lignes de fuite

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blogs et internet

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mercredi 23 mai 2007

fenêtre sur le monde

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Pourquoi la Vision de de Saint-Augustin de Carpaccio ?

::: parce que c'est une de mes fresques préférées (avec toutes celles de San Giorgio degli Schiavoni)
::: parce que les livres y sont ouverts et que cela vaut mieux que la photo officielle de qui-vous-savez (avec livres à ne surtout pas ouvrir en décor) dévoilée ce soir
::: parce que tout à l'heure, lors d'une table ronde consacrée aux « Avenirs du livre », François Bon est parti de cette image emblématique de la solitude de l'écrivain pour décrire le paradoxe de l'écrivain d'aujourd'hui : la fenêtre de l'écran, lieu de l'écriture solitaire, est aussi devenue avec internet le lieu même de l'irruption du bruit du monde. De quoi laisser Saint-Augustin rêveur ...
::: merci à François Bon, aussi, pour cette autre fenêtre sur un passé pas si lointain, mais déjà nostalgique, de la télévision : Qu'est-ce qu'elle dit Zazie ? avec Echenoz, Bergounioux, Michon, Quignard et Bon dans la petite lucarne : un régal !

jeudi 26 avril 2007

hypnotique et poétique

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ce soir, intermède en forme de promenade dans le web littéraire et ses alentours :

::: pour prolonger mes récents billets sur Madame Bovary, allez lire Jean-Claude Bourdais (profitez-en, il n'y a plus que 3 chocolats !) qui évoque les comparaisons de Flaubert ... « comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides » (j'aime personnellement beaucoup les « comme » et les « comme si », chez Flaubert, chez Proust, chez Simon, chez Montalbetti, et caetera et caetera)

::: en écho à l'échelle de Montaigne, une intéressante échelle participative découverte grâce à Olivier Ertzscheid

::: pour ceux qui auraient raté le poisson d'avril de remue.net, Julien Kirch (à la demande générale !) en a mis des traces en ligne

::: Julien Kirch qui a également participé à une entreprise de salut public : la mise en ligne des archives théoriques de la revue TxT sur le site du Terrier

::: et, hypnotique et poétique, contempler la lune grâce à David Calvo

mercredi 11 avril 2007

dans la blogopole

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::: à explorer, cette splendide blogopole, cartographie interactive de la blogosphère politique

::: Jean Veronis met en ligne (et analyse) les discours des candidats

::: Michel Onfray dissèque « le cerveau d'un homme de droite » et son « hémisphère gauche »

::: Daniel Schneidermann quant à lui n'arrive pas à cristalliser !

::: une affiche de 1965 exhumée par Olivier Bonnet qui vaut mieux qu'un long discours

::: la « Camille » plus vraie que nature de Samuel Tasinaje

::: des répliques célèbres avec Télérama

::: on peut aussi se défouler en bouffant des pommes et des sarkozys déchaînés dans ce packman relooké (j'ai réussi à faire gagner ma présilol !)

vendredi 6 avril 2007

encore un effort

les nouveaux comptes de Technorati :

::: plus de 70 millions de blogs dans le monde à ce jour
::: 120 000 nouveaux blogs par jour ou 1,4 chaque seconde
::: 1,5 millions de post par jour ou 17 par seconde
::: 36 % des blogs sont en japonais, 35 % en anglais ... 2 % seulement en français !

lundi 2 avril 2007

surf sans bouée

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::: ouf ! c'était bien un poisson ... mais c'est dommage de ne pas avoir gardé la page, dont je regrette de n'avoir pas fait de copie, car le relooking était ... intéressant.

::: quelques autres poissons amusants : les éditions POL sont rachetées par Auchan (libr-critique), berlol arrête le blog et Deligne refuse de dessiner.

::: un générateur de textes très réussi : l'Encyclopédie mutante de Pascal Nordmann

::: une intéressante interview vidéo de Marion Mazauric, créatrice des excellentes éditions Le Diable Vauvert.

dimanche 1 avril 2007

un petit tas de feuilles sèches

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Un livre n'est rien qu'un petit tas de feuilles sèches, ou alors une grande forme en mouvement : la lecture. (Jean-Paul Sartre, Situations, I)

::: « Alors, dernier Salon du Livre en papier ? » se demande Hervé Bienvault (Aldus)

::: l'intéressant « point de vue d’un éditeur » (E la nave va)

::: une fiction : « Après le typhon numérique, le monde de l’édition littéraire se reconstruit » dans Anticipedia

