lignes de fuite

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

dimanche 15 février 2009

la liseuse n’était plus là

chute_livre.jpg

... simplement quand je suis revenu pour les grandes vacances après Pâques la liseuse n’était plus là je me rappelle que sans rien dire je l'ai cherchée d'abord dans cette pièce ou plutôt ce salon de l'aile droite qui communiquait de plain-pied avec le jardin par deux portes-fenêtres et qu'on avait aménagé pour elle comme une chambre pour pouvoir la sortir facilement couchée sur la liseuse recouverte de cette cretonne à petits bouquets et aux fines rayures roses, pas un de ces meubles de jardin en bambou ou rotin mais un meuble d'appartement avec des pieds en bois noir (ébène ?) tournés et pourvus de roulettes pivotantes inutilisables dans le gravier si bien qu'on devait le porter avec étendu dessus ce corps réduit à quelques os recouverts d'une peau desséchée ce qui n'en augmentait pas beaucoup le poids mais qu'il fallait tout de même se mettre à deux pour le déplacer à mesure que se déplaçait aussi l'ombre de la rangée de ces arbres dont je ne sais pas exactement le nom moitié cyprès moitié cèdres au feuillage un peu lugubre vert sombre si toutefois on peut appeler feuilles ces courtes brindilles en forme d'arêtes de poisson grosses comme des petites brindilles qui sont celles de cette espèce de conifères mais je ne l'ai trouvée nulle part, me demandant si pour éviter que je la voie ils ne l'avaient pas vendue ou brûlée ou détruite à coups de hache et jetée au pourrissoir du côté du bois de pins et même là sans en avoir l’air j’ai cherché si je pouvais en voir des morceaux mais je n’ai rien trouvé

Claude Simon, Le Tramway (Minuit, 2001, p. 68-70)

(pourquoi j'ai du mal à appeler « liseuse » mon cybook ou votre sony :
à cause de la « liseuse » de la mère mourante dans le Tramway)

samedi 14 février 2009

le vertige de la ligne de crête

magritte_reproduction_interdite.gif

Je crois avoir décidé et pourtant l’instant d’après j’ai une espèce de panique en imaginant ce moment bizarre où je dirais « coucou, ce type qui est devant vous, ne croyez pas que c’est celui que vous connaissez, ce type qui va vous parler c’est le blogueur Valclair », ce moment bizarre où, tout à coup, je serai double. Jusqu’à présent je suis Valclair pour les gens qui me lisent (même si pas mal de mes blogamis connaissent mon nom d’état civil), je suis celui qui porte mon nom d’état civil pour les gens que je fréquente dans l’association (même si quelques uns, mais peu, savent que je suis aussi Valclair). Et là je serai d’emblée, dans le regard que les gens porteront sur moi, complètement et totalement les deux.

Bien sûr vous direz : ben quoi, il n’y a là rien d’extravagant, plein de gens jouent de plusieurs identités sans que l’une soit forcément étanche à l’autre. N’empêche je ressens ce moment comme très troublant. Je croyais être à l’aise avec ça, pouvoir assumer sans difficulté la situation et finalement ce n’est pas si simple.

écrit ce soir Valclair, qui, depuis quelque temps déjà, se demande s'il va faire se rejoindre son identité de la vraie vie avec son identité de blogueur : coutumière de ce genre de tempêtes sous un crâne à propos de toute décision, et grande adepte du pseudonymat, même si j'ai un peu laissé mes identités se mélanger ces derniers temps, je lui exprime ici toute ma compassion.

vendredi 13 février 2009

la fin des petits livres d'I/I

giraudon_aimees.gif kaplan.gif
viel_maladie.gifcouv_caligaris_medium.jpg

Dans ma boîte mail ce soir une triste nouvelle : Patrick Cahuzac annonce la fin de l'aventure d'Inventaire/Invention et de ses petits livres en ligne/papier.

