lignes de fuite

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samedi 14 juillet 2007

ferry boat et poésie

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Je retrouve mon addiction au « blogging », après quelques jours à Marseille, où je n’ai pas fait que savourer le soleil, buller sur la corniche en regardant passer les (quelques petits) nuages et attendre (en vain) que le « ferry boat » du vieux port (sur lequel veille une vache paresseuse du plus beau rose) ne soit plus en « arrêt technique ».

J’ai également rendu ma visite rituelle à la très riche (et néanmoins charmante) bibliothèque du cipM, hébergée dans la Vieille Charité, visite que j’ai prolongée par quelques escales dans mes librairies préférées, notamment L’Odeur du temps et son beau fonds de poésie.

Outre À la bétonnière (Le Quartanier, 2007) du poète marseillais Arno Calleja (né en 1975), dont on peut aussi lire en ligne Criture (Inventaire/Invention, 2006) et « Légen » (remue.net, 2006), j'en ai rapporté quelques uns des beaux petits livres (parfaits pour ne pas alourdir trop ma valise) des éditions de l’Attente : Marie Rousset, Jérôme Mauche et Nicolas Tardy.

post-scriptum : pour ceux qui ne liraient pas les commentaires, je relaie ici l’information fournie par FB : la mise en ligne des fichiers audio de la nuit remue 2.

vendredi 13 juillet 2007

peur d'absence

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Connaître soudain la peur que le lien au monde soit interrompu. Se retourner vers ce qui est accumulé, confusément. Dans ce fouillis fouiller de façon de plus en plus désordonnée, secoué par la crainte qui a motivé la fouille de ne pas trouver de quoi renforcer le lien déjà si distendu qu'il menace de céder et dévoiler la différence entre le monde conservé par le monde et le monde conservant le monde ; tout mettre sens dessus dessous dans ce désordre sans direction et à mesure que croît la confusion distinguer de moins en moins de présence et sentir la peur de rupture se muer en peur d'absence - qu'il n'y ait là rien qui ait été et que le lien n'ait jamais été qu'une foi en ne plus savoir distinguer quoi, de toute manière infondée - qu'effectivement il n'y ait plus rien de ce qui se révèle n'avoir jamais été que le cri muet de la chute dans la différence des mondes : dans l'absence d'un soi qui somme toute devait constituer une manière de liant d'une sorte perdue, mais n'avait pas de profondeur, ce qui absente la chute même du mouvement. Cependant au fond de l'effroi distinguer dans la commotion de l'air dérangé par le cri une forme de mouvement si belle, si parfaite et vraie qu'elle se libère elle-même de la condition de visibilité, - et que la peur disparaît sous l'émerveillement et avec elle l'intuition de la forme. L'équanimité retrouvée révèle que ce qui était à craindre était de ne pas pouvoir saisir la forme afin de la conserver : l'approche de l'idée suscitant la peur qu'elle ne paraisse que de se dissiper. Cependant cette frayeur n'a pas été vaine : l'espoir vient de trouver à l'interruption que la disparition de la peur a recouverte et rendue impossible à localiser une forme pour la conserver : une idée.

Marc Cholodenko, « Idée », Glossaire (POL, 2007, p. 40-41)

jeudi 12 juillet 2007

inutile et nuisible

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Le mode conditionnel est inutile et nuisible, qui ne fait qu'apporter au passé la rancune, au présent l'envie, au futur la timidité dont ils n'ont nul besoin. Je peux tabler aujourd'hui sur un avenir selon mes vœux dont demain me dira s'il le fut ou pas, quant au passé, de lui-même il s'est enseveli et il n’y a que moi-même pour me tromper dans l'usage que je fais de ce que j'en sauve. Ce que l'expérience apprend de moins contestable c'est que tout est ainsi qu'il est dans le monde tel qu'il est, et on peut juger que la grammaire a été bien bête, à moins de la concevoir comme une sorte de nature pour nous seuls dont l'indifférence s'oppose aux efforts de notre intelligence et aux menées de notre perspicacité bien plus sûrement que l'universelle du fait que, si elle aussi nous ignore, toutefois nous nous comprenons mutuellement.

