lignes de fuite

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mercredi 14 octobre 2009

en cachette arrière

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Que la vraie colère commence là, dit BW. Que la vraie colère commence très exactement là. Dans cette enfance qui s'avise brutalement que la température de l'air n'est pas la même pour tout le monde. Que la veste en skaï bleu marine est une affreuse imitation. Que les meubles de la salle à manger achetés en promo sont franchement pourraves. Et qu'à la question du copain (le fils d'une huile) : Ton père a quoi comme bagnole ? on reste idiot quelques secondes avant que de mentir, puis la nuit, dans le noir, on imagine tous les endroits possibles où l'on s'enfuira quand on aura 13 ans, le plus loin sera le mieux, le plus loin de ce quartier de merde, le plus loin de ce F3 de merde, le plus loin de ces parents sans thunes et de tout ce qui va avec cette putain de pénurie de fric. Et la colère qui en résulte est une colère inapaisable, tu le sais comme moi.
Le plus souvent elle dort, dis-je.
Mais une injustice, un affront, une simple contrariété, et la voilà qui devient torche, dit BW. Torche. Écris-le. (p. 157)

Sur ce point nous nous ressemblons.
Lorsqu’elles s’adressent au grand nombre, mes paroles qui sortent de nous perdent toujours la marque de leur source intérieure. Comme si, dans leur passage extra-muros, elles s'anémiaient, se dévitalisaient, se détachaient de leur poids d'âme. Tu me fais pitié, dit BW, chaque fois qu'il me voit balbutier à la télévision des réponses stupides et, parfois même, dans mon égarement, des incongruités. Et il est vrai que la télé me laisse bête comme une bûche. Plus rien, mais alors rien de singulier, de pertinent, ou simplement de sensé ne transpire au-dehors. Le cœur affolé. Les pensées : terrées dans un coin du cerveau. Les paroles : coupées de leur centre, et qui errent, qui errent. Le regard semblant dire (à l'instar de Lucienne en visite chez les riches) : excusez du dérangement. Et un seul désir : disparaître.
Si j'essaie de me fabriquer un maintien, c'est pire ! J'ai cet air d'embarras des pauvres qui s'endimanchent, j'ai l'âme endimanchée, engoncée, gênée, comme on dit, aux entournures, et gourde, et bête, et empotée, et éberluée. Une pitié. Même gaucherie chez BW, même air emprunté (interdit serait plus juste), même désir de se cacher lorsqu'il s'exprime devant un parterre de gens (car la langue dans une telle occurrence ne sert plus de cachette, ce pour quoi elle est faite, que je sache). Il en est qui se mettent en avant, en cachette avant. Cela plaît. BW et moi nous plaçons machinalement en arrière, en cachette arrière. Cela déplaît, et c'est justice. Car il n'y a rien d'aimable à vouloir s'effacer et paraître plus plat, plus con, plus fade, plus fermé que ce que l'on est véritablement, et plein de grandes déclarations rentrées.
BW et moi nous imbécillisons dès lors que nous sommes en public. Aussi, ceux-là qui, par ingénuité, ou par malice, ou par cynisme, ne s'en tiennent qu'aux apparences, nous prennent à bon droit pour ce que nous semblons. Dois-je avouer que nous tirons de cette méprise un orgueil douloureux et paradoxal (que je n'aime pas beaucoup) ?
Les ressorts de cette insuffisance qui nous amène à balbutier idiotement, à promener ce regard vide propre aux égarés, à dire euh euh d'un air ballot en cherchant l'épithète idoine, plutôt qu'à énoncer des phrases claires et bien senties, voire claironnées, voire trompettées, voire drastiquement assénées, les ressorts de cette insuffisance, disais-je, nous les connaissons parfaitement l'un et l'autre.
Allons-nous les divulguer ici ? Obtenir ainsi du lecteur qu'il nous soit indulgent ? C'est tentant. Allons-nous jouer complaisamment la carte des humiliations d'une enfance pauvre (être pauvre, dit BW, c'est l'être en mots autant qu'en fric, ça va ensemble tu me diras), et celle de la peur enfantine, toujours prête à resurgir, de parler à l'école un français de guingois ? Tu veux nous la jouer Dickens ? plaisante BW. Allons-nous évoquer ici, répondant au désir modeste de nous effacer, notre désir symétrique et furieusement immodeste de nous singulariser à tout prix, contradiction déchirante et qui nous mène fatalement à ce mutisme ?
On dirait, remarque BW agacé, que tu cherches à nous vendre ?
Oui, avoué-je.
Cher, j'espère.
Très cher, avoué-je.
Si au moins c'était vrai, soupire BW. On s'achèterait une baignoire en forme de coquille Saint Jacques. Mon rêve ! Quelles qu'en soient donc les causes (étudiants en psychologie, au travail !), notre parole publique est, comme le pompon de la fête foraine (voir plus haut), frappée d'illégitimité. L'un et l'autre ne sommes volubiles que dans la plus stricte intimité et dans le cercle des plus vieux amis, qu'ils soient ici remerciés de leur patience.
Comment se défait-on de cette inaptitude ? Notre amour démesuré pour les grâces de l'écrit serait-il le revers triomphant de notre balourdise orale ? Son remède ? Sa vengeance ?
Possible. Possible. (p. 167-170)

Lydie Salvayre, BW (Seuil, 2009)

L’un des grands talents de Lydie Salvayre est d’être capable de se glisser dans la peau et dans le fonctionnement cérébral des personnages les plus divers et souvent les moins sympathiques : c’est ici son compagnon, BW, alias Bernard Wallet, dont elle emprunte la voix pleine de colère et d’humour, pour raconter son goût pour la fuite et son « expérience d’alpiniste dans l’édition » (p. 106).

Car ce que BW aime plus que tout au monde c'est marcher à la verticale, c'est être littéralement sur la corde raide, raide et verticale.
Improviser un aplomb dans l'anfractuosité d'une roche et s'assurer en même temps une prise solide, voilà ce qui me plaît, dit-il. Être au bord de chuter et aller vers le haut. Avoir le pied sûr, la main experte, et l'esprit comme aspiré vers le ciel. Porter une attention extrême aux choses de la technique, et, par un simple geste de la nuque, embrasser devant soi l'infini. Être dans cet équilibre inquiet, précaire, entre le consentement le plus attentif à la réalité matérielle et le sentiment exaltant d'atteindre au sublime. BW aime passionnément que ces deux mouvements se conjoignent. BW aime passionnément que l'écriture d'un texte, ensemble, les porte. Car BW est épris de ce qu'en art on appelle, je crois, le baroque. Moi aussi. (p. 102-103)

Pour voir Lydie Salvayre « s'imbecilliser » (!?) en video :
::: un entretien avec Sylvain Bourmeau (Mediapart, 27 juillet 2009)
::: un autre entretien vidéo pour la Fnac (6 octobre 2009)

::: à lire aussi : François Bon, « Salvayre contre Wallet »

lundi 12 octobre 2009

comme un corps étranger

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Cette fois, Mathilde se dirige vers le RER. Elle ne regarde pas l’heure. Elle connaît par cœur les couloirs, les escaliers, les raccourcis, ce monde souterrain tissé comme une toile dans les profondeurs de la ville. Pour rejoindre la ligne D, Mathilde emprunte depuis huit ans la longue galerie qui passe en dessous de la gare, où se croisent chaque jour quelques milliers de personnes : deux colonnes d'insectes, déversées par vagues sur les dalles glissantes, une voie rapide à double sens dont il faut respecter le rythme, la cadence. Les corps se frôlent, s'évitent, parfois se heurtent, dans une étrange chorégraphie. Ici s'opère un vaste échange entre le dedans et le dehors, entre la ville et sa banlieue. Ici, on est pressé, on marche vite, on va à son travail, madame.
Avant, Mathilde faisait partie des plus rapides, elle déboîtait sur la gauche, doublait d'un pas sûr et conquérant. Avant, elle s'agaçait quand le flot ralentissait, pestait contre les lents. Aujourd'hui elle leur ressemble, elle sent bien qu'elle n'est plus capable de suivre le rythme, elle traîne, elle n'a plus l'énergie. Elle plie. (p. 81-82)

Depuis toujours, Thibault s'attache à changer de secteur quand il demande ses gardes. Il les a traversés dans tous les sens et de toutes les manières possibles, il connaît leur rythme et leur géométrie, il connaît les squats et les hôtels particuliers, les maisons recouvertes de lierre, le nom des cités HLM, les numéros des cages d'escalier, les tours vieillissantes et les résidences flambant neuves aux airs d'appartements témoins.
Il a longtemps cru que la ville lui appartenait. Sous prétexte qu'il en connaissait la moindre rue, la plus petite impasse, les dédales insoupçonnables, le nom des nouvelles artères, les passages sans lumière, et ces quartiers surgis de nulle part aux abords de la Seine.
Il a plongé ses mains dans le ventre de la cité, au plus profond. Il connaît les battements de son cœur, ses douleurs anciennes que l'humidité réveille, ses états d'âme et ses pathologies. Il connaît la couleur de ses hématomes et le vertige de sa vitesse, ses sécrétions putrides et ses fausses pudeurs, ses soirs de liesse et ses lendemains de fête.
Il connaît ses princes et ses mendiants.

Il vit au-dessus d'une place, il ne ferme jamais les rideaux. Il voulait la lumière, le bruit. Ce mouvement circulaire qui ne s'arrête jamais.
Il a longtemps cru que la ville et lui battaient au même rythme, ne faisaient qu'un.

Mais aujourd'hui, après dix ans passés au volant de sa Clio blanche, dix ans d'embouteillages, de feux rouges, de souterrains, de sens uniques, de stationnement en double file, il lui semble parfois que la ville lui échappe, qu'elle lui est devenue hostile. Il lui semble qu'à force de promiscuité, et parce qu'il connaît mieux que quiconque son haleine empesée, la ville attend son heure pour le vomir ou le recracher, comme un corps étranger. (p. 128-130)

Derrière lui, une dizaine de conversations se mêlent au bruit des couverts et des chaises tirées sur le carrelage. Derrière lui, on trinque, on s'esclaffe, on se lamente.
Il a envie d'être seul. Il a chaud et en même temps il a froid. Il n'est pas sûr d'avoir la migraine mais peut-être que oui. Il perçoit son corps d'une manière étrange. Son corps est un terrain vague, un territoire abandonné, relié pourtant au désordre alentour. Son corps est sous tension, prêt à imploser. La ville l'étouffe, l'oppresse. Il est fatigué de ses hasards, de son impudeur, de ses fausses accointances. Il est fatigué de ses humeurs feintes et de ses illusoires mixités. La ville est un mensonge assourdissant. (p. 180-181)

À Gare de Lyon, Mathilde descend, elle fait le même chemin que le matin en sens inverse.
À l'interconnexion, elle tente de presser le pas, de s'insérer dans le flot.
Elle ne peut pas. Cela va trop vite.
Sous terre, les règles de circulation sont inspirées du code de la route. On double par la gauche et les véhicules lents sont priés de se maintenir du côté droit.
Sous terre, on trouve deux catégories de voyageurs. Les premiers suivent leur ligne comme si elle était tendue au-dessus du vide, leur trajectoire obéit à des règles précises auxquelles ils ne dérogent jamais. En vertu d'une savante économie de temps et de moyens, leurs déplacements sont définis au mètre près. On les reconnaît à la vitesse de leur pas, leur façon d'aborder les tournants, et leur regard que rien ne peut accrocher. Les autres traînent, s'arrêtent net, se laissent porter, prennent la tangente sans préavis. L'incohérence de leur trajectoire menace l'ensemble. Ils interrompent le flot, déséquilibrent la masse. Ce sont des touristes, des handicapés, des faibles. S'ils ne se mettent pas d'eux-mêmes sur le côté, le troupeau se charge de les exclure.
Alors Mathilde reste sur la droite, collée au mur, elle se retire pour ne pas gêner. (p. 288-289)

Delphine de Vigan, Les heures souterraines (Lattès, 2009)

Se croisent et se recroisent, sans pathos inutile, dans un Paris d’ultra-moderne solitude en perpétuel mouvement, les trajectoires souterraines de deux êtres épuisés, une femme victime de harcèlement au travail et un médecin urgentiste.

