lignes de fuite

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lundi 28 juillet 2008

plog

Plog, dit Vladislav, qui semblait utiliser cette onomatopée pour dire « certes », ou « entendu », ou « évidemment », Adamsberg ne savait pas très bien. Le jeune homme paraissait goûter ce petit mot inédit comme un bonbon neuf, dont on mange toujours trop au début. (p. 238)

- Plog, murmura Adamsberg.
- Qu’entends-tu par « plog » ?
- C’est un mot de Vladislav, dont le sens varie selon le contexte. Qui peut signifier « certes », « exactement », « d’accord », « compris », « trouvé », ou éventuellement « foutaises » . C’est comme une goutte de vérité qui tombe. (p. 319)

Fred Vargas, Un lieu incertain (Viviane Hamy, 2008)

voir aussi :
- « la plog attitude » (Gilda)
- « Plog. (...) C'est comme une goutte de vérité qui tombe. » (Cathulu)

dimanche 27 juillet 2008

point de démence

vargas_un_lieu_incertain.jpg

Le commissaire Adamsberg savait repasser les chemises, sa mère lui avait appris à aplatir l'empiècement d'épaule et à lisser le tissu autour des boutons. Il débrancha le fer, rangea les vêtements dans la valise. Rasé, coiffé, il partait pour Londres, il n'y avait pas moyen de s'y soustraire.
Il déplaça sa chaise pour l'installer dans le carré de soleil de la cuisine. La pièce ouvrait sur trois côtés, il passait donc son temps à décaler son siège autour de la table ronde, suivant la lumière comme le lézard fait le tour du rocher. Adamsberg posa son bol de café côté est et s'assit dos à la chaleur.
Il était d'accord pour aller voir Londres, sentir si la Tamise avait la même odeur de linge moisi que la Seine, écouter comment piaillaient les mouettes. Il était possible que les mouettes piaillent différemment en anglais qu'en français. Mais ils ne lui en laisseraient pas le temps. Trois jours de colloque, dix conférences par session, six débats, une réception au ministère de l'intérieur. Il y aurait plus d'une centaine de flics haut de gamme tassés dans ce grand hall, des flics et rien d'autre venus de vingt-trois pays pour optimiser la grande Europe policière et plus précisément pour « harmoniser la gestion des flux migratoires ». C'était le thème du colloque.
Directeur de la Brigade criminelle parisienne, Adamsberg devrait faire acte de présence mais il ne se faisait pas de souci. Sa participation serait légère, quasi aérienne, d'une part en raison de son hostilité à la « gestion des flux », d'autre part parce qu'il n'avait jamais pu mémoriser un seul mot d'anglais. Il termina son café paisiblement, lisant le message que lui envoyait le commandant Danglard. Rdv dans 1h20 à l'enregistrement. Foutu tunnel. Ai pris veste convenable pour vous, avec crav.
Adamsberg passa le pouce sur l'écran de son téléphone, effaçant ainsi l'anxiété de son adjoint comme on ôte la poussière d'un meuble. Danglard était mal adapté à la marche, à la course, pire encore aux voyages. Franchir la Manche par le tunnel le tourmentait autant que passer par-dessus en avion. Il n'aurait cependant laissé sa place à personne. Depuis trente ans, le commandant était rivé à l'élégance du vêtement britannique, sur laquelle il misait pour compenser son manque naturel d'allure. À partir de cette option vitale, il avait étendu sa gratitude au reste du Royaume-Uni, faisant de lui le type même du Français anglophile, adepte de la grâce des manières, de la délicatesse, de l'humour discret. Sauf quand il laissait choir toute retenue, ce qui fait la différence entre le Français anglophile et l'Anglais véritable. De sorte, la perspective de séjourner à Londres le réjouissait, flux migratoire ou pas. Restait à franchir l'obstacle de ce foutu tunnel qu'il empruntait pour la première fois. (p. 7-8)

