lignes de fuite

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

dimanche 13 janvier 2008

des têtes qui se décomposent

bernardino_luini_salome_portant_la_tete_de_jean_baptiste.jpg


Tout signifie et cependant tout est surprenant. Arcimboldo fait du fantastique avec du très connu : la somme est d'un autre effet que l'addition des parties : on dirait qu'elle en est le reste. Il faut comprendre ces mathématiques bizarres : ce sont des mathématiques de l'analogie, si l'on veut bien se rappeler qu'étymologiquement analogia veut dire proportion : le sens dépend du niveau auquel vous vous placez. Si vous regardez l'image de près, vous ne voyez que des fruits et des légumes ; si vous vous éloignez, vous ne voyez plus qu'un homme à l'œil terrible, au pourpoint côtelé, à la fraise hérissée (l'Été) : l'éloignement, la proximité sont fondateurs de sens. N'est-ce pas là le grand secret de toute sémantique vivante ? Tout vient d'un échelonnement des articulations. Le sens naît d'une combinatoire d'éléments insignifiants (les phonèmes, les lignes) ; mais il ne suffit pas de combiner ces éléments à un premier degré pour épuiser la création du sens : ce qui a été combiné forme des agrégats qui peuvent de nouveau se combiner entre eux, une seconde, une troisième fois.

(...) Tout se passe comme si, à chaque fois, la tête tremblait entre la vie merveilleuse et la mort horrible. Ces têtes composées sont des têtes qui se décomposent.

Roland Barthes, « Arcimboldo ou Rhétoriqueur et magicien », L’Obvie et l’obtus : Essais critiques III (Seuil,1982, p. 122-138)

L’exposition Arcimboldo du musée du Luxembourg se termine : ce peintre très intellectuel, qui nous semble aujourd'hui trop moderne pour appartenir à la Renaissance, y est fort bien mis en relation et en perspective avec les cabinets de curiosités, les poètes et les peintres de son époque.

J’y ai aussi découvert cette magnifique Salome tenant la tête de Jean Baptiste de Bernardino Luini (qui est conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne).

jeudi 4 octobre 2007

la bataille des couleurs

combas_le_cinema_nouvelle_religion_dominante.jpg

Robert Combas, « Le Cinéma nouvelle religion dominante »
« Tournage d'un film de guerre à l'arme blanche. Des arcs, des épées, des aches, des lances, des jupettes. Le soleil du Midi, de la Grèce ou de l'Italie, Filmage, son et photographie. Tout le monde pleure tout le monde rit. Le Cinéma c'est la nouvelle religion dominante. »

Ce tableau est l'un de ceux que l’on peut voir jusqu’au 25 novembre à la Malmaison, à Cannes, dans l'exposition « Cinéphage à gogo » : une série de rencontres détonantes entre la « figuration libre » de Combas et les mythes du cinéma, avec, comme ci-dessus, quelques réminiscences des « batailles » de la Renaissance italienne, ou, comme dans le tableau du billet antépénultième, « Hanuman Réalisateur Ex serviteur de Shiva », sous-titré : « Hanuman réalise un film sur sa vie de bodyguard de Shiva. Hanuman déplace les montagnes pour cueillir l'herbe magique et réaliser des films macrobiotiques et réaliser des films à Beholliwood », avec d'autres mythes.
(... en réponse à une demande "off" ...)

lundi 6 août 2007

chaque centimètre carré

piero_oeuf_bis.jpg

Une image n'est essentielle que si chaque centimètre carré de l'image est essentiel.

Michelangelo Antonioni, « Il est plus facile d'inventer », entretien avec André S. Labarthe, Cahiers du cinéma, 112, octobre 1960. Repris dans Écrits (1991) (Images modernes, 2003, p. 27)

Antonioni encore, pour signaler cette belle analyse de L'Eclipse par Philippe Lubac et les pages très complètes que lui consacre le Ciné-club de Caen (à voir aussi sur ce site la page sur quelques « Equivalences visuelles » entre peinture et cinéma). Quant à l'œuf, c'est un détail la Sainte conversation de Piero Della Francesca (1472, Milan, Pinacothèque de Brera)

dimanche 5 août 2007

c'est le cerveau qui est mis en scène

bebe_2001.jpg

Je ne résiste pas à citer également la suite du propos de Deleuze, qui concerne le cinéma de Stanley Kubrick :

