotes scandent les vies d'événements. La société est enrôlée pour libérer des otages, lutter contre la myopathie, les accidents de la route, soutenir la candidature de Paris. À tour de rôle, les personnalités présentent leur actu. Des tombereaux de films. Chaque mercredi. Les mêmes écrivent. Tout le monde après en parlera. Le faux emplit l'époque comme du gaz hilarant. Société de congratulations. Irrespirable. Yann Guillois met sa tête dans l'écran, derrière la bienveillance. (p. 80-81)

Yann Guillois se rend sur le plateau de Tout le monde en parle, studio de La Plaine-Saint-Denis. Il arrive à passer les vigiles. L'émission est désormais en direct. Il enjambe des câbles dans une atmosphère bleutée, jusqu'à des néons signalant la place du public. Un assistant le met au milieu de gens cool. Un autre assistant, transpirant sous son casque, se met à taper dans ses mains. « On met le feu, on met le feu, allez. » Il y a beaucoup de femmes, demi-nues, qui sentent bon. Yann Guillois respire les épaules d'une brune devant lui. Il voit son visage de biais. Elle a tellement envie d'être étonnée.
Dans quelques instants, la société va se représenter. Le décor a la couleur d'une cascade.
On y va, lance le noir présentateur. Tout le monde se place. Yann Guillois est un peu tassé.
Il y a comme invités un sociologue, un politique, un présentateur de télévision, un jeune écrivain et quelqu'un qui a tout perdu. Le présentateur officie, l'autre distille des « vannes ». Ils parlent plus ou moins des Événements. L'homme politique parle de la crise française et dit se battre tous les jours pour la Sixième République. Le jeune écrivain renchérit, puis ajoute que la cocaïne décime. Une actrice de films pornographiques vient dire qu'elle assume sucer toutes ces bites. L'homme qui a tué sa femme en l'ayant prise pour la créature de Roswell fait état d'erreurs judiciaires à répétition. Le présentateur télé parle de ses mémoires après avoir eu un infarctus l'été dernier près de Ramatuelle. Cette clique vit plus ou moins sous perfusion médiatique. Ce soir, ils respirent, encore un peu, les yeux grands ouverts. Dans l'assistance, Yann Guillois voit des jeunes de vingt ans applaudir. L'envie sur leur visage fait mal à voir. Cette envie qui divise. Ils sont contents d'être là. À arpenter le vide, ils ne sont plus qu'à un mètre. Les invités commencent à s'embrasser. C'est bientôt fini. Le présentateur a maintenant sous le bras une pile de livres. Il y aura encore deux ou trois vannes, à tout casser. Après, ça sera karaoké.
Les visibles se regardent entre eux. Ils dessinent un cercle lumineux qu'accentuent les projecteurs. Ils se congratulent. Cette bonne humeur qu'autorisent deux centimètres de lévitation au-dessus du peuple. Ils ont sauvé leur peau de l'ennui, de la marque Dia, du SMIC, des RER jaunes, de l'invisibilité, de la frustration. Leur vie est une oeuvre qui, des invisibles, ne réfléchira rien. Dans une semaine, il y en aura une dizaine d'autres, sortis de la nuit autour, puis une dizaine d'autres. Pour des milliers de paroles vaines, de livres, de films, de DVD, à vendre. À vendre. Yann Guillois discerne la conspiration du monde à son malheur. Personne n'a objectivement intérêt au réarmement du langage. Pour parler des profondeurs vivantes, des souffrances qui s'en détachent pour remonter muettes à la surface. Parce que ce qu'elles ont de détraqué et de systématique menacerait le Tout. L'air du temps tiendra longtemps. La condition de Yann Guillois, cette société invivable aux hommes, la misère du monde ne seront jamais à l'ordre du jour.
Au milieu du karaoké, il se lève du public resté dans l'obscurité. Très raide, il sort un revolver de sa poche. En face de lui, l'animateur a le réflexe de se jeter sous son pupitre. Yann Guillois tire dans des têtes qui en étaient à rire. Trois d'entre elles tombent, dans la multiplication des cris, avant qu'une main ne frappe son bras. Ses trois dernières balles se perdent dans le décor.
L'événement a un retentissement extraordinaire. L'homme politique n'a pas survécu à ses blessures. L'homme qui avait tout perdu ne perdra plus. L'écrivain ne fera plus de pornographie. Les journaux du soir ouvrent sur le drame. Éditions spéciales repoussant les divertissements encore plus tard. Démocratie et violence. C'est le sujet qu'avait eu à traiter François Hollande à l'épreuve de culture générale de l'ENA. Il se rend sur place. Interrogé sur TF1, il en parle très bien. (p. 144-147)

