lignes de fuite

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Recherche - michaux

jeudi 25 juin 2009

tous ont quelque chose pour eux dans la toile

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Lecture

Les livres sont ennuyeux à lire. Pas de libre circulation. On est invité à suivre. Le chemin est tracé, unique.
Tout différent le tableau : immédiat, total. À gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté.
Pas de trajet, mille trajets, et les pauses ne sont pas indiquées. Dès qu'on le désire, le tableau à nouveau, entier. Dans un instant, tout est là. Tout, mais rien n'est connu encore. C'est ici qu'il faut commencer à LIRE.
Aventure peu recherchée, quoique pour tous. Tous peuvent lire un tableau, ont matière à y trouver (et à des mois de distance matières nouvelles), tous, les respectueux, les généreux, les insolents, les fidèles à leur tête, les perdus dans leur sang, les labos à pipette, ceux pour qui un trait est comme un saumon à tirer de l'eau, et tout chien rencontré, chien à mettre sur la table d'opération en vue d'étudier ses réflexes, ceux qui préfèrent jouer avec le chien, le connaître en s'y reconnaissant, ceux qui dans autrui ne font jamais ripaille que d'eux-mêmes, enfin ceux qui voient surtout la Grande Marée, porteuse à la fois de la peinture, du peintre, du pays, du climat, du milieu, de l'époque entière et de ses facteurs, des événements encore sourds et d'autres qui déjà se mettent à sonner furieusement de la cloche.
Oui, tous ont quelque chose pour eux dans la toile, même les propres à rien, qui y laissent simplement tourner leurs ailes de moulin, sans faire vraiment la différence, mais elle existe et combien instructive.
Que l'on n'attende pas trop toutefois. C'est le moment. Il n'y a pas encore de règles. Mais elles ne sauraient tarder ...

(1950)

Henri Michaux, Passages (1937-1963) (Gallimard, L’Imaginaire, p. 75-76)

vendredi 19 juin 2009

comment cohabiter sans servir ?

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La mouche est si bien organisée qu'elle a pu assidûment fréquenter l'homme depuis des milliers d'années, sans être mise à la porte, ni mise à travailler. Le tout sans se gêner et ne cherchant nullement comme le chat à feindre d'être apprivoisée. Allant même jusqu'à s'installer au bord de ses yeux et à puiser dans ses larmes admirablement salées l'appoint chloruré nécessaire à son régime. Avec la même aisance elle fréquente aussi de plus gros mammifères aux yeux confortables et nul doute qu'elle ne rêve d'yeux plus parfaits encore, creusés au lieu de bombés, pareils à des soucoupes, soucoupes vivantes, distillant le liquide exquis.
Voilà l'être que tout homme, dans une époque qui rend esclave, se doit de bien étudier au lieu des aigles, des lions et des chevaux, ou des princes qui ne lui apprendront jamais ce qu'il lui importerait tellement de savoir : « Comment cohabiter sans servir ? »

Henri Michaux, Passage (1937-1963) (Gallimard, L’Imaginaire, p. 143)

dimanche 18 mai 2008

(l'avis dans les six plis)

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Répondre ou ne pas répondre à l’injonction de l’appeau vert : « Énoncer six choses, dire 6 trucs sur soi, un peu spontanés, avec légèreté si possible... et passer le relais à six autres victimes » ?... répondre et ne pas répondre me semble une ligne de fuite possible, et pour la peine je lui pique son titre, que j’aime beaucoup.

1. je n’ai jamais aimé les « chaînes » à faire suivre :
quand j’étais petite, par peur que ça lui porte malheur sinon, ma grand-mère avait recopié une lettre 100 fois à la main et réexpédié tout cela (les techniques d'aujourd'hui nous évitent au moins les timbres et l’huile de coude) et je me souviens avoir essayé en vain mais avec ardeur de la convaincre que c’était idiot.

2. en revanche j’aime les plis, replis, depliements de l'internet après ceux de Michaux, et Deleuze, et celui de Mallarmé :

Ce pli de sombre dentelle, qui retient l’infini, tissé par mille, chacun selon le fil ou prolongement ignoré son secret, assemble des entrelacs distants où dort un luxe à inventorier, stryge, nœud, feuillages et présenter.
Avec le rien de mystère, indispensable, qui demeure, exprimé, quelque peu.
Stéphane Mallarmé, Variations sur un sujet

3. écarter les plis rouges des rideaux du couloir dans « Beyond Life and Death », le dernier épisode de Twin Peaks, que j’ai vu la nuit dernière, s'avère fatal au charmant Kyle MacLachlan alias Dale Cooper.