La formule d'Antonioni ne vaut que pour lui, c'est lui qui l'invente. Les corps ne sont pas destinés à l'usure, pas plus que le cerveau à la nouveauté. Mais, ce qui compte, c'est la possibilité d'un cinéma du cerveau qui regroupe toutes les puissances, autant que le cinéma du corps les groupait aussi : c'est alors deux styles différents, et dont la différence elle-même ne cesse de varier, cinéma du corps chez Godard et cinéma du cerveau chez Resnais, cinéma du corps chez Cassavetes et cinéma du cerveau chez Kubrick. Il n'y a pas moins de pensée dans le corps que de choc et de violence dans le cerveau. Il n'y a pas moins de sentiment dans l'un et dans l'autre. Le cerveau commande au corps qui n'en est qu'une excroissance, mais aussi le corps commande au cerveau qui n'en est qu'une partie : dans les deux cas, ce ne seront pas les mêmes attitudes corporelles ni le même gestus cérébral. D'où la spécificité d'un cinéma du cerveau, par rapport à celle du cinéma des corps. Si l'on considère l'œuvre de Kubrick, on voit à quel point c'est le cerveau qui est mis en scène. Les attitudes de corps atteignent à un maximum de violence, mais elles dépendent du cerveau. C'est que, chez Kubrick, le monde lui-même est un cerveau, il y a identité du cerveau et du monde, tels la grande table circulaire et lumineuse de « Docteur Folamour », l'ordinateur géant de « 2001 l'odyssée de l'espace », l'hôtel Overlook de « Shining ». La pierre noire de « 2001 » préside aussi bien aux états cosmiques qu'aux stades cérébraux : elle est l'âme des trois corps, terre, soleil et lune, mais aussi le germe des trois cerveaux, animal, humain, machinique. Si Kubrick renouvelle le thème du voyage initiatique, c'est parce que tout voyage dans le monde est une exploration du cerveau. Le monde-cerveau, c'est « L'orange mécanique », ou encore un jeu d'échecs sphérique où le général peut calculer ses chances de promotion d'après le rapport des soldats tués et des positions conquises (« Les sentiers de la gloire »). Mais si le calcul rate, si l'ordinateur se détraque, c'est parce que le cerveau n'est pas plus un système raisonnable que le monde un système rationnel. L'identité du monde et du cerveau, l'automate, ne forme pas un tout, mais plutôt une limite, une membrane qui met en contact un dehors et un dedans, les rend présents l'un à l'autre, les confronte ou les affronte. Le dedans, c'est la psychologie, le passé, l'involution, toute une psychologie des profondeurs qui mine le cerveau. Le dehors, c'est la cosmologie des galaxies, le futur, l'évolution, tout un surnaturel qui fait exploser le monde. Les deux forces sont des forces de mort qui s'étreignent, s'échangent, et deviennent indiscernables à la limite. La folle violence d'Alex, dans « Orange mécanique », est la force du dehors avant de passer au service d'un ordre intérieur dément. Dans « L'odyssée de l'espace », l'automate se détraque du dedans, avant d'être lobotomisé par l'astronaute qui pénètre du dehors. Et, dans « Shining », comment décider de ce qui vient du dedans et de ce qui vient du dehors, perceptions extrasensorielles ou projections hallucinatoires ? Le monde-cerveau est strictement inséparable des forces de mort qui percent la membrane dans les deux sens. À moins qu'une réconciliation ne s'opère dans une autre dimension, une régénérescence de la membrane qui pacifierait le dehors et le dedans, et recréerait un monde-cerveau comme un tout dans l'harmonie des sphères. À la fin de « L'odyssée de l'espace », c'est suivant une quatrième dimension que la sphère du fœtus et la sphère de la terre ont une chance d'entrer dans un nouveau rapport incommensurable, inconnu, qui convertirait la mort en une nouvelle vie.

Gilles Deleuze, L’Image-temps. Cinéma 2 (Minuit, 1985, p. 267-268)

samedi 4 août 2007

les potentialités futures du cerveau couleur

matisse_la_desserte_rouge_1908.jpg

Très intéressant aussi ce que Gilles Deleuze écrit au sujet de Michelangelo Antonioni :

« Donnez-moi donc un corps » : c'est la formule du renversement philosophique. Le corps n'est plus l'obstacle qui sépare la pensée d'elle-même, ce qu'elle doit surmonter pour arriver à penser. C'est au contraire ce dans quoi elle plonge ou doit plonger, pour atteindre à l'impensé, c'est-à-dire à la vie. Non pas que le corps pense, mais, obstiné, têtu, il force à penser, et force à penser ce qui se dérobe à la pensée, la vie. On ne fera plus comparaître la vie devant les catégories de la pensée, on jettera la pensée dans les catégories de la vie. Les catégories de la vie, ce sont précisément les attitudes du corps, ses postures. « Nous ne savons même pas ce que peut un corps » : dans son sommeil, dans son ivresse, dans ses efforts et ses résistances. Penser, c'est apprendre ce que peut un corps non-pensant, sa capacité, ses attitudes ou postures. C'est par le corps (et non plus par l'intermédiaire du corps) que le cinéma noue ses noces avec l'esprit, avec la pensée. « Donnez-nous donc un corps », c'est d'abord monter la caméra sur un corps quotidien. Le corps n'est jamais au présent, il contient l'avant et l'après, la fatigue, l'attente. La fatigue, l'attente, même le désespoir sont les attitudes du corps. Nul n'est allé plus loin qu'Antonioni dans ce sens. Sa méthode : l'intérieur par le comportement, non plus l'expérience, mais « ce qui reste des expériences passées », « ce qui vient après, quand tout a été dit », une telle méthode passe nécessairement par les attitudes ou postures du corps. C'est une image-temps, la série du temps. L'attitude quotidienne, c'est ce qui met l'avant et l'après dans le corps, le temps dans le corps, le corps comme révélateur du terme. L'attitude du corps met la pensée en rapport avec le temps comme avec ce dehors infiniment plus lointain que le monde extérieur. Peut-être la fatigue est-elle la première et la dernière attitude, parce qu'elle contient à la fois l'avant et l'après : ce que Blanchot dit, c'est aussi ce qu'Antonioni montre, non pas du tout le drame de la communication, mais l'immense fatigue du corps, la fatigue qu'il y a sous « Le cri », et qui propose à la pensée « quelque chose à incommuniquer », l'« impensé », la vie. (p. 246-247)