::: un dessin de Deligne, « Culture.com » pour rire un peu

::: et un remue.net 2.0 et relooké (à moins que ce ne soit un poisson d'avril ?)

samedi 31 mars 2007

s'en tenir à l'impossible

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Soyons clairs. Il s'agit d'une déclaration de guerre. Une déclaration de guerre contre le possible tel qu'il est partout désigné et tel qu'il nous enferme : possible étriqué du petit roman réaliste aussi plomb-plomb que plombant, auquel devraient ressembler nos vies. Famille travail Shopi. Déclaration de guerre contre le discours qui voudrait nous persuader qu'il ne faut pas s'accrocher à de l'impossible, qu'il ne faut pas faire les malins, ne pas vouloir autre chose que ce qui est, qui nous rappelle que l'on pourrait être moins bien lotis, qu'il ne faut pas cracher dans la soupe, que ce n'est pas si mal, qu'il faut se contenter de ce que l'on a. L'impossible apparaît alors comme une voie toujours nouvelle, aux contours mal tracés, flous, indéfinis, ou encore comme une branche à laquelle se raccrocher et se tenir.

Mathias Lavin, Aurélie Soulatges et Isabelle Zribi, « Ouverture »,
S'en tenir à l'impossible, Action restreinte, 8, deuxième semestre 2006

La revue Action restreinte a maintenant un site.

J'y découvre le blog d'Isabelle Zribi : Le Livre des temps nouveaux.

mardi 27 mars 2007

déplacements

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Gageons que François Bon va encore susciter la jalousie et en agacer plus d'un, en ajoutant à ses multiples casquettes celle de directeur éditorial : les éditions du Seuil lui ont en effet confié une collection intitulée Déplacements, qui a été présentée ce matin au Salon du livre : on peut lire sur son site la plaquette de présentation et l'entretien accordé à Livres hebdo. Le nom est beau, le programme alléchant, les deux premiers titres paraîtront en mai, et je me rejouis notamment de lire un nouveau texte de Jérôme Mauche.

(entre parenthèses, il faudrait aussi prêter un webmestre aux Éditions du Seuil, qui sont parmi les derniers grands éditeurs à ne pas avoir de fenêtre internet depuis que le « magazine interactif » initialement mis en place ne fonctionne plus)

Mais François Bon reste néanmoins avant tout un écrivain, qui rend compte avec distance, dans « il dirige quoi, l’auteur », du colloque « François Bon, éclats de réalité » qui lui a été consacré le week-end dernier à l'université de Saint-Etienne.

post-scriptum : sur la collection Déplacements, on peut lire aussi un billet de La Littérature

(autre parenthèse : j'ai du mal à me faire à ce titre-pseudo ! mais après tout certains blogueurs font bien parler fort opportunément les morts, alors pourquoi pas la Littérature?)

lundi 26 mars 2007

moderne archidiacre

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::: pour prolonger le billet d'hier, on peut écouter : « Que peut-on attendre de l'encre électronique ? » (Michel Alberganti, Science publique, France culture, 23 mars 2007)

::: et lire Nathalie Crom, « Un malade imaginaire » (Télérama, 24 Mars 2007)

::: des élements intéressants également dans le débat intitulé « Démocratie, information et représentation », avec Barbara Cassin et Daniel Bougnoux, en dépit de l'obstination à ne pas comprendre de notre moderne archidiacre Frollo, Alain Finkielkraut, qui très symptomatiquement ouvre l'émission par ces mots :
« Dès que j’ouvre les yeux sur le monde environnant, c’est-à-dire sur les portables et les écrans d’ordinateurs, je me fait l’effet d’un vestige, d’un dinosaure, d’un mammouth, d’un has been, d’un mort qui a oublié de mourir ... » (Répliques, 17 mars 2007) !

dimanche 25 mars 2007

quel nouveau joujou ?

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Ces livres électroniques (e-book ? readers ? livrels ?) qui inquiètent tant le monde du livre sont néanmoins fort peu présents encore au Salon du livre : en cherchant bien, J’en ai trouvé un seul, en démonstration (mais pas en vente) sur le stand des éditions M21, qui publient Gutenberg 2.0, le futur du livre, de Lorenzo Soccavo, avec une contribution de Constance Krebs.

Des readers, pourtant, il y en a déjà plein, dont certains très beaux.