Delphine de Vigan est née le 1er mars 1966 à Boulogne-Billancourt.
Elle a publié quatre autres romans :
- Jours sans faim (Grasset, 2001) (sous le pseudonyme de Lou Delvig)
- Les Jolis Garçons (Lattès, 2005)
- Un soir de décembre (Lattès, 2005)
- No et moi (Lattès, 2007, Prix des Libraires 2008)
Les heures souterraines est sur la liste du prix Goncourt.

jeudi 8 octobre 2009

c'est la peur de la mort

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LA CARCASSE #1

L'autre jour j'étais dans mon bureau - comme je le suis tous les jours - sauf le dimanche quand je regarde les matchs de football à la télé - football américain bien sûr - et je foutais rien - y avait rien qui venait dans ma tête - pas une seule phrase qui m'aurait fait sourire un peu et me dire - tiens voilà un beau début - non rien - même pas un seul mot - comme par exemple le mot qui lance mon roman À qui de droit - le mot silence - oui silence complet dans ma tête ce jour-là - donc pour passer le temps je regarde par la fenêtre la belle vue - je ne vais pas la décrire encore une fois même si c'est tentant - si ça vous intéresse allez jeter un coup d'œil au chapitre précédent qui décrit les carcasses empilées dans la zone des carcasses - ce panorama majestueux m'a justement donné envie d'aller relire ce que j'avais écrit sur les carcasses - et au fil de ma lecture une idée m'est venue - non - pas une idée une phrase - celle-ci - quelle gueule il a dû faire le premier être humain pensant - un homo sapiens disons - quand il a vu le premier mort - je dis premier parce que lui le mort il n'était pas conscient d'être mort - c'est celui qui a regardé ce mec s'effondrer dans la mort qui a dû faire une drôle de gueule - puisqu'il était conscient que le mec qui venait de devenir carcasse n'était plus vivant - et c'est alors que cet homo sapiens - ou cette homo sapienne - car le premier individu à contempler la mort était peut-être une femme - ou bien c'était déjà un homo erectus - ou une homo érective - on peut pas savoir - y a pas d'enregistrement - mais c'est sans doute l'un de ces homo quelque chose-là qui a inventé le mot mort - enfin pas le mot français mais le son qu'ont produit ses cordes vocales encore toutes neuves - un son qui voulait dire - tiens le mec est mort - eh bien je me demandais quelle gueule il a dû faire quand il ou elle a vu ce mec ou cette gonzesse préhistorique s'effondrer dans la zone des carcasses et recevoir des autorités le numéro 1 - enfin à l'époque - quand la zone des carcasses a été fondée - il n'y avait pas encore de système numérique - pas de mathématiques non plus - c'est moi qui ai donné le numéro 1 à cette carcasse - y avait rien dans l'univers - tout était à inventer - c'est ce qu'ont fait les générations qui ont suivi le premier homme à devenir conscient de la mort - après qu'il s'est dit - merde le mec est mort - enfin pas vraiment dit - c'était une sorte de grognement d'homme préhistorique - mais dès qu'il a émis ça il a ressenti en lui - dans le creux de son estomac - une grande douleur - une douleur encore bien plus aiguë que celle qu'il avait ressentie quand il s'est étiré de la posture quadrupède à la posture bipède - mais cette fois - là devant la carcasse de celui qui venait de tomber dans la zone des carcasses - il n'a pas hurlé de douleur comme il avait fait quand il s'est érecté - si je peux me permettre ce néologisme - non il n'a pas crié juste grogné - comprenant dans son petit cerveau que lui aussi un jour pourrait devenir une carcasse comme celle de ce pauvre mec qui venait de calancher - et c'est à partir de ce moment qu'il a passé le reste de sa misérable vie d'homme préhistorique avec cette douleur en lui - à laquelle il a un jour donné le nom de peur - ah oui la peur de la mort – tiens une fois j'ai écrit un petit poème qui disait
ce n'est pas la mort
qui nous effraie
c'est la peur de la mort
et après avoir eu cette pensée que je viens d'écrire je me suis dit - en me souvenant de l'histoire des carcasses qui sont transmutées des centaines de fois - parfois même plus - avant qu'elles soient complètement épuisées - dans le sens qu'on donne à un livre épuisé - pas forcément parce qu'il a été trop lu - parce qu'il a été pilonné - je me suis dit que ça devait être terrible d'être transmuté et de revenir à la vie - quelle qu'en soit la forme - ça doit être terrible d'avoir à ressentir la douleur de la peur chaque fois qu'on revient à la vie - la peur de mourir - et je pense ici au problème des humains - il faudrait sans doute se demander si par exemple les poissons rouges ressentent également cette douleur au creux de leur petit estomac - pour savoir si eux aussi ils ont peur de la mort - ou s'ils s'en foutent complètement - ou peut-être se disent-ils la prochaine fois que je serai transmuté j'espère que je reviendrai en homme ou en femme - de préférence en femme avec de jolies jambes - parce qu'il paraît que les êtres humains n'ont pas peur de la mort - c'est pour ça qu'ils aiment s'entre-tuer inlassablement - voilà à quoi je pensais en admirant le paysage par la fenêtre de mon bureau ce jour où je ne foutais rien -

Raymond Federman, Les Carcasses (Léo Scheer, Laureli, 2009, p. 17-20)

Raymond Federman (1928-2009) vient de mourir.

::: le site officiel
::: son blog

::: Laure Limongi
::: Claro sur Les Carcasses

lundi 5 octobre 2009

un râteau, ça ramasse des trucs

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Je réponds oui oui, nice trip, alors là tout à fait nice - je vois cette tache projetée au-dessus de l'Atlantique ma gerbe. Un anthropologue n'est pas censé détester les voyages. Pataugas, chaussettes roulées sous le genou, mince bande de chair puis bermuda écru jusqu'à la taille, très grosses jumelles sur gilet de pêche à poche boussole, poche Aspivenin, poche carte, poche couteau avec lame-scie, lame-cuiller, lame-ciseaux, lame-couteau bien sûr, enfin le chapeau colonial ceint par de grosses lunettes de moto avec la sangle en caoutchouc, ne me dites pas le contraire, l'anthropologue pour vous c'est ça : c'est un explorateur. Amoureux du lointain, amateur d'inconnu. Eh bien moi, non, et vous pouvez me croire, je ne suis pas un cas isolé. C'est fini, Tarzan, mon vieux ! Les anthropologues sont des rats de bibliothèque qui en sortent parfois, la peur au ventre, parce qu'il n'y a pas encore de livre sur les hommes qui les intéressent, et que ce livre, en dépit des fièvres et du vaudou, eh bien il faut l'écrire. Or Frank Firth, j'en ai des sueurs froides, mais il m'intéresse.

- Ok, salut à tous, avant qu'on s'y mette, je voudrais vous dire qu'on accueille aujourd'hui un jeune scientifique, il va se présenter lui-même.

Je dis je M'appelle A. l'anthropologue, et tout le monde rigole. Je pense heureusement que je suis parti en avance. Pour moi ça n'arrivait plus, ce genre de truc, dans les pays développés. Imaginez : le BART qui me mène de l'avenue d'Alcatraz à la correspondance Oakland-Ouest roule sans faire d'histoires. Le BART, c'est leur RER, si vous voulez. Comme je dois honorer un rendez-vous pris à dix mille kilomètres il y a des mois, je pars pour Mills College très en avance (de deux heures : à l'arrivée il y a toujours un café où attendre avec un bon bouquin; je le sais d'expérience : je suis toujours en avance). Eh bien deux heures, ça a failli ne pas suffire, parce que c'était compter sans Timo Lopez.

- Je m'appelle A. l'anthropologue. Avant les anthropologues étudiaient les villages de sauvages mais aujourd'hui ça n'existe plus (je prends mon meilleur accent pour leur dire). Du coup, on se rabat sur les originaux, les artistes, vous voyez (je prononce ârtists: tout le monde rigole), donc moi mon sauvage c'est Frank sur le campus de Mills College. (p. 17-18)

- Je voudrais savoir comment font ces gens pour se dire des choses quand ils jouent, donc quand ils ne peuvent pas se parler. Qu'est-ce qu'on fait et qui décide, par exemple.
- C'est de l'ethnomusicologie, ça ?
- Je ne sais pas. Mais je sais que c'est de la politique, et que Frank est un chef assez différent de George Bush. (p. 58)

- On ne vote pas, alors ?
Joues de Frank franchement écarlates. Petits arbres écarlates branches entre les poils de barbe (qu'il n'a pas très dure). Arbres de pouvoir qui grattent l'ego du moine Frank. Ça pousse fort sur la clairière. Bientôt, on n'y voit plus le sol. Les primates les plus angoissés de disparaître sous le niveau des végétaux se dressent sur leurs pattes, inventant l'humanité et les candidatures spontanées au poste de chef. Si ça vous rappelle quelque chose vous pouvez appeler au. (p. 88)

- Comme si ça ne voulait rien dire, alors ?
- Pas forcément, il n'y a pas de système. Mais ne colle pas au sens. Montre que tu sais parfois en tenir compte, quand ça t'amuse. On devrait toujours utiliser son instrument comme un râteau. C'est Cage qui disait ça.
- C'est-à-dire ?
- Ben, un râteau, ça ramasse des trucs, mais ça ne ramasse pas tout. C'est pas un peigne. Ça trie, quoi ! Quand tu crois recevoir trop d'informations, c'est juste que tu veux répondre à chacune d'entre elles ! En fait, tu peux les recevoir toutes, et choisir tes réponses. Le reste, laisse tomber ! Le râteau est capable de se demander toutes les deux secondes « qu'est-ce que je prends ? qu'est-ce que je laisse ? ». C'est un grand sage, quoi, bien plus sage qu'un piano. On réessaye ? (p. 90)

Jocelyn Bonnerave, Nouveaux Indiens (Seuil, 2009)

Jocelyn Bonnerave est né en 1977. Nouveaux Indiens, son premier roman, puise de manière singulière dans ses autres pratiques professionnelles, l’anthropologie et l’improvisation musicale, pour décrire les « nouveaux cannibales » de la Californie d’aujourd’hui. Comme l'impro, le roman est un râteau qui ramasse les bribes parfois peu ragoûtantes des fictions modernes, et les livre en vrac à notre entendement.