Chers amis,
Au mois de décembre 2008 et, de nouveau, en janvier 2009, le Conseil général de Seine-Saint-Denis, notre principal partenaire depuis 10 ans, nous a refusé une subvention pour l'année 2008 et l'avance habituelle de notre subvention de fonctionnement, versée en début d'année, pour 2009. Il ne nous a pas été donné d'explication bien claire au sujet de ce désengagement brutal (d'autant plus brutal qu'une convention nous liait jusqu'en 2010).
La gestion de l'association ne saurait être en cause puisqu'en dix ans d'existence, nous n'avons jamais été déficitaires. Il semblerait que l'explication soit à chercher du côté de « la nouvelle politique culturelle » du conseil général de Seine-Saint-Denis, mise en oeuvre depuis le changement de majorité politique de cette assemblée, en mars 2008...
Le Conseil général savait parfaitement qu'en agissant ainsi, il nous condamnait. Ce retrait brutal s'est en effet produit au pire moment de l'année, lorsque nos caisses sont vides. Il ne nous laissait aucune chance.
Comme il n'était pas dans les intentions de nos autres partenaires (Drac et Conseil régional) de pallier au désengagement du conseil général de Seine-Saint-Denis, nous avons été contraints de nous placer en cessation de paiement. La liquidation de l'association sera probablement prononcée dans les jours prochains par le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Depuis les élections présidentielles de mai 2007, la vie de l'association était devenue difficile. L'Etat avait réduit son aide de près de 50%. Continuer n'allait pas de soi. Certains savent que je travaillais à peu près bénévolement depuis ce temps dans le but de préserver l'équilibre financier de l'association et de ne licencier personne. C'était précaire mais nous y arrivions. Les ateliers de lecture étaient conduits dans des dizaines de classe, en Seine-Saint-Denis principalement, les livres paraissaient, le site était vivant...
Inventaire/Invention a été une aventure intellectuelle et humaine extraordinaire. Elle a été possible grâce à des hommes et des femmes qui ont aimé ce projet et qui s'y sont reconnus, s'y sont investis, y ont cru. Je les remercie tous et toutes, du fond du coeur.

Patrick Cahuzac
le 9 fevrier 2009

I/I
Parc de la Villette
211, avenue Jean-Jaurès 75019 Paris
info@inventaire-invention.com

jeudi 12 février 2009

un grimoire aux couleurs de fée aquatique

travail_de_riviere.jpg

Dans ma boîte aux lettres ce soir, la surprise d'un magnifique objet : sous une jacquette en simili cuir bleu, douce comme un gant et qui sent bon, un grimoire vert pailleté aux couleurs de fée aquatique s'ouvre sur des pages vert d’eau où le texte est un peu délavé.

Le travail de rivière (Dissonances, 2009)
...le texte est de Laure Limongi et le livre de Fanette Mellier.

Si vous en voulez un aussi, il sera en librairie le 17 février.

Lecture/concert d'extraits du « Travail de rivière » au Musée de Chaumont par Laure Limongi sur une improvisation musicale d'Olivier Mellano.

mercredi 11 février 2009

pas d’amour sans preuves d’amour

::: « il n’y a pas d’amour sans preuves d’amour »

::: une lecture marathon de la Princesse de Clèves devant le Panthéon (Fabula)

::: quelques parodies littéraires pour rire un peu (Fabula)

::: le Sarkothon 2009 (BibliObs)

::: Barbara Cassin, « On classe les chercheurs comme Google classe les sites » (Rue89)

::: sauvons la recherche.fr

parce que même si je n’enseigne ni ne cherche plus je me sens encore un peu enseignante-chercheuse - et en tout cas solidaire - ces jours-ci !

