lignes de fuite

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Recherche - orang-outan

lundi 12 novembre 2007

prix lignes de fuite

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Puisque la mode est cet automne à l’attribution de Prix B, je déclare que le Prix lignes de fuite est attribué, à l’unanimité avec moi-même et sans qu’il soit besoin de multiplier les tours de scrutin, à Éric Chevillard pour Sans l’orang-outan (Minuit), l’ensemble de son œuvre et m’avoir fait beaucoup rire avec son « feuilleton » Goncourt dans L’Autofictif.

Toutefois, l’unanimité avec moi-même étant une ligne que je ne suis jamais parvenue à tenir très longtemps, ce dont j'ai la faiblesse de penser qu'Éric Chevillard ne me tiendra pas rigueur, j’ajoute trois ex-aequo qui m’ont également impressionnée cette rentrée :
- Olivia Rosenthal pour On n’est pas là pour disparaître (Verticales)
- Éric Reinhardt pour Cendrillon (Stock)
- Hélène Frappat pour Agent de liaison (Allia).

post-scriptum :
un quatrième prix ex-aequo à Didier Da Silva pour Hoffmann à Tôkyô (Naïve) et pour lui remonter le moral (c'est ça l'interactivité blogosphérique !)

Plus sérieusement les indignations, accusations et gesticulations actuelles autour des prix deviennent trop habituelles pour ne pas faire partie du plan promo de toute rentrée littéraire qui se respecte. La polémique est un simple accessoire, au même titre de La société de consommation sur une photo publicitaire aux abdos trop parfaits pour ne pas être photoshopés de Beigbeder. Les stratégies des uns et des autres m’amusent donc plus qu’elles ne m’indignent ; m’énerve bien davantage la bonne conscience pleine de mauvaise foi de ceux dont l’indignation est aussi de l’auto-promotion, qui se révèle d'ailleurs efficace : le livre de Christophe Donner est dans certaines librairies placé aux côtés de ceux qui ont reçu un prix !

Aujourd’hui lundi 12 novembre, nouvelle salve de prix (avant l'Interallié mardi 13 et le Roman France Télévisions jeudi 15) : le Médicis (dans la sélection, je vote pour Antoine Volodine et François Bon !), le Femina, les Goncourt et Renaudot des lycéens, ainsi qu'un prix qui n’a que (ou déjà) dix ans et dont on peut encore attendre un vrai choix, le prix Wepler – Fondation La Poste : Olivia Rosenthal, Hélène Frappat, Philippe Vasset, Louise Desbrusses, Linda Le, etc. figurent dans la sélection.

mardi 2 octobre 2007

l'homme de la situation

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L'aventure humaine s'inscrit dans une histoire, on peut logiquement concevoir sa fin, mais l'orang-outan - oh comme ce nom est doux à prononcer, et quelle douleur aussi ! - se satisfaisait de son sort et vivait selon sa loi immuable, accueillant le progrès avec méfiance, une brindille pour pêcher les insectes dans les troncs creux, une large feuille vibrante pour amplifier les vocalises de l'amoureux, voilà pour le XXe siècle.
C'est bien assez de modernité, on ne va pas non plus consentir à tout ce qu'elle propose, pourquoi toujours lui céder, s'équiper de neuf chaque année comme si le principe de la vie n'était soudain plus le même et que les doigts un beau matin ne convenaient plus pour se moucher élégamment, sachons tenir aussi, jouir de la sérénité que procure la longue habitude sous les dehors de l'hébétude, la stupeur naissant bien plutôt du changement qui nous prend au dépourvu et fait de nous des proies faciles.
Le temps ne passait pas pour l'orang-outan, le fils imitait son père, l'outil l'outil, ce programme obéissant au principe de la répétition ne prévoyait pas de fin. Point d'accélération catastrophique dans le destin de l'orang-outan, nulle logique funeste à l'œuvre sinon le déclin régulier des forces vitales qui est un phénomène biologique, il ne complotait pas sa propre extinction comme nous le faisons sournoisement (bientôt, en vertu des lois de l'évolution, un bras nous poussera dans le dos pour nous poignarder par traîtrise).
Il y a eu erreur. Il y a eu méprise, c'est évident. Ce cratère s'est ouvert pour nous engloutir, nous, et débarrasser le monde de la menace que représente notre pulsion de mort. Saine réaction des forces universelles ainsi déjà la foudroyante météorite écrasa-t-elle la sotte petite tête du dinosaure emplie de noirs desseins, il y a soixante-cinq millions d'années. (p. 51-52)

Car au vu de nos résultats, à simplement regarder comment le monde a tourné sous notre règne et ce que nous en avons fait, par cupidité, gabegie, incurie ou toute autre bonne raison de ce genre que nous alléguons ordinairement pour diminuer nos responsabilités, il se déduit que l'orang-outan était bien mieux que nous l'homme de la situation, et j'en veux encore pour preuve cette osmose parfaite avec son milieu à laquelle il parvint sans effort tandis que nous ne la connaissons qu'en de très rares moments d'extase, après le passage du jardinier et du démineur, sous le parasol et le parapluie. (p. 172)