Des articles de Jocelyn Bonnerave anthropologue :
::: « Les performances de jazz : du territoire à l’écologie »
::: « Le corps des musiciens »

Et si vous cherchez dans google, vous trouverez plein de billets de lectrices à qui ce livre a été envoyé par Chez les filles (!) et qui n'ont pas aimé du tout : ça aussi c'est de l'anthropologie de la modernité !

jeudi 1 octobre 2009

capter, cambrioler, s'emparer, détourner

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Jean Echenoz :

Alors que là, c'est au contraire de notre travail même qu'il s'agit : capter, cambrioler, s'emparer, détourner, casser la perception du monde en mille morceaux et remonter ces morceaux dans un autre ordre pour essayer de donner, de ce monde, une image reconstruite. Comme toi sans doute - et je crois que tu le fais notamment dans ton usage de l'histoire littéraire -, je n'ai jamais cessé de prendre un peu partout toute sorte d'éléments (récits rapportés, propos dérobés au vol, graffiti, instantanés, extraits de films, niaiseries télévisées, citations, etc.) puis de maquiller ces choses comme on dit en français qu'on « maquille » une voiture volée, pour essayer de les asservir à cette image reconstruite - dans ce mal nécessaire qu'est un scénario.
Ce qu'on pourrait appeler l'imagination d'un romancier, ce n'est peut-être que le travail de cette reconstruction même. Ces éléments que l'on dérobe - et on fait bien de les dérober, ils ne serviront jamais à personne d'autre, ou alors dans un tout autre usage - ne trouvent pas forcément leur place tout de suite. Parfois il faut patienter longtemps avant de trouver le système susceptible de les asservir, de les mettre en scène pour leur donner le plus d'existence possible. Ce sont parfois de toutes petites choses, cela peut être un tout petit détail trivial mais qui, va savoir pourquoi, m'enchante. Et dont rien n'assure qu'il pourra enchanter qui que ce soit d'autre. Il y a par exemple, rue de Belleville à Paris, toujours pas loin de chez moi, une boutique de vêtements féminins assez modeste, pas très chic, dans la vitrine de laquelle est installé un petit panneau sur lequel est écrit ceci : « Nous habillons aussi les femmes rondes ». Comme tu vois, ce n'est vraiment qu'un infime détail trivial mais cet énoncé me ravit par son curieux mélange de bizarrerie et de banalité, de franchise brusque et de courtoisie pataude, d'une certaine tendresse et d'autres choses encore qui m'échappent. J'aimerais bien l'avoir écrite, cette phrase dérisoire, et je ne suis pas sûr de savoir au juste pourquoi. Faute de l'avoir écrite je vais la voler, bien sûr, mais voici des années que j'attends de trouver le cadre de fiction dans lequel elle jouera au mieux, discrètement, son rôle minuscule. Pour le moment, je ne l'ai pas trouvé. Je ne désespère pas que ce soit dans mon prochain livre, si j'arrive à l'écrire. Mais en attendant, Enrique, si cette phrase te parle autant qu'à moi, je te l'offre bien volontiers.

Enrique Vila-Matas :

Tu me fais rire, Jean. Tu t'en doutes, j'adore la phrase, et je dois me retenir pour ne pas me jeter dessus et m'en emparer sur le champ. Mais je vais me maîtriser, du moins suffisamment pour ne pas la dérober aussi vite. Je vais chercher un moyen terme entre te la chiper et tenter de l'oublier. Lors de mon prochain passage à Paris, j'irai rue de Belleville. Voilà ce que je ferai. J'irai dans cette rue à la recherche de la phrase, et je m'en approcherai sans hâte, tel un voyageur nonchalant. Les gens me demandent souvent pourquoi je travaille autant à partir des phrases d'autres auteurs. Je leur réponds que je pratique une littérature de recherche. Je lis les autres jusqu'à les transformer. Cette folie d'appropriation inclut ma propre parodie. Dans mon livre autobiographique Paris no se acaba nunca, le narrateur participe à un concours de sosies de Hemingway alors qu'il ne lui ressemble pas du tout ; il y va uniquement parce qu'il a décidé qu'il ressemblait à l'auteur américain. C'est-à-dire qu'il est persuadé d'être son double, mais il ne lui ressemble en rien.
Ça peut sembler paradoxal, mais j'ai toujours cherché ma particularité en tant qu'auteur dans l'assimilation d'autres voix. Les idées, les phrases prennent un sens nouveau dès lors qu'elles sont glosées, légèrement remaniées, placées dans un contexte insolite. « Je m'appelle Erik Satie, comme tout le monde. » Comme l'a écrit Juan Villoro, cette phrase du compositeur français résume à elle seule mon idée de la personnalité. « Être Satie, c'est être exceptionnel, c'est-à-dire avoir trouvé une façon à soi de se dissoudre dans l'anonymat triomphal, où l'unique est le propre de tout le monde. »
Il me semble que l'on pourrait tout aussi bien dire « Je m'appelle Ravel, comme tout le monde ».
Le fait est qu'on écrit toujours à la suite d'autres. Et, personnellement, je n'ai aucun mal à me rappeler souvent cette évidence. J'en éprouve même du plaisir, car je nourris ouvertement le désir de n'être Personne, et ne fais donc jamais en sorte d'être uniquement moi-même mais également les autres, en toute impudence.

Enrique Vila-Matas, Jean Echenoz, De l'imposture en littérature. De la imposture en literatura. Traduit de l'espagnol par Sophie Gewinner et du français par Guadalupe Nettel (Meet, 2009, p. 15-18)

mardi 29 septembre 2009

aujourd'hui l'insignifiant sera bleu

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LE BALLON

Calvino, parfois pendant une semaine entière, se déplaçait à travers la ville en emportant avec lui un ballon bien gonflé. Pour autant, il ne changeait en rien ses activités quotidiennes qui suivaient leur cours normal : le trajet du matin, le sonore et convaincant « Bonjour ! » lancé à chacune des personnes qu'il croisait dans le quartier, les gestes nécessaires à son office, le menu strictement établi du dîner et celui déraisonnable et aléatoire du déjeuner, les horaires et la ponctualité conformes à sa rigueur coutumière, le classicisme et la discrétion de ses vêtements et de son sourire, bref, rien ne changeait - du lever au coucher - excepté une chose : entre le pouce et l'index de sa main droite, il tenait avec la précision d'un horloger le fil d'un ballon bien gonflé, qu'il ne lâchait pas de toute la journée. Au travail, chez lui, dans la rue, dans l'épicerie où il demandait régulièrement des Pommes plus roses encore que d'ingénues demoiselles, au Café, qu'il accélérât ou qu'il ralentît, qu'il se tînt debout ou assis, monsieur Calvino ne lâchait pas son ballon et s'assurait à chaque instant qu'il ne risquait pas d'éclater.
Parfois, il l'attachait à l'un de ses poignets avec un fil.
Au travail, lorsqu'il lui fallait absolument avoir les deux mains libres, il attachait le fil à la clé d'un tiroir et le ballon restait là, à ses côtés, sans dire un mot, toujours présent. On eût dit, parfois, qu'il remplaçait les photos de famille que certains de ses collègues disposaient sur leur bureau. Lorsque sa nature intime le sollicitait, Calvino allait aux toilettes avec son ballon et, une fois à l'intérieur, avec la plus grande délicatesse - comme s'il s'agissait de poser un vase fragile sur une console instable -, enroulait le fil autour de la poignée de la porte et avait presque envie de lui dire, affectueusement, comme d'autres le font avec leur animal de compagnie : Attends-moi là une minute.
Dans les transports en commun, aux heures de grande affluence, monsieur Calvino maintenait le ballon bien au-dessus de sa tête, en s'efforçant, pendant le trajet, de lever le bras aussi haut que possible, afin qu'un mouvement malencontreux ne le fasse pas éclater. Chez lui, au moment de se coucher, il installait le ballon auprès de sa table de chevet et, après seulement, pouvait s'endormir.
Accorder une attention inhabituelle (ne serait-ce que quelques jours) à un objet comme celui-là était, pour Calvino, un exercice fondamental qui lui permettait d'aiguiser son regard sur les choses du monde. Dans le fond, le ballon était un moyen simple de désigner le Néant. Ce système, que l'on appelle vulgairement ballon, consistait finalement à entourer d'une mince enveloppe de latex une infime partie de la totalité de l'air du monde. Sans cette enveloppe colorée, cet air, à présent comme souligné et se distinguant du reste de l'atmosphère, passerait complètement inaperçu. Pour Calvino, choisir la couleur du ballon revenait à attribuer une couleur à l'insignifiant. Comme s'il décidait : aujourd'hui l'insignifiant sera bleu.
Et la fragilité quasi insurpassable du ballon rendait également nécessaire une série de gestes protecteurs qui rappelaient à Calvino combien était ténue la distance entre la vie, énorme et puissante, qui l'habitait alors, et la mort, énorme et puissante, qui n'avait de cesse, tel un insecte inconnu mais bourdonnant, de voleter autour de lui.

Gonçalo M. Tavares, Monsieur Calvino et la promenade (Viviane Hamy, 2009, p. 17-19)

Après Monsieur Valéry, les éditions Viviane Hamy ont l’excellente idée de publier la suite des évocations par Gonçalo M. Tavares des habitants de son « bairro » en forme de bibliothèque idéale. Est aussi publié Monsieur Kraus et la politique, et dans ce volume-ci, on trouve en prime et en postface un joli texte de Jacques Roubaud, « Calvino & Monsieur Palomar ».

::: lire aussi « Premier rêve de Calvino »
::: et un article de Véronique Rossignol dans Livres Hebdo (787, 4 sept 2009)

samedi 26 septembre 2009

il suffisait d'avoir envie de les voir

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Sans quitter un instant ces géants de verre des yeux, j'ai reculé à la manière d'un appareil photo exécutant un lent zoom arrière. Quand les cubes sont tous apparus dans une seule et même image, je me suis assis dans l'herbe. Repensant aux paroles de mon père le soir où j'avais demandé quels animaux vivaient dans des cubes en verre, j'ai tout à coup vu un serpent glisser à l'intérieur d'un cube. Mais je n'avais pas peur. Cette apparition, je savais bien que je l'avais provoquée. D'ailleurs, le serpent n'avait pas l'air réel. Il ressemblait plutôt à un dessin animé. Il a grimpé le long de la paroi verticale avant de glisser sur le plafond et de redescendre de l'autre côté. Sa taille était telle que le bout de son corps n'apparaissait toujours pas. À ce rythme, il allait bientôt remplir tout le cube. Ça suffit, ai-je pensé, et j'ai fermé les yeux. Quand je les ai rouverts, le serpent avait disparu. Évidemment. (p. 21-22)

Les cubes se rappelaient à mon bon souvenir quand ils le décidaient. Ils étaient là. Tout le temps. Partout. Si je ne les voyais pas, c'était uniquement parce que je n'avais pas encore cette idée en tête. Il m'aurait pourtant suffi de lever le nez pour déceler les signes qu'ils ne cessaient de m'envoyer. Pour les faire apparaître à volonté. Chaque matin, quand j'entrais dans la cabine de douche, ne pénétrais-je pas à l'intérieur d'un cube ? De la même manière, lorsque je passais devant un magasin, les vitrines ne me lançaient-elles pas des clins d'œil ? Oh oui, les cubes étaient là, il suffisait d'avoir envie de les voir. (p. 70)

(Et la force qui gouverne ma mémoire continue de n'en faire qu'à sa guise et au milieu de ce souvenir elle exécute un brusque saut en arrière pour me rappeler, souvenir dans le souvenir, la réaction d'Erena quand je lui ai relaté mes « retrouvailles » avec les cubes le jour de la chasse au sanglier. « Quel intérêt ? m'avait-elle demandé. Un cube a une forme si banale ('Si pure', lui avais-je rétorqué), alors qu'aujourd'hui on fait des choses tellement plus complexes et originales. Comment peut-on s'intéresser à ça ? » Et alors je comprends, je comprends pourquoi ce parallèle entre Alexis et Erena a été dressé. Ils ont tous les deux réagi de la même manière. Ils ont réagi de la même manière parce qu'ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas. ILS NE COMPRENNENT PAS. Comme Laura l'a expliqué (mais pourquoi faut-il toujours que les choses me soient montrées du doigt pour que je les perçoive ?) il y a ceux à qui les cubes parlent et ceux à qui ils ne parlent pas. Ceux qui savent et les autres. Qu'est-ce qui leur manque ? Ou plutôt : qu'est-ce que j'ai, qu'est-ce que Laura et moi avons, qu'ils n'ont pas ?) (p. 238)

Yann Suty, Cubes (Stock, 2009)

Un narrateur sans qualités, entre lucidité et folie, réécrit sa vie banale pour en faire un thriller fantastique gouverné par d'énigmatiques cubes de verre : « Le hasard est toujours là pour vous rappeler qu'il n'existe pas » est le titre de l'un des chapitres.