Jean-Éric Boulin, Supplément au roman national (Stock, 2006)

Jean-Éric Boulin est né en 1978.
Pour se faire une idée, on peut l'écouter dans Répliques (France Culture, 7 octobre) (l'émission qui m'a donné envie de le lire car Boulin a le grand mérite de parvenir à ne pas se laisse instrumentaliser par Alain Finkielkraut !) et lire en ligne quelques critiques :
- Daniel Rondeau (TV5)
- Michel Abescat (Télerama)
- Marc de Launay (Zone littéraire)
- blog Culture cafe (pour les commentaires assasins assez divertissants).

samedi 21 octobre 2006

la course reste ouverte

Je ne résiste pas au plaisir (un peu morbide) de citer la dépèche de l'AFP concernant les prix littéraires, dont les premiers seront décernés la semaine prochaîne :

« Culture-édition-prix, PREV
Jonathan Littell grand favori pour les Prix Littéraires (PAPIER D'ANGLE)
Par Dominique CHABROL
PARIS, 17 oct 2006 (AFP) - Les Bienveillantes de l'Américain Jonathan Littell est le grand favori pour les prix littéraires de l'automne, dont la saison débute le 26 octobre, mais une demi-douzaine d'outsiders se profilent pour les principales récompenses.
Goncourt, Renaudot, Médicis, Femina, Académie française, Interallié, le livre-phénomène de Littell, qui s'est déjà vendu à 200.000 exemplaires, est sélectionné pour l'ensemble des principaux prix et c'est désormais à qui le couronnera le premier.
L'Académie française, qui ouvre traditionnellement le marathon, décernera son Grand prix du roman le 26 octobre. Mais le Femina et le Médicis, attribués cette année le 30 octobre, auront - sauf surprise - l'avantage sur le Goncourt et le Renaudot, décernés le 6 novembre.
Premier roman d'un Américain de 39 ans, écrit en français, Les Bienveillantes (Gallimard) a été plébiscité par le public comme par la critique, quasi-unanime pour saluer un livre exceptionnel dans la production française. Les droits du roman - la confession d'un ancien SS sur plus de 900 pages - ont déjà été vendus pour la plupart des pays européens.
Si le livre de Littell obtenait l'un des trois prix décernés fin octobre, rien n'empêcherait les Goncourt de le distinguer à leur tour.
Jonathan Littell fuit pour sa part les interviews et affiche une indifférence totale pour les prix littéraires.
A côté des Bienveillantes, une demi-douzaine de titres reviennent pour les grands prix de l'automne.
Marilyn, dernières séances (Grasset) de Michel Schneider (cité 5 fois) et L'amant en culottes courtes (Seuil) d'Alain Fleischer (4 fois) sont les plus remarqués. Schneider revisite les relations de Marilyn Monroe avec son psychiatre pendant les 30 mois qui précédèrent la mort de l'actrice. Et Fleischer raconte sa première expérience amoureuse, à l'âge de 13 ans.
Fils unique (Gallimard) de Stéphane Audeguy est en course pour le Goncourt, le Médicis, le Femina, et Lignes de failles (Actes Sud) de Nancy Huston pour le Goncourt et le Femina.
Déjà remarqué en 2005 pour son premier roman, Audeguy invente dans un style jubilatoire la vie libertine du frère oublié de Jean-Jacques Rousseau. Quant à Nancy Huston, Canadienne exilée en France, elle remonte dans son onzième roman un demi-siècle d'Histoire à travers le regard de quatre enfants.
Bonne nuit doux prince (Mercure de France) de Pierre Charras, livre-confession sur l'amour qui lie un père et son fils, retenu pour le Femina et le Renaudot, bénéficie également d'une excellente critique.
Si Disparaître (Gallimard) des frères Patrick et Olivier Poivre d'Arvor est en lice pour le Renaudot et le Femina, d'autres n'ont retenu l'attention que d'un seul jury : Rendez-vous (Flammarion) de Christine Angot, en course pour le Renaudot, et deux courts récits, Quartier général du bruit (Christophe Bataille - Grasset) et Supplément au roman national (Jean-Eric Boulin - Stock), sur la liste des Goncourt.
La course aux prix reste toutefois ouverte et une quinzaine d'autres titres reviennent dans les sélections. Le Bois des amoureux (Gilles Lapouge - Albin Michel), Ce qui est perdu (Vincent Delecroix - Gallimard), Chemin de fer (Vincent Duteurtre - Fayard), Dans la foule (Laurent Mauvignier - Minuit) ou Ouest (François Vallejo - Vivianne Hamy). »

Tout est dit.