antonioni_desert_rouge.jpg

Antonioni serait l'exemple parfait d'une double composition. On a souvent voulu trouver l'unité de son œuvre dans les thèmes tout faits de la solitude et de l'incommunicabilité, comme caractéristiques de la misère du monde moderne. Pourtant, selon lui, nous marchons de deux pas très différents, un pour le corps, un pour le cerveau. Dans un beau texte il explique que notre connaissance n'hésite pas à se renouveler, à affronter de grandes mutations, tandis que notre morale et nos sentiments restent prisonniers de valeurs inadaptées, de mythes auxquelles plus personne ne croit, et ne trouvent pour se libérer que de pauvres expédients, cyniques, érotiques ou névrotiques. Antonioni ne critique pas le monde moderne, aux possibilités duquel il « croit » profondément : il critique dans le monde la coexistence d'un cerveau moderne et d'un corps fatigué, usé, névrosé. Si bien que son œuvre passe fondamentalement par un dualisme qui correspond aux deux aspects de l'image-temps : un cinéma du corps, qui met tout le poids du passé dans le corps, toutes les fatigues du monde et la névrose moderne ; mais aussi un cinéma du cerveau, qui découvre la créativité du monde, ses couleurs suscitées par un nouvel espace-temps, ses puissances multipliées par les cerveaux artificiels. Si Antonioni est un grand coloriste, c'est parce qu'il a toujours cru aux couleurs du monde, à la possibilité de les créer, et de renouveler toute notre connaissance cérébrale. Ce n'est pas un auteur qui gémit sur l'impossibilité de communiquer dans le monde. Simplement, le monde est peint de splendides couleurs, tandis que les corps qui le peuplent sont encore insipides et incolores. Le monde attend ses habitants, qui sont encore perdus dans la névrose. Mais c'est une raison de plus pour faire attention au corps, pour en scruter les fatigues et les névroses, pour en tirer des teintes. L'unité de l'œuvre d'Antonioni, c'est la confrontation du corps-personnage avec sa lassitude et son passé, et du cerveau-couleur avec toutes ses potentialités futures, mais les deux composant un seul et même monde, le nôtre, ses espoirs et son désespoir. (p. 266- 267)

Gilles Deleuze, L’Image-temps. Cinéma 2 (Minuit, 1985)

C'est l'occasion de signaler que l'on peut écouter en ligne la voix au débit inimitable de Gilles Deleuze : dans ce cours il parle d'Antonioni.

vendredi 3 août 2007

l'objet représenté vibre

antonioni_la_nuit4.jpg

En contrechamp à mon billet d’avant-hier, quelques extraits de « Cher Antonioni… » de Roland Barthes : il s’agit de l’un des derniers textes de Barthes, écrit pour la remise à Michelangelo Antonioni du prix « Archiginnedio d’Oro », le 28 janvier 1980 à Bologne.

Dans sa typologie, Nietzsche distingue deux figures : le prêtre et l'artiste. Des prêtres, nous en avons aujourd'hui à revendre : de toutes religions et même hors religion ; mais des artistes ? Je voudrais, cher Antonioni, que vous me prêtiez un instant quelques traits de votre œuvre pour me permettre de fixer les trois forces, ou, si vous préférez, les trois vertus, qui constituent à mes yeux l'artiste. Je les nomme tout de suite : la vigilance, la sagesse et la plus paradoxale de toutes, la fragilité.
(…) J'appelle sagesse de l'artiste, non une vertu antique. encore moins un discours médiocre, mais au contraire ce savoir moral, celle acuité de discernement qui lui permet de ne jamais confondre le sens et la vérité. Que de crimes l'humanité n'a-t-elle pas commis au nom de la Vérité ! Et pourtant cette vérité n'était jamais qu'un sens. Que de guerres, de répressions, de terreurs, de génocides, pour le Triomphe d'un sens ! L’artiste, lui. sait que le sens d'une chose n'est pas sa vérité ; ce savoir est une sagesse, une folle sagesse, pourrait-on dire, puisqu'elle le retire de la communauté, du troupeau des fanatiques et des arrogants.
(…) Vous travaillez à rendre subtil le sens de ce que l’homme dit, raconte, voit ou sent, et cette subtilité du sens, cette conviction que le sens ne s'arrête pas grossièrement à la chose dite, mais s'en va toujours plus loin, fasciné par le hors-sens, c'est celle, je crois, de tous les artistes, dont l'objet n'est pas telle ou telle technique, mais ce phénomène étrange : la vibration. L'objet représenté vibre, au détriment du dogme.
(…) L’artiste est sans pouvoir, mais il a quelque rapport avec la vérité ; son œuvre, toujours allégorique si c’est une grande œuvre, la prend en écharpe ; son monde est l’Indirect de la vérité