Yann Suty est né le 3 mai 1978 dans le Nord. Il vit et travaille à Paris dans la publicité.
Cubes est son premier roman.

Sur son site on trouve une vidéo de présentation dans laquelle il évoque le pré-texte de ce roman, une œuvre de Damien Hirst, « The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living », un triple cube en verre rempli de formol dans lequel était plongé un requin.

jeudi 24 septembre 2009

parce que ce sont des femmes

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Là, j'explose.
- Ça suffit ! J'ai été major de ma classe cinq années de suite, j'ai une mémoire photographique, j'ai enregistré tous les cours qu'on m'a donnés, je me souviens de toutes les conversations que j'ai eues avec mes profs et mes patrons ! Comment se fait-il que je ne le sache pas ?
Je monte une marche vers lui.
Il me regarde, les yeux écarquillés. Il doit se demander si j'ai bu ou si je délire de lui raconter ça, mais il ne sourit pas, il ne me fait pas cette moue de mépris que j'ai essuyée trois cent mille fois à la moindre occasion, non, il soupire, ses épaules s'affaissent et il dit :
- Vous ne pouvez pas savoir ce qu'on ne vous a pas appris. Et vous ne pouvez pas apprendre avec des lunettes noires.
- Qu'est-ce que vous racontez ?
Il descend une marche vers moi.
- Je parle de la morgue, de la vanité, de la boursouflure de vous-même qu'on vous a inculquées après vous avoir soigneusement humiliée et culpabilisée. Je parle de la manière dont les patrons à qui vous avez eu affaire vous ont déformée pour vous transformer en robot. C'est de ça que je parle.
Je grimpe une marche de plus et je me trouve nez à nez avec lui à pré-sent, si près que j'ai l'impression de lui cracher au visage.
- Mais bordel de dieu les autres peuvent pas avoir tout le temps tort, quand même, et vous, toujours raison ! Ils ne font pas tout mal, tout le temps. Arrêtez donc de vous prendre pour le nombril du monde et pour le meilleur médecin de bonnes femmes de la planète !
Il ne répond rien. Il me regarde. J'ai l'impression que je lui ai soufflé toute ma colère dans la figure et alors que je m'attends à ce qu'enfin il me foute dehors, je le vois hocher la tête.
- Vous avez raison, dit-il calmement.
Il me plante là et se remet à gravir l'escalier.
Salopard ! (p. 155)

- Quand un médecin met deux doigts dans le vagin d'une femme qui va bien et ne lui a rien demandé, il le fait essentiellement pour se rassurer. Ça ne fait pas de lui un bon médecin, mais un anxieux pervers.

- La profession de médecin, c'est risqué, même quand on s'occupe de cadavres. Si tu ne veux pas faire face à l'inconnu, change de métier.

- On devient soignant parce qu'on a un patient symbolique à soigner. Qui est le tien ?

- Tu n'as pas de jugement à porter... mais tu en porteras quand même. Et ils reviendront te frapper en pleine gueule.

- Il est difficile de ne pas porter de jugement. Tu es un être humain. Mais ça ne t'autorise ni à condamner ni à appliquer des peines.

- Tous les patients ne sont pas aimables; mais ils n'ont pas besoin d'être aimés pour aller moins mal. Ils ont juste besoin que tu les respectes.

- Si tu ne les respectes pas, qui donc te respectera ?

- Qui donc es-tu pour affirmer que ce patient ne dit pas la vérité ?

- Soigner, c'est autre chose que jouer au docteur.

- Tu ne sauveras peut-être jamais personne. Mais tu peux soulager et soigner presque tout le monde. Choisis.

- Pose ton stylo, tu écriras plus tard. Regarde. Enlève tes bouchons d'oreille. Ôte tes lunettes noires. Écoute. Regarde. Sens !

- N'hésite jamais à dire NON quand on t'impose une sale besogne. Si elle est vraiment importante, ton patron doit pouvoir la faire lui-même.

Ha ! Elle est bien bonne, celle-là ! Quel donneur de leçons !

J'empile les feuilles les unes sur les autres mais une autre phrase m'accroche le regard.

- Tout le monde ment. Les patients mentent pour se protéger ; les médecins mentent pour garder le pouvoir. (p. 164-165)

- Parfois, j'ai eu le sentiment qu'elles racontaient des bobards. Ou qu'elles ne disaient pas tout. Le personnage de série télé, là, le médecin misanthrope...
- House...
- Oui, House. Dans les quelques épisodes que j'ai vus, il n'arrête pas de dire « Tout le monde ment », et ça me mettait hors de moi. Mais à présent, je me mets à penser qu'il a raison !
- Je comprends que tu aies ce sentiment mais je crois que, dans son esprit - enfin, dans l'esprit des scénaristes -, ça ne veut pas dire « tout le monde ment pour couillonner les médecins ». Ça veut dire « tout le monde ment parce que tout n'est pas facile à dire ». Tout le monde ment pour protéger quelque chose. Pour se protéger de quelque chose.
- Tout le monde ?
Pourquoi est-ce que je pose la question ?
- Bien sûr. Ce n'est pas nécessairement un secret terrible ou destructeur, mais il est suffisamment chargé de honte pour ne pas pouvoir être étalé sur la place publique. Souvent, les secrets sont décevants pour les autres, quand ils les apprennent, tant ils sont communs, tant ils pourraient être les secrets de tous et de n'importe qui. Mais pour les personnes qui les portent, ce sont des fardeaux insupportables. Et la peur de les révéler est telle qu'elles travestissent la réalité pour ne pas avoir à attirer l'attention. Elles racontent des histoires pour enrober la vérité. Ce qu'elles ne savent pas c'est que l'histoire qu'elles racontent enveloppe parfois si bien cette vérité qu'elle en dessine les contours.
Je ne comprends rien à ce qu'il me dit. Je sais que ça a du sens. Je n'arrive juste pas à le voir. Comme les gens à qui un mauvais coup sur le devant du crâne a sectionné le nerf olfactif, et pour qui une fraise n'a plus qu'un goût de flotte, ils se souviennent que ça avait un parfum, mais il n'est plus là et ils attendent avec impatience que ça revienne, si seulement ils pouvaient garder la fraise dans la bouche, mais là, c'est ce goût de flotte, cette texture d'éponge... (p. 360)

Biais de sélection :
Bien sûr que toutes les femmes de Tourmens qui vont voir un médecin pour une contraception, une grossesse, une IVG ne sont pas obèses, migrantes, immigrées voilées, seules et abandonnées, adolescentes en rupture ou mères sous-prolétaires en attente de leur bulletin d'aide médicale. Mais ce sont celles-là que nous recevons ici. Et si elles viennent ici c'est parce qu'on ne veut pas d'elles ailleurs. Essayez d'appeler un gynécologue de ville en prenant l'accent du Maghreb ou en disant que vous vivez dans une roulotte et vous verrez comment vous serez reçue. Et ce « biais de sélection » est ce qui amène presque toujours les femmes qui consultent ici. Et quand ce n'est pas le voile ou l'obésité ou l'aide médicale, ce sont les douleurs inexpliquées qui durent depuis des mois, les saignements qui pourrissent la vie, les angoisses de grossesse ou de stérilité... Toutes les choses qui nécessitent de donner un peu de son temps pour écouter ce qu'elles ont à en dire si on veut y comprendre quelque chose. « Mais le temps, n'est-ce pas, c'est de l'argent. Et on ne va tout de même pas en donner à toutes ces emmerdeuses, n'est-ce pas ? »
La médecine française est, purement et simplement, une médecine de classe. Un trop grand nombre de « professionnels » méprisent souverainement tous les patients et les traitent comme des enfants - et plus encore les femmes, parce que ce sont des femmes. (p. 379)

Martin Winckler, Le Chœur des femmes (POL, 2009)

Le nouveau gros roman médical de Martin Winckler n’est pas seulement un roman autobiographique (même si Franz Karma est l’anagramme de Marc/k Zaf(f)ran), c'est aussi un « roman pédagogique » sur la relation de soin, une charge chevaleresque et savoureuse contre les féodalités du milieu médical français, un roman documentaire où l’on apprend des tas de choses utiles (que n’ai-je rencontré plus tôt un tel gynécologue se diront sans doute pas mal de lectrices !), une comédie (médicale) humaine où chacun(e) tour à tour raconte son histoire, une comédie musicale chorale aussi, avec solos, duos, polyphonies et un final mélodramatique et rocambolesque assumé.

::: Winckler’s Webzine. Le site personnel de Martin Winckler
::: Chevaliers des touches - un blog pour écrivants, son nouveau blog, où il posait hier une bonne question : « Qui a le droit d'écrire ? »

::: Entretien video (avec Sylvain Bourmeau, pour Mediapart)
::: Rencontre avec Martin Winckler (BibliObs)
::: « Le Chevalier au spéculum », un bel article de Mona Chollet (Périphéries)

PS : dites, docteur, si vous passez par là, c’est quoi le médicament qui sert de modèle à la « migrazine » qui p. 305 tue la migraine en 10 minutes ?

jeudi 3 septembre 2009

étoile point étoile

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À Deûlémont, Christophe Moreel s'extirpa du fauteuil club pour se diriger vers la bibliothèque. Les années avaient passé mais cette bibliothèque continuait de refléter la personnalité de son amie, offrant à la vue celles et ceux qui avaient contribué à la formation de son esprit. Marie Noël voisinait avec Sophie Podolski, Samuel Beckett et Georges Bataille fréquentaient Thomas Merton et Georges Hyvernaud. Recueils de poèmes et romans noirs, littérature prolétarienne et Pères de l'Église, bandes dessinées érotiques, manuels de jardinage et traités d'architecture, tous les ouvrages étaient mêlés sans distinction, ni préséance, dans la bibliothèque de Mauricette. On y rencontrait aussi ceux qu'André Blavier appelle « les fous littéraires » et des internés célèbres comme Germain Nouveau, Émile Nelligan, Antonin Artaud, Carl Solomon...
Reconnaissable à son dos marqué d'une paire d'étoiles séparées par un point, le gros classeur contenait le manuscrit en cours de Mauricette. ÉTOILE POINT ÉTOILE. *.* ; elle avait eu l'idée de ce titre pendant le stage de 1988, ayant noté qu'en informatique, le signe * peut remplacer n'importe quel mot. Ainsi, *.* désigne n'importe quel fichier et par là, tous les fichiers existant dans la mémoire de l'ordinateur.
Depuis la fin des années soixante-dix, Mauricette avait commencé de fabriquer ce livre qui voulait décrire le monde actuel dans sa totalité, une œuvre composée majoritairement de textes trouvés, découpés dans les journaux de petites annonces, les prospectus de supermarché, les catalogues de vente par correspondance, des listes de courses, des extraits des magazines ou des livres qui lui tombaient sous la main. Au fil du temps, Mauricette avait incorporé à son livre d'autres documents, des fragments du journal intime qu'elle tenait épisodiquement et puis surtout l'anthoveaulogie.
Lorsqu'elle lisait un roman ou un recueil de poèmes, chaque fois qu'apparaissait le mot « veau », elle relevait scrupuleusement la phrase qui contenait le vocable, avec indication du numéro de page et en l'accompagnant des données bibliographiques, auteur, titre, éditeur, année de publication. Christophe ne connaissait pas le pourquoi de cette manie qui la faisait se focaliser sur ce mot de quatre lettres. Pour lui, cela faisait partie de son personnage au même titre que les trous dans sa biographie, ou les périodiques accès de mélancolie succédant à des journées d'intense activité.
Mauricette ne collait pas tous ces éléments dans son manuscrit. Elle les recopiait intégralement, souvent à la machine à écrire, parfois au stylo-bille, s'agissant de son journal intime. La pratique de l'informatique lui avait fourni un nouvel instrument, le traitement de texte, et partant, le titre général d'ÉTOILE POINT ÉTOILE qui « collait » véritablement à son projet globalisant. Ce travail en cours lui donnait sans doute la sensation de recréer la réalité, de lutter contre l'éparpillement qui est la marque du monde contemporain.
Elle n'avait jamais envoyé ÉTOILE POINT ÉTOILE au moindre éditeur. Cependant quelques extraits, sans doute procurés par Alfonsina Vandenbeulque, une de ses relations, figuraient dans l'ouvrage Cadavre Grand m'a raconté, une Anthologie de la poésie des fous et des crétins dans le nord de la France (sic) éditée en 2006 au Corridor Bleu par les soins du poète Ivar Ch'Vavar. Il est également certain que la publication en 1991 de ses Lettres de l'asile lui avait donné un début de notoriété dans le domaine de la littérature marginale.
Non sans une certaine émotion, entre un Traité de la taille des arbres fruitiers et un Slang Dictionary, Christophe dénicha un exemplaire de cet opuscule sur le second rayon de la bibliothèque de Mauricette, un livre mince de format oblong, à la modeste couverture grise, publié à Lyon par les Éditions de Garenne. Christophe Moreel était à l'origine de cette publication. (p. 42-45)