Le reader retenu pour Gutenberg 2.0 est l'iLiad d’iRex, un assez bel objet. Il coûte cependant 659 € (quand même !) quand ses concurrents, par exemple celui de Sony, sont annoncés autour de 350 €. Amazone entretient même un buzz autour de la sortie d’un reader nommé Kindle à moins de 100 €.

Mais le problème principal est sans doute la non polyvalence de ces joujoux, dont j’aimerais assez pour ma part qu’ils acceptent de lire mes propres fichiers et les livres numériques de format (très) variés accumulés sur mon disque dur, et si possible de naviguer ou de récupérer des données sur internet : à quand la mise sur le marché d’un croisement d’origami, de smartphone et de reader ?

::: la Cité des Sciences propose un dossier bien conçu
::: le blog papier électronique
::: de Lorenzo Soccavo : le blog NouvoLivrActu
::: de Constance Krebs, on peut lire aussi un entretien et « Du livre électronique à l’encre électronique. Nouveau papier, nouveau livre ? » (BBF, 51, n° 4, mai 2006).

samedi 24 mars 2007

tsunami

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::: « Quand internet change tous les métiers du livre », une table ronde organisée cet après-midi au Salon du livre par Livres Hebdo : Fabrice Piault (rédacteur en chef adjoint) interroge un écrivain (Alain Mabanckou), deux éditeurs (Catherine Lucet et Claude de Saint-Vincent), un libraire (Denis Mollat) et un bibliothécaire (Louis Klee) : tous parlent fort bien, quoique brièvement, de l'apport immense d'internet dans leur activité, tout en apportant des nuances et en formulant des interrogations sur l'avenir ... puis, très vite, une question fuse dans la salle : vous nous décrivez des « vaguelettes », mais internet n’est-il pas plutôt le « tsunami » qui va engloutir libraires et éditeurs et tuer le livre ?

::: dans son numéro de cette semaine (682) (et en pdf sur le site), « LivresHebdo explore le Net et Second Life ».

::: et puis tout de même, découvrir le portail (béta) d’Europeana, présenté aujourd’hui au Salon.

jeudi 15 mars 2007

moi aussi

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Même si j'ai passé l'âge
et même si je suis trop riche pour ça,
j'en veux un moi aussi ...
un laptop couleur bonbon avec de très jolies interfaces.

mercredi 14 mars 2007

suivre des liens

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::: pour écouter les bruits du monde
::: pour visualiser les jolies montagnes de nos recherches
::: pour goûter l'enthousiasme d'un lecteur de blogs littéraires
::: pour comprendre pourquoi je me prends les pieds dans les nageoires : je suis poissons ascendant gémeaux ... c'est normal !
::: pour regretter qu'une popularité soit fondée sur une giffle et savoir ce qui fait trembler la France
::: pour découvrir ce qu'est un troll, un blog-papier, un gadget communicant ou un fil RSS ::: par exemple :::

dimanche 4 mars 2007

fenêtres froides et humides

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Emmanuelle Pagano a elle aussi donné un nouveau visage, blanc et bleu très sobre, « avec de belles belles fenêtres froides et humides », à son site, qui ne s'appelle plus (?) « Les corps empêchés ». Les nostalgiques peuvent voir comment c'était avant et son blog « dans la marge » est plus accessible à sa nouvelle adresse, directement sur la page d'accueil.

samedi 3 mars 2007

lotophage

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avant : « Après les quinze jours de dépression la phase maniaque est de retour. Donc là elle remplit comme une siphonnée son fameux site nouvelle version en trouvant la vie formidable. »

après : « Ma tête est aussi vide que le site V2 est plein. C'est étrange. Je pensais que ça me rassurerait, sept années compilées, traces quasi exhaustives. Mais visiblement je ne pense pas, je ne pense plus. Ou alors d'un travers parfaitement malhabile. »

De fait, la V2 du site de Chloé Delaume est très réussie, avec de très beaux nénuphars et aussi de très riches archives (textes publiés dans des ouvrages collectifs, des articles de presse, etc.).

vendredi 2 mars 2007

tourner la page

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::: n'a pas toujours été une évidence, comme le montre « Introducing the book » , une video norvégienne très drôle sur le passage du volumen au livre (découverte grâce à Daniel Garcia)

::: le « Browse & Search » de Random House, intéressant livre « widget » (pour Hubert Guillaud) ou « encapsulé » (pour Olivier Ertzscheid)

mercredi 28 février 2007

dans la boîte d'albâtre

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::: pour prolonger la « fosse à bitume », cette amusante bd de M. le Chieur : « De la dissolution des blougueurs dans la marinade de leurs idées noires » (avec la collaboration d’Alain Korkos et Edward Hopper)

::: à tester (un peu décevant pour ce qui concerne les auteurs français, quand même) et à suivre : Worldcat identities version beta

::: bonne nouvelle : Bernard Strainchamps, webmestre du regretté Mauvais genres, revient en ligne avec Bibliosurf, une librairie – portail (liens, entretiens, agrégateur rss, etc.)