Marc Cholodenko, « Conditionnel », Glossaire (POL, 2007, p. 20)

mercredi 11 juillet 2007

l'art est illusionniste

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Si la caricature consiste à conserver les proportions de l'ensemble tout en modifiant la forme et la dimension de certaines parties, il n'y a pas d'art qui ne soit caricatural - avec en plus cette différence que, le réel n'étant pas un ensemble dans lequel il serait loisible d'isoler des parties, l'art de l'art consiste à faire passer son ouvrage pour une partie arbitrairement détachée et agrandie d'un ensemble donné, qui n'existe pas : à inventer l'ensemble par la partie qui à son tour trouve sa place et par conséquent son fondement dans la présence d'un ensemble dont elle crée l'illusion. Ainsi, l'art est illusionniste plus encore que caricaturiste, mais avant tout en cela qu'il nous présente l'incomplet comme l'indice d'un complet, nous donne l'intuition de l'ensemble par la partie là ou ne sont ni ensemble ni parties, et resserre notre conscience sur un objet nécessairement fini pour le nimber, secrètement, d'infini. La grande œuvre musicale n'est pas une construction sonore, c'est l'écoute comme entente du monde, la grande œuvre plastique n'est pas une fenêtre, c'est une ouverture sans contours : l'ouverture ; la grande œuvre écrite n'est pas un jour sur le monde, c'est sa lumière : sa matière.

Marc Cholodenko, « Art », Glossaire (POL, 2007, p. 11)

mardi 10 juillet 2007

les suivre les redessine

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Ce qui n'a pas de chair ne peut être entamé ; ce qui a affecté l'âme ne l'a pas pénétrée - ni ne l'a marquée ; ce qui y demeure ce sont des lignes qui se perdent aussi loin qu'on les remonte : les suivre les redessine. (p. 7)

Œuvre est en soi, posée en soi par l'auteur entre l'auteur et lui-même. Œuvre est espace que se ménage l'auteur entre lui et lui. Qu'il n'est pas lui, tout ce lui, rien que ce lui-là, heureusement, - que l'œuvre soit le montre ; qu'il n'est pas pas lui, rien que non-lui, un tout autre-là, heureusement, - que l'œuvre soit d'un auteur le montre. Entre être et n'être pas, l'auteur, par l'œuvre, se ménage un délai, un suspens, une trêve. Entre les deux termes de l'impossible alternative il pose un lui qui y est. (p. 15)

D'où viennent les pensées qui ne sont pas des réflexions des souvenirs ou des jugements. Y a-t-il des pensées qui ne soient pas réflexions souvenirs jugement ou association des trois à divers degrés. Comment viennent les pensées si ce n'est pas d'un remuement, mélange de ces trois composants comme une main plongée dérange le contenu d'un sac de blé. Mais comment peut se faire cette réorganisation quelque infime sous l'effet de quelle impulsion de quel courant d'où venu. Est-ce du corps, d'un mouvement corporel qui déclencherait un réaménagement. (p. 67)

Marc Cholodenko, Glossaire (POL, 2007)

Marc Cholodenko est né le 11 février 1950 à Paris.

Ce Glossaire se compose d'une série de variations en prose où les mots donnent corps à un effort de définition de ce qu’est la conscience confrontée au réel, et dont la syntaxe et la ponctuation très singulières semblent engagées dans la tentative de (pour)suivre le cheminement de la pensée.

lundi 9 juillet 2007

que notre invisible s'accroche

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On laisse derrière soi l'événement muet. On laisse derrière soi l'événement, on le pose, on tourne, travaille, sombre, voyage. On laisse derrière soi tout ce qui eut lieu de l'homme ou de l'histoire qui révéla l'énigme précédant tout et soi. On n'a pas d'émoi. L'indifférence bâille, au début, dès le début, et finit, après le désastre, n'importe lequel, après, par nous donner raison. Il reste une question, une maille détricotée, un invisible comme les petites bêtes que l'on possède dans les nuits et cela a forme d'enfant entre deux arbres au jardin, dans le cadre net d'une fenêtre. Il est important et insensé que notre invisible s'accroche dans le jardin, soit nu, vu, pour un instant.