Il cliqua dans ses favoris sur le signet « Étoile Point Étoile ».
Mauricette avait, avec son aide, ouvert un blog sous ce titre, un complément à son œuvre encyclopédique éponyme. Elle y postait assez irrégulièrement des extraits de son Anthologie du veau dans la littérature, des photos ratées, des maximes inattendues souvent drôles... Bref, elle avait une présence sur le web. Sur l'écran, il lut : « Le blog a été supprimé. Nous sommes désolés, le blog à l'adresse etoilepointetoile.blogspot.com a été supprimé. Cette adresse n'est pas disponible pour de nouveaux blogs. » Christophe ne fut qu'à moitié surpris. Avant sa crise, sans doute la sentant venir, Mauricette avait jeté dans les vastes oubliettes électroniques d'Internet toute la matière qu'elle y avait accumulée. Certains lecteurs seraient sans doute déçus, mais Christophe préférait apprendre la disparition du blog plutôt que celle de son animatrice. (p. 95-96)

Lucien Suel, La Patience de Mauricette (La Table Ronde, 2009)

Mauricette Beaussart tenait depuis 2005 un blog étonnant, Etoile point étoile qui a été fermé quelques mois et a rouvert le 6 mai dernier, mais sans ses archives.

Elle est désormais un magnifique personnage romanesque, petite fille septuagénaire pleine de lignes de fuite, dont on découvre peu à peu les secrets après sa fugue de l’hôpital psychiatrique où elle s’était réfugiée. Du cabas vert de Mauricette, le lecteur voit surgir tous les lieux communs de la vie et du roman, magistralement exploités et détournés à la fois par ce livre aussi émouvant qu'intelligent.

Lucien Suel est né en 1948 dans les Flandres artésiennes où il vit toujours. Éditeur de la revue The Starscrewer, puis du magazine La Moue de Veau, il a publié plusieurs recueils de poésie, et, l’an dernier, Mort d’un jardinier (La Table ronde, 2008).

à lire en ligne :
::: Laure Limongi, « En attendant Mauricette » (Rougelarsenrose)
::: Florence Trocmé, « Vies au creux du texte » (Poezibao)
::: « Lucien Suel fête Mauricette » (L’Alamblog)

lundi 31 août 2009

je disciplinais mon cri d'animal

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Le commandant de bord a dit quelque chose mais je ne sais pas quoi, le steward a montré comment respirer dans le masque et comment enfiler le gilet de sauvetage et je n'ai pas regardé. J'avais exactement une heure trente minutes pour changer de langage. Il va falloir modifier ta façon de parler ma fille, je me disais en allemand, en français, puis de nouveau en allemand, puis en français et comme si j'étais ma propre mère. J'ai fait le point sur mes blessures, de haut en bas, les cheveux qui me faisaient mal, les épaules remontées et les rats qui me couraient dans le ventre, les genoux mous, le droit mou et le gauche, j'avais maigri des bras et des jambes et le tout tremblait plus ou moins sans interruption, pour tout dire je manquais fondamentalement de sérénité, j'affichais une sérénité, j'étais quasiment dans une plénitude vu de l'extérieur. Si j'avais laissé s'exprimer l'intérieur on m'aurait prise pour une vache beuglant à la lune comme la fois dans ma voiture où je m'étais mise à beugler, c'est-à-dire meugler en criant, le cri nocturne de la vache, je me demande encore comment j'ai pu cette nuit-là pas une autre mais celle-là glacée, émettre un tel horrible cri bovin, il fallait en avoir de l'animal, sur la route en vache, un grand cri entre deux moments de civilisation, de Zivilisation, je traduisais en simultané, maintenant brisée jusqu'aux cylindres osseux je disciplinais mon cri d'animal, mettais toute mon énergie dans la sérénité et ça marchait vu de l'extérieur, personne dans cet avion n'aura entendu mon horrible cri de blöde Kuh comme on se traite en Allemagne, de vache imbécile, je traduisais en simultané, la Kuh domestique mais animale qui cherche son veau au petit matin et qui appelle son veau tout en sachant déjà avec sa suffisante matière grise de vache que le veau à l'oreille numérotée ne reviendra jamais parce qu'il est trop durablement pas là, beugle encore un jour ou deux mais finit par ravaler son cri, se remet à ruminer comme si elle n'avait jamais eu ce veau, un veau, ni deux ni trois ni aucun veau avec ou sans numéro, l'animal qui voit réellement mourir chaque instant. J'avais tellement beuglé ce soir-là que je m'étais fait peur, je me conformais tant à la vache que j'étais en quasi-symbiose avec la nature, aux prises avec la nature, comme si entre elle et moi la distance avait disparu, verschwunden, je traduisais automatiquement. Et voilà que l'envie de beugler me reprend en plein vol Berlin-Paris. (p. 7-8)

Tu as des idées sur tout, aurait pu dire le pianiste mais ne l'avait pas dit, il est parfois bon de se taire, aurait-il pu dire, aurait ainsi interrompu, par cette remarque de bon sens, les interminables réflexions et ingénieuses associations d'idées qui me venaient, chaque nouvelle idée plus étonnante, subtile, singulière, et formidable que la précédente, aurait arrêté le pianiste cette invasion verbale aussi massive que désordonnée, barbarie contre culture au Café Einstein, où les idées ne font pas de bruit mais trouvent leur intensité dans les mots silencieux de l'écrit et leur profondeur dans la méditation de l'imprimé, j'aurais mieux fait de lire die Welt à la manière de n'importe quel habitué et mieux fait de profiter du concerto diffusé pour feuilleter le journal selon cette manière décontractée et culturelle typique du lieu, j'aurais pu ce n'était pourtant pas compliqué, si j'avais simplement suivi la pente naturelle de la culture indiquée par la maison, retraite et correction, je ne serais pas maintenant à exploser de l'intérieur dans l'espace européen, entre rien et rien, dans l'indifférence générale. Au lieu de profiter de cet environnement réputé favorable entre tous à la culture, j'y pensais maintenant dans l'avion donc trop tard, honte, grande honte, j'enroulais mes jambes comme des serpents venimeux et je remontais mes épaules, non seulement ça mais je balançais au pianiste une rafale d'informations impudiques dans la plus pure tradition des filles sans retenue, lui infligeais les pires tortures de l'Inquisition avec ma façon mal élevée de transgresser les règles de la conversation que je n'ai jamais apprises mais que j'aurais pu au moins singer, le singe imite l'homme mieux que moi je me disais, apercevant dans le miroir du Café Einstein ma tête de fille déplacée, rien du singe dans le miroir, la singerie comme limitation et l'imitation comme garantie de bienséance, le singe bienséant absent du miroir où la fille déplacée sans bienséance se voit telle qu'elle est, que fais-tu ici, éloignée du singe, qu'est-ce que tu veux à la fin, sautant de branche en branche devant la glace à la manière d'un imitateur de singe, l'inhumanité de l'animal ne singeant pas l'homme mais singeant le singe, imitant instinctivement je sautais sur n'importe quoi. (p. 13-14)

Penser à l'éducation de ma sœur a provoqué chez moi, c'est-à-dire au plus profond de mon être qui est l'ultime chez moi, un cri désespérant de vache étouffé, la vache qui appelle son veau étouffant en silence. Non pas qu'elle soit mal éduquée ma sœur, au final son éducation pas si ratée, mais c'est à cause de la mienne, d'éducation, qui est à peu de chose près la même que la sienne, et penser à mon éducation me fait chuter dans la profondeur de mon identification. Je n'y pense que de loin en loin mais déjà beaucoup trop et je pense beaucoup plus souvent encore à l'éducation de ma sœur, presque à chaque fois que je vois ma sœur, non pas, encore une fois, qu'elle soit éduquée de travers, il y a beaucoup plus raté comme éducation que celle de ma sœur, mais parce que je connais cette éducation comme aucune autre vu que c'est presque la même que la mienne, et que je me prends souvent à considérer ses comportements comme le résultat de son éducation, ce qui est une erreur puisque ma sœur, contrairement à moi, a toujours été inéducable. J'en étais là, à essayer de ne pas m'appesantir sur l'éducation ratée de ma sœur ni sur la mienne réussie, quand l'avion a viré sur la gauche, enfin ce que j'ai imaginé être une gauche parce que je n'ai jamais réussi à acquérir de certitude quant à la droite et la gauche non pas en général mais en particulier sur le plan spatial, et qu'est apparu par ce virement sinistre, soudain dans le hublot, le Wannsee. (p. 28-29)