(…) Un autre motif de fragilité, c'est paradoxalement, pour l’artiste, la fermeté et l'insistance de son regard. Le pouvoir, quel qu'il soit, parce qu'il est violence, ne regarde jamais ; s'il regardait une minute de plus (une minute de trop), il perdrait son essence de pouvoir. L'artiste, lui, s'arrête et regarde longuement, et je puis imaginer que vous vous êtes fait cinéaste parce que la caméra est un œil, contraint, par disposition technique, de regarder. Ce que vous ajoutez à cette disposition, commune à tous les cinéastes, c'est de regarder les choses radicalement, jusqu'à leur épuisement. D'une part, vous regardez longuement ce qu'il ne vous était pas demandé de regarder par la convention politique (les paysans chinois) ou par la convention narrative (les temps morts d'une aventure). D'autre part, votre héros privilégié est celui qui regarde (photographe ou reporter). Ceci est dangereux, car regarder plus longtemps qu'il n'est demandé (j'insiste sur ce supplément d'intensité) dérange tous les ordres établis, quels qu'ils soient, dans la mesure où, normalement, le temps même du regard est contrôlé par la société : d'où, lorsque l'œuvre échappe à ce contrôle, la nature scandaleuse de certaines photographies et de certains films : non pas les plus indécents ou les plus combatifs, mais simplement les plus « posés ».
L'artiste est donc menacé, non seulement par le pouvoir constitué - le martyrologe des artistes censurés par l'État, tout au long de l'Histoire, serait d'une longueur désespérante -, mais aussi par le sentiment collectif, toujours possible, qu'une société peut très bien se passer d'art : l’activité de l'artiste est suspecte parce qu'elle dérange le confort, la sécurité des sens établis, parce qu'elle est à la fois dispendieuse et gratuite (…).

Roland Barthes, « Cher Michelangelo », Cahiers du cinéma, 311, mai 1980.
Repris dans ses Œuvres complètes, V (Seuil, p. 901-904)

mercredi 1 août 2007

que l'imagination devienne intelligible

antonioni_aventura.jpg

Paris, le 18 octobre 1977, 9h
(...) Je me suis soudain rendu compte, à la façon inconsciente dont ce film est en train de naître, qu'il n'aboutira jamais à rien si je ne le guide pas. En d'autres mots, le moment est venu d'organiser les idées et seulement elles. De transformer tout ce qui est instinctif en réflexion. De penser à l'histoire en termes d'articulation de scènes, de début, de fin, bref de structures. Il faut que l'imagination devienne intelligible (j'allais dire comestible), il faut l'aider à se trouver un sens. Barthes dit que le sens d'une œuvre ne peut pas lui venir d'elle-même, que l'auteur ne peut produire que des présomptions de sens, des formes si l'on veut, et que c'est le monde qui les remplit.
Mais comment Barthes fait-il pour compter sur une entité aussi instable que le monde ?
Michelangelo Antonioni, « Le périlleux enchaînement des événements », Ce bowling sur le Tibre (1976) (Images modernes, 2004, p. 87-88)

à propos de Barthes, Antonioni écrit aussi :

On était très amis. Il a écrit un bref texte, Cher Antonioni, qui est peut-être la chose la plus belle qui ait été écrite sur moi. C'était un être tellement sensible et doux. Barthes n'était pas seulement un homme de culture, c'était vraiment un artiste ; ses essais sont pleins d'intuitions poétiques. Et c'était là son problème, dans le fait qu'il ne pouvait pas être seulement un essayiste.
Michelangelo Antonioni, Écrits (1991) (Images modernes, 2003, p. 173)

mardi 31 juillet 2007

éclipse

antonioni_notte3.jpg

Michelangelo Antonioni est mort lui aussi hier ... triste semaine !

post-scriptum : Jeanne Moreau ressemble tellement dans ce plan de La Notte à une vierge boudeuse de Piero Della Francesca, qui était le peintre préféré d'Antonioni, peintre lui-aussi.