Les nuages sont épais et coupés des fils noirs du téléphone et des toits. Les roses trémières font une frise au balcon juste sous le premier toit. Une tourterelle au collier noir se perche sur l'antenne de télévision, se perd un instant et recommence.

La forme d'enfant a beau nager, ombre et saisie de ce qui est secret, au-dessus de deux qui ont une histoire, elle réclame pourtant réponse, n'étant bien sûr ombre qu'ici. La forme n'est pas forme simplement. Elle croît bien sans moi et sans ce que nous fîmes d'elle, de nous, de deux, des idées, des effrois. Aller chercher mon fils à l'école. Je punaise sur le mur ses dessins au fusain. Un rouge-gorge ploie le col par mouvements saccadés. Cela fait exactement dix minutes qu'il est posé sur la cheminée bien au-dessus du balcon aux roses trémières. Il y reste. À l'aurore, les couleurs ou reliefs se superposent, une lumière, lustre blanc, gonfle ou tend le nuage. Je regarde par le rectangle gris de la fenêtre. Des postillons noirs se précipitent, traversent. Par groupes de deux. Et cela est surprenant quand le groupe est grossi. Ce sont les martinets qui courent en volant, trois secondes de martinets par la fenêtre, groupés et surprenants.

Marie Cosnay, Déplacements (Laurence Teper, 2007, p. 77-78)

Marie Cosnay est née à Bayonne en 1965
Professeur de lettres classiques et traductrice de textes antiques, elle a déjà publié :
Que s’est-il passé (Cheyne, 2003)
Adèle, la scène perdue (Cheyne, 2005)
Villa Chagrin (Verdier, 2006)
On peut aussi lire dans remue.net « La langue maternelle » et « En outre ».

dimanche 8 juillet 2007

internet et moi

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L'APA (Association pour l'Autobiographie et le Patrimoine Autobiographique) propose dans le dernier numéro de sa revue La Faute à Rousseau (n°45, juin 2007) un dossier « Internet et moi » qui prolonge la table ronde du 17 mars 2007.

Web, Net, Blog ... ou bien vous en êtes déjà, et vous arriverez peut-être ici blasé, ou vous n'en êtes pas (encore), et vous viendrez jeter un oeil méfiant : tous, soyez les bienvenus dans ce dossier « papier », à l'ancienne ! Pas besoin de cliquer : tournez les pages, méditez ...
Méditez sur l'accélération de l'histoire : notre dossier va du passé le plus reculé (il y a dix ans) au plus lointain (dans cinq ans peut-être!). À peine publié, il sera obsolète. (p. 25)

... ça, c'est le début de l'introduction : j'avoue que je n'ai pas encore lu tout le reste et j'y reviendrai sans doute, mais en feuilletant la revue j'ai croisé Fuligineuse, Kozlika et Veuve Tarquine, une photo de Philippe De Jonckheere, et un beau texte de Philippe Lejeune, « Autopacte et moi » (p. 57).

En attendant, je vous invite aussi à suivre les nombreux liens de l'APA.