mardi 10 février 2009

nager entre deux rives

tina2.jpg

J'ai souvent l'impression de nager entre deux rives, pour reprendre l'expression de Chateaubriand.
J'ai l'impression de nager entre la rive d'une littérature toute occupée du sens, cherchant à dire la violence du monde, cherchant à saisir les orties de la réalité (la formule est d'Arno Schmidt), et la rive d'une littérature de plus en plus marginale, de plus en plus reléguée, de plus en plus chétive, qui, elle, cherche encore des formes.
Du point de vue de la forme, j'ai ce même sentiment. Celui de nager entre une rive hyperclassique (la rive du bien-dire français, du grand style, du grand genre, des périodes de douze pieds, tatata tatata tatata tatata, des imparfaits du subjonctif que vous épatâtes le monde Monsieur, etc) et la rive comico-grotesque : blagues, énormités, allusions sexuelles de mauvais goût, charges politiques à coups de trique etc.
J'ai dit « entre ». J'ai dit nager entre. Entre deux rives. Je n'ai pas dit au milieu. Je n'ai pas dit : dans la moyenne. Je n'ai pas dit : écrit en langue moyenne.
Le recours pour moi, au clacissisme, à l'absolu bien-dire du clacissisme, à sa perfection, à son excessive perfection est, précisément, l'une des façons de rompre avec cette langue moyenne dont nous sommes abreuvés et que j'abhorre. Idem pour le recours au grotesque, à l'exagération, au vulgaire, au mal-dire, à la poétique du « trop » (dont j'ai parlé pour Antonio Lobo Antunes) : autre façon de rompre avec cette modération et ce sens de la mesure qui sont devenues des marques françaises (à quelques exceptions près).
Tout, donc, sauf la moyenne.
Et que vive le baroque ! Ce que j'appelle le baroque. Cette fornication contre nature du classicisme de Pascal (clacissisme extrême auquel j'essaie de tendre) et du mauvais goût espagnol toujours prêt à jaillir, pour résumer la chose en quelques mots.
(…)
J'ai habité longtemps dans une barre HLM, j'ai parlé enfant un français très incorrect, j'ai eu honte d'avoir un père ouvrier et qui s'exprimait comme une vache espagnole, je pourrais continuer comme ça à vous arracher des larmes pendant un long moment. Mais si je vous dis tout cela, c'est uniquement pour que vous compreniez que la colère, elle commence là.
Elle commence très exactement là.
Devant cette infériorité là.
Devant cette injustice-là.
Et cette colère là devant cette infériorité là, devant cette injustice-là, cette colère là demeure toute la vie. Rien à faire. J'y suis, j'y reste.
Mais tandis qu'elle (la colère) se tient tranquille dans ma vie disons quotidienne, elle se réveille, intacte, absolument intacte, absolument vivace dès lors que je fais le geste d'écrire. C'est bizarre. C'est inexplicable. Et j'en suis toujours la première surprise.
J'ai le sentiment parfois que cette colère qui s'écrit relève de la pulsion, d'une pulsion cruelle, irrépressible, qui cogne la phrase, qui cloue la ponctuation, qui déchire comme disent les jeunes, et dont je dois absolument contrôler la violence. Pour le dire d'une façon moins effrayante, la colère est pour moi, comme pour Achille, ma muse. Chante ô déesse, la colère d Achille... Mais une muse qui finit souvent par éclater de rire, parce que trop, c'est trop.

Un bel entretien de Lydie Salvayre par Chloé Delaume, p. 152-161, dans le numéro 2 (20 janvier 2009) de la revue TINA. There is no alternative

Lydie Salvayre vient de publier Petit traité d’éducation lubrique (Cadex, 2008)

lundi 9 février 2009

la légèreté intime du trait

poitrasson.jpg

Les lignes, les lignes, comme des rayures sur la peau, des mots distendus relançant la blancheur des propos. Une fonte des neiges en bouche, un filet s’écoule, des syllabes en tombent, forment de bruyantes zébrures, un iceberg dans le fond d’un verre, sa crête étincelante, sous l’eau, une masse somnolente aux variations bleues assourdit et fragilise le corps, au fond s’agitent les mots laissés muets, n’ayant pas encore fait surface. S’ils atteignent la ligne de flottaison, terre de liquidité, ils seront éclairés à vide, les lignes se dissoudront et la crête, abrupt de la langue fondra subrepticement, émaciant à jamais le blanc. Sous la peau ces couches glaciaires génèrent une telle fossilité verbale. Si dense. La faire émerger.

Virginie Poitrasson, Tendre les liens (publie.net, 2009, p. 8)

Pour les lignes de mots ... et pour la « légèreté intime du trait » (p.18) des lignes dessinées au bas de chaque page (la belle mise en page est due à Fred Griot).