je ritualise l'indicible

bergman_sarabande_tournage.jpg

Sur la table blanche avec ses rallonges, il y avait, au milieu des autres cadeaux de Noël de mon frère, le cinématographe avec sa cheminée recourbée, son élégante lentille de cuivre et le dispositif pour les rouleaux de films.
Ma décision fut immédiate, j'ai réveillé mon frère et je lui ai proposé une affaire. Je lui offrais mes cent soldats de plomb contre son cinématographe. Comme Dag avait une grande armée et qu'il était toujours impliqué dans des activités guerrières avec ses amis, l'accord fut conclu à la satisfaction des deux parties. Le cinématographe était à moi.
Ce n'était pas une machine compliquée. Comme source de lumière il y avait une lampe à pétrole et la manivelle était reliée à une roue dentée et une croix de Malte. Au fond de la boîte en tôle : un simple miroir. Derrière la lentille : un dispositif pour des projections en couleurs. Une boîte violette rectangulaire accompagnait l'appareil. Elle contenait, d'une part, quelques images sur verre et, d'autre part, un bout de film sépia (35 mm). Il mesurait à peu près trois mètres et il avait été collé pour former une boucle qui tournait sans fin. Il était indiqué sur le couvercle que le film s'appelait « Frau Holle ». Qui était cette « Frau Holle », personne ne le savait, mais il s'avéra plus tard qu'elle était un équivalent populaire de la déesse de l'amour dans les pays méditerranéens.
Le lendemain matin, je me retirai dans l'immense penderie attenante à la chambre des enfants, je posai l'appareil sur une caisse, j'allumai la lampe à pétrole et je dirigeai le faisceau de lumière sur le mur peint en blanc. Puis, je chargeai le film.
L'image d'un pré apparut sur le mur. Sur ce pré, une jeune femme dormait dans une robe apparemment folklorique. Quand je tournai la manivelle (il m'est impossible d'expliquer ça, je ne trouve pas de mots pour décrire mon excitation, mais je peux, à n'importe quel moment, me rappeler l'odeur du métal chaud, de l'antimite et de la poussière dans la penderie, la manivelle dans ma main et ce rectangle qui tremblotait sur le mur).
Je tournais la manivelle, la fille se réveillait, elle s'asseyait, elle se levait lentement, elle étendait les bras, elle se retournait et disparaissait à droite. Si je continuais à tourner la manivelle, la fille était de nouveau couchée, elle se réveillait et elle refaisait exactement les mêmes gestes.
Elle bougeait. (p. 29-30)

ingmar-bergman_laterna_magica.gif

Comme je porte en moi un continuel tumulte qu'il me faut surveiller, l'imprévu, l'imprévisible m'angoissent. Exercer mon métier devient ainsi une pédante organisation de l'indicible. Je transmets, j'organise, je ritualise l'indicible. Certains metteurs en scène matérialisent leur propre chaos et de ce chaos ils créent, dans le meilleur des cas, une représentation. J'ai horreur de cette sorte d'amateurisme. Je ne participe pas au drame, je le traduis, je le matérialise. Ce qui compte le plus pour moi, c'est de ne laisser aucune place à mes propres complications, elles ne peuvent être qu'une clef qui ouvrira les secrets du texte ou l'impulsion qui mettra en branle la créativité des comédiens. La répétition, c'est selon moi une opération chirurgicale dans un lieu aménagé à cet effet où règnent discipline, propreté, lumière et calme. Une répétition, c'est du travail bien fait, pas une thérapie privée pour metteur en scène et comédiens. (p. 50-51)

Le rythme de mes films, je le conçois en écrivant le scénario, à ma table de travail, et il naît devant la caméra. Toute forme d'improvisation m'est étrangère. S'il m'arrive parfois d'être obligé de prendre des décisions sans avoir le temps de réfléchir, je transpire et je me fige de peur. Faire un film, c'est pour moi planifier une illusion dans le moindre détail, c'est le reflet d'une réalité qui, au fur et à mesure que s'écoule ma vie, me paraît elle-même de plus en plus illusoire.
Le film, quand ce n'est pas un documentaire, est un rêve. C'est pourquoi Tarkovski est le plus grand de tous. Il se déplace dans l'espace des rêves avec évidence, il n'explique rien, d'ailleurs, que pourrait-il expliquer ? C'est un visionnaire qui a réussi à mettre en scène ses visions grâce au média qui est le plus lourd, mais aussi le plus souple de tous. J'ai frappé toute ma vie à la porte de ces lieux où lui se déplace avec tant d'évidence. Quelques rares fois seulement, je suis arrivé à m'y glisser. La plupart de mes efforts conscients ont abouti à des échecs gênants : L'Œuf du serpent, Le Lien, Face à face et ainsi de suite.
Fellini, Kurosawa et Bunuel circulent dans les mêmes quartiers que Tarkovski. Antonioni était sur le bon chemin, mais il s'est perdu, étouffé par son propre ennui. Méliès s'est toujours trouvé là, sans jamais y penser. Seulement, lui, c'était un magicien de métier.
Le cinéma en tant que rêve, le cinéma en tant que musique. Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme. Une petite misère de notre nerf optique, un choc, vingt-quatre images lumineuses par seconde, entre ces images, le noir, mais notre nerf optique n'enregistre pas le noir. Lorsque je suis à la table de montage et que je passe le film, image après image, je ressens encore la vertigineuse magie de mon enfance : je suis dans la penderie, je tourne lentement la manivelle, l'une après l'autre, je fais passer les images, j'enregistre en moi-même les imperceptibles changements, je tourne plus vite la manivelle et voilà un geste.
Qu'elles se taisent ou qu'elles parlent, ces ombres s'adressent directement à la chambre qui est en moi la plus secrète. L'odeur du métal chaud, l'image qui vacille, qui scintille, le cliquetis de la croix de Malte, la manivelle dans ma main. (p. 102-103)

Ingmar Bergman, Laterna magica, 1987, traduit du suédois par C.G. Bjurström et Lucie Albertini (Gallimard, Folio, 1991)

Ingmar Bergman est mort hier. C'est l'occasion de lire sa belle autobiographie (même si, concernant Antonioni, je ne suis pas d'accord avec lui).

vendredi 27 juillet 2007

demande au lecteur

claude-leveque-grand_sommeil.jpg

- Pourquoi vous êtes en pente ?
- Et pourquoi vous ne tombez pas ?