Tu sais dire non pour demain mais pas pour aujourd'hui, tu sais dire non dans un avenir incertain mais pas sur l'instant, non en général oui mais non en particulier non, voilà comment tu es, je le sais parce que toi et moi c'est pareil, a dit ma sœur dans l'avion, l'éducation est identique, dire oui c'est bien mais pas non, il faut dire oui disait Maman qui avait toujours dit oui en général de génération en génération ce qui lui faisait dire non en particulier, disait il ne faut pas dire ceci ou cela, non, surtout ne pas le dire, disait aussi il ne faut pas faire ceci ou cela, surtout ne pas le faire si bien que je disais oui à Maman comme oui en général tandis que ma sœur qui disait oui pensait non, moi obéissante mais elle désobéissante, telle est ma sœur depuis son premier cri poussé, le cri de ma sœur encore dans les oreilles maternelles mais mon absence de cri plus encore, on ne l'entend pas, j'entendais toujours à mon propos, l'obéissance ne fait pas de bruit, je pensais dans l'avion, au moment même où ma sœur se souvenait de son oui qui n'a rien de commun avec un oui obéissant, mon oui à moi toujours si servile mais le oui de ma sœur toujours libre, s'est souvenue que toujours elle disait oui trop tôt, toujours je dis oui et après je regrette, parfois même je regrette avant de le dire et sachant que je le dirai comme ce jour de mon mariage, a dit ma sœur, je ne pourrais pas le jurer mais je crois bien que j'ai commencé à le regretter avant de l'avoir dit mais que je l'ai dit quand même et par esprit de contradiction. Moi aussi je l'ai dit quand même, j'ai dit à ma sœur, mais je ne sais pas par quel esprit, j'ai dit non mais trop tard, quand le choix était définitivement limité entre non et non si bien que ce non n'a pas de valeur, entre non et non c'est facile, comme a dit la guide dans le musée de la Résistance et de la Déportation, dire non en particulier quand le oui est général, oui, disait la guide, le non de ces noms écrits là est un non plus résistant que le non des noms qui ont suivi et qui ne sont pas écrits là parce qu'ils ne méritent pas le nom de Résistants, de la première ou de la deuxième heure ce n'est pas la même chose, a expliqué la guide, la première c'est la première et la deuxième n'est pas trop tard mais presque, et presque trop tard est bel et bien déjà trop tard. Dire non n'est pas toujours possible, a dit la guide en arrivant dans la salle de la Déportation, parfois non est tout simplement impossible à dire mais possible à penser et parfois pourtant impossible à penser, mais pas non plus. Le pianiste avait suivi la guide à travers les salles de la mémoire déportée et commencé à réfléchir au Jasager, celui qui dit oui. La question du Ja ou du Nein n'apparaissait pas au pianiste comme une question nouvelle mais comme une ancienne, très ancienne, ancestrale question, les ancêtres des Jasager avec lesquels il faut bien avoir affaire, faire des affaires avec les Jasager ancestraux est un commerce de tous les jours. Composer un Neinsager serait une manière de ne pas composer avec le oui, pensa le pianiste, il avait décidé de parler du Jasager dans la salle de conférence du musée de la Résistance et de la Déportation justement en présence d'un spécialiste de la communication c'est-à-dire de la Jasagung, la communication dans la Résistance comme partout et le piano dans la communication comme la Résistance et la Déportation dans la communication, le communicant posait des questions sur la musique et la Résistance au pianiste et le pianiste répondait au communicant, le pianiste assis à côté du Jasager cherchait une issue de secours, aperçut l'extincteur, ne pas choisir l'extinction mais la sortie, dire oui pour dire non et pas non pour non, non pour oui mais pas oui pour oui, l'extincteur c'est non pour non la sortie oui pour non, au fond dans l'obscur cherchait la ligne de fuite. (p. 124-127)

Noémi Lefebvre, L’autoportrait bleu (Verticales, 2009)

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J'ai beaucoup aimé les phrases interminables, pleines de nuances, de revirements et d'autodérision, du premier des 87 premiers romans français de cette rentrée que je lis : le temps d’un vol entre Berlin et Paris, la narratrice y évoque pêle-mêle (parce que tout se tient), avec humour et gravité, (parce que l'une ne va pas sans l'autre), Schönberg, l’éducation des filles, le nazisme, son ex belle-mère scout, l’esprit de résistance, les vaches, sa sœur, Wagner, et surtout son inadaptation chronique à la vie en société.

Née en 1964 à Caen, Noémi Lefebvre vit et enseigne à Grenoble. Docteur en sciences politiques, après des études musicales et une thèse sur le thème « Éducation musicale et identité nationale en Allemagne et en France » (1994), elle a publié plusieurs essais. L'autoportrait bleu est son premier roman.

::: un entretien video avec Sylvain Bourmeau pour Mediapart
::: « Musique et résistance » (EspacesTemps.net, mars 2007)

post scriptum :
::: un entretien pour Fluctuat.net
::: Thierry Clermont, « Dentelles de Berlin » (Le Figaro)

mercredi 19 août 2009

organiser les traces internet qui construisent l'ambiguïté

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Cet incendie du Hilton comme allégorie de la ville, et la ville comme allégorie du monde : où étions-nous, quelle ville, quel monde, qui soudain basculait dans son envers ? Il n'y avait plus de ville ni de temps : ces galeries, et le bruit du monde, s'il nous parvenait, nous n'en étions plus acteurs. Émigrants, plutôt, et jetés : à trois rues et une dizaine d'étages d'où nous étions deux heures plus tôt, lors de la première alerte, surplombant ce ventre souterrain dont nous devions être, trois jours durant, les appendices. Garants de la continuité, d'un état stable du monde, et voilà : entracte.
Quatre heures très précisément, juste un bloc de nuit. De 1 h 50 la première sirène et l'appel, jusqu'à 5 h 50, et qu'on s'effondre, sans retrouver pourtant le sommeil, avant journée blafarde à suivre. Et c'est maintenant, à dix semaines de distance, que je rouvre ces heures. Un non-événement : le plus parfait des non-événements. Des victimes, des blessés, des morts, dans l'immense catastrophe ordinaire du monde : rien, aucun. Un bouleversement de la ville, des ruines, un effondrement absolument pas. Juste cela, l'incendie du Hilton, ce qu'on y cherche, ce basculement provisoire, et la ville cul par-dessus tête.
Au moment de commencer, compteraient donc non pas des faits, mais le souvenir de cette déambulation dans l'envers de la ville, soudain offerte : le moderne montrait ses coutures. Alors cette attente, et l'incendie tout là-haut sous les toits, un livre qui en serait non pas la restitution, encore moins l'illusion, mais voudrait le redonner temps pour temps - quatre heures vécues, quatre heures à lire. Construction de nuit, construction d'une ville ou de l'envers d'une ville, construction d'un temps coupé de la grande loi du monde, comme nous l'étions, et qui pourtant exhibait soudain à nu, très provisoirement, toutes les lois cachées du monde. (p. 9-10)

J'ai toujours travaillé en double, avançant à la fois le livre et son projet : dans les anciens carnets, en page de gauche des listes, des bribes de plans et des éléments à se remémorer, des noms, des lieux. On note des titres de livres, on découpe ou recopie des bribes d'articles, on stocke des images, autrefois découpées, maintenant repiquées sur l'écran, on bricole des plans, des schémas avec des flèches et des assemblages, puis ces bouts de phrases, celles qui viennent dans la nuit, qu'on tient précautionneusement devant soi au lever pour les déposer dans le cahier qui les garde, la date avec le texte, ou juste comme ça, dans la rue. Et puis, autrefois page de droite des carnets, le récit linéaire, ses ajouts, reprises, corrections. Je gardais tout cela dans une vieille valise noire mais longtemps que l'ordinateur avait mangé d'abord les versions en cours, puis les carnets eux-mêmes.
De même j'aimais ces stylos-plumes de marque Schaeffer, au lourd corps de métal noir brossé, et leur capacité de tenir une écriture à la fois minuscule et grasse. Je ne supporte pas, s'il s'agit de récit, ce qui porte atteinte à la vitesse : le clavier aujourd'hui le permet, ils sont sur une plaque souple, on s'habitue à les utiliser sans voir et c'est comme ça que j'entame ce texte, première heure, juste au lever, avec un bol de café et le silence du dehors, la nuit pas encore défaite, l'ordinateur tenu sur les genoux dans quelque recoin qui ne soit pas la table de travail et ses tâches du jour : listes dans mini-bloc-notes hors du traitement de texte principal, schémas et noms, déroulé des heures - et c'est nouvelle grotte ou nouveau labyrinthe, ce qu'on peut associer à l'incendie du Hilton. (p. 15-16)

Des Salons du livre en général, et de celui-ci en particulier, j'ai peu à dire : ce qui nous occupe n'est pas un métier, en tout cas ça se passe ailleurs que dans ces entassements clos. Et ceux qu'on y croise, quand le hasard vous y ramène, sont comme la partie morte de ce petit monde : on dirait qu'eux ça leur convient, qu'ils n'en louperaient pas un de toute la France, y ont leurs habitudes presque comme d'un portemanteau réservé. Certains de mes plus proches amis, on peut se voir une fois tous les deux ans, c'est bien le roulement de temps qu'il nous faut pour avoir accumulé de quoi exprimer ce qu'on a (si je prenais ses mots à lui) ou conquis, ou vaincu, ou déplacé - ou bien, au contraire, là où on s'est résigné, et dont on laisse à d'autres le soin d'investir le territoire aperçu, sombre, hostile. C'était un Salon comme les autres, et sans cette table ronde sur le numérique je n'aurais pas, de moi-même, eu le souhait d'y participer, ni même d'y traîner : le livre, pour ses lecteurs, est un objet rare, personnel, et non pas ces accumulations en masse qui en mêlent toutes les catégories, vous donnent le tournis, tout en vous faisant respirer cette poussière des allées de ciment brut, ici aggravée par les sous-sols. (p. 51-52)

Utiliser des noms de personnes, existantes, qu'elles aient réellement été à ce Salon du livre de Montréal, ou bien que je les y convoque fictivement, au nom de la logique même de mon récit : ne rien laisser qui permette de trancher. Organiser même, en amont et rétrospectivement, les traces Internet qui construisent l'ambiguïté, ça doit pouvoir se négocier. (p. 158-159)

Consciencieusement évacuer toute version intermédiaire : ça m'aura aidé à avancer. Reste celles que j'envoie régulièrement, en cours de travail, à une boîte aux lettres créée il y a déjà quatre ou cinq ans uniquement pour cela, et dans laquelle je n'ai jamais fait le ménage, n'ayant jamais eu besoin de l'ouvrir. Étrange de penser à ce genre de dépôt. (p. 180)

Titre de travail, tout au long de la rédaction : Typologie de l’incendie du Hilton. Tenté aussi : Nouveau Monde. (p. 183)

François Bon, L'incendie du Hilton (Albin Michel, 2009)

Les 430 romans français de la très française « rentrée littéraire » commencent à déferler sur les tables des libraires.

Choisir de commencer par L’incendie du Hilton, qui paraît jeudi mais que François Bon a eu la gentillesse de m’envoyer, afin d’adresser un salut virtuel à celui qui a traversé il y a quelques jours l’océan pour s’installer quelque temps dans ce « Nouveau Monde » où se situe l'incident de la nuit du 22 novembre 2008 qui a servi de pré-texte à cette belle réflexion sur le roman.