Rappelons tout de même le calendrier et les dernières sélections :

Plus que trois romans pour l'Académie Française (26 octobre) :

Vincent Delecroix, Ce qui est perdu (Gallimard)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)

Medicis (30 octobre) :

Stéphane Audeguy, Fils unique (Gallimard)
Sorj Chalandon, Une promesse (Grasset)
Vincent Delecroix, Ce qui est perdu (Gallimard)
Alain Fleischer, L'amant en culottes courtes (Seuil)
Hélène Gaudy, Vues sur la mer (les Impressions nouvelles)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Richard Millet, Dévorations (Gallimard)

Femina (30 octobre) :

Stéphane Audeguy, Fils Unique (Gallimard)
Pierre Charras, Bonne nuit doux prince (Mercure de France)
Alain Fleischer, L’amant en culottes courtes (Seuil)
Françoise Henry , Le rêve de Martin (Grasset)
Nancy Huston, Lignes de faille (Actes Sud)
Vénus Khoury-Ghata, La maison aux orties (Actes Sud)
Gilles Lapouge, Le bois des amoureux (Albin Michel)
Jonathan Littell, Les Bienveillantes (Gallimard)
Laurent Mauvignier, Dans la foule (Minuit)
Olivier et Patrick Poivre d’Arvor, Disparaître (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)

Goncourt (6 novembre) :

Stéphane Audeguy, Fils unique (Gallimard)
Christophe Bataille, Quartier général du bruit (Grasset)
Jean-Eric Boulin, Supplément au roman national (Stock)
Alain Fleischer, L'Amant en culottes courtes (Seuil)
Nancy Huston, Lignes de faille (Actes Sud)
Gilles Lapouge, Le Bois des amoureux (Albin Michel)
Jonathan Littell, Les Bienveillantes (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)
François Vallejo, Ouest (Vivianne Hamy)

Renaudot (6 novembre) :

Christine Angot, Rendez-vous (Flammarion)
Pierre Charras, Bonne nuit, doux prince (Mercure de France)
Vénus Khoury-Ghata, La maison aux orties (Actes Sud)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic (Seuil)
Gabriel Matzneff, Voici venir le fiancé (Table ronde)
Patrick et Olivier Poivre d'Arvor, Disparaître (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)

Décembre (7 novembre) :

Christine Angot, Rendez-vous (Flammarion)
Alain Fleischer, L'amant en culottes courtes (Seuil)
Pierre Guyotat, Coma (Mercure)
Jacques Jouet, L'amour comme on l'apprend à l'école hôtelière (POL)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Laurent Mauvignier, Dans la foule (Minuit)
Catherine Millot, La vie parfaite (Gallimard)
Frédéric Pajak, J'entends des voix (Gallimard)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)
Philippe Vilain, Paris l'après-midi (Grasset)

Quinze minutes plus tard (7 novembre) :

Franz Bartelt, Chaos de famille (Gallimard, Série Noire)
Héléna Marienské, Rhésus (P.O.L.)
Vincent Delecroix, Ce qui est perdu (Gallimard)
Leonora Miano, Contour du jour qui vient (Plon)
Jean-Louis Magnan, Les îles éparses (Verticales)
David Bessis, Ars Grammatica (Allia)

Flore (9 novembre) :

Christine Angot, Rendez-vous (Flammarion)
Jean-Eric Boulin, Supplément au roman national (Stock)
Maurice G. Dantec, Grande Jonction (Albin Michel)
Pierre Jourde, L'heure et l'ombre (Esprit des péninsules)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Flore Vasseur, Une fille dans la ville (Ed. des Equateurs)

Interallié (14 novembre) :

Antoine Audouard, Un pont d'oiseaux (Gallimard)
Benoît Duteurtre, Chemins de fer (Fayard)
Jonathan Littell, Les bienveillantes (Gallimard)
Gabriel Matzneff, Voici venir le fiancé (Table ronde)
Yann Moix, Panthéon (Grasset)
Michel Schneider, Marilyn dernières séances (Grasset)
Isabelle Spaak, Pas du tout mon genre (Ed. des Equateurs)
Denis Tillinac, Je nous revois... (Gallimard)

vendredi 20 octobre 2006

je cesse d'être moi

marienske_rhesus.jpg

Les premiers romans sont un des plaisirs de la rentrée littéraire : on rêve devant les piles des libraires d'être surpris, de découvrir de nouvelles voix, d'avoir la possibilité de se faire une idée par soi-même sur des auteurs tout neufs, pas encore rangés par les médias dans telle ou telle petite case.