Virginie Poitrasson est aussi traductrice de poésie contemporaine américaine, éditrice, plasticienne.
Elle a publié Demi-valeurs (Éditions de l’Attente, 2008)

::: son blog :::

samedi 7 février 2009

lignes de fuite neuronales

fibres_cerveau.jpg

::: et c'est encore mieux en vidéo (Technology Review)

vendredi 6 février 2009

racing against l'aube

eros_melancolique.jpg

Il était peut-être quatre heures et demie. Quatre heures et demie du matin. Je lisais. Mon ordinateur s'est réveillé de son sommeil; il a émis un klang ; la routine de consultation du courrier venait de rapatrier un message. Ce message, expédié à 4:10 a. m., provenait de Jacques Roubaud.

Il y a longtemps que Jacques Roubaud se lève de bonne heure. Nombre d'indices l'attestent (dont ses courriers électroniques). Il l'avoue.
On sait aussi qu'il se couche tôt.
Je me lève tard. Je me couche tard. Au point que cette heure tardive déborde la bonne heure roubaldienne. Il se lève bien avant que je ne me couche. (Mais il se couche bien après que je suis levée.)
Je sais donc, tandis que je lis la nuit, carrée dans mon fauteuil, les pieds posés sur mon bureau ou sur une étagère de ma bibliothèque, je sais qu'il est probable, tandis que je lis, racing against l'aube, qu'à l'autre bout de la ville au moins un autre est réveillé, écrivant, lisant dans le silence et la solitude de ces heures nocturnes qui espacent les sons et distancient les vies.
Il était peut-être quatre heures trente du matin ce jour-là, et le message électronique de Jacques Roubaud me demandait, au cas où je ne dormirais pas (ce qu'il estimait probable) et n'étais occupée à rien d'important ou d'intéressant, de l'appeler au plus tôt. Surprenante urgence. Ceci n'arrive jamais.
Je l'ai donc appelé immédiatement.
Aussitôt décroché, Allô etc., il m'a dicté une adresse web. Une page assez sobre est apparue sur mon écran. Page que je reproduis ci-après.

Jacques Roubaud et Anne F. Garréta, Éros mélancolique (Grasset, 2009, p. 7-8)

En rentrant du Jeudi de l'Oulipo de ce soir, dont le thème n'était pas « Les présidentielles » mais « Cherchez la petite bête », j'ai commencé la lecture de l'étrange opus que semble être ce volume à quatre mains oulipiennes, dont l'incipit, en tout cas, me parle !

::: Monique Petillon, « Roubaud, Garréta et le manuscrit trouvé sur Internet », Le Monde des livres, 15 janvier 2009

jeudi 5 février 2009

se défaire s'en aller en morceaux

triptyques_simon.gif

s'élevant parmi les fleurs sauvages la folle et pathétique végétation des étés éphémères m'attendant à la voir peu à peu se défaire s'en aller en morceaux s'écrouler la vaste maison comme rongée par d'invisibles termites une secrète mélancolie avec ses pignons rococo ses galeries ses balcons ouvragés dentelles de bois jaunies par le temps entre les feuillages pâles comme ces très vieilles dames à la peau desséchée momies sur lesquelles des oripeaux fanés

Claude Simon, « Nord », Archipel et Nord (Minuit, 2009, p. 24)

Ce beau passage, qui évoque certaines de mes pages préférées d’Histoire, pour signaler une riche actualité simonienne :

::: sous ce titre Archipel et Nord, les éditions de Minuit publient deux courts textes, inédits en France, parus en 1974 dans les revues finlandaises Åland et Finland.

::: pour prolonger la lecture, d’autres textes de Simon publiés dans des revues sont depuis très longtemps disponibles sur le site de Patrick Rebollar

::: Les triptyques de Claude Simon ou l'art du montage, un livre accompagné d’un dvd édité par Mireille Calle-Gruber aux Presses de la Sorbonne Nouvelle (2009), est une intéressante « marqueterie » de documents variés et pour la plupart inédits : scenarii, correspondance, textes, manuscrits, plans de montage, entretiens, films, photographies, etc.

::: Le 13e Séminaire de l’Association des Amis de Claude Simon, consacré à « Claude Simon et l’art américain », aura lieu samedi 7 février 2009 à la Sorbonne.

mercredi 4 février 2009

étant donné un mur

L'ESPACE
I
Étant donné un mur, que se passe-t-il derrière ?
II
Quel est le plus long chemin d'un point à un autre ?
III
Étant donnés deux points, A et B, situés à égale distance l'un de l'autre, comment faire pour déplacer B sans que A s'en aperçoive ?
IV
Quand vous parlez de l'Infini, jusqu'à combien de kilomètres pouvez-vous aller sans vous fatiguer ?
V
Prolongez une ligne droite jusqu'à l'infini : qu'est-ce que vous trouverez au bout ?