::: enfin, à écouter, ce que dit Michel Serres de Wikipedia dans sa chronique, courte mais salutaire, « Le sens de l’info » (France info, 25 février 2007) : merci Cairo pour la suggestion !

mardi 27 février 2007

entassement non panoramique

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Un dernier détail de Piero della Francesca pour vous remercier d'avoir continué à lire et animer par vos commentaires les lignes de fuite pendant mon absence !

Je veux voir la boîte d’albâtre mystérieuse et translucide qu'y tient Marie-Madeleine comme une antidote à la déprimante « fosse à bitume » de François Bon, métaphore injustement négative pour rendre compte de l’entassement vertical des billets des blogs, en sédiments certes éphémères mais pas davantage promis à l’oubli que toutes les autres humaines créations.

Sans doute ce texte intéressant est-il très juste sur plusieurs points, mais il me semble accuser les blogs d’évolutions qui sont celles d’internet en général : en se démocratisant, les formes d’expression en ligne se sont aussi standardisées, et il n’est plus temps d’opposer des sites dont la forme serait travaillée et personnelle à des blogs sans personnalité ... ici comme là on trouve quelques pépites et beaucoup de déchets.

Je préfère pour ma part parcourir le chaos bavard d’internet comme Orion - aveugle et égaré - les carrefours de sens ... ou comme Michaux le dictionnaire :

Une de mes joies de toujours, c'est dans un état détaché, souvent sorti d'un découragement, de contempler un entassement non panoramique des efforts de l'humanité. Je prends donc un dictionnaire. Tous ces bourgeons humains, dans leur foule alphabétique (je ne lis aucune définition) bien plus qu'aucune grande idée, m'émeuvent et m'agrandissent tout en m'humiliant justement.
Étincelles du monde du dehors et du dedans, j'y contemple la multitude d'être homme, la vie aux infinies impressions et vouloir être, et j'observe que ce n'est pas en vain que le monde humain existe. Même je succombe bientôt à ces myriades d'orbites.

Henri Michaux, « Idées de traverses » (1942) dans Passages (Gallimard, p. 19-20)

lundi 12 février 2007

ceci tuera cela

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Après avoir lu les réponses de François Bon et de Berlol à un article où Francis Marmande (Le Monde, 8 février 2007) accuse la « toile cirée » d'internet de tuer la littérature, j'ai envie d'ajouter mon grain de sel en ricochant sur une autre expression. Comme trop souvent ceux qui accusent aujourd'hui internet de tous les maux, Francis Marmande cite en effet Victor Hugo :

« Oui, sans doute, voir le « Ceci tuera cela » de Hugo dans Notre-Dame de Paris. La Toile tuera le livre, vous avez raison, mais vous n’avez que raison. Cette mort promise du livre, de la littérature, du journal, plonge dans la joie sale qu’ont toujours éprouvée les nouveaux barbares devant ce qui les rassure. Rien à dire, rien à faire contre la conjuration des imbéciles et la revanche des 4 × 4. Vous avez raison, mais vous avez tort d’avoir raison. Nous n’avons que pauvrement raison d’avoir tort. »

... et comme chaque fois ce détournement d'intention et le fait que jamais personne ne pense à replacer cette citation dans son contexte hugolien m'agace.

La sentence « Ceci tuera cela » est en effet proférée dans Notre-Dame de Paris par le peu sympathique archidiacre de la cathédrale, Claude Frollo, en 1482 ; elle est ensuite développée par Hugo dans un long chapitre qui précise le sens de ces « paroles énigmatiques » : « ceci » c'est le livre et « cela » l'architecture religieuse ; l'écrivain applaudit à la victoire de « ceci », celle du livre, qui, depuis le moyen âge, s'est heureusement confirmée au moment où il écrit.