samedi 7 juillet 2007

né libre-penseur

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Lorsqu'il fut descendu sur le quai du métro, Petit Plug perdu au milieu d'une forêt de jambes d'hommes et de femmes qu'il ne pouvait ne point identifier à M. Hébrant (car ils devaient tout comme lui croire que la Terre tourne), sa décision était arrêtée. Il ne pouvait demeurer parmi les conformistes. Il était façonné tout autrement, lui, Petit Plug. Il était né libre-penseur. Il croyait en Dieu, mais à sa façon. Et sans les condamner il ne prenait point les vérités données pour argent comptant. Il possédait un esprit critique par trop développé pour se contenter de vivre comme tout le monde. Et c'était contre lui qu'il exerçait ce don reçu des fées ; contre lui et ses maîtres, contre l'enseignement qu'il recevait d'eux. Cela était tout un. Il était bien plus aventureux de rétorquer ses dons contre soi-même à travers les personnes qui nous nourrissent que contre les gens dont on ne dépend point. Il y fallait quelque courage. Le monde était peuplé de gens comme M. Hébrant, d'honnêtes gens qui croyaient fort à ce qu'on leur avait inculqué. Il savait d'instinct qu'il ne rencontrerait que des M. Hébrant où qu'il aille et de pires que lui peut-être bien. Il se trouvait dans la situation d'un homme qui adore le mouvement et ne rencontre que des gens satisfaits d'eux-mêmes exprimant leur suffisance, tout vulgairement, tout bruyamment, en demeurant sur place. C'était le lot des gens de la tribu. Il n'était point, Plug, un homme de la tribu. Mais il n'y avait point d'autres endroits au monde où il pût se poser. Les gens de sa sorte y sont toujours tenus pour des sauvages, des exceptions. Petit Plug ne voulait point être une exception. On commence par être une exception et l'on finit par devenir une bête curieuse aux yeux des bas-de-plafond. Cela n'était point vivre dans la dignité. Aussi, quand il entendit que l'on annonçait l'arrivée de la rame de métro, Petit Plug qui s'était déplacé vers le bout du quai respira profondément et sauta du quai au milieu des rails. (p. 67-68)

Marcel Detiège, Le petit Plug est mort (La Table ronde, 2007, p. 67-68)

L’histoire drôle, édifiante et tragique de Plug, surdoué de dix ans qui s’exprime comme un auteur classique et n’entend pas accepter que son professeur lui dénie le droit d’exercer son esprit critique et sa liberté de pensée.

Marcel Detiège est né le 11 mars 1941 à Beauraing en Belgique.
il est Greffier honoraire des tribunaux belges, et a déjà publié de nombreux essais et des poèmes.

vendredi 6 juillet 2007

réalité augmentée

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::: « Second Earth : la feuille de route vers le MetaUnivers », un très intéressant billet d'Hubert Guillaud dans InternetActu

::: la BPI met en ligne ses archives sonores, avec notamment le cycle « La Création littéraire dans tous ses états »

::: François Bon est dans YouTube avec Sortie d’usine et s’en étonne

::: quant à Isabelle Zribi elle est plus classiquement dans remue.net, avec un texte inédit : « Allo dépression service » - voir aussi le livre des temps nouveaux, son blog.

jeudi 5 juillet 2007

une si douce apocalypse

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Le projet Cassandre doit beaucoup à plusieurs penseurs de la fin du siècle dernier oubliés de tous. Ceux-ci formulèrent, avec un sens prophétique remarquable, mais de manière fragmentaire, des hypothèses qui rejoignent nos propositions actuelles.
Qu’il s’agisse de Guy Debord, de Jean Baudrillard, de Baudoin de Bodinat, ou de Philippe Muray, tous décrivent la disparition de la réalité, sa falsification systématique dont notre système a besoin pour soumettre l’humanité aux nouvelles conditions de vie après le monde ancien.
Leur description valait dénonciation, ce qui implique que leur littérature n’est aujourd’hui plus lisible.

Traçons rapidement les principaux axes selon lesquels doit être menée la transformation de l’homme.
Celle-ci étant définie non comme une surhumanité, comme l’ont cru certains songe-creux néo-positivistes, mais bien comme une infra-humanité, seule à même de consentir au régime d’horreur…

Jérôme Leroy, Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruines (Mille et une nuits, 2007, p. 131)

Sous ce beau titre, Jérôme Leroy propose de courtes nouvelles d’anticipation très noires qui évoquent un monde déglingué d’une inquiétante familiarité, notamment chaque fois que revient le leitmotiv « depuis les élections de 2007 » (par exemple « depuis les élections de 2007, il fallait être glamour, gagneur, optimiste », p. 32), et qui sont introduites par une exergue au diapason :

Je sais seulement que si vous avez quelque chose qui vous tient tant soit peu à cœur, autant en faire votre deuil dès maintenant parce que tout ce que vous avez connu se disloque, s’effondre et finira en gadoue dans le crépitement ininterrompu des mitrailleuses.
George Orwell, Un peu d’air frais

Né en 1964, Jérôme Leroy est notamment l’auteur de :
Le Déclenchement muet des opérations cannibales (Équateurs, 2006)
Rêves de cristal (Mille et une nuits, 2006).
Le cadavre du jeune homme dans les fleurs rouges (Le Rocher, 2005)
Big Sister (Mille et une nuits, 2004)
Bref Rapport sur une très fugitive beauté (Les Belles lettres, 2002)
Une si douce apocalypse (Les Belles Lettres, 1999)

mercredi 4 juillet 2007

(on s'est perdus.)