4. en profiter pour préciser que je ne suis pas la mère Denis ! (l'humour comme position de repli)

5. en souvenir de ma grand-mère, qui m’a élevée et que j’aimais beaucoup, je ne ferai pas suivre à six autres « victimes » … mais j’invite tout blogueur qui lit ces lignes à faire des plis en éventail s'il en a envie.

6. j’espère par ailleurs que je ne suis pas l’une des deux Christine dont parle brigetoun à propos d’un autre questionnaire, dont j’avoue qu’il m’inspire peu ...

samedi 12 avril 2008

sortir en éventail

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Je voudrais. Je voudrais quoi que ce soit, mais vite. Je voudrais m’en aller. Je voudrais être débarrassé de tout cela. Je voudrais repartir à zéro. Je voudrais en sortir. Pas sortir par une sortie. Je voudrais un sortir multiple, en éventail. Un sortir qui ne cesse pas, un sortir idéal qui soit tel que, sorti, je recommence aussitôt à sortir.

Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes, tome 2 (Gallimard, Pléiade, p. 630)

Cette citation (qui s'ajoute à quelques autres) pour applaudir la création d'un site sur Henri Michaux (source : tiers livre)

vendredi 15 février 2008

beaucoup de prose

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Chacun est extraordinaire. Il est seul à s'en apercevoir. Découragement ! Enfin, il finit par s'y faire... puisque personne d'autre que lui ne le remarque.
Mais voilà que dix, quinze ans passent et quelqu'un d'autre, également, le trouve extraordinaire. Merveille. Être aimé. Et l'autre aussi, comme c'est étrange, justement l'autre aussi est extraordinaire, unique, vraiment unique. On n'eût pu l'imaginer... et elle est, naturellement, belle, mais surtout unique, unique.
Amour ! Il est soulagé du poids de sa personne, du poids de sa vie, de ses journées, de ses occupations et soulagé de la propriété à la fin lassante de sa personne.
Quelle merveille ! Qu'est-ce qui ne va pas arriver ? Plus rien n'est impossible. Il atteint sans effort le haut du monde.
………………………………
Dans la suite, tout d'un coup, ce poète souvent doit apprendre beaucoup de prose ...

Henri Michaux, « Observations » (1950), Passages (Gallimard, 1963, Tel, p. 98-99)

mardi 12 février 2008

supposez

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Supposez les pensées, des ballons, l’anxieux s’y couperait encore.

Henri Michaux, « Tranches de savoir », Face aux verrous (1954, Gallimard Poésie, p. 57)

lundi 11 février 2008

les nés-fatigués

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Ma vie : traîner un landau sous l’eau. Les nés-fatigués me comprendront.

Henri Michaux, « Tranches de savoir », Face aux verrous (1954, Gallimard Poésie, p. 47)

dimanche 27 janvier 2008

cela tarde bien

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Je me couche toujours très tôt et fourbu, et cependant on ne relève aucun travail fatigant dans ma journée.
Possible qu'on ne relève rien.
Mais moi, ce qui m'étonne, c'est que je puisse tenir bon jusqu'au soir, et que je ne sois pas obligé d'aller me coucher dès les quatre heures de l'après-midi.
Ce qui me fatigue ainsi ce sont mes interventions continuelles.
J'ai déjà dit que dans la rue je me battais avec tout le monde ; je gifle l'un, je prends les seins aux femmes, et me servant de mon pied comme d'un tentacule, je mets la panique dans les voitures du Métropolitain.
Quant aux livres, ils me harassent par-dessus tout. je ne laisse pas un mot dans son sens ni même dans sa forme.
Je l'attrape et, après quelques efforts, je le déracine et le détourne définitivement du troupeau de l'auteur.
Dans un chapitre vous avez tout de suite des milliers de phrases et il faut que je les sabote toutes. Cela m'est nécessaire.
Parfois, certains mots restent comme des tours. je dois m'y prendre à plusieurs reprises et, déjà bien avant dans mes dévastations, tout à coup au détour d'une idée, je revois cette tour. je ne l'avais donc pas assez abattue, je dois revenir en arrière et lui trouver son poison, et je passe ainsi un temps interminable.
Et le livre lu en entier, je me lamente, car je n'ai rien compris... naturellement. N'ai pu me grossir de rien. Je reste maigre et sec.
Je pensais, n'est-ce pas, que quand j'aurais tout détruit, j'aurais de l'équilibre. Possible. Mais cela tarde, cela tarde bien.