Je passe beaucoup de temps à réduire ce traumatisme, son fusible saute sans cesse.
- Il a un fusible ?
- Tout le monde en a, et même plusieurs. Chez lui, c'est le F3 qui saute. Par mesure de sécurité, comme sur un réseau électrique. Tout cela n'est que science, commissaire. Structure, agencements, réseaux, circuits, connexions. Os, organes, éléments connecteurs, le corps tourne, vous comprenez.
- Non.
- Prenez cette chaudière, dit Josselin en désignant l'appareil au mur. Une chaudière n'est pas une addition d'éléments disjoints, caisse, arrivée d'eau, circulateur, joints, brûleur, clapet de sécurité. Non, c'est un ensemble synergique. Que le circulateur s'encrasse, alors le clapet saute, alors le brûleur s'éteint. Vous saisissez ? Tout se tient, le mouvement de chaque élément dépend de celui de l'autre. Si vous vous tordez le pied, l'autre jambe se fausse, le dos bascule, le cou réagit, la tête a mal, l'estomac se rétracte, l'appétit s'en va, l'action s'alentit, l'anxiété s'installe, les fusibles sautent. Je vous simplifie la chose.
- Pourquoi le fusible de Francisco saute-t-il ?
- Zone figée, dit le médecin en pointant un doigt sur l'arrière de son crâne. Là où est son père. La case est fermée, le basi-occipital ne bouge plus (p. 164-165)

À chacun de ses pas, ses idées montaient et descendaient en vrac, comme il en avait l’habitude, poissons plongeant dans l’eau, remontant en surface, qu’il n’essayait pas d’attraper. Il avait toujours fait ainsi avec les poissons qui flottaient dans son crâne, il les avait toujours laissés libres de nager à leur guise, d’effectuer leur danse rythmée par le choc de ses pas. (p. 305)

Adamsberg n'était pas un homme émotif, effleurant les sentiments avec prudence, comme les martinets touchent les fenêtres ouvertes d'une caresse de l'aile, évitant de s'y engouffrer, tant le chemin pour sortir est ensuite difficile. Il avait souvent trouvé des oiseaux morts dans les maisons du village, imprudents et curieux visiteurs incapables de retrouver l'ouverture par laquelle ils étaient entrés. Adamsberg estimait que, en matière d'amour, l'homme n'est pas plus futé qu'un oiseau. Et qu'en toute autre matière, les oiseaux l'étaient beaucoup plus. (p. 316)

Fred Vargas, Un lieu incertain (Viviane Hamy, 2008)

Ce que j'aime dans les romans de Fred Vargas, ce n'est pas tant l'habileté de ses intrigues que la précision avec laquelle elle met le doigt sur le « point de démence » qui fait le charme des gens selon Deleuze ; policiers, criminels et personnages secondaires ont tous leur folie personnelle et c'est par elle qu'ils séduisent, au point qu'on se désole de ne pas retrouver certains d'entre eux d'un roman à l'autre, comme les évangélistes, ou la vieille dame hackeuse de Sous les vents de Neptune (brillamment interprétée par Jeanne Moreau dans le téléfilm de Josée Dayan) : « un homme abîmé en vaut dix » (p. 381), dit Adamsberg.

« Certains parlent de « construction diabolique », tu parles ! Là, je viens juste de me rendre compte qu’Adamsberg et Danglard sont une seule et même personne, comme les personnages du maître et du valet au théâtre. Mais je ne veux pas trop réfléchir à tout ça, sinon je ne vais plus pouvoir jouer ma partie et la laisser filer librement. » déclare l'auteur dans un entretien avec Sabrina Champenois (Libération, jeudi 19 juin 2008)

d’autres entretiens en ligne :
- une vidéo et un tchat (Rue89)
- un entretien avec Delphine Peras (L’express, 19 juin 2008)
et des articles :
- Alain Nicolas (L’Humanité, le 3 juillet 2008)
- Gérard Meudal (Le Monde, 27 juin 2008)
- Michel Abescat (Télérama, n° 3050, 28 juin 2008)

samedi 26 juillet 2008

leçon de vacances

Dans son blog Balles au bond. Considérations inactuelles sur les choses du temps, Denis Grozdanovitch, écrivain et « flâneur actif », dispense de précieux conseils concernant « l'épineux problème des vraies vacances » ou « la sieste méridienne » : salutaire !

jeudi 24 juillet 2008

nous n'avons rien à raconter

hammershoi2.jpg

Nous n'avons rien à raconter
si ce n'est la légende
sous la peau des voleurs,
les cavalcades, les errements
de tous les dépossédés
dont la salive enrobe
l'air, l'air, l'air.