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Des lignes chevauchées par des mots.
Des signes simples. Des codes. Des
figurines. Des simulacres de corps. Des
cercles. Des boussoles. Des points
cardinaux. Des flèches. Des couleurs.
Des doigts tendus. des épaisseurs. Des
flaques.

La carte est vide. Pastilles rondes et
légende : un endroit où vous n'irez pas.

Au zoo, illisible.

Le lieu et la langue, illisibles.

(...)

Les mots-dessins.

La langue dans les cartes cachée.

Sereine Berlottier, Chao Praya (Apogée, 2007, p. 37-38)

Ce journal d'un voyage dans la langue davantage que sur les cartes (pleines de vide) où dans le réel (incertain) se termine par une (belle) parenthèse qui contient les mots : « (On s'est perdus.) » (p. 59).

Sereine Berlottier est née en 1971.
Elle a publié également Nu précipité dans le vide (Fayard, 2006)
Elle est membre du comité de rédaction de remue.net.

On peut lire en ligne :
- un autre extrait dans Poezibao
et, dans remue.net :
- un article de Jean-Marie Barnaud
- une page sur Nu précipité dans le vide
- et d'autres textes : « en marchant », « On dort », « Revoir » et « Mezza voce ».

mardi 3 juillet 2007

boucles et nœuds

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::: la nuit remue, suite : pour lire le point de vue d'Emmanuelle Pagano et remercier remue.net d'avoir cité lignes de fuite dans la nuit remua et mis en ligne « demeure le corps », le video livre de Philippe Rahmy, accompagné d'un texte de François Bon

:::: dans libr-critique, Philippe Boisnard propose des vidéos des lectures d'Expoésie (à Périgueux) : Olivier Cadiot, Katalin Molnar, Julien Blaine, etc.

::: de l'idiorythmie appliquée à la lecture : le concept de Barthes illustré par Berlol (qui lit un peu lentement à mon goût !) et Jenbamin (qui lui se vante d'avoir lu la Recherche « au pas de charge » entre le 9 avril et le 17 juin !)

::: bonne nouvelle pour les membres de l'ADLLQH : il y aura 727 nouveaux romans à lire à la rentrée prochaine. Tandis que les écrivains travaillent leur mental, il n'est pas très gentil de la part de Livres Hebdo de titrer son édito « Tri sélectif » !

::: entendu à Paris : le principe de la « brève de comptoir » importé dans un blog

::: enfin un site pour parcourir la toile pas à pas à partir d'une url : walk2web ... j'avoue ne pas très bien comprendre comment ça marche, mais c'est très rigolo comme jeu

lundi 2 juillet 2007

le bonheur de ce monde

Découvert par ricochet dans une des œuvres de Daniel Spoerri, une composition intitulée également « Le bonheur de ce monde » (1960-1971), en forme d’horrible maison de poupée remplie de pièges à rats, parmi lesquels est affiché ce poème, un sonnet de Christophe Plantin (1514-1589), surtout connu comme imprimeur et typographe :

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Le bonheur de ce monde

Avoir une maison commode, propre et belle,
Un jardin tapissé d'espaliers odorans,
Des fruits, d'excellent vin, peu de train, peu d'enfans,
Posséder seul sans bruit une femme fidèle,

N'avoir dettes, amour, ni procès, ni querelle,
Ni de partage à faire avecque ses parens,
Se contenter de peu, n'espérer rien des Grands,
Régler tous ses desseins sur un juste modèle,

Vivre avecque franchise et sans ambition,
S'adonner sans scrupule à la dévotion,
Dompter ses passions, les rendre obéissantes,

Conserver l'esprit libre, et le jugement fort,
Dire son chapelet en cultivant ses entes,
C'est attendre chez soi bien doucement la mort.