Henri Michaux, « Une vie de chien » , Mes propriétés (1930), dans La Nuit remue (Poésie Gallimard, p. 102-103)

mercredi 23 janvier 2008

empêcheurs de tourner en rond

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Tout prend si facilement à notre époque une forme extrémiste et contraignante, que si j'apprenais la réunion modérée de gens modérés, envisageant des échanges de vue modérés sur une amélioration modeste des rapports entre les hommes et entre les peuples, je me méfierais encore et les observerais du coin de l'œil et du recoin de l'âme, et surtout le développement de leur mouvement vers le meilleur je le surveillerais avec méfiance, tant les hommes de ces années me semblent voués de la même façon irrésistible à être les empêcheurs de tourner en rond de tous les autres individus de notre petite planète.

Henri Michaux, « Idées de traverses », dans Passages (Gallimard, « L'Imaginaire », 1963, p. 18-19)

vendredi 11 janvier 2008

vos remblais les uns les autres

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Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ? Communiquer quoi ? tes remblais ? la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?
Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 53)

lundi 10 décembre 2007

l'âme adore nager


L'âme adore nager.
Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va en nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes c'est ce que j'établirai plus tard.)
On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.
Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.
L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle à lui, et si ce fil se rompait (il est parfois très ténu, mais c'est une force effroyable qu'il faudrait pour rompre le fil), ce serait terrible pour eux (pour elle et pour lui).
Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l'homme à l'âme s'écoulent des volumes et des volumes d'une sorte de matière spirituelle, comme de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz - jouissance sans fin.
C'est pourquoi le paresseux est indécrottable. Il ne changera jamais. C'est pourquoi aussi la paresse est la mère de tous les vices. Car qu'est-ce qui est plus égoïste que la paresse ?
Elle a des fondements que l'orgueil n'a pas.
Mais les gens s'acharnent sur les paresseux.
Tandis qu'ils sont couchés, on les frappe, on leur jette de l'eau fraîche sur la tête, ils doivent vivement ramener leur âme. Ils vous regardent alors avec ce regard de haine, que l'on connaît bien, et qui se voit surtout chez les enfants.

Henri Michaux, « La paresse » , Mes propriétés (1930), dans La Nuit remue (Poésie Gallimard, p. 110-111)

lundi 5 novembre 2007

ne l'ébruitez pas !

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Sans rapport avec Henri Michaux (quoique...) le prix Goncourt 2007 vient d'être très secrètement décerné à Éric Chevillard ... mais ne l'ébruitez pas !

Sans doute pour éviter à Chevillard un sort cruel, Didier Decoin vient d'annoncer que le Goncourt était « officiellement » attribué comme annoncé à Gilles Leroy pour Alabama Song, publié par le Mercure de France (un petit éditeur indépendant encore !).

C'est Daniel Pennac qui décroche le Renaudot 2007 pour Chagrin d'école (chez Gallimard !)

ne pas laisser de trace

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Plus tu auras réussi à écrire (si tu écris), plus éloigné tu seras de l'accomplissement du pur, fort, originel désir, celui, fondamental, de ne pas laisser de trace.
Quelle satisfaction la vaudrait ? Écrivain, tu fais tout le contraire, laborieusement le contraire !