Quelques extraits de ce texte, qui de plus est très beau (et souvent pourrait fort bien décrire internet) à l'appui de ce propos :

Nos lectrices nous pardonneront de nous arrêter un moment pour chercher quelle pouvait être la pensée qui se dérobait sous ces paroles énigmatiques de l'archidiacre : Ceci tuera cela. Le livre tuera l'édifice.
À notre sens, cette pensée avait deux faces. C'était d'abord une pensée de prêtre. C'était l'effroi du sacerdoce devant un agent nouveau, l'imprimerie. C'était l'épouvante et l'éblouissement de l'homme du sanctuaire devant la presse lumineuse de Gutenberg. C'était la chaire et le manuscrit, la parole parlée et la parole écrite, s'alarmant de la parole imprimée ; quelque chose de pareil à la stupeur d'un passereau qui verrait l'ange Légion ouvrir ses six millions d'ailes. C'était le cri du prophète qui entend déjà bruire et fourmiller l'humanité émancipée, qui voit dans l'avenir l'intelligence saper la foi, l'opinion détrôner la croyance, le monde secouer Rome. Pronostic du philosophe qui voit la pensée humaine, volatilisée par la presse, s'évaporer du récipient théocratique. Terreur du soldat qui examine le bélier d'airain et qui dit : La tour croulera. Cela signifiait qu'une puissance allait succéder à une autre puissance. Cela voulait dire : La presse tuera l'église.
Mais sous cette pensée, la première et la plus simple sans doute, il y en avait à notre avis une autre, plus neuve, un corollaire de la première moins facile à apercevoir et plus facile à contester, une vue, tout aussi philosophique, non plus du prêtre seulement, mais du savant et de l'artiste. C'était pressentiment que la pensée humaine en changeant de forme allait changer de mode d'expression, que l'idée capitale de chaque génération ne s'écrirait plus avec la même matière et de la même façon, que le livre de pierre, si solide et si durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. Sous ce rapport, la vague formule de l'archidiacre avait un second sens ; elle signifiait qu'un art allait détrôner un autre art. Elle voulait dire : L'imprimerie tuera l'architecture.
(…)
L'invention de l'imprimerie est le plus grand événement de l'histoire. C'est la révolution mère. C'est le mode d'expression de l'humanité qui se renouvelle totalement, c'est la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une autre, c'est le complet et définitif changement de peau de ce serpent symbolique qui, depuis Adam, représente l'intelligence.
Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais ; elle est volatile, insaisissable, indestructible. Elle se mêle à l'air. Du temps de l'architecture, elle se faisait montagne et s'emparait puissamment d'un siècle et d'un lieu. Maintenant elle se fait troupe d'oiseaux, s'éparpille aux quatre vents, et occupe à la fois tous les points de l'air et de l'espace. Nous le répétons, qui ne voit que de cette façon elle est bien plus indélébile ? De solide qu'elle était elle devient vivace. Elle passe de la durée à l'immortalité. On peut démolir une masse, comment extirper l'ubiquité ? Vienne un déluge, la montagne aura disparu depuis longtemps sous les flots que les oiseaux voleront encore ; et, qu'une seule arche flotte à la surface du cataclysme, ils s'y poseront, surnageront avec elle, assisteront avec elle à la décrue des eaux, et le nouveau monde qui sortira de ce chaos verra en s'éveillant planer au-dessus de lui, ailée et vivante, la pensée du monde englouti.
Et quand on observe que ce mode d'expression est non seulement le plus conservateur, mais encore le plus simple, le plus commode, le plus praticable à tous, lorsqu'on songe qu'il ne traîne pas un gros bagage et ne remue pas un lourd attirail, quand on compare la pensée obligée pour se traduire en un édifice de mettre en mouvement quatre ou cinq autres arts et des tonnes d'or, toute une montagne de pierres, toute une forêt de charpentes, tout un peuple d'ouvriers, quand on la compare à la pensée qui se fait livre, et à qui il suffit d'un peu de papier, d'un peu d'encre et d'une plume, comment s'étonner que l'intelligence humaine ait quitté l'architecture pour l'imprimerie ? Coupez brusquement le lit primitif d'un fleuve d'un canal creusé au-dessous de son niveau, le fleuve désertera son lit.
(…)