... conclusion dont je me dis que la signification au XVIe siècle était probablement (mais peut-être me trompé-je ?) positive, alors qu’elle est aujourd’hui (en nos temps de réalisation de soi) désespérante.

illustré par « ça crève les yeux que ça crève les yeux » (1966) de Daniel Spoerri

dimanche 1 juillet 2007

comme un pompéi mental

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Rien de plus significatif (…) que les tableaux-pièges de Spoerri : ces objets collés, tels qu’il les trouve un matin sur une étagère – ce Petit Déjeuner pétrifié, comme d’un Pompéi mental – une fois dressés verticalement sur le mur, donnent le vertige.
Il suffit d’un changement de point de vue pour transformer les objets de la vie quotidienne en symboles de mort et de fixité.

Alain Jouffroy, « Pour une révolution du regard », mai-décembre 1960 (Repris dans Une révolution du regard. À propos de quelques peintres et sculpteurs contemporains. Recueil de textes de 1953 à 1964, Gallimard, 1964)

De même, je ne connaissais Daniel Spoerri que très vaguement avant ma visite de l’exposition sur Le Nouveau réalisme, et ses « tableaux-pièges » m’ont fait une très forte impression, qu'Alain Jouffroy décrit fort bien dans ces quelques lignes, auxquelles je ne vois rien à ajouter.

Jardin de Daniel Spoerri

samedi 30 juin 2007

un désir de tout détruire

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J’ai aussi dans cette exposition découvert les premières œuvres de Niki de Saint Phalle, dont je connaissais essentiellement, comme beaucoup de monde je pense, les « Nanas » colorées ludiques et un peu galvaudées.

Les « Tirs », où des poches de peinture rouge sont éclatées au fusil pour ensanglanter des collages de plâtre et objets divers, sont un moyen pour la jeune artiste d’extérioriser et d'exorciser une violence subie : sont présentés ici « Old Master (petit tir) » (1961), « Hommage to Bob Rauschenberg (Shot by Rauschenberg) » (1961) et surtout « La Mort du patriarche » (1962-72) accompagné du film « Daddy » (1972) - très clair sur ce(lui) qu’il s’agit ici d'exécuter à la peinture rouge.

Il existe dans le cœur humain un désir de tout détruire. Détruire c'est affirmer qu'on existe envers et contre tout.
Niki de Saint Phalle (Mon Secret, La Différence, 1994)

::: le site du Jardin des tarots
::: un dossier pédagogique sur le Nouveau réalisme
::: une visite plus complète que la mienne (et avec des photos) de l’exposition.

vendredi 29 juin 2007

l'art est insensé

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L'art est total, car il peut être « fait » aussi bien de pierre et d'huile, de bois et de fer, d'air et d'énergie, de gouache, de toiles et de situations, d'imaginaire et d'obstination, d'ennui, de bouffonnerie, de colère, d'intelligence, de colle et de fil de fer ou d'opposition.

Jean Tinguely (cité dans l'Art Vivant, n°7, janvier 1970)

J’ai toujours éprouvé beaucoup d’intérêt et de tendresse mêlée pour les machines de Jean Tinguely, dont plusieurs sont présentées dans l’exposition consacrée au Grand Palais au Nouveau réalisme (si elle vous tente, ne traînez pas, elle se termine lundi 2 juillet) : de la conceptuelle « Machine à dessiner (Métamatic 1) » (1959) à l’énorme et bruyante machine suicidaire qui s’autodétruit tragiquement pendant trente minutes dans « Hommage à New York : Études pour une fin du monde I et II » (Jardins du MoMA, New York, 1960), en passant par mes préférées, les frêles et délicates « Baloubas » (1962) à plumes et à fleurs.