De ce roman, c’est son auteur qui parle le mieux, par exemple dans cet entretien vidéo avec Sylvain Bourmeau pour Mediapart, et certainement pas Christophe Donner, qui auparavant « n’avait jamais lu un livre de François Bon », car il se « méfiai(t) du côté social de ses titres » (sic !)

voir aussi :
::: des extraits avec photos du dernier chapitre
::: un film de Jean-Paul Hirsch, directeur commercial chez POL.

jeudi 6 août 2009

tptc - tu peux toujours courir

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BASKETVILLE
tu peux tjs courir se lit en deux heures (ou moins) –

le feu passe au rouge : c’est parti

tptc (tu peux tjs courir)
[ou comment comprendre le phénomène péri- urbain] (p. 5)

à basketville (1) il y en a qui se clashent pour savoir la couleur de maillot qu’on voit le plus souvent sur la course ou qui comparent le prix des baskets entre ici et là-bas quand ils reviennent – il y a ceux qui font des pronostics entre eux pour anticiper quelle sera la b.o. de leurs amours d’été et ceux qui classent les revenus des vedettes – il y a celui qui chronomètre son temps de trajet en métro : 12 stations par une moyenne d’une trente entre deux stations plus 2 minutes de changement avec en plus à peu près 3 d’attente ou alors ceux qui donnent des notes aux filles entre 0 et 10 quand ils sont au café – ils font des probabilités sur les cadeaux cachés dans les couvercles de pâte à tartiner – ils comptent les pubs sur le bord de la route – il y a ceux qui savent les noms de tous les basketteurs nba et ceux qui vont voir au thermo- mètre la température qu’il fait tous les quarts d’heure – il y a celles qui se tirent par les cheveux pour un moins 70% collé sur une étiquette et celui qui collectionne et qui fait des archives avec les numéros de plus de 1000 femmes de 40 à 60 ans qu’il a branchées pour des plans cul au téléphone – il y en a qui font de la customisation d’autos et aussi de motos et mobylettes ou qui lancent des forums de discussion sur les baskets laquées et où tous ceux qui aiment ou n’aiment pas les baskets laquées sont au rendez-vous – il y a ceux qui veulent savoir qui se cachait sous le masque du père fourrat et tous ceux qui sont inscrits à des concours de poésie – il y a celui qui connaît tous les tatoueurs de paris – il y a celle qui fait des listes avec le nom de toutes ses meilleurescopines avec des plus et des moins devant les noms pour savoir à la fin laquelle est la meilleurecopine ou ceux qui ne lâcheront pas l’affaire tant que le SAV ne leur aura pas renvoyé le petit service à thé qu’ils ont commandé TEL QU’IL ÉTAIT SUR LA PHOTO – (p. 11-12)

à basketville – le jour où on a dynamité la barre – n’a pas été le jour où tout le monde s’est rassemblé pour commémorer – il n’y avait pas de tristesse mêlée de joie devant une vie nouvelle – on n’a pas pu apercevoir le bâtiment qui a été coupé en deux ni les artificiers se féliciter car l’opération était difficile – il n’y a pas eu de cordon de sécurité pour permettre aux anciens locataires venus assister à l’événement d’éviter les projections de poussière – on n’a pas pleuré de bonheur ou laissé éclater sa colère – ce jour-là on n’a pas organisé un grand repas populaire – pas dit bonjour à maman devant la caméra – il n’y avait pas un vétéran qui a souligné qu’on ne quitte pas l’endroit où on a vécu 30 ans sans un pincement au cœur – et il n’y a pas eu la méticuleuse préparation des explosifs – ça n’a pas été la fois où toutes les générations sont réunies – pas la fois où à la fin du comptage à rebours tout le monde applaudit – on n’a pas pris des photos pour comparer avant et après – on n’a pas vu arriver les officiels contents – il n’y a pas eu de heurts ou de violences avec les uniformes – on n’a pas pu visiter les nouveaux pavillons dont les anciens locataires ont pris possession depuis une dizaine de jours – la fois où la barre s’est comme enfoncée dans elle-même n’a pas été la fois où un architecte cool va faire un point sur les tendances actuelles en urbanisme – pas la fois où chacun est reparti avec en souvenir un morceau de gravats – il n’y avait pas des bravos juste après l’explosion – on n’a pas chanté ou fait un black-out sur les avis des opposants et ça n’a pas été l’occasion de venir avec des caméscopes – il n’y a pas eu l’immortalisation à jamais des dernières minutes du bâtiment b ni de rediffusion au ralenti du dixième de seconde précis où on a vu les murs comme soufflés par la déflagration – pour cette fois on n’a pas évoqué la possibilité d’aller habiter ailleurs – pas non plus pensé à rester – on n’a pas tiré un trait ni entendu un des anciens dire – c’est la vie – il n’y a pas eu de volonté des constructeurs de minimiser leurs responsabilités – on n’a pas senti le sol trembler quand les 18 étages se sont écrasés par terre comme un accordéon – pas entendu le témoignage de parents qui avaient appelé une de leurs filles ariane parce que ici c’est le quartier de l’ariane – le matin où la barre est tombée – il n’y avait pas le sentiment partagé que comme un nouveau départ s’annonçait – (p. 17-19)

Félix Jousserand, Basketville (Au Diable Vauvert, 2009)

Basketville, c'est la création d’une zone poétique, dans une langue mutante et rythmée, pour dire les zones ou tptc (« tu peux toujours courir », expression leitmotiv) car les baskets « ont des semelles avec de l'air dedans » mais les objets artificiels du désir sont toujours hors d’atteinte.

Félix Jousserand, artiste multi-supports de la scène slam parisienne et membre du collectif Spoke Orkestra, est né en 1978 à Paris.

Ce livre fait partie des trois titres qui lancent la petite (par la taille !) collection de poésie des éditions Au Diable Vauvert, la collection VO.X ; les trois titres sont téléchargeables gratuitement au format pdf.

::: François Bon, « le slam comme littérature à part ? »

samedi 18 juillet 2009

cet océan de liberté que promet la solitude

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10. Écrire

Je ne sais pas très bien à quoi cela tient un écrivain. Pourquoi ni comment quelque chose en soi résiste au-delà de tout, au-delà des soucis d'argent, de la solitude, du sentiment d'incompréhension et d'inutilité qui parfois submerge, de la vanité de toute cette énergie consacrée à témoigner d'une certaine vision du monde, d'une exigence, ou plutôt d'une soif qui exige en soi. Je ne sais pas. Je sais seulement que je ne peux faire autrement, parce que autrement pour moi c'est mourir. Or, j'ai choisi la vie.
Je comprends si bien comment par lassitude ou épuisement, les uns après les autres abandonnent et se replient vers l'ordre de la mort. Je connais ce harassement et ce dégoût de la répétition qui vient sans cesse interroger la qualité de notre exigence et de notre dignité d'homme. Et pourtant ce sont ces intimes fatigues, ce dégoût et ces lassitudes qui nous conduisent progressivement vers la nudité nécessaire à partir de laquelle le vivant peut nous habiter.
Humblement il m'arrive de perdre courage. Cependant l'écriture me redresse et me tient. C'est l'unique façon que j'ai de ne pas complètement échouer à tenir cette promesse qu'est la vie, témoignant ainsi de cet absolu à notre portée qui est celui non pas seulement d'être heureux, mais vivant.
- Vous parlez comme quelqu'un qui a survécu à un traumatisme et vit uniquement pour témoigner, m'a dit, un jour, un médecin.
Je témoigne de cet absolu, n'en finissant pas de survivre à ce traumatisme qu'est le monde. L'absence de sécurité intérieure, où j'ai perpétuellement vécu, m'a « contrainte » à tisser cet incroyable espace spirituel qu'est l'écriture, où je peux m'en libérer.
Elle m'a permis de me construire sur mes propres ruines dont chaque fragment m'appartient. Je suis entrée dans le plaisir intense d'accéder à ma propre vérité. Je sais désormais à quel point la vérité rend heureux et que chercher la sienne c'est aussi dévoiler celle des autres.

Écrire seul me donne la légitimité d'être. Je n'en ai aucune autre.
Cette part, inaltérable en moi, personne ne peut la posséder, y compris moi-même, elle m'ouvre un accès continuel à la connaissance qui est, à mes yeux, un autre nom de l'amour. (p. 33-35)

18. Solitude

« Je suis seule, même lorsque je suis avec les autres, je suis seule. Seule. Toujours seule. »
Il y a quelques années, un oncle m'a rapporté ces propos que je lui ai tenus enfant.
Plus que de solitude, je vois qu'il s'agit là d'un isolement profond. Celui dans lequel j'ai si largement vécu remonte à mon enfance. Je me souviens qu'autrefois mon isolement était tel que je clignais les yeux, presque sans paupières. Je ne voyais personne à qui m'adresser, personne.
J'éprouve depuis si longtemps que nous sommes en exil de notre propre dignité d'homme, œuvrant dans le jardin du diable comme sur des terres étrangères.

La solitude est l'unique façon que j'ai trouvée d'échapper à cet isolement. Seule, je rejoins le monde, puisque j'écris. Et ainsi, vient l'opulence.

Je lis couchée sur mon lit. Le motif de mon gilet projette sur mon livre un éclat de soleil qui va et vient au rythme de ma respiration. Être là pour témoigner de la sensualité paisible de cette tache de lumière justifie, à mes yeux, mon existence tout entière. Cette délicatesse, la présence des autres l'altère. Mais ce sont ces délicatesses dont j'ai aussi besoin pour vivre.

Nous ne voulons pas être seuls parce que nous ne voulons pas être libres. C'est si terrible d'être son propre maître avec sa propre loi. Et accrochés à nos contraintes comme à un misérable parapet, nous nous dérobons à cet océan de liberté que promet la solitude. (p. 51-52)

Lorette Nobécourt, L’Usure des jours (Grasset, 2009)

Une dépression oblige une femme à reprendre les choses de sa vie dans l'ordre et en 44 chapitres : 1. Naître 2. Prénom 3. Père 4. Mère, etc.

Lorette Nobécourt est née à Paris le 16 septembre 1968 et a publié aussi :
- La Démangeaison (Sortilèges, 1994 ; réédition Grasset en 2009)
- L'Équarrissage (Grasset/Les Inrockuptibles, 1997)
- La Conversation (Grasset, 1998)
- Horsita (Grasset, 1999)
- Substance (Pauvert, 2001)
- Nous (Pauvert, 2002)
- En nous la vie des morts (Grasset, 2006)

::: un article de Marine Landrot pour Télérama

vendredi 17 juillet 2009

mais j'aime tellement proust

::: le site de Pascale Borel

lundi 6 juillet 2009

prière ératépiste

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Notre Auber

Notre Auber qui êtes Jussieu
Que Simplon soit Parmentier
Que Ta Volontaires soit Place des Fêtes
Que Ton Rennes arrive
Sur Voltaire comme Courcelles
Donne-nous Galliéni notre Havre-Caumartin
Et ne nous soumets pas à la Convention
Cambronne-nous nos Défense
Comme nous Odéon à ceux qui nous ont Maraîchers
Délivre-nous des Halles.
Miromesnil.

Hervé Le Tellier, Zindien (Syllepse, 2000) (Le Castor Astral, 2009, p. 47)

dimanche 5 juillet 2009

il manque une pièce au puzzle

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Cette discussion presque quotidienne me manque beaucoup après son décès, et chaque début d'après-midi il y a un moment où je ne sais plus quoi faire entre deux activités. C'est l'heure, deux heures et demie de l'après-midi, où habituellement depuis des mois je l'appelais au téléphone. Bien sûr, il n'y a plus personne à appeler, il a disparu, rayé de la liste, au suivant. Tout de même, quelque chose cloche dans ce système où tous les êtres humains décèdent un à un ; quelque chose a raté dans la création du monde, l'ensemble est défectueux, il manque une pièce au puzzle. Les choses sont bizarres, normalement les gens que l'on aime ne devraient pas mourir. (p. 19)

Pour le repas d'anniversaire de ses quatre-vingts ans, une nièce a fait imprimer sur les menus une photographie de lui que je n'avais jamais vue : il est enfant, il doit avoir cinq ou six ans, ses cheveux sont coiffés bizarrement, coupés au bol, trop longs, cela lui donne un air de fille ; il pourrait être l'objet de moqueries de ses camarades d'école mais je sais que c'est impossible, il a un regard qui inspire le respect et la crainte, il a une autorité naturelle qui s'impose à tous, même au travers du temps, qui s'impose même à moi aujourd'hui. La reproduction photographique est la partie d'un cliché plus large le montrant au milieu de ses père, mère et tante. Il a le regard dans le vide avec un timide sourire. Comme pour chaque photo d'enfant qui ne rit pas aux éclats, on peut réinterprêter a posteriori le personnage et prétendre voir des décennies plus tard quelque chose dans son regard. Mais personne ne peut jamais dire ce que va devenir un être, quelle va être sa vie, le hasard est le roi du monde et très peu d'hommes et de femmes peuvent le combattre et le vaincre. On ne peut non plus jamais savoir ce qu'a pensé une personne, ce qu'elle a ressenti, elle seule le sait, et encore, si elle n'a aucune mémoire, elle oublie son passé au fur et à mesure que la fin de sa vie approche. La photographie montre seulement un enfant qui pose pour l'objectif aux côtés des grandes personnes. Il ne peut rien savoir de son avenir, il ne sait même pas ce que le mot signifie ; il connaît seulement son présent et ce présent, c'est la grande maison, la rue, le château et la ville tout autour. (p. 29-30)