Jean Tardieu, « Petits problèmes et travaux pratiques »
Un mot pour un autre (Gallimard, 1951)
Repris dans Le Professeur Froeppel (Gallimard, 1978, p. 154-155)

mardi 3 février 2009

un peu d’urbanisme en société

paillard_piscines.jpg

C’était sans compter sur l’autre, là. Le milliardaire. Tom Cruise Junior. Imaginez vous en face de lui. L’homme est vautré sur sa chaise longue. Athlétique. Bronzé. Soudain dressé sur ses jambes. Hop ! Vous surplombant d’une bonne tête. Évidemment… Avec ses invraisemblables cothurnes. Des semelles de vingt centimètres d’épaisseur. Plus hautes que les talons du roi Soleil !
Les plus belles piscines du monde.
Son visage. Non mais son visage… Son visage désormais à quelques centimètres du vôtre. Son visage étrangement lisse. Refait de neuf. Par les plus grands artistes du scalpel. Son visage comme numérisé. Et au milieu du visage cette fente ourlée. Cette brèche mouillée d’où sortent des mots insidieux. Visqueux. Minaudés. Des mots façonnant des questions enveloppantes. Des questions émises d’une voix ridiculement barytonneuse.
Les plus belles piscines du monde.
Et en bas. Tout en bas. Une dizaine de doigts de pieds. Outrageusement manucurés. S’agitant bizarrement dans leurs cothurnes. S’égayant même. Infâmes vers de terre. À mesure que la situation devenait pour moi plus embarrassante. Plus insupportablement embarrassante. Plus incompréhensible, aussi. Vous m’avez bien entendu. Plus indéchiffrable.
Les plus belles piscines du monde.

Jean-François Paillard, Les plus belles piscines du monde (publie.net, 2009, p. 39-41)

::: « les plus belles quoi ? (piscines, imbécile !) » : ce que Jean-François Paillard en dit sur son blog

::: « où l’on embauche Tom Cruise et la mode pour un peu d’urbanisme en société » : ce que son éditeur François Bon en dit sur le sien

lundi 2 février 2009

le second « premier numéro »

nrf1.jpg


Il y a 100 ans, le 1er février 1909 (après un faux-départ et un premier « premier numéro » le 15 novembre 1908, suivi par une reprise en main par André Gide), paraissait le second et véritable « premier numéro » de La Nouvelle Revue Française.

Belle longévité pour une aventure éditoriale qui a eu ses grandes et ses moins reluisantes époques, mais qui a très certainement marqué le siècle littéraire passé.

::: les 100 ans des éditions Gallimard

::: un entretien avec Michel Braudeau par William Irigoyen

::: le colloque organisé à la BnF le 6 février

dimanche 1 février 2009

petite racine dans le rhizome

Est-ce que je la laisserais photographier mes mains si elle s'asseyait en face de moi dans le métro ? et est-ce que j'accepterais de lui parler de mes mains ? ... il est probable que je préfèrerais ne pas ... mais les mains de autres m'intéressent !

Petite racine est le blog de Cécile Portier, qui a publié auparavant Contact (Seuil, Déplacements, 2008).

samedi 31 janvier 2009

si un roman est capable de tuer

delaume_cri_du_sablier.gif

Je lis à Théophile une page de mon carnet.

Liste des raisons pour lesquelles je dois tuer ma grand-mère en écrivant un livre (extraits) :

- Elle m'a raconté des histoires, à moi de la raconter, elle.

- Ma grand-mère ne me considère pas comme une écrivaine, mais comme une paumée publiée. Je dois lui démontrer qu'elle a tort, en faisant un roman qui lui charcute le cœur.

- Il n'existe pas de pilules contre la grand-mère, pourtant les symptômes persistent. Il faut donc trouver une thérapie adaptée, qui mêle revanche et guérison. À noter que les psychotiques ne peuvent suivre d'analyse, et qu'il est très urgent de trouver une solution.