Autre citation de Tinguely, citée dans Le Nouveau réalisme (Beaux Arts, hors série, avril 2007) :

« L’art est insensé et – comme tout – non dépourvu de sens »

Le site du Musée Tinguely à Bâle

jeudi 28 juin 2007

ce dont tremble un enfant

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Si par hasard vous croisez, n'importe où dans le monde - à l'aéroport de Chicago par exemple, les flics y sont très gentils avec les enfants, ils leur donnent toujours des badges amusants -, une petite fille vêtue de noir coiffée d'un béret, un attaché-case à ses pieds, et qui lit avec intensité, en suçant son pouce ou en buvant du jus de tomate avec une paille, le Traité du désespoir de Kierkegaard, il y a pas mal de chances pour que ce soit Unica.
Et si elle vous regarde droit dans les yeux, en murmurant : Ce dont tremble un enfant, pour l'adulte n'est rien. L'enfant ne sait ce qu'est l'horrible, l'homme le sait, et il en tremble. Le défaut de l'enfance, c'est d'abord de ne pas connaître l'horrible, et en second lieu, suite à son ignorance, de trembler de ce qui n'est pas à craindre.
Éloignez-vous au plus vite...

Elise Fontenaille, Unica (Stock, 2007, p. 11)

Ce court roman, qui est à la fois (et donc n’est pas vraiment) un thriller d’anticipation, une fable sur les tabous de notre époque et une histoire d’amour impossible entre Herb, ancien hacker qui traque les pédophiles sur internet, et Unica, la petite fille aux cheveux blancs qui ne peut pas vieillir, exerce une étrange séduction.

Née à Nancy, en 1960, Élise Fontenaille est l’auteur de cinq autres romans :
La gommeuse (Grasset, 1997)
Le Palais de la femme (Grasset, 1999)
Demain les filles on va tuer papa (Grasset, 2001)
L'enfant rouge (Grasset, 2002)
Brûlements (Grasset, 2005)

mercredi 27 juin 2007

je n’aime pas ce qui m’enserre

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Je voudrais trouver quelque chose d’original qui ne soit pas le contraire d’une banalité.
2 août 1920, p. 67

Avoir un système borne son horizon ; n’en avoir pas est impossible. Le mieux est d’en posséder plusieurs.
10 septembre 1920, p. 68

On ne se fait (presque) jamais entièrement comprendre et l’on ne comprend (presque) jamais entièrement un autre esprit. La discussion est donc (presque) toujours inutile.
On n’a jamais raison sur une question d’ordre philosophique ; une discussion n’aboutit jamais. À tout raisonnement on peut opposer un raisonnement contraire de valeur égale. (Ceci n’entraîne pas forcément, je crois, une conclusion sceptique.)
vers le 6 décembre 1922, p. 111

Je n’aime pas ce qui m’enserre.
16 août 1939, p. 367

Raymond Queneau, Journaux, 1914-1965 (Gallimard, 1996)

Ces quelques notes de Raymond Queneau pour saluer la création d'un beau site consacré au Fonds Queneau de la Bibliothèque universitaire de Dijon. Il s'agit de l'ancien fonds du CIDRE (Centre International de Documentation de Recherche et d’Édition Raymond Queneau) : manuscrits, dactylographies, articles et notes préparatoires ; beaucoup, malheureusement, ne sont pas (encore) consultables, pour des raisons juridiques ou parce qu'ils sont en cours de numérisation.

Rappelons qu'existait depuis longtemps déjà un site sur Raymond Queneau, complémentaire, créé par Suzanne Bagoly, responsable du CDRQ (Centre de Documentation Raymond Queneau) de Verviers, en Belgique.

mardi 26 juin 2007

une fois coupé que le fil

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Pour ceux qui n'y étaient pas (et que donc je n'ai pas ratés!) ou pour prolonger encore un peu la Nuit remue 2, deux items de Continuez dont Jérôme Gontier a lu d'autres passages :

