lignes de fuite

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

dimanche 12 avril 2009

la catastrophe a déjà eu lieu

La Minute prescrite pour l'assaut (Mille et une nuits, 2008), c'est l'apocalypse, ce n'est pas triste et c'est demain (le président et ses ministres sont toujours là) ; j'aime particulièrement le personnage de la « Kolkhozienne aux seins nus », une éditrice engagée qui tient un blog « marxisto-yéyé ».

Né en 1964, Jérôme Leroy est notamment l’auteur de :
- Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruines (Mille et une nuits, 2007)
- Le Déclenchement muet des opérations cannibales (Équateurs, 2006)
- Rêves de cristal (Mille et une nuits, 2006)
- Le cadavre du jeune homme dans les fleurs rouges (Le Rocher, 2005)
- Big Sister (Mille et une nuits, 2004)
- Bref Rapport sur une très fugitive beauté (Les Belles lettres, 2002)
- Une si douce apocalypse (Les Belles Lettres, 1999)

samedi 11 avril 2009

le mot peur se remplit comme un verre

giraudon_poetesse.jpg

La Poète rêve qu'elle surphrase. Cette notion de surphrase rejoint non pas un état de surface mais plutôt une sorte de surchauffe. Pourtant il ne s'agit pas d'introduire un système de refroidissement. Plutôt accepter la désagréable impression d'aller au-delà d'un piège. Une forêt ne convenant ni à ses forces ni...

La Poète allait écrire ce qu'elle cherche mais elle ne cherche rien de précis. Elle cherche. C'est tout. Une forme. Et elle sait qu'en public elle ne doit jamais donner l'impression de sa faiblesse ni de sa peur. Aussi sec, le mot peur se remplit comme un verre. Déjà elle boit. Elle est en train de le boire. (p. 42)

17
Quelques bières à portée de main
réinventant des infogènes
La Vie d'Arthur Rimbaud celle d'Emily Dickinson
chacun la sienne (petites putes Une)
nos corps c'est du pudding bouilli
il voulait éliminer toute trace de poésie
fabrication de gènes conçus
en Significations pour les humains
non en protéine par la cellule (p. 67)

Titre : « Parler avec son crabe ». Elle n'a parlé avec son crabe que dans sa tête. Quasi quotidiennement. La nuit surtout. Demain rendez-vous pour la première étude balistique de bombardement du thorax. Ils disent « bombardement ». C'est écrit. Douleur au bras. Cicatrice indurée. Ils disent Phlébite. Risque de phlébite. Et cette fatigue. Effroyable et inconnue. Pas la force d'écrire.
Demain. Elle dit « Demain ».
Lit un peu (Emily Dickinson).
Écoute de la musique.
Ne sait plus comment faire (fuir la maladie). Pensait ne pas s'y installer mais c'est Elle qui ouvre la porte et s'installe (fait comme chez elle). Voilà. C'est exactement ça. Un renversement. Il faut se renverser totalement, retourner le sens, peau + os et réapprendre. Tout réapprendre. Vivre autrement. Autre. Une autre naissance. Et que le texte, c'est-à-dire la Langue, suive.
Tirer la langue. La cuire.
Un tournant.
La marque (autrement nommée constellation malveillante) inscrite dans le corps, toujours à gauche et ce cœur et toujours cette partie déjà fracassée, plusieurs fois ouverte, os de la clavicule brisé (deux fois) puis réparé (mal) puis le reste, les dents (je te casserai les dents) puis plus bas, ce qui n'est pas visible mais vécu, qu'on a tenté d'effacer et qui revient chaque nuit maintenant surtout maintenant où la mort se touche, formes singulières parce que neuves, tenancières, cette violence sans image, buée d'une flaque, Hop ! Hop ! Ma chérie c'est sûr, un message s'y trouve, il ne s'adresse qu'à toi.
Balancer. Balancer à la mer ce corps ancien et tous les livres qu'il a signés. Maintenant tu écris parce que tu as peur de tout ce que tu n'as pas su écrire, ce courage qui t'a manqué, cette soumission invisible.
Sale saison. Les rayons ont commencé. Salle Orion. Ils nomment les appareils. Et la salle qui les contient. Orion offensa Artémis. Chaque jour une voiture vient la chercher. Elle traverse la ville. Elle a rendez-vous avec un géant. Silence total sur son livre. Annonce d'un éreintement sur un site portant un nom de baraque. Rappel précis de la violence des Pères. Comment poursuivre. Dans l'abandon. Se replier. Ramasser un corps. Défait pour mieux rebondir.
Simplement se remettre debout. En marche. Ou demeurer immobile, dans un coin, à simplement respirer. Ton corps n'est pas un tas de chiffons. Tu n'es pas encore une espèce en voie de disparition.
Hop ! Hop ! Ma chérie... Ton espèce détruira toutes les autres. (p. 114-115)