- Ceux qui ont des univers sains et ouverts, leurs livres sont moches et débiles. Christine Angot, L'Usage de la vie.

- Ma grand-mère n'aime pas les animaux domestiques, les hommes encore verts à leur âge, le vernis à ongles noir, les surprises, que je me fasse remarquer, les orages, lire autre chose que Télé 7jours, le bruit de chaînes que font parfois les esprits sur le plancher, la viande trop cuite, le groupe Indochine, qu'on fasse une belle réputation à la famille dans le quartier, que les gens pensent que Mamie est méchante, passe sa vie à se faire les ongles et n'a jamais aimé qu'elle-même. Les faits + ma haine = une bonne matière romanesque. N.B.: reprendre ce paragraphe intact, calculer le nombre de signes. Conclure qu'en moins de cinq cents la vieille peut trépasser.

- La littérature est devenue le territoire du commerce et du divertissement. Rappeler qu'elle est, et avant tout, une arme semble nécessaire en ce moment.

- Personne ne prend au sérieux la littérature. Si un roman est capable de tuer, ne serait-ce qu'une vieille dame, l'État va investir, les budgets du ministère de la Culture et du Centre national du livre vont notablement augmenter, soutenant ainsi de nombreux poètes schizophrènes et écrivains non salariés, ce qui peut donc sauver le monde.

Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre (Seuil, Fiction & Cie, 2009, p. 116-118)

Et voilà comment l'autofiction peut sauver le monde !

::: le « mardi littéraire » de Pascale Casanova sur et avec Chloé Delaume conseillé et commenté par Berlol.

vendredi 30 janvier 2009

échapper à la métonymie

delaume_maison.jpg





Il y a du vent, beaucoup de vent. Le ciel s'est un peu épaissi. Je m'approche, aucune fleur. Mais des plantes, des bambous, des pots cubiques en verre. Du terreau, des petits galets. La stèle est combinée à une borne de téléchargement. Toute l'œuvre de Clotilde, soit quarante-sept romans, treize pièces de théâtre, deux cent vingt-deux textes et trente-neuf ans de blog, y est disponible en format numérique. Il suffit d'en approcher sa liseuse pour en faire l'acquisition.

C'est une amie de Clotilde qui a supervisé les images et les mots qui dévisagent sa vie pour mieux la récrire au futur antérieur. Clotilde ne voulait pas se plier au rituel. Depuis quelques années les morts avaient tous leur montage, diaporama, voire court métrage, elle trouvait cela de mauvais goût. On voyait le corps s'abîmer, gonfler et s'affaisser, ou parfois, au contraire, le déni restait souverain, les images s'appliquaient à n'être que jeunesse, sourires, vivacité.

La surenchère déjà illuminait les tombes, les survivants des uns concurrençant les autres ; honneur, bonheur, fierté. De chaque famille, de chaque vie achevée : une vraie publicité. Elle aurait préféré, Clotilde, qu'il y ait de la musique, sa musique intérieure. Celle qui se jouait au-dedans aux tout derniers instants, parce qu'elle la trouvait belle. Et juste, aussi, si juste. Tellement qu'elle aurait pu en pleurer. Elle aurait bien aimé, Clotilde, que cette musique-là se glisse par Bluetooth dans les oreillettes de quiconque venu se recueillir. Puisque la plénitude ne pouvait être partagée, elle aurait voulu, justement, pouvoir en offrir quelques notes, ruisselantes, pâles et aiguës. Des mp3 étaient bien disponibles, mais il ne s'agissait que de ses pièces sonores.

Il y a du vent, beaucoup de vent. Qui empoisse mes cheveux et affole mon carnet. Je regarde Théophile, lui signifie : c'est trop. Le soleil se raidit, les bourrasques s'éteignent. Théophile me sourit et me dit : à présent, s'il vous plaît, regardez. Alors je fixe l'écran, mais ne saisis pas tout.