11. – Le fait têtu étant que ma parole avait du mal à être continue vu que le temps durant lequel celle-ci se dévidait ou se nouait ou se dépliait ou s’enroulait en des circonvolutions pas possibles, inimaginables même, m’était compté et qu’en son terme un au revoir allait signer la fin de tout craignais-je, alors qu’en vérité c’était seulement une fois coupé que le fil se mettait à trembler faisant chanter l’air donc et moi dedans, alors seulement que le temps travaillait la parole et qui le travaillait, le remplissant à la manière d’une parenthèse à moins que ce ne fût l’inverse mais je n’étais pas sûr – et je n’aimais pas ça.
(...)
82. Vous avez égaré votre Point de vue ? au moins ce silence médité, têtu et su tel des deux côtés de nous participant en somme d’un jeu eût-il donné crédit même si muet à l’effort par moi consenti pour revêtir les signaux d’une certaine gravité tandis que sinon, dans cet autre cas qui est le plus probable : à savoir qu’il n’a rien remarqué des efforts que j’avais consentis, tout simplement, il me fallait admettre alors que je l’indifférais d’une certaine façon, ce qui était quand même une perspective dure à avaler si ça peut se dire mais aujourd’hui tout cela m’indiffère moi aussi assez voire complètement et aurait même tendance, je dois dire à m’amuser ce qui est un autre signe indubitable je trouve que des choses quelque part bougent et pas seulement le temps et je suis satisfait aussi de ça, depuis le temps et c’est normal je trouve : peut-être est-ce que je m’éloigne de moi ou que je m’en approche ?

Jérôme Gontier est né en 1970.
Continuez paraîtra chez Léo Scheer, dans la collection Laureli, en septembre prochain
C'est son deuxième livre, après (ergo sum) (Al Dante, 2002)
Et, en attendant septembre, on peut lire quatre extraits de Continuez dans remue.net : 1, 2, 3 et 4.

lundi 25 juin 2007

rencontre du troisième type

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Une rencontre, cela ne se fait pas sur des bases égales. C’est une espèce qui en rencontre une autre. Pas l’inverse. L’espèce Dumonde ici n’en rencontre pas une en cette action. Une espèce qui se met là, entièrement en dehors de la volonté collective de celle ci. Un événement donc, en dehors des événements Dumonde. Il n’y a plus Demonde il y a une espèce, et des histoires des chronologies différentes. Une espèce qui se propose une rencontre, avec l’espèce dauphin. Pas avec l’espèce homme. Ce serait amusant. Parce que la communication serait possible. Humilier une espèce qui se croit l’espèce. Une rencontre se fait, ce n’est pas l’espèce Dumonde ici qui la fait c’est une autre espèce, une espèce qui décide qui se rencontre. Une rencontre ce n’est pas égal. Une espèce qui n’est pas égale, se dit une espèce, y mettre un terme, une espèce plusieurs peut-être c’est possible une espèce technologique cela peut être nombreux, jusqu’à ne plus être une unique espèce mais une pluralité, la technique cela peut faire beaucoup de choses. Une pluralité d’espèces et pas de personnes avec cette pluralité d’espèces, peut-être pas Demonde. L’hypothèse que cette pluralité d’espèces ne transporte pas Demonde avec.
(...)
Avec une rencontre extraterrestre c'est de l'inédit tout de suite.
Avec une rencontre extraterrestre c'est L'EXP. TOT. qu'arrive vitesse grand V.
Le plus sûr moyen de créer conscience et psychologie.
Pan dans ta gueule.

Dominiq Jenvrey, L’Exp. tot. Fiction théorique (è®e, 2006, p. 73 et p. 76)

Hier soir c’était la nuit remue : beaucoup de beaux textes, des découvertes, des rencontres, et la soirée se termine par une performance en forme de cours de Dominiq Jenvrey : « L’EXP. TOT. Plan d’attaque » qui évoque la rencontre extraterrestre pouvant advenir.
Et en sortant (juste après car je suis en retard) de la charmante cité Véron où se trouve le Théâtre ouvert, juste derrière le Moulin rouge dont on voit de la terrasse l’arrière des célèbres ailes, le choc quasi extraterrestre du boulevard de Clichy où je mets rarement les pieds, surtout le samedi soir : la vie des terriens bat son plein, les bus déversent des flots de touristes endimanchés directement devant les queues des cabarets, un gros allemand photographie sa femme devant un étalage où trônent des tour eiffels de toutes tailles et matières … au secours les dauphins ! à moi les intelligences extraterrestres !

Dominiq Jenvrey est né en 1975
On peut télécharger L’EXPÉRIENCE TOTALE sur le site de son éditeur
et lire « ExTension de L’EXP.TOT. » sur remue.net.

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