Liliane Giraudon, La Poétesse. Homobiographie (POL, 2009)

Un beau triptyque pour dire la passion et les passions, les croisements entre la poète, la poétesse et la femme ... et l'impossible biographie, qui peut se refermer sur les poèmes :
- sur le volet de gauche de courts fragments de type journal (ou statuts facebook), disposés sur deux colonnes : « Ma chérie je t’ai fait des phrases trouvées partout » (dont on peut lire ici les premières pages)
- sur le panneau central une suite de 47 poèmes : « Kara Walker n’est pas Joséphine Baker », (d'autres poèmes là)
- sur le volet de droite une pièce-lecture très intime intitulée « Le goût du crabe ».

::: dans Poezibao : un article d’Anne Malaprade et une notice bio-bibliographique
::: un article d'Eric Houser (Sitaudis)
::: et, chez Inventaire/Invention, quelques autres textes et notamment la constellation des lectures : Mon Beckett, Mon Racine, Ma Collobert, etc.

vendredi 10 avril 2009

car c’est un nombre d’homme

nombres1.jpg

C’est ici la sagesse. Celui qui a de l’intelligence calcule le nombre du Chevillard. Car c’est un nombre d’homme, et son nombre est huit cent sept. (librement adapté de l'Apocalypse, 13-18)

J'ai eu aujourd'hui droit à tout un triptyque de 807 :

192. Stó dvádévetdeset (slovène)
193. หนึ่งร้อยเก้าสิบสาม (thaï)
194. O sută nouăzeci şi patru (roumain)

807 est divisible par trois (car 8 et 7 font 15) et donne 269 : au 269ème jour la création eût été achevée, si Franck Garot n'avait pas commencé par former des diptyques !

::: et puis tout de même, en parlant de nombres, merci aux 21 députés qui hier ont voté contre : hapudopi ?

jeudi 9 avril 2009

une phrase qui s'arrête

meschonnic_buisson.jpg

une ligne
c'est seulement une
phrase qui s'arrête puis une autre
la vie rime
avec la vie
nous sommes tous des rimes vivantes
qui cherchent
à finir leur phrase
il n'y a pas
de fin pour
dire
peut-être sans le savoir
nous ne sommes que les syllabes
de mots que nous commençons
mais nul n'a la phrase entière
le sens c'est seulement des bouts
de sens que nous sommes ce qui
manque
pour faire la phrase c'est chez
l'autre l'autre l'autre

Henri Meschonnic, Puisque je suis ce buisson (Arfuyen, 2001, p. 34)

1079.jpg

Henri Meschonnic, immense théoricien du langage et de la littérature, traducteur, poète et enseignant, né le 18 septembre 1932, est mort hier, le 8 avril 2009. Son dernier ouvrage, Pour sortir du postmoderne est paru en mars 2009 chez Klincksieck.

petit buisson de liens :

::: page des éditions Verdier
::: page des éditions Arfuyen
::: notice wikipedia

::: « Être Hugo aujourd’hui » et « Manifeste pour un parti du rythme » (1999) chez Patrick Rebollar
::: « Traduire ce que les mots ne disent pas, mais ce qu'ils font » (Meta, 3, 1995, p. 514-517)

::: entretien avec Jacques Ancet (1994) sur site de la revue Prétexte
::: « rencontre avec Henri Meschonnic » (Poezibao)

::: François Bon
::: Jean-Michel Maulpoix
::: Pierre Assouline

post scriptum :

::: Patrick Rebollar
::: Martin Ritman
::: Jacques Ancet

mercredi 8 avril 2009

mille et une lignes de fuite

sheherazade1.jpg

Ce billet est le mille et unième publié sur ce blog, le plus souvent aux petites heures des nuits, en un peu plus de trois ans.