Ils étaient tous couchés dans leurs lits, les lits étaient tournés vers le sol, mais ils n’étaient pas attachés aux cadres des sommiers métalliques.

- Mais c’est toi qui es en pente, pas nous, dit C-C-C, lentement, distinctement, en détachant tous les mots.
- Tu comprends ?
- Qu’est-ce qu’il faut que je comprenne ?
- Demande au lecteur. Il a compris depuis un moment, lui.
- Pas sorcier. On lui dit tout. Mais à moi, on n’explique rien.
C-C-C haussa les épaules. Alice ne le vit pas hausser les épaules parce qu’elles étaient enfermées dans le scaphandre mais ce fut comme si elle les voyait. D’ailleurs il avait levé les yeux au ciel qui n’était pas là. Alice leva ses yeux à elle vers le plafond. Dans le plafond elle vit un œil. Un œil bleu la regardait fixement.
« J’avais raison. Il y a bien soixante-treize yeux. »
Lui rendant la pareille, sans se laisser intimider, elle le regarda avec une fixité au moins égale à la sienne. Alors l’œil s’élargit jusqu’à occuper le plafond (?) du vaisseau spatial ; entièrement. Le ciel étoilé apparut dans toute sa prétention universelle.
L’œil était dans le ciel et regardait Alice.

Roubaud / Lévêque, Alice et les 36 garçons (Mac/Val, fiction, 2006, p. 26-27)

Ainsi se termine l’avant-dernier chapitre de cette courte fiction (truffée de citations et où Alice, le temps d'une chute dans un puits, rencontre les mystérieux occupants de ces lits étranges) imaginée par Jacques Roubaud à l’occasion de l’exposition « Le Grand Sommeil » de Claude Lévêque (lui-même grand inventeur d’espaces-temps étranges où l’enfance tient souvent une grande place) au MAC/VAL.

Sur Claude Lévêque, voir fluctuat.net ou Artnews, et, sur « Le Grand Sommeil », le Petit journal du Mac/Val, Lunettes rouges ou fluctuat.net.

dimanche 1 juillet 2007

comme un pompéi mental

daniel_spoeri_le_petit_dejeuner_de_kichka_I_1960.jpg

Rien de plus significatif (…) que les tableaux-pièges de Spoerri : ces objets collés, tels qu’il les trouve un matin sur une étagère – ce Petit Déjeuner pétrifié, comme d’un Pompéi mental – une fois dressés verticalement sur le mur, donnent le vertige.
Il suffit d’un changement de point de vue pour transformer les objets de la vie quotidienne en symboles de mort et de fixité.

Alain Jouffroy, « Pour une révolution du regard », mai-décembre 1960 (Repris dans Une révolution du regard. À propos de quelques peintres et sculpteurs contemporains. Recueil de textes de 1953 à 1964, Gallimard, 1964)

De même, je ne connaissais Daniel Spoerri que très vaguement avant ma visite de l’exposition sur Le Nouveau réalisme, et ses « tableaux-pièges » m’ont fait une très forte impression, qu'Alain Jouffroy décrit fort bien dans ces quelques lignes, auxquelles je ne vois rien à ajouter.

Jardin de Daniel Spoerri

samedi 30 juin 2007

un désir de tout détruire

niki_de_saint_phalle_la_mort_du_patriarche_1962-72.jpg

J’ai aussi dans cette exposition découvert les premières œuvres de Niki de Saint Phalle, dont je connaissais essentiellement, comme beaucoup de monde je pense, les « Nanas » colorées ludiques et un peu galvaudées.

Les « Tirs », où des poches de peinture rouge sont éclatées au fusil pour ensanglanter des collages de plâtre et objets divers, sont un moyen pour la jeune artiste d’extérioriser et d'exorciser une violence subie : sont présentés ici « Old Master (petit tir) » (1961), « Hommage to Bob Rauschenberg (Shot by Rauschenberg) » (1961) et surtout « La Mort du patriarche » (1962-72) accompagné du film « Daddy » (1972) - très clair sur ce(lui) qu’il s’agit ici d'exécuter à la peinture rouge.

Il existe dans le cœur humain un désir de tout détruire. Détruire c'est affirmer qu'on existe envers et contre tout.
Niki de Saint Phalle (Mon Secret, La Différence, 1994)

::: le site du Jardin des tarots
::: un dossier pédagogique sur le Nouveau réalisme
::: une visite plus complète que la mienne (et avec des photos) de l’exposition.

vendredi 29 juin 2007

l'art est insensé

tinguely_balouba.jpg

L'art est total, car il peut être « fait » aussi bien de pierre et d'huile, de bois et de fer, d'air et d'énergie, de gouache, de toiles et de situations, d'imaginaire et d'obstination, d'ennui, de bouffonnerie, de colère, d'intelligence, de colle et de fil de fer ou d'opposition.