Quand on n’a pas d’enfants, on ressent d’une manière plus intense le devenir de l’humanité, on peut voir en surimpression sur le monde la trace du temps, telle une autoroute en pointillé. Un écrivain comme Marcel Proust en est l’exemple parfait, Franz Kafka également. Mais quand Proust est immobile, Kafka court, il sprinte à grandes foulées, il veut s’échapper, il attaque la réalité à la pioche, ou plus précisément à la clef à molette et au tournevis, il est là pour changer quelque chose, pour démonter le système et le remonter dans le bon sens, il est là pour réparer le monde. Si je devais comparer mon oncle à un de ces écrivains, je le comparerais à Proust : il voit, il comprend, il observe, il explique. Mais il laisse tout en place, il ne part pas en guerre contre le monde comme le fait Kafka. Non, mon oncle est un homme pacifique, un homme non pas résigné mais respecteux. (p. 54-55)

Marc Pautrel, L’homme pacifique (Gallimard, L’Infini, 2009)

Marc Pautrel est né en 1967. Il a publié auparavant :
- Le métier de dormir (Confluences, 2005)
- La vie des écrivains classiques (publie.net, 2008)
- Je suis une surprise (voir billet)

::: en ligne : deux articles de Guénaël Boutouillet (remue.net) et Jérôme Garcin (NouvelObs)

::: et aussi : le site de Marc Pautrel, son blog et son Carnet de triptyques quotidiens.

mardi 30 juin 2009

suite mobile de bifurcations, dérives, rhizomes

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Un livre ne commence pas – absence de commencement, une écriture sans début ni fin. Livre déjà commencé, déjà commencé d’être écrit. Non dans l’existence de l’écrivain, ses expériences, son enfance heureuse ou malheureuse, ses pensées, bêtes ou géniales, mais dans quelque chose en lui, un ailleurs à travers lui ouvert à l’absence de commencement, ouverture sans bord, illimitée – qui ne serait que cela, ouverture, vide désert, béance sans lieu, sans espace. Et, pas davantage, l’origine ne serait dans la langue ou le langage, dans des idées ou la culture ou... Personne n’écrit : ce qui écrit est personne, ce qui écrit est rien. Un livre ne se limite pas aux petites frontières de quelques pages rassemblées, selon la représentation commune qui retrouve dans le volume du livre les caractères les plus éculés de la subjectivité. Le livre dérive, fait de dérives, et d’un inconscient, l’écriture : suite mobile de bifurcations, dérives, rhizomes – infiniment.

Jean-Philippe Cazier, Le silence du monde (publie.net, 2009, p. 78)

::: et aujourd’hui sur publie.net un troisième livre de Jean-Philippe Cazier ! un essai très dense, sur l'expérience de la lecture notamment, composé de fragments, nourri de nombreuses références et citations, que je télécharge pour y revenir à loisir.

lundi 29 juin 2009

vie cérébrale du monde

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Écrire : zone obscure, écrire : inconnue zone obscure du monde, parler : mobilité du cerveau du monde, de la pensée, du corps du monde – parler inachevé :

(ondes, vie cérébrale, engloutie et sans forme, chutes d’un cerveau d’ondes, dans l’obscurité : écrire…

… (ondes sans cesse, sans cesse écrire, inachevé le monde, le cosmos du monde, mots à l’intérieur du crâne, écrire : vie cérébrale du monde

(écrire sur le cerveau du monde

(mobilité de la pensée, dans l’obscurité : écrire))).

Jean-Philippe Cazier, Écrires ; précédé de Poémonder (Inventaire/Invention, 2004, Publie.net, 2009, p. 17-21)

Jean-Philippe Cazier est né en 1966 ; il est professeur de philosophie et a publié :
- Voix sans voix (Sils Maria, 2002)
- Écrires précédé de Poémonder (Inventaire/invention, 2004)
- Désert ce que tu murmures (La Cinquième Roue, 2006)
- C’est pourtant Joseph K. qui est là (publie.net, 2009)

::: son blog : http://jeanphilippecazier.blogspot.com/

samedi 27 juin 2009

un prophète de notre post-humanité ?

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Wacko Jacko en offrait toujours plus ! Cela faisait longtemps qu'il donnait le spectacle d'une douloureuse entredévoration de l'image et du modèle, sans qu'il soit possible de déterminer ce qui chez lui était premier. Personne n'aurait su dire s'il s'incarnait plutôt dans l'original ou le reflet. Ou encore dans leur hypothétique entre-deux. Deux miroirs se renvoyant leur propre néant déformant ? Dans la surenchère au sublime et au grotesque qui, depuis la nuit des temps médiatiques, mettait aux prises les principes de Réalité et de Fiction au sein de chaque individu, mais jamais à un degré plus pathétiquement déchirant que dans le personnage de mutant hybride que s'était composé Michael Jackson (p. 15-16)

Le martyre d'un genre nouveau qu'endurait Michael Jackson, cet être mal défini, ni tout à fait toon ni tout à fait humain, ni vraiment noir ni vraiment blanc, ni enfant ni adulte - son martyre spécial ne tenait-il pas à sa faculté unique d'accueillir toutes les tares et contradictions de l'époque : l'amour de la nature, les phobies, le culte de la beauté, le métamorphisme, la jeunesse éternelle, la cryogénisation, la candeur de Bambi, le déchaînement de la violence, l'ubiquité, l'ennui, la chirurgie plastique, les films d'horreur et particulièrement ceux avec Boris Karloff et Vincent Price, la pudeur, le sexe extrême, la différence érigée en horizon moral indépassable, les clones, la réclusion, l'exhibitionnisme - non seulement de les accueillir, ces tares et contradictions, sans en rejeter aucune, mais de les incarner dans la chair étrangement composite qui était la sienne à leur degré maximum ? Son apparence, sa voix, son art, ses comportements, tour à tour outranciers ou doucereux, étaient-ils autre chose que la tentative de contenir, dans une même et frêle enveloppe corporelle, cette effrayante énergie disruptive ? Et si tel était le cas, cela n'en faisait-il pas un prophète de notre post-humanité ? voué à être adulé par les masses puis réprouvé par l'opinion - suscitant force extases glamour et pâmoisons collectives jusqu'en 1995 (cent trente-trois millions d'albums vendus, et combien de singles ? de tickets de concerts ?), le payant de la dérision populaire ensuite (les caricatures moquant l'homme-qui-avait-perdu-son-nez, les photos le montrant menottes aux poignets, les plaisantes perspectives de déconfiture financière, sanction logique de sa ruine morale et de sa décrépitude physique) - parce qu'il révélait dans la sphère publique ce que chacun de nous expérimentait déjà à petites touches dans la sphère privée, et vivrait demain au grand jour, comme lui, Michael « Bambi » Jackson, mais à doses de plus en plus élevées, exaspérantes, destructrices ?
Modèle ou créature, vous vivez dans l'imagination du public. La popularité est l'élément au sein duquel vous vous propagez. Mais plus votre popularité s'accroît et plus votre personnalité est diffractée, par le mental d'autrui, en une infinité de doubles, certains ressemblants, la plupart totalement aberrants. Pour tout personnage célèbre, tôt ou tard l'exigence de ressemblance cède le pas aux impératifs de la notoriété. « A-t-il jamais existé ? » en vient-on à se demander. On comprendrait qu'une créature comme Michael Jackson, si c'en est une, éprouve le besoin de rejoindre son modèle dans la réalité. (p. 23-25)

PAR ANTICIPATION, ON POUVAIT LIRE SUR LA FIGURE ARTIFICIELLE DE BAMBI FRANKENSTEIN LE RÉCIT VRAI DE LA PURE FICTION QUE SERAIT BIENTÔT CHACUNE DE NOS VIES. (p. 34)

Jean-Hubert Gailliot, Bambi Frankenstein (L’Olivier, 2006)

Né en 1961, co-fondateur des Editions Tristram en 1987, Jean-Hubert Gailliot a aussi publié :
- La Vie magnétique (L’Olivier, 1997)
- Les Contrebandiers (L’Olivier, 2000)
- L'Hacienda (L’Olivier, 2004)
- 30 minutes à Harlem (Petite Bibliothèque de l'Olivier, 2004)

mardi 23 juin 2009

certains jours les nouvelles technologies épuisent

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Quand il n'y a pas de nouveau héros,
on retravaille les anciens.

Bientôt, une puce sous la peau, un capteur
nous permettra de trimballer nos souvenirs.
Puissants comme Spider, nous serons une
maquette de sensations.
Quand des nanotubes circulent dans
les artères, le cerveau ne reçoit plus
d'informations.
Je peux encore dessiner un cavalier dans un
espace vierge, si je veux, en attendant.
Faire boire mon cheval à la rivière.
Bientôt, je serai l'homme augmenté ou
miniaturisé, je mènerai une bataille de
résistance sur la planète Voya Nui.
La mâchoire de Piraka s'ouvrira
et je serai phosphorescent.

Les nanomètres rendent léger,
font briller l'intérieur.

(On m'appellera Terminaison ou Focus).

Une puce sous la peau ?
La quatrième dimension ?
Cette puce deviendra un agenda compulsif.
Dans ce nouveau réseau de communication,
je ne sais pas si les toons auront encore de
l'intérêt.
Il faut leur réserver un cabinet noir.
Les sensations seront sismiques, ne pourront
se transmettre : une quantité de programmes,
les vies antérieures, l'infiniment petit de la
résistance personnelle (p. 38-39)

Certains jours, les nouvelles technologies
épuisent, le software, tout ce qui connecte (p. 42)

Véronique Pittolo, Ralentir Spider (Éditions de l’Attente, 2008)

Dans la collection SPOOM dirigée par Franck Pruja, une plongée dans la culture d’aujourd’hui à propos duquel une petite note de l’auteur, glissée dans le livre, dit :

Dans Ralentir Spider, je dresse une archéologie du toon, à travers une typologie de personnages issus de l’entertainment. Spiderman est une figure générique raccourcie en Spider pour évoquer le terme anglais speed, speeder : vitesse accélérée.
Il s’agit d’un clin d’œil à l’inflation vertigineuse des représentations de comics, le mot toon englobe à la fois l’univers de la BD, l’animation, les séries de science-fiction, les jeux vidéos et leurs dérivés (Pokemon, Jeux en ligne).
Entre addiction et aliénation, le monde virtuel imprègne l’imaginaire d’un adolescent, et produit d’autres modes d’exploration. Une collusion se produit entre ce monde artificiel et la réalité que l’on perçoit par bribes documentaires (attentats, catastrophisme exhibé par les médias).

Véronique Pittolo est née en 1960 à Douai. Elle a aussi publié :
- Montage (Fourbis, 1992)
- XY ou la Poursuite du Bonheur (Cahiers Ephémérides, 1998)
- Héros (Al Dante, 1998)
- Schrek (L’Attente, 2003)
- Chaperon Loup Farci (La Main Courante, 2003)
- Gary Cooper ne lisait pas de livres (Al Dante, 2004)
- Opéra isotherme (Al Dante, 2005)
- Exploration (Éoliennes, 2006)
- Danse à l’école (L’Attente, 2006)
- Hélène mode d’emploi (Al Dante, 2008)
- La Révolution dans la poche (publie.net, 2008)

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