::: partant de ce fait à la recherche des Mille et une nuits en ligne, je m'aperçois que la traduction en français « des familles », celle de Galland, est la seule disponible, que ce soit dans Gallica 2 ou dans Google Books : voila qui aurait plu à Maman et me permet de citer Proust !

Comme jadis à Combray quand elle me donnait des livres pour ma fête, c'est en cachette, pour me faire une surprise, que ma mère me fit venir à la fois Les Mille et Une Nuits de Galland et Les Mille et Une Nuits de Mardrus. Mais après avoir jeté un coup d'œil sur les deux traductions, ma mère aurait bien voulu que je m'en tinsse à celle de Galland, tout en craignant de m'influencer à cause du respect qu'elle avait de la liberté intellectuelle, de la peur d'intervenir maladroitement dans la vie de ma pensée, et du sentiment qu'étant une femme, d'une part elle manquait, croyait-elle, de la compétence littéraire qu'il fallait, d'autre part elle ne devait pas juger d'après ce qui la choquait les lectures d'un jeune homme.

Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, À la recherche du temps perdu (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, tome 3, p. 230)

mardi 7 avril 2009

prosopopée de l’ange patraque

Accuser un texte d'illisibilité, c'est s'offusquer que la littérature ne nous dise pas le monde en clair. C'est se formaliser qu'elle ne nous en fasse pas le don symbolique. C'est donc supposer que la littérature doit nous nommer le monde. (p. 66)

Alors voici ce que m’a dit l’ange éloquent quoique toujours un peu patraque de la littérature :
« Je ne t'offre pas le monde, mais la vérité de ce que le monde est pour toi : le dessin énervant d'un manque et la forme informe d'un désir. Venant à moi, ce n’est pas le monde que tu viens aimer, que tu veux voir apparaître dans sa plénitude, dont tu veux recevoir le présent gratifiant – mais ce qui te fait manquer au monde et manquer le monde : ce qui fait que tu parles. Venant à moi tu viens pour courir à cette perte : tu viens pour voir s’effectuer ce retrait au sens, cette esquive du donné, cette mise à distance des choses. Tu viens en moi communier avec la vérité de la langue, c’est-à-dire partager un manque. Tu viens pour préférer l’insatisfaction à la satisfaction. (…) » (p. 71-72)

Christian Prigent, Une erreur de la nature (POL, 1996)

encore un peu d'auto-promotion

::: à lire, et commenter si le cœur vous en dit, sur le blog de la BnF : « Du journal intime au blog »

des échos en post-scriptum :

::: « Archivage de l'éphémère », un beau billet de Fuligineuse
::: « Conserver », par Valclair

lundi 6 avril 2009

les chants d’une viande en révolte

dufour_outrage.jpg

IVE : « Au-dessus, les tours. Des dieux dans des boites ! Avec leurs serviteurs, et leurs parasites.
Au-dessous la suburb. Des démons dans des caissons. Les mêmes !
Deux tyrans superposés, roulés dans les mêmes vagues de corruption et d’illusion.
Au milieu, les caves.
Les caves leur font peur. Les caves sont dangereuses. Les caves touchent le sol ! L’atmosphère ! Germes et toxines ! Et le terrible soleil.
Ils nous appellent « les Rats ».
Oui, je veux bien qu’on m’appelle : le Rat. »
C’est de moi. (p. 148)

TIOURÉE : J'ai vachement réfléchi à tout ça, à son succès - au public - à moi en fait.
C'est certain que vivre dans la suburb était moins pénible pour moi que pour ceux d'avant. On a tous un ancêtre qui est mort d'asphyxie ou de soif, ou dans un éboulement, un coup de gaz - c'était plus facile pour moi, oui. Cette facilité, ça faisait de moi, de nous tous en fait, des gens différents. Même avant yongyuan ou les stations orbitales, on sentait les mentalités changer. Je ne veux pas dire que nous nous sentions comme découpés en morceaux, mais que nous nous sentions nés en morceaux et que nous avions besoin d'une glue qui nous recolle. Tu vois, à force de tout dissocier - je veux dire, baiser, c'est faire un enfant en prenant du plaisir au niveau du sexe, un autre plaisir à travers la peau, et encore un autre grâce au lien social, et un autre avec le lien affectif. Si on dissocie, ça donne gamètes rectifiés, grossesse externe, orgasme par stimulation du thalamus ventral latéral postérieur droit, haha ! Lien social via le Parallèle plus une dose d'ocytocine pour la plénitude affective, c'est clair qu'on se sentait éparpillés et, surtout, contrôlés. Pas contrôlés par l'extérieur comme dans les quartiers politiques, mais par - par nous-mêmes, par le confort que donnaient cet éparpillement et ce contrôle.