Ainsi, pour résumer ce que nous avons dit jusqu'ici d'une façon nécessairement incomplète et tronquée, le genre humain a deux livres, deux registres, deux testaments, la maçonnerie et l'imprimerie, la bible de pierre et la bible de papier. Sans doute, quand on contemple ces deux bibles si largement ouvertes dans les siècles, il est permis de regretter la majesté visible de l'écriture de granit, ces gigantesques alphabets formulés en colonnades, en pylônes, en obélisques, ces espèces de montagnes humaines qui couvrent le monde et le passé depuis la pyramide jusqu'au clocher, de Chéops à Strasbourg. Il faut relire le passé sur ces pages de marbre. Il faut admirer et refeuilleter sans cesse le livre écrit par l'architecture ; mais il ne faut pas nier la grandeur de l'édifice qu'élève à son tour l'imprimerie.
Cet édifice est colossal. Je ne sais quel faiseur de statistique a calculé qu'en superposant l'un à l'autre tous les volumes sortis de la presse depuis Gutenberg on comblerait l'intervalle de la terre à la lune ; mais ce n'est pas de cette sorte de grandeur que nous voulons parler. Cependant, quand on cherche à recueillir dans sa pensée une image totale de l'ensemble des produits de l'imprimerie jusqu'à nos jours, cet ensemble ne nous apparaît-il pas comme une immense construction, appuyée sur le monde entier, à laquelle l'humanité travaille sans relâche, et dont la tête monstrueuse se perd dans les brumes profondes de l'avenir ? C'est la fourmilière des intelligences. C'est la ruche où toutes les imaginations, ces abeilles dorées, arrivent avec leur miel. L'édifice a mille étages, Çà et là, on voit déboucher sur ses rampes les cavernes ténébreuses de la science qui s'entrecoupent dans ses entrailles. Partout sur sa surface l'art fait luxurier à l'oeil ses arabesques, ses rosaces et ses dentelles. Là chaque oeuvre individuelle, si capricieuse et si isolée qu'elle semble, a sa place et sa saillie. L'harmonie résulte du tout. Depuis la cathédrale de Shakespeare jusqu'à la mosquée de Byron, mille clochetons s'encombrent pêle-mêle sur cette métropole de la pensée universelle. À sa base, on a récrit quelques anciens titres de l'humanité que l'architecture n'avait pas enregistrés. À gauche de l'entrée, on a scellé le vieux bas-relief en marbre blanc d'Homère, à droite la Bible polyglotte dresse ses sept têtes. L'hydre du Romancero se hérisse plus loin, et quelques autres formes hybrides, les Védas et les Niebelungen. Du reste le prodigieux édifice demeure toujours inachevé. La presse, cette machine géante, qui pompe sans relâche toute la sève intellectuelle de la société, vomit incessamment de nouveaux matériaux pour son oeuvre. Le genre humain tout entier est sur l'échafaudage. Chaque esprit est maçon. Le plus humble bouche son trou ou met sa pierre. Rétif de la Bretonne apporte sa hottée de plâtras. Tous les jours une nouvelle assise s'élève. Indépendamment du versement original et individuel de chaque écrivain, il y a des contingents collectifs. Le dix-huitième siècle donne l'Encyclopédie, la révolution donne le Moniteur. Certes, c'est là aussi une construction qui grandit et s'amoncelle en spirales sans fin ; là aussi il y a confusion des langues, activité incessante, labeur infatigable, concours acharné de l'humanité tout entière, refuge promis à l'intelligence contre un nouveau déluge, contre une submersion de barbares. C'est la seconde tour de Babel du genre humain.

Victor Hugo, Notre Dame de Paris (Livre Cinq, chapitre 2)

Sans vouloir faire parler les morts (quoique lui-même ait fait tourner les tables dans ce but) je gage que Victor Hugo (à qui je veux bien pour cela pardonner son « nos lectrices nous pardonneront... » peu féministe) se serait trouvé du côté de ceux que Marmande qualifie de « nouveaux barbares » et aurait vu dans la toile une troisième « tour de Babel » davantage qu'une « toile cirée » ...

samedi 10 février 2007

dans la direction des arbres

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quelques liens pour permettre à la pensée de « bondir plus avant »
::: on peut retrouver aujourd'hui les trois arbres d'Hudimesnil dans le tiers livre de François Bon ::: Proust dans le compte-rendu sous forme de blog inversé (Mémoire-de-la-Littérature) du séminaire "Marcel Proust" d'Antoine Compagnon au Collège de France ::: et les trois arbres de Monet, et de quelques autres, dans la boîte à images.

post scriptum ::: le séminaire Marcel Proust est également retranscrit par Madame de Véhesse - merci Guillaume) ::: et Jean-Claude Bourdais a croisé les trois arbres.

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