Entre l'air et l'air vivent les poèmes
à la fois volatils et transparents.
Mais les mots sont pourtant bien réels,
évoquant cœurs et mannequins,
de taupes ou d'odradek.
S'unissent alors solitudes et folies aériennes.

Entre l'air et l'air (Mont analogue, 1997)

N'écris que pour écrire
ou pour trouver la faille
d'un gouffre, en toi,
tapissé de bleu,
qui chuinte et qui englobe
ta lasse mélancolie.

Mens sans cesse et les mots
t'étoufferont, te feront
mourir à petite écriture.
Et t'effaceront peu à peu
ton cher bleu, ta carcasse.
Et l'aube anéantira
tes châteaux de poussière.

Le bleu et la poussière (La Différence, 1998)

Jacques Izoard, Œuvre poétique, 2 (La Différence, 2006, pp. 319, 321, 388 et 442)

Jacques Izoard (29 mai 1936 - 19 juillet 2008) est mort il y a quelques jours.
à lire en ligne :
::: notice Poezibao
::: notice du Service du Livre Luxembourgeois
::: René de Ceccatty, « Jacques Izoard, poète » (Le Monde, 23 juillet 2008)

la planète des singes

« C’est la planète des singes, où le totem est une grosse couille érigée sur la place du village. »

::: définition d'internet par Philippe Val (Charlie Hebdo, 23 juillet 2008), qui se trompe de cible !

mercredi 23 juillet 2008

yeees i want a dead simple web tablet too !

dead_simple.jpg

une idée tentante de Michael Arrington
(la traduction française est là)

::: c’est grave docteur ?

mardi 22 juillet 2008

le référent résiste

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Mais vers la fin de ce siècle désastreux, son fils, ayant connu à son tour la guerre, devenu le très vieil homme que son père n'avait jamais été, se souvenait encore de ceci : il a quatre ans, il est à la porte du fond du jardin et un voisin le taquine ; il réclame sa mère et on lui dit qu'elle est couchée dans sa chambre, qu'il ne faut pas la déranger. Elle vient d'apprendre la mort de son mari. (p. 45)

Depuis plusieurs années sans doute elle portait cela en elle. Le chagrin fut le noir terreau où le mal poussa librement ses racines. Quand elle cracha du sang, il était déjà trop tard. Mais il était trop tard depuis le 27 mai 1918, tous les jours écoulés depuis étaient en trop. Elle garda le lit et le médecin de campagne qui chaque matin arrêtait son cabriolet devant le portail blanc interdit que son fils l'approchât par crainte de la contagion. Toute sa vie il devait se souvenir de cette porte fermée, de l'odeur d'éther qui envahissait l'escalier en bas duquel il restait assis pendant des heures. (p. 85)

La place est baignée de lumière en cette fin d'après-midi de juin. Il règne dans Paris l'ivresse légère du week-end qui est là. Attablé à la courte terrasse d'un café empiétant sur le trottoir, il a commandé une bière qu'il n'a pas encore touchée et dont les bulles se pressent en foule vers la surface mousseuse sans jamais se rencontrer. Le soleil plonge dans la profondeur de la chope que couvre une légère buée. Il ferme un instant les yeux et la couleur d'or reste imprimée sous ses paupières. Puis il ouvre un petit carnet à spirale, écrit quelques mots qui serviront peut-être un jour, peut-être pas, il n'en sait rien encore. De temps en temps, il s'efforce de distinguer derrière l'écran des platanes l'immeuble de pierre qui fait angle de l'autre côté de la place, mais le feuillage est trop touffu. Il n'est pas l'heure encore. Il boit une gorgée de bière, regarde au fond de la place l'entrée monumentale de la caserne. Les voitures glissent devant lui, les ombres des passants. Il pense à des passants anciens qu'il n'a pas connus. Il est plus ému encore que les autres fois à cause de cet étrange court-circuit de la mémoire. (p. 91)