Rhésus d'Héléna Marienské, dont on ne sait pas grand chose sinon qu'elle enseigne la littérature, est une excellente surprise : drôle et intelligent, subversif dans son propos (les vieux ont le droit d'être méchants, de se découvrir bisexuels et de s'éclater sur des jeux videos) et truffé de citations (de la Princesse de Clèves à Perec, de Beckett à l'Illiade), jubilatoire dans l'écriture, d'une construction rigoureuse mais pleine de lignes de fuite.

Pour se faire une idée avant de la lire on peut feuilleter les premières pages et consulter la revue de presse proposée par son éditeur P.O.L, dont l'Agenda permet également de connaître les interventions des uns et des autres. On peut aussi lire un entretien (Evene) ou voir l'écrivain essayer en vain de parler de son roman (!) dans l'émission de Frédéric Taddéï Ce soir (ou jamais!) (19 octobre).

Dans l'épilogue de Rhésus, intitulé « D'après moi » on comprend qu'écrire pour Héléna Marienské c'est oublier avec jubilation la pesanteur du moi (« je non-suis avec passion », écrit-elle) :

Mais que d'efforts pour vivre interminablement avec moi. Je m'amadoue, pourtant, me leurre et m'apprivoise, je me compose un reflet flatté de moi qui serait acceptable. Soulagement, pendant les quelques instants où je coïncide avec ce moi mieux. Mais crotte et purin, le moi est là, gros bloc, et le reflet bientôt se brise comme un miroir à l'impact du granit lancé à toute force, et je tombe tête en bas sur un sol en ciment. Le crâne s'ouvre et à sa suite le corps se fend en deux. La colonne vertébrale, seule, reste pointée vers le ciel, cocasse paratonnerre de quel orage ? Je ne sais, tandis que s'effondrent avec symétrie mon moi gauche et mon moi droit. Vite la mort, que je me repose de toutes ces avanies. Mais sitôt qu'il a touché terre, mon corps recouvre sors unité, l'esprit suit, et le tour est joué.
Je suis sans cesse encombré d'un moi qui n'est pas celui que j'aurais emporté, si l'on m'avait donné le choix. On m'a fait une méchante blague.
Les spécialistes du moi ont apporté à ce cas critique quelques améliorations. Qu'ils en soient ici remerciés. Mais las ! Las ! Cautère et jambe de bois... tout cela n'a pas tenu devant la vie.
Le pire est qu'on ne me plaint pas, bien au contraire, rares sont les consolateurs. On pense sans doute que je suis satisfaite du paquet. On n'imagine pas cette fâcherie de toujours, ces réconciliations sans lendemain. Cours fermés à toutes les compassions, cours de pierre ! Je sais, les mouches souffrent aussi. Les plaint-on ?
On n'imagine pas les nuits difficiles, les abattements, les désespoirs. Comment imaginerait-on ce misérable fatras puisque je sourie? Car j'ai été dotée d'un moi au regard affable. Il semble tout heureux, tout béatement satisfait de lui et de son sort. Le masque du bonheur fut livré en même temps que le sujet malingre et souffreteux qu'il dissimule. Il est si étroitement collé à la peau que l'arracher serait sans doute dangereux. Reste donc le moi qui fait risette et ferait presque le malin, mettrait du baume sur les plaies du monde...
Certains donc louchent vers moi, m'imaginent enviable, et m'envient. Comme la jalousie confère à la méchanceté l'efficace d'un virus, ils se déchainent par hordes, et m'accablent. On m'ôterait volontiers, dans la mêlée, tout le fruit de mon travail, on m'amputerait de mes muscles ou de mes avoirs, on me déglinguerait bien la gueule, quitte à ne pas être poli. Je dois montrer les dents, ce qui m'afflige car je ne me suis guère remise des imperfections de ma denture, qui égalent presque celles de mon âme.
Je me trouve engagée dans des combats que je n'aurais pas voulus mais nécessaires a ma survie sociale. C'est épuisant et grotesque. Encore que je ne crache pas sur les joutes, après tout, comme diversion. Et donc, à la première alerte, je sors les oriflammes et les artilleries, prête à toutes les batailles.