N'était-il pas pourtant, en l'absence de dieux et de Martiens avérés, notre seul public, avec peut-être le gorille et le chimpanzé, le seul public capable de prendre la mesure de notre extraordinaire aventure, de s'en ébaudir, de nous applaudir ? (...)
Pourquoi notre organisation ne produisit-elle pas sur l'orang-outan l'effet de sidération escompté, sinon parce que la sienne propre lui apparut aussitôt préférable et si incontestablement supérieure à la nôtre qu'il imagina peut-être que nous nous en aviserions de nous-mêmes et, par délicatesse, pour ne pas blesser notre amour-propre, ou par nonchalance, il n'essaya pas de nous en instruire autrement que par l'exemple. (p. 174-175)

Éric Chevillard, Sans l’orang-outan (Minuit, 2007)

lundi 1 octobre 2007

sur nos pattes de foule

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Mais comme elle est subite, cette absence ! Ils étaient, ils ne sont plus. Un trou en leurs lieu et place. Or chacun va à ses occupations dans la ville, au bord de ce gouffre béant, comme si rien ne s'était passé. Serais-je seul à m'être avisé de leur disparition ? Cette langueur nouvelle, pourtant, je ne l'invente pas.
Cette torpeur ! On se traîne. Je ne l'invente pas. Ainsi errerons-nous désormais sur nos pattes de foule, indécis, velléitaires. Nos bras ne saisissent plus rien. Voilà nos corps perdus. Nos gestes se défont ; la cohue où se resserraient les boulons de notre performante organisation ne témoigne plus que de cette errance, de cette dislocation. (p. 9-11)

Le monde a cessé d'exister pour les orangs-outans. Il vient de se dissoudre dans le brouillard des abstractions inconcevables.
Le point de vue de l'orang-outan qui ne comptait pas pour rien dans l'invention du monde et qui faisait tenir en l'air le globe terraqué, avec ses fruits charnus, ses termites et ses éléphants, ce point de vue unique à quoi l'on devait la perception des trilles de tant d'oiseaux chanteurs et celle des premières gouttes d'orage sur les feuilles, ce point de vue n'est plus, vous vous rendez compte.
Et c'est comme si l'on avait rasé un promontoire, abattu une montagne, le monde a rétréci tout à coup, il va falloir jouer des coudes pour exister dans ce couloir. C'est tout un pan de réalité qui s'affaisse, une conception complète et articulée des phénomènes qui fera défaut désormais à notre philosophie. (p. 18)

Nous n'entendrons plus que des paroles d'hommes, l'éternel débat, le petit dialogue amoureux si niais que les bouches bientôt se tordent de dégoût, la leçon interminable du professeur, les conseils de l'ami réjoui par nos mésaventures, et encore : l'ennui de notre littérature qui parle avec les lèvres de la plaie et ne sait dire que aïe et ouille, et encore : relations de rêves, de souvenirs, disputes, supplications, blagues, réprimandes, sans trêve ni repos, ce bavardage, ces considérations, ces mots crachés comme s'il n'en restait plus que le noyau sec et mort. (p. 32-33)

À défaut de distractions qui tromperaient réellement notre hantise, nous débattons sans fin de notre condition et la polémique est même devenue la forme dominante sinon exclusive de nos échanges avec les coups, toutefois, mais qui en sont la conséquence. Nous aimons à croire qu'il existe pour chaque énigme plusieurs explications possibles, plusieurs hypothèses, et nous attendons de notre interlocuteur qu'il nous apporte la contradiction. Nous préférons l'énigme à son élucidation, toujours décevante, qui rétrécit notre prison.
Nous en touchons les quatre murs dès qu'une unanimité se fait jour. C'est pourquoi je ne prends jamais position dans ces débats, pour ma part, considérant que nous y laissons des forces qui seraient mieux employées dans l'action - mais cette opinion aussi soulève de vives protestations et suscite à chaque fois que je l'avance pour justifier mon silence une de ces discussions secondaires qui sont notre spécialité et dans laquelle je me jette avec fougue. (p. 91-92)

Éric Chevillard, Sans l’orang-outan (Minuit, 2007)

'' Sans L’orang-outan'' est un Chevillard particulièrement noir et en colère, presque apocalyptique parfois, même si l’humour reste très présent dans le point de vue du fils d’Albert Moindre et Eléonore Caquet sur la disparition annoncée et métaphorique de l’orang-outan.

en ligne :
- l’autofictif, le blog d’Éric Chevillard
- un site très complet dû à Even Doualin
- « Douze questions à Éric Chevillard », par Florine Leplâtre (Inventaire/Invention)
- des études critiques sur Éric Chevillard (auteurs.contemporain.info).

lundi 24 septembre 2007

favori pour le goncourt

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Certaine rumeur me donne favori pour le Goncourt. Certes, Sans l’orang-outan ne figure pas sur la liste des livres sélectionnés. Mais il s’agirait d’une ruse, d’une carte secrète que les jurés gardent dans leur manche afin de déjouer les pronostics et créer l’événement. On me l’a assuré : c’est chose faite.
Éric Chevillard (24 septembre 2007)

lignes de fuite vote pour !

::: découvert grâce à François Bon et à suivre de près, L’autofictif, le blog nouveau-né d'Éric Chevillard (avec en prime la surprise de trouver lignes de fuite dans son blogroll : j’en sautille de joie !)

::: pour prolonger les billets précédents, un entretien audio en ligne d’Éric Reinhardt avec Nicky Depasse (Lire est un plaisir),

::: Temps zéro. Revue d’étude des écritures contemporaines, dirigée par René Audet, met en ligne un premier numéro très prometteur, « Raconter le quotidien aujourd’hui » (merci cairo!)