Jean-Yves Laurichesse, Place Monge (Le Temps qu’il fait, 2008)

Très troublante est la lecture de Place Monge, le premier roman de Jean-Yves Laurichesse, pour qui est familier (comme l’est l’auteur) de l’œuvre de Claude Simon : car l’histoire racontée est étrangement proche (le père mort à la guerre, la mère peu de temps après, en 1924, de chagrin et de maladie, la place Monge, les prénoms, Pierre, Charles...) et en même temps totalement différente (les époux sont des cousins germains nés dans le même village et pas issus de régions et de milieux sociaux éloignés, le tombeau du père existe…) de celle des parents de Simon, sur laquelle il est revenu dans plusieurs de ses romans.

Ma première lecture formait l’hypothèse que tout était faux et très habile dans ce jeu de miroirs et de coïncidences montrant le petit-fils rendant visite place Monge au grantécrivain vivant dans la même cage d'escalier que son grand-père ; mais un article de Jérôme Garcin, lu ce soir, affirme que l’histoire est celle des grands-parents de l’auteur : le référent résiste ; et je me demande, alors, de quelle manière « le petit-fils de l’officier » a lu, à travers ce prisme familial, les romans de Simon.

Jean-Yves Laurichesse est né en 1956 à Guéret.
Professeur de littérature française contemporaine à l’Université de Toulouse-Le Mirail, il a publié des essais critiques et des ouvrages collectifs sur Claude Simon, Richard Millet, Jean Giono, l’imaginaire et l’intertextualité, et dirige la publication des Cahiers Claude Simon.

post-scriptum : pour ceux qui aiment la couverture et Vilhelm Hammershøi, je conseille cette belle page de Jean-Claude Bourdais.

lundi 21 juillet 2008

qu’est-ce qui se passe dans la tête de quelqu’un ?


Gilles Deleuze, « N comme Neurologie et cerveau » (Abécédaire)

madeleine

bon je sais c'est kitsch ... mais je l'écoutais en boucle au lycée ...
tout ça c'est de la faute de Berlol qui m'a donné envie d'un petit tour sur YouTube après un dimanche de travail : à cause d' « Antisocial », qu'il citait, j'ai pensé à Capdevielle et enchaîné avec beaucoup plus kitsch encore (je vous l'épargne) pour terminer par de longs extraits de l' « Abécédaire » de Deleuze, afin de relever le niveau.

dimanche 20 juillet 2008

toute ligne droite n'existe que relativement à un plan

koltes.GIF

Le dealer
Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n'avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir ; car je suis à cette place depuis plus longtemps que vous et pour plus longtemps que vous, et que même cette heure qui est celle des rapports sauvages entre les hommes et les animaux ne m’en chasse pas, c’est que j’ai ce qu’il faut pour satisfaire le désir qui passe devant moi, et c’est comme un poids dont il faut que je me débarrasse sur quiconque, homme ou animal, qui passe devant moi. (p. 9)

Car quoi que vous en disiez, la ligne sur laquelle vous marchiez, de droite peut-être qu’elle était, est devenue tordue lorsque vous m’avez aperçu, et j’ai saisi le moment précis où vous m'avez aperçu par le moment précis où votre chemin devint courbe, et non pas courbe pour vous éloigner de moi, mais courbe pour venir à moi, sinon nous ne nous serions jamais rencontrés, mais vous vous seriez éloigné de moi davantage, car vous marchiez à la vitesse de celui qui se déplace d'un point à un autre ; et je ne vous aurais jamais rattrapé car je ne me déplace que lentement, tranquillement, presque immobilement, de la démarche de celui qui ne va pas d'un point à un autre mais qui, à une place invariable, guette celui qui passe devant lui et attend qu'il modifie légèrement son parcours. Et si je dis que vous fîtes une courbe, et que sans doute vous allez prétendre c'était un écart pour m'éviter, et que j'affirmerai en réponse que ce fut un mouvement pour vous rapprocher, sans doute est-ce parce qu'en fin de compte vous n'avez point dévié, que toute ligne droite n'existe que relativement à un plan, que nous bougeons selon deux plans distincts, et qu'en toute fin de compte n'existe que le fait que vous m'avez regardé et que j'ai intercepté ce regard ou l'inverse, et que, partant, d'absolue qu'elle était, la ligne sur laquelle vous vous déplaciez est devenue relative et complexe, ni droite ni courbe, mais fatale. (p. 17-18)