Jean Tinguely (cité dans l'Art Vivant, n°7, janvier 1970)

J’ai toujours éprouvé beaucoup d’intérêt et de tendresse mêlée pour les machines de Jean Tinguely, dont plusieurs sont présentées dans l’exposition consacrée au Grand Palais au Nouveau réalisme (si elle vous tente, ne traînez pas, elle se termine lundi 2 juillet) : de la conceptuelle « Machine à dessiner (Métamatic 1) » (1959) à l’énorme et bruyante machine suicidaire qui s’autodétruit tragiquement pendant trente minutes dans « Hommage à New York : Études pour une fin du monde I et II » (Jardins du MoMA, New York, 1960), en passant par mes préférées, les frêles et délicates « Baloubas » (1962) à plumes et à fleurs.

Autre citation de Tinguely, citée dans Le Nouveau réalisme (Beaux Arts, hors série, avril 2007) :

« L’art est insensé et – comme tout – non dépourvu de sens »

Le site du Musée Tinguely à Bâle

jeudi 14 juin 2007

de grands livres de plomb

kiefer_sephirots.jpg

Pour moi, chaque livre recèle en lui comme une onde qui se soulève, qui forme une vague que je donne à voir lorsque j’en déploie les pages ou que je les mets en scène comme une suite infinie : le livre fait partie de la mer…

« Les bourreaux ont-ils gagné ? », entretien d’Anselm Kiefer avec Pascal Amel (Art Absolument, 2007, p. 10)

Parmi les œuvres d’Anselm Kiefer, me touchent particulièrement celles – nombreuses - qui contiennent des livres : de grands livres de plomb abandonnés parmi les gravats, ou serrés sur des étagères au milieu des éclats de verre, comme dans « Chute d’étoiles (Sternenfall) », celle des « maisons » qui donne son nom à la belle exposition qu’héberge actuellement la nef du Grand Palais dans le cadre de Monumenta. Ces livres trop grands, aux pages parfois réellement écrites mais scellées, ne peuvent être lus ; mais sont aussi présentes – sur les murs ou dans les tableaux – de nombreuses citations de livres lus : ici Paul Celan, Ingeborg Bachmann, Céline, etc.

On peut voir ici des oeuvres d'Anselm Kiefer en ligne, et surtout (elle n'est pas en ligne) lire la belle monographie de Daniel Arasse, aux Éditions du Regard.

lundi 21 mai 2007

the air is on fire

lynch_rain3.jpg

Depuis le 6 mai il pleut et il fait froid à Paris : à défaut de partir jogguer à Brégançon, on peut visiter l'exposition « The air is on fire » consacrée par la Fondation Cartier au David Lynch peintre et plasticien, qui, si elle ne remonte pas franchement le moral, stimule les neurones.
De nombreux croquis et aquarelles proposés au sous-sol sont très intéressants ; m'a également accrochée la série de peintures-collages (à la Rauschenberg) consacrée à la « perte de l'innocence » d'un certain Bob, par exemple celles intitulées « Bob Meets the Redman » (2000) et « Bob Finds Himself in a World for which He Has No Understanding » (2000) - ce dernier titre résonnant comme un résumé programmatique de l'œuvre cinématographique de Lynch.
Sur le site de la Fondation Cartier, on trouve une visite virtuelle de l'exposition présentée par le cinéaste qui donne une assez bonne vision d'ensemble. On peut aussi lire en ligne des articles plus complets ici, ou .

lundi 5 février 2007

étranges estampes

tabaimo_affiche.jpg

J'ai la mauvaise habitude d'aller voir les expositions à la dernière minute : il est donc aujourd'hui trop tard pour aller voir à la Fondation Cartier les installations de Tabaimo, de son vrai nom Ayako Tabata, née en 1975 à Hyogo.

Les trois installations proposées (quatre autres sont présentées grâce à des vidéos) mettent en scène des films d’animation à l’atmosphère très singulière, qui ont la particularité d’être dessinés à la main et d’unir les couleurs et certains thèmes des estampes du 19ème siècle à la technologie informatique. Dans Japanese Commuter Train (2001) le spectateur pénètre le décor banal des wagons d’un train de banlieue où se déroulent des scènes d'une inquiétante étrangeté : une femme s'envole par la fenêtre, des bras trop entreprenants sont coupés comme des queues de lézard, des passagers transformés en sushis, etc. ; dans Haunted House (2003), il peut s’adonner au plaisir du voyeurisme en promenant son regard, à travers une longue vue, sur les façades et fenêtres anonymes d’une ville. J'ai trouvé ces expériences émouvantes et troublantes, d'autant qu'à la sortie le boulevard Raspail nocturne exposant les larges baies vitrées de ses ateliers d'artistes transformés en appartements bourgeois permettait de poursuivre l'observation voyeuriste.