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 57)

dimanche 4 novembre 2007

la sottise de te montrer

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Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 36)

samedi 3 novembre 2007

si la souffrance

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Si la souffrance dégageait une énergie importante, directement utilisable, quel technicien hésiterait à ordonner de la capter, et à faire construire à cet effet des installations ?
Avec des mots de « progrès, de promotion, de besoin de la collectivité » il fermerait la bouche aux malheureux et recueillerait l'approbation de ceux qui à travers tout entendent diriger. Tu peux en être certain.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 20)

vendredi 2 novembre 2007

les vertus du mimétisme

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Dans une société de grande civilisation, il est essentiel pour la cruauté, pour la haine et la domination si elles veulent se maintenir, de se camoufler, retrouvant les vertus du mimétisme.
Le camouflage en leur contraire sera le plus courant. C'est en effet par là, prétendant parler seulement au nom des autres, que le haineux pourra le mieux démoraliser, mater, paralyser. C'est de ce côté que tu devras t'attendre à le rencontrer.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 21)

jeudi 1 novembre 2007

quantité d'autres

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La pierre n'a pas reçu en partage la respiration. Elle s'en passe. C'est à la gravitation surtout qu'elle a affaire.
Toi, c'est beaucoup plus aux « autres » que tu auras affaire, à quantité d'autres. Considère en conséquence tes compagnons de séjour avec discrimination, traitant les roches d'une façon, le bois, les plantes, les vers, les microbes d'une autre façon, et les animaux et les hommes d'une autre façon encore, sans jamais te confondre avec les uns et les autres, surtout pas avec ces créatures à qui la parole semble avoir été donnée principalement afin d'arriver à se mêler au plus grand nombre, au milieu duquel, croyant comprendre et être compris, quoique à peine compris et immensément incompréhensifs, ils se sentent à l'aise, réjouis, dilatés.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 23-24)

vendredi 26 octobre 2007

dessiner l'écoulement du temps

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Henri Michaux écrivait :

Je voulais dessiner la conscience d'exister et l'écoulement du temps. Comme on se tâte le pouls. Ou encore, en plus restreint, ce qui apparaît lorsque, le soir venu, repasse (en plus court et en sourdine) le film impressionné qui a subi le jour.

« Dessiner l'écoulement du temps », Passages (1957, Gallimard, Tel, p. 129) (Gallimard, Pléiade, II, p. 371)

Camilla Torna, graphiste florentine installée à New York, invite dans son projet « Visualizing Time » des gens d'âge, de milieux et de nationalités diverses à dessiner le temps.

lundi 15 octobre 2007

je me chiffonne

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J'ai rarement rencontré dans ma vie des gens qui avaient besoin comme moi d'être regonflés à chaque instant.
On ne m'invite plus dans le monde. Après une heure ou deux (où je témoigne d'une tenue au moins égale à la moyenne), voilà que je me chiffonne. Je m'affaisse, je n'y suis presque plus, mon veston s'aplatit sur mon pantalon aplati.
Alors, les personnes présentes s'occupent à des jeux de société. On va vite chercher le nécessaire. L'un me traverse de sa lance, ou bien il use d'un sabre. (On trouve hélas ! des panoplies dans tous les appartements.) L'autre m'assène joyeusement de gros coups de massue avec une bouteille de vin de Moselle, ou avec un de ces gros doubles litres de chianti, comme il y en a ; une personne charmante me donne de vifs coups de ses hauts talons ; son rire est flûté, on la suit avec intérêt et sa robe va et vient, légère. Tout le monde est plein d'entrain.
Cependant, je me suis regonflé. Je me brosse vite les habits de la main, et je m'en vais mécontent. Et tous de pouffer de rire derrière la porte.
Des gens comme moi, ça doit vivre en ermite, c'est préférable.

Henri Michaux, « Un chiffon » , Mes propriétés (1930), dans La Nuit remue (Poésie Gallimard, p. 104-105)

jeudi 11 octobre 2007

en somme une infirmité

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Le style, cette commodité à se camper et à camper le monde, serait l'homme ? Cette suspecte acquisition dont, à l'écrivain qui se réjouit, on fait compliment ? Son prétendu don va coller à lui, le sclérosant sourdement. Style : signe (mauvais) de la distance inchangée (mais qui eût pu, eût dû changer), la distance où à tort il demeure et se maintient vis-à-vis de son être et des choses et des personnes. Bloqué ! Il s'était précipité dans son style (ou l'avait cherché laborieusement). Pour une vie d'emprunt, il a lâché sa totalité, sa possibilité de changement, de mutation. Pas de quoi être fier. Style qui deviendra manque de courage, manque d'ouverture, de réouverture : en somme une infirmité.
Tâche d'en sortir. Va suffisamment loin en toi pour que ton style ne puisse plus suivre.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 33)

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