Le client
(...) et la ligne droite, censée me mener d’un point lumineux à un autre point lumineux, à cause de vous devient crochue et labyrinthe obscur dans l’obscur territoire où je me suis perdu. (p. 20)

Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton (Minuit, 1987)

::: François Bon, « Pour Koltès : fraternité avec une place vide » (Magazine Littéraire, novembre 2000)

samedi 19 juillet 2008

sans vainqueur ni vaincu

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Le rituel veut que nous nous parlions. Mais je me sens irrémédiablement séparé d'elle par cette conversation décousue que nous ne manquerons pas de tenir dans une poignée de secondes. Nous ne nous faisons plus confiance depuis longtemps. Dès le début, ce manque de confiance mutuel nous a entretenus dans une espèce de relation suspecte. Chacun de nous travestissait son passé. Il l'embellissait dans le sens souhaité par l'autre en un combat permanent. Sans vainqueur ni vaincu. Avec pour seul enjeu l'abdication réciproque de nos haines au profit d'une entente cordiale, mais distante. Un jeu d'échec où les pièces ont une valeur mensongère. Avancent masquées derrière de faux sentiments. Des faux-semblants et des non-dits qui jusqu'ici ont maintenu notre couple la tête hors de l'eau, l'asphyxiant à petit feu sans complètement l'étouffer. Ce jeu biaisé nous laisse espérer une réconciliation universelle qui n'existe que dans les contes pour enfants.

Christophe Léon, Noces d’airain (arHsens éditions, 2008, p. 58)

Une autopsie drôle et sanglante d’un (du?) mariage, un peu tirée vers la farce et le grand-guignol pour mon goût, mais le champ/contrechamp des deux monologues intérieurs (elle/lui) est très efficace.

Christophe Léon est né en 1959 ; il a publié notamment :
- Tu t’appelles Amandine Keddha (Rouergue, 2002)
- Palavas la Blanche (Rouergue, 2003)
- Journal d'un étudiant japonais à Paris (Le Serpent à plumes, 2007)

vendredi 18 juillet 2008

un livre miraculeux qui n'a ni feuillets ni caractères

Mais il fut à peine sorti, que je mis à considérer attentivement mes livres, et leurs boîtes, c'est-à-dire leurs couvertures, qui me semblaient admirables pour leurs richesses ; l'une était taillée d'un seul diamant, sans comparaison plus brillant que les nôtres ; la seconde ne paraissait qu'une monstrueuse perle fendue de ce monde-là ; mais parce que je n'en ai point de leur imprimerie, je m'en vais expliquer la façon de ces deux volumes.

À l'ouverture de la boîte, je trouvai dedans un je ne sais quoi de métal presque semblable à nos horloges, plein de je ne sais quelques petits ressorts et de machines imperceptibles. C'est un livre à la vérité, mais c'est un livre miraculeux qui n'a ni feuillets ni caractères ; enfin c'est un livre où pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n'a besoin que des oreilles. Quand quelqu'un donc souhaite lire, il bande avec grande quantité de toutes sortes de petits nerfs cette machine, puis il tourne l'aiguille sur le chapitre qu'il désire écouter, et au même temps il en sort comme de la bouche d'un homme, ou d'un instrument de musique, tous les dons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l'expression du langage .