Dans sa Boîte à images, KA, même s'il se montre un peu critique, décrit ces œuvres de manière approfondie (comme à son habitude), et en propose de nombreuses reproductions.

samedi 20 janvier 2007

un ange passe

solveig_donmartin_ailes_du_d_sir.jpg

vendredi 29 décembre 2006

larmes existentielles

ernesto_neto.png

Vu également il y a quelques jours, in extremis avant qu'il ne soit désinstallé le 31 décembre, le Léviathan Thot qu'Ernesto Neto (né à Rio en 1964) a crée pour le Panthéon. Cette oeuvre est un exemple très réussi de la manière dont la cohabitation des contraires peut admirablement fonctionner et émouvoir : les formes féminines, organiques, vivantes de cette sculpture sont confrontées à l'architecture masculine et minérale du lieu ; nature et culture (dans ce temple du rationalisme qu'est le Panthéon), gravité et légèreté (les poids et contrepoids de la société-Léviathan), immobilité et mouvement s'opposent et se mêlent ; en plus, tous les enfants ont envie (et le droit) de toucher, et ça sent la lavande...

Dans le commentaire video très brillant (et drôle) qu'Ernesto Neto fait de son oeuvre, il explique avoir voulu notamment redonner son sens premier à l'architecture religieuse en croix en y inscrivant une forme humaine (corps dans la nef / tête dans le choeur / bras dans les transepts / esprit sous la coupole) et introduire dans ce temple de la raison des larmes humaines qui ne soient pas des larmes de tristesse mais des « larmes existentielles ».

Pour compléter, lire en ligne :
la présentation de cette oeuvre
« Clair et Neto », par Henri-François Debailleux dans Libération
et le commentaire de Lunettes rouges

jeudi 28 décembre 2006

imprégnation de l'espace

klein_ci_git_l_espace.jpg

Yves Klein fait également l'objet d'une exposition très intelligente au Centre Georges Pompidou : davantage sans doute que les oeuvres exposées (ci-dessus Ci gît l'espace, 1960), sont surprenants car beaucoup moins connus les enregistrements visuels et sonores de l'artiste qui les accompagnent, par exemple cet étonnant « Manifeste de l'Hôtel Chelsea » (New York, 1961) ou Klein affirme notamment :

Ni les missiles, ni les fusées, ni les spoutniks ne feront de l’homme le « conquistador » de l’espace. Ces moyens-là ne relèvent que de la fantasmagorie des savants d’aujourd’hui qui sont toujours animés de l’esprit romantique et sentimental qui était celui du XIXe siècle. L’homme ne parviendra à prendre possession de l’espace qu’à travers les forces terrifiantes, quoiqu’empreintes de paix, de la sensibilité. Il ne pourra vraiment conquérir l’espace – ce qui est certainement son plus cher désir qu’après avoir réalisé l’imprégnation de l’espace par sa propre sensibilité. La sensibilité de l’homme est toute puissante sur la réalité immatérielle. Sa sensibilité peut même lire dans la mémoire de la nature, qu’il s’agisse du passé, du présent ou du futur ! C’est là notre véritable capacité d’action extra-dimensionnelle !

Pour lire le reste de cette conférence, voir le dossier de l'exposition (Centre Georges Pompidou).

mardi 26 décembre 2006

machines signifiantes

rauschenberg_charlene_1954_bis.jpg

Pour quelques jours encore le Centre Georges Pompidou expose les Combines (1953-1964) de Robert Rauschenberg (né en 1925).
J'ai découvert Robert Rauschenberg grâce à Claude Simon, qui dans les Corps conducteurs évoque notamment Charlene (1954, ci-dessus) et Canyon (1959).
J'aime l'alchimie (intime et universelle, signifiante et énigmatique) qui réunit dans ses « combinaisons » des reproductions de Piero della Francesca ou Hokusai, les ailes d'Icare, des photographies d'actualité et la chèvre tuée dans son enfance par son père.
J'aime aussi que le terme qu'il choisit pour désigner ses oeuvres - « combines » - soit celui qui désigne alors dans son Texas natal une machine agricole multifonction, du type moissonneuse-batteuse (où l'on retrouve Claude Simon).

Quelques citations glanées sur les murs de l'exposition :

Si vous ne changez pas d'état d'esprit lorsque vous êtes face à un tableau que vous n'avez jamais vu, soit vous êtes sacrément entêté soit le tableau n'est pas très bon.

J’essaie de contrôler mes habitudes de voir, de les contrarier à la recherche d’une grande fraîcheur.
J’essaie de ne pas être familier avec ce que je fais.

Un tableau ressemble davantage au monde réel s'il est réalisé avec des éléments du monde réel.

L'erreur c'est d'isoler la peinture, c'est de la classifier. J'ai employé des matériaux autres que la peinture, afin qu'on puisse voir les choses d'une manière neuve, fraîche.

Je les appelle « combines », c'est à dire œuvres combinées, combinaisons. Je veux ainsi éviter les catégories. Si j'avais appelé peintures ce que je fais, on m'aurait dit que c'étaient des sculptures, et si j'avais appelé cela des sculptures, on m'aurait dit qu'il s'agissait de bas reliefs ou de peintures.

Robert Rauschenberg, entretien avec André Parinaud (1961) dans Robert Rauschenberg, œuvres de 1949 à 1968 (Musée d’Art moderne de la ville de Paris, 1968, p. 723-726)

- page 2 de 3 -