Mais parfois, pour éviter tous les embarras afférents au moi et les épuisements de la guerre, je cesse d'être moi. Je non-suis alors avec passion. Je deviens platane, écorce, ongle, forêt, odeur, tubercule ou biscuit, état, lumière, chaleur. Le moi lumière tiède est extatique, et je ne le quitte qu'à regret. Autre moi que je voudrais ne jamais quitter : le moi musique, prélude et fugue, mais le bruit rond des gouttes de pluie sur le zinc du toit est presque aussi bien.
Je suis souvent envahie par tout autre que moi. Ce tout autre s'infiltre par la bouche et les oreilles, sans doute même par la peau, car je suis poreuse. Les manoeuvres d'approche ne m'alertent guère, je vois venir sans crainte ce qui va dominer le moi chétif, l'occuper corps et âme, tendrement l'asservir, lui ôter toute force et tout désir d'agir hors de son emprise. Ainsi fit Rhésus.

Héléna Marienské, Rhésus (P.O.L, 2006, p. 311-314)

jeudi 19 octobre 2006

le monolithe d'arthur c. clarke

édité par Al Dante, aussi, Christophe Fiat :

en 2001 à hollywood
on dit this time the scene was real
parce que le terrorisme qui frappe le world trade center
à new york city
se préoccupe des spectateurs
comme les producteurs et comme les réalisateurs
des films terrifiants d'hollywood
qui se préoccupent aussi des spectateurs
à cause d'hollywood
qui est une usine à rêves

this time the scene was real 1
en 2001 sur une chaîne locale new yorkaise
les images des attentats
du world trade center à new york city
sont des images qui défilent en boucle
sur la musique du film
de martin scorsese raging bull

this time the scene was real 2
en 2001 sur CBS un montage spectaculaire
associe les témoignages des rescapés
de l'écroulement du world trade center
et les témoignages des familles des victimes
à des morceaux de musique classique

this time the scene was real 3
en 2001 l'explosion du world trade center
à new york city
ressemble à une compilation
de films-catastrophe
collateral damage
big trouble
24 4.
the agency
alias
the peacemaker
x-files
independance day
parce que l'attaque
du world trade center
par les terroristes
est une attaque qui puise
dans notre mémoire
qui est une mémoire nourrie
par le cinéma de destruction hollywoodien
qui est un cinéma qui montre
dans des montages spectaculaires
d'images fixes et d'images animées
les crashes dont tout le monde rêve
à cause de l'usine à rêve d'hollywood

(...)

fiat_new_york.jpg

au travers du cristal
du monolithe d'arthur c. clarke
on entend un galop
et on voit un parc d'attraction
avec des réfugiés afghans dedans
qui se déplacent en flots continus
pendant que l'armée américaine attaque
l'afghanistan
pour libérer les vingt millions d'afghans
qui meurent de faim en afghanistan
à cause de la catastrophe humanitaire
et des talibans terroristes
qui détruisent et qui affament l'afghanistan
depuis des années
et font régner la terreur
en afghanistan
dans le monde entier
même aux états unis
depuis le 11 septembre 2001
alors l'armée américaine
a une tactique d'attaque
qui est une tactique de guerre chirurgicale
qui consiste à embraser d'éclairs
le ciel d'afghanistan en pleine nuit
et à faire des champignons de fumée
dans le ciel
avec des bombes larguées
d'avions qui ne sont pas des avions kamikazes
mais qui sont des bombardiers B.52

Christophe Fiat, New York 2001 : Poésie au galop (Al Dante, 2002, p. 39-40 et p. 97)

et aussi :

Ladies in the Dark (Al Dante, 2001)
Épopée. Une aventure de Batman à Gotham City (Al Dante, 2004)
Héroïnes (Al Dante, 2005)
La Reconstitution historique. Une aventure de Louise Moore (Al Dante, 2006)

et encore, chez d'autres éditeurs :

Laure Sainclair (Derrière la salle de bains, 2000)
Sexie ou le système de la mode (Derrière la salle de bains, 2000)
King Kong est à New York (Derrière la salle de bains, 2001)
Ritournelle, une anti théorie (Léo Scheer, 2002)
Bienvenus à Sexpol (Léo Scheer, 2003)
Qui veut la peau de Harry ? (Inventaire / Invention, 2004)

mercredi 18 octobre 2006

écriture(s) indocile(s)

pittolo_opera_isotherme.jpg

Une alerte lancée par François Bon que j'ai envie de relayer...