Lorsque j'ai depuis réfléchi sur cette miraculeuse invention de faire des livres, je ne m'étonne plus de voir que les jeunes hommes de ce pays-là possédaient plus de connaissance, à seize et dix-huit ans, que les barbes grises du nôtre ; car, sachant lire aussitôt que parler, ils ne sont jamais sans lecture ; à la chambre, à la promenade, en ville, en voyage, ils peuvent avoir dans la poche, ou pendus à la ceinture, une trentaine de ces livres dont ils n'ont qu'à bander un ressort pour en ouïr un chapitre seulement, ou bien plusieurs, s'ils sont en humeur d'écouter tout un livre : ainsi vous avez éternellement autour de vous tous les grands hommes, et morts et vivants, qui vous entretiennent de vive voix. Ce présent m’occupe plus d’une heure ; enfin, me les étant attachés en forme de pendants d’oreilles, je sortis pour me promener.

Savinien Cyrano de Bergerac, L'Autre Monde ou les États et Empires de la Lune (1657)

jeudi 17 juillet 2008

dédié à georges perec

Autre feuilleton à suivre de près, celui des « récits-photo » de François Bon, qui en ce moment parcourt la grande pomme et donne à voir l' « érotique de Brooklyn » .

Deux options pour les explorer : le fils rss spécial ou l'index récemment créé et ainsi décrit : « pour s’y retrouver, un index général des lieux dédié à Georges Perec, et un index général des thèmes dédié à Seî Shonagon, avec librairies, bibliothèques, usines, ponts, cimetières etc... »

mercredi 16 juillet 2008

l’homme qui ne voulait jamais mourir

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« Cet été, je vous raconterai l’histoire de Bouboule, l’homme qui ne voulait jamais mourir...
Tour à tour, je mettrai en ligne un texte , puis une vidéo, qui conteront l’un et l’autre (à peu près) le même épisode... »

Laissez-vous tenter par cette invitation à suivre le feuilleton texte/video mis en ligne par Jean-François Paillard à partir d’extraits de son premier roman, animos(R), publié aux éditions du Rouergue en 2000.

mardi 15 juillet 2008

accrochement de molécules

C'est émouvant : deux écrivains blogueurs qui voisinaient symptomatiquement dans mon univers netvibes se sont, semble-t-il, rapprochés dans la vraie vie : je m'interrogeais en lisant le billet d'Emmanuelle hier soir, et celui de Marc que je ne lis qu'aujourd'hui confirme mon intuition :
je leur souhaite plein de beaux livres et de petits blogs !

(le titre de ce billet est une citation du précédent, donc de ce cher Gustave)

lundi 14 juillet 2008

qui les lie ?

Sans que j'aie, Dieu merci, jamais souffert des hommes et (bien) que la vie, pour moi, n'ait pas manqué de coussins où je me calais dans des coins, en oubliant les autres, je déteste fort mes semblables et ne me sens pas leur semblable. C'est peut-être un monstrueux orgueil, mais le diable m'emporte si je ne me sens pas aussi sympathique pour les poux qui rongent un gueux que pour le gueux. Je suis sûr d'ailleurs que les hommes ne sont pas plus frères les uns aux autres que les feuilles des bois ne sont pareilles : elles se tourmentent ensemble, voilà tout. Ne sommes-nous pas faits avec les émanations de l'Univers ? La lumière qui brille dans mon œil a peut-être été prise au foyer de quelque planète encore inconnue, distante d'un milliard de lieues du ventre où le fœtus de mon père s'est formé. Et si les atomes sont infinis et qu'ils passent ainsi dans les Formes comme un fleuve perpétuel roulant entre ses rives, les Pensées, qui donc les retient, qui les lie ? à force quelquefois de regarder un caillou, un animal, un tableau, je me suis senti y entrer. Les communications entr'humaines ne sont pas plus intenses.
D'où viennent les mélancolies historiques, les sympathies à travers siècle, etc. ? Accrochement de molécules qui tournent, diraient les épicuriens. Oui, mais les molécules de mon corps vivant ne tournent guère, et enfin ce n'est pas parce qu'un imbécile a deux pieds comme moi, au lieu d'en avoir quatre comme un âne, que je me crois obligé de l'aimer ou, tout au moins, de dire que je l'aime et qu'il m'intéresse.

Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, 26-27 mai 1853

dimanche 13 juillet 2008

le besoin de ficelle était grand

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Tant de mots disparaissent. Ils quittent la bouche et perdent courage, se promènent à l’aventure jusqu’à ce qu’ils soient balayés dans les caniveaux comme des feuilles mortes. Les jours de pluie, on entend leur chœur qui coule à toute vitesse :
jétaisunebellefilleNetenvapasMoiaussijecroisquemoncorpsestenverre
JenaijamaisaimépersonneJemetrouveplutôtdrôlePardonnezmoi
Autrefois, il n'était pas du tout inhabituel d’utiliser un morceau de ficelle afin de guider des mots qui sinon auraient pu vaciller avant d’atteindre leur destination. Les gens timides avaient une petite pelote de ficelle dans leur poche, mais les personnes que l’on considérait comme des grandes gueules en avaient elles aussi besoin, puisque ceux qui ont l’habitude d'être écoutés par tout le monde sont souvent perdus quand il s'agit d’être écouté par une seule personne. La distance physique entre deux personnes utilisant une ficelle était souvent petite ; parfois, plus la distance était petite, plus le besoin de ficelle était grand.
La pratique d'attacher des gobelets à l’extrémité de la ficelle est venue bien plus tard. D’aucuns disent que cela vient du désir irrépressible de presser un coquillage contre une oreille afin d’entendre l'écho toujours vivant de la première expression du monde. D'autres disent que l’on doit cette pratique à un homme tenant l’extrémité d’une ficelle qu’une jeune fille partie en Amérique avait déroulé d’une rive à l'autre de l'océan.
Quand le monde est devenu plus vaste et qu'il n'y eut plus assez de ficelle pour empêcher que ce que les gens voulaient dire ne disparaisse dans cette immensité, le téléphone fut inventé.
Parfois il n’y a pas de longueur de ficelle suffisante pour dire les choses qui ont besoin d’être dites. Dans ces cas-là, tout ce que peut faire la ficelle, quelle que soit sa forme, c'est guider le silence de quelqu'un.

Nicole Krauss, L’histoire de l’amour (2005, Gallimard, 2006, Folio, 2008, p. 213-214)

vendredi 11 juillet 2008

sudden loss of internet access

Rendons à César ... j’accusais injustement orange hier : le coupable était Windows, qui, en installant sans sommation son service pack 3 sur mon PC a crée une incompatibilité avec mon firewall (gratuit, lui, c’est probablement son tort !) :

Workaround to Sudden Loss of Internet Access Problem
Date Last Revised : 9 July 2008
Overview : Microsoft Update KB951748 is known to cause loss of internet access for ZoneAlarm users on Windows XP/2000. Windows Vista users are not affected.
Impact : Sudden loss of internet access

C’est réparé (non sans mal) … et ne m’empêche pas de partir en week-end !
::: mais qu'est-ce que j'attends pour passer à Linux, moi ?

jeudi 10 juillet 2008

en raison d'un incident indépendant de notre volonté

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::: non, je n'exerce pas mon droit inaliénable à la paresse, je n'essaie pas non plus de faire une grève visible pour faire mentir qui vous savez : c'est juste ma connexion adsl qui est de nouveau en panne, merci orange ... et merci à vous d'être patients !

mercredi 9 juillet 2008

résolument vers le passé

Pour vaincre le chômage, il faut allonger la journée de travail. Les actifs se tueront à la tâche, ce qui libèrera des emplois.

Hubert Lucot, Grands mots d’ordre et petites phrases pour gagner la présidentielle (POL, 2007, p. 131)

::: juste pour saluer la constance avec laquelle le gouvernement français marche résolument vers le passé, l'avenir étant sans aucun doute à la réduction du temps de travail ; mais il est vrai que le travail est et demeure « la meilleure des polices » :::

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