Ce ne sont pas tant les traits, la silhouette de Clotilde qui se modifient au fil des ans, à travers ces quatorze minutes. C'est plutôt le décor des prises qui évolue. Je vois des librairies et des brasseries connues, des maisons d'édition identifiables, aussi. Et puis au second tiers, maintenant, je ne sais plus trop. Les lieux, méconnaissables.
Beaucoup de choses se passent devant des ordinateurs. Design épuré, dématérialisation confondante. Clotilde est une femme mûre, lecture sur sa liseuse dans une pièce blanche, peut-être une galerie d'art où tout serait décroché. Il y a des bornes et des écrans, le public fait la queue devant des exemplaires fraîchement imprimés par une machine à livres.

Je regarde Théophile, mes pupilles lui renvoient mon interrogation. Il s'éclaircit la gorge et se meut en voix off. Il dit : les rayons des hypers ont terrassé les librairies. Il ajoute : pour pallier au surendettement, nombreuses sont celles qui ont limité leur fonds aux classiques et aux seuls contemporains bancables. Un livre de littérature contemporaine reste en rayon trois mois. Les stocks explosent, des millions de livres sont passés au pilon. Les grands groupes réduisent le budget de leur secteur recherche et multiplient les coups commerciaux. Les maisons indépendantes sont parallèlement accusées de surproduction. Faillites et dépôts de bilan. Sur internet, les wannabe s'impatientent, dénonçant la consanguinité de la République Bananière des Lettres. Les auteurs surexploités en sont rendus à avoir recours à des agents. C'est dans ce marasme que les premières maisons d'édition numérique voient le jour. Les textes circulent au creux des écrans. Les grands groupes numérisent à leur tour leur catalogue. Peu à peu les livres ne sont plus qu'imprimés à la demande via des structures adaptées. La mise en place n'existe plus, l'éditeur se focalise sur son rapport au texte ; le libraire redevient le conseiller privilégié du lecteur, sans s'encombrer de gestion de stocks. La mutation du secteur, loin de nuire à la littérature, lui permet d'échapper à la métonymie qui lui a collé à la peau au cours du XXe siècle. Le mot livre n'est plus littérature, la machine folle liée à la production d'objets s'effondre. Plutôt que d'être lus par cent vingt-deux personnes, les auteurs de littérature non commerciale et les écrivains expérimentaux se font massivement publier sur support numérique. À l'instar des iPod, dont les playlistes comportent au moins 10 % de bizarreries, les bibliothèques nomades hébergent un quota d'étrangetés. De là à avancer que chaque texte a sa chance, indépendamment de son label, je ne sais pas, s'arrête soudainement Théophile. Le lecteur est un consommateur qui fait confiance à des marques (les maisons d'édition), des prescripteurs (les libraires) et des leaders d'opinion (les blogs littéraires et leur communauté, certains critiques littéraires). Là, vous voyez Clotilde Mélisse en train de déclarer : le livre est mort, vive la littérature. Elle a fait suivre cette phrase d'un point d'exclamation.

Théophile fait une pause, allume une cigarette. La bibliophilie contemporaine se développera parallèlement, ne vous inquiétez pas. Ceux qui ont le goût du papier y gagneront, soyez-en sûre. Il y aura des livres-objets, des formes plus inventives, qui se trouveront en librairie. C'est un renouveau, pas une chute. Il m'agite son index vers un gros plan de Clotilde. Me sous-titre : voyez-vous, elle sera la première à avoir tout quitté, un exil très concret, un territoire en friche, l'abandon du Château et de ses dépendances. Ses textes sont accessibles partout. À un clic du client, à égalité avec les auteurs formatés, ceux sur qui les maisons investissent. Dans n'importe quelle librairie, elle est téléchargeable. Clotilde a fini libre, totalement autonome. Théophile s'enthousiasme : c'est un sujet de roman.

Je ne comprends pas très bien le CQFD de l'histoire. D'autant que Clotilde Mélisse, à la base, c'est moi qui l'ai inventée. Dans d'autres livres, le lecteur la croise, écrivaine militante, un creuset à fantasmes, un transfert très grossier. La voilà qui m'échappe, et à pleins paragraphes. Je ne l'avais en rien destinée à cela, je l'avais laissée en suspens, quelque part, à sa trentaine, entre la vie et l'éboulement. Je ne saisis pas le sens de ce tour de passe-passe, au fond de moi, je crois, en fait, j'ai un peu peur.

Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre (Seuil, Fiction & Cie, 2009, p. 25-29)

Intéressant, le futur des cimetières et celui du livre selon Chloé Delaume, même si ce n'est pas le propos central de ce livre, dans lequel l'écrivaine retrouve la veine autofictive du Cri du sablier pour explorer avec précision, distance et humour (noir) une « biographie » très singulière.

::: un bel article de Marc Pautrel, « L'écriture ou la vie » (6 janvier 2008)
::: Erwan Desplanques, « Un règlement de comptes familial en forme de monologue fantaisiste » (Télérama, 10 janvier 2009)

jeudi 29 janvier 2009

en grève générale et reconductible sans préavis

zazie2.jpg

::: grève générale du 29 janvier 2009

mercredi 28 janvier 2009

vers un horizon purement mathématique

gautier_sediments.jpg

Elle advient cette ville mal établie, fragile sur ses fondations.
Le paysage flotte entre tes cils. Les murs, vibrant de clarté sans matière, les façades, pareilles à des paravents, sont des toiles fines qui gonflent et dégonflent. Tu es allongé sur le côté, les odeurs de sous-sol dans les narines. Tu entends la machinerie du métro, un bruit de soufflet de forge, une respiration profonde et caverneuse.
Le reste n’a pas plus d’épaisseur.
Une suite de droites balançant au-dessus des gouffres que la course des nuages incline. Des parallélépipèdes, des lignes de fuite obliquant vers un horizon purement mathématique. Des segments des axes des projections dans l’azur, un ciel sans cesse repoussé.
Quelques pas claquent contre le bitume. Des silhouettes mordues par la lumière, amoindries, fragilisées, traversent rapidement ton champ de vision tandis que s’étale le ras de terre, extrêmement proche, puis flou, ondulant. Les grains de poussière, ta main au milieu comme une chose morte posée devant tes yeux. Dans chaque pierre un paysage miniature, des veines en rivières, des arbres flageolants, un condensé de ciel dans les sédiments.
Une tache sombre sur le ciment comme une île affleurante au milieu d’une mer.
Tu fermes les yeux, aspiré par le vide tiède que ton corps referme comme un couvercle et enflent alors les souffles, les échos, les soupirs d’une cité sous terre. Murmures tirés des fonds, pressentiment de voûtes humides, de catacombes, eaux claires des puits souterrains, silence distendu.
Et enflent alors les chocs assourdis des machines, sifflements, circulation des fluides, bruit de pompe, aspiration, éjection — ce qui ne se tient plus adossé dans le jour se relie au-dessous en venelles et couloirs, enchevêtrement de câbles, de tuyaux confondus-dissociés — fuite des corps, battement des cœurs innombrables et spasmes peut-être, imprévus.

Virginie Gautier, Les Sédiments (publie.net, 2009, p. 54-56)

Qu'on se le dise : depuis quelques jours, les particuliers peuvent aussi s’abonner pour avoir accès à tout le catalogue de publie.net, et la lecture à l’écran est désormais proposée également dans une version « codex » que je préfère très nettement à l’ancien « feuilletage ».

mardi 27 janvier 2009

prix hors-saison

le Prix des Deux Magots 2009 a été décerné à Bruno de Cessole, pour L'heure de la fermeture dans les jardins d'Occident aux éditions de La Différence.

fuir ennui du toujours même

antonioni_avventura2.jpg

TÉLEGRAMME

MOI JAMAIS CONTENT RESTER MÊME CHOSE
MOI TOUJOURS PARTIR NOUVEAU
FUIR ENNUI DU TOUJOURS MÊME
TOUJOURS ESPÉRER TROUVER FENÊTRE
AU BOUT TUNNEL APRÈS SUIE ET OMBRE
TOUJOURS VOULOIR BRISER ENTRAVES
OUVRIR PORTE SAUTER MONTER
LÀ-HAUT-LÀ OÙ NOIR-NOIR
S’ÉCARTE OÙ BRILLE AURORE
TOUJOURS FRAÎCHEUR TOUJOURS
INCONNU RECONNU

(De nulle part. An zéro.
Signé : Personne)

Jean Tardieu, Comme ceci comme cela : poèmes (Gallimard, 1979, p. 60)

- page 10 de 57 -