... suivez son conseil, parcourez le catalogue des éditions Al Dante, vous y trouverez des écritures « singulières » et « indociles », comme l'écrit Laurent Cauwet.

Par exemple celle de Véronique Pittolo (née en 1960) dont les éditions Al Dante ont publié :
Héros (Al Dante, 1998)
Gary Cooper ne lisait pas de livres (Al Dante, 2004)
Opera isotherme (Al Dante, 2005)

on peut lire aussi, chez d'autres éditeurs :
Montage (Fourbis, 1992)
Chaperon loup farci (La Main courante, 2003)
Schrek (L’Attente, 2004)

et en ligne :
- un extrait de Héros (Double Change)
- « Pour une poésie hybride qui mêle les genres » (Remue.net)
- « La longueur » et « Le personnage » (Atelier de narration contemporaine, Maison des écrivains)

enfin sur Véronique Pittolo, on peut lire :
- Emmanuel Laugier (Le Matricule des anges)
- Lionel Destremau (Prétexte)
- Florence Trocmé (Poezibao)
- la notice du CipM
- la notice de la Poéthèque (Printemps des poètes)

lundi 16 octobre 2006

du désordre au neutre

logo_wikipedia.png

Bel exemple de désordre fructueux, l'aventure de Wikipedia a 5 ans. Créée en 2001, cette encyclopedie libre, gratuite et collaborative, disponible gratuitement dans 250 langues (dont certaines rares ou mortes) est plébiscitée par la plupart des internautes, mais toujours snobée voire ignorée par beaucoup.

L'intéressante présentation de Wikipedia par Wikipedia développe notamment le concept de « point de vue neutre », auquel on arrive par l'affichage des positions contradictoires.

On peut aussi lire ou écouter :
- L'édition de référence libre et collaborative : le cas de Wikipedia, dossier publié en mars 2006 par Laure Endrizzi,
- L'émission Masse critique sur France Culture le samedi 14 octobre dernier,
- « Révélation cognitive : l'essentiel est fait », un billet d'Olivier Ertzscheid dans son blog Affordance,
- dans L'Express (5 octobre 2006), « Wikipedia, L'encyclopédie qui affole le Net », de Guillaume Grallet, avec une interview de Jimmy Wales en video.

dimanche 15 octobre 2006

ajouter au désordre

Bon, d'accord, cet article de Daniel Kaplan, « Penser l'internet dans 10 ans », a déjà plus d'un mois, et je ne suis pas à la pointe de l'actualité, mais je trouve stimulante sa façon d'envisager l'internet du futur comme un « désordre croissant (...) destructeur et créatif à la fois », résultat de la « plasticité du numérique » au coeur d'une société « tout aussi, voire plus désordonnée, bruyante, incertaine, tendue, compliquée, conflictuelle, créative, torturée qu'aujourd'hui » :

L’internet est le siège d’une immense conversation, cacophonique, bourdonnante, désordonnée, sans fin et sans but – autre que celui de nourrir le lien, de construire nos identités, de faire fonctionner nos vies avec celles des autres sans pour autant faire comme eux en même temps qu’eux. Et parce qu’ils produisent eux-mêmes des données à jet continu, les objets (Julian Bleecker parle de “blogjets“, d’objets qui bloguent) et les espaces vont s’ajouter à la conversation, l’alimenter (”t’as vu ce qu’a vu mon robot ?”, “sais-tu que mon capteur indique un taux de pollution de X ?”…), la relayer, lui faire prendre des tours inattendus. Ils vont enrichir la combinatoire, faire monter l’intensité sonore, multiplier les occasions de rupture de la chaîne (pannes, incompatibilités…) et produire, par leur simple masse, des effets agrégés tout à fait inattendus – on parle d’”émergences”.
Ils vont ajouter au désordre.

samedi 14 octobre 2006

linea de fuite

cava_la_linea.jpg

Sur le site de TV5, regardez fuir la linea.

vendredi 13 octobre 2006

où s'étrange le je

Un autre poème, dans la série des « Attendus », sur la résistance de l'intime, qu'aujourd'hui tout nous intime l'ordre de surexposer :

attendu que l'intime
n'est pas fonds personnel
sommeil d'or ni sicav
mais appel par le fond
du sans fond au profond
de la cave ( : traversée
- du désastre l'envers)
où s'étrange le je
où le présent s'intime

Florence Pazzottu, L'Inadéquat (le lancer crée le dé) (Flammarion, 2005, p. 15)

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