OCTOPUCE : En miettes. On se sentait en miettes, en granulés, microbroyés. On se sentait comme ça. (...)

OCTOPUCE : La suburb, c'était le confort de la science plus la rigueur morale. C'est ce que pensaient nos ancêtres. Ils étaient fiers de ça. Mais nous, ce qu'on voyait, c'est qu'on était coincés entre une bande de trafiquants métaboliques et une bande de tueurs politiques et qu'au milieu, on n'était pas fiers. En miettes et pas fiers. Génial.

NOUNA : Les politiques, c'étaient seulement des assassins, mais les scientifiques, hou ! ces scientifiques. Ils avaient une sorte de niveau moral - un niveau plein de bulles. Ils avaient une telle idée de ce que le monde aurait dû être ! Une idée de la justice qui ne correspondait à rien ! Qui n'avait aucune, aucune réalité et qui n'en avait sûrement jamais eu aucune. Ils parlaient d'Havant, quand l'air était gratuit, des histoires de soleil pas terrible et d'eau comme ça - à volonté ! Tombant du ciel, houhouhou ! Ils parlaient de ça comme si ça aurait dû être normal ! Écoutez, je suis nulle en vieilles histoires, mais je suis certaine d'une chose : les gens d'autrefois qui vivaient au soleil au bord d'un cours d'eau, ils devaient être comme aujourd'hui : cernés par des hordes de connards bien décidés à piquer leur place et pisser dans leur rivière ! (p. 202-203)

Catherine Dufour, Outrage et rébellion (Denoël, Lunes d’encre, 2009)

C’est à travers la juxtaposition chaotique d’une multitude de monologues en miettes que Catherine Dufour tente de restituer le « cimetière hurlant » d’un monde d’après-demain dans lequel une partie de l’humanité est définitivement transformée en « parc humain ».
La forme très originale, et très différente de celle de ses précédents livres, de ces « chants d’une viande en révolte » (p. 164) dans un monde en ruines en rend d’abord la lecture difficile, puis, après une phase d’accommodation de l’œil (dirait Marcel), totalement envoûtante.

::: Eric Holstein (Actu SF)
::: Bruno Para (nooSFere)

samedi 4 avril 2009

ligne à ligne

Oh ! la Terre qu'elle est ronde et petite et peuplée
D'une quantité indescriptible d'humains pour les
Doigts de la main que je tiens dans mes poches
Le matin pour ne pas les user à compter quand
Je passe dans les rues et me croise multiplié par
Eux mes frères mes cousins nombreuse est leur
Famille pourtant ne me sens le fils d'aucun d'eux
Me dis-je mains au chaud mains pour rien que
Le jeu d'un clavier dont je connais seul les clés
Calculatrices de mots qui liés deux à deux un à
Un font une phrase unique passante comme rue
Où passeront un à un deux à deux des milliers
D'humains mains tenant dans leur pli les pages
Que l'on plie que l'on ferme que l'on ouvre que
L'on range lorsqu'on aura fini de passer ligne à
Ligne qu'au bout de la rue de la rangée rangée
Il n'y aura que la Terre le boulier planétaire qui
Tourne pour nos yeux sans besoin de nos mains
Ni de compter sur elles le nombre des humains.

Jacques Darras, Vous n’avez pas le vertige ? Poèmes en altitude avec une rivière et des chamois (Gallimard, L’Arbalète, 2004, p. 117)

vendredi 3 avril 2009

l'information est par nature gratuite

Jacques Attali, le 27 mars 2009

::: la loi « stupide, inapplicable et liberticide » a été adoptée tout à l'heure par une quinzaine de députés après des débats ... édifiants !

jeudi 2 avril 2009

mes trois poissons technos préférés

aquarium_usb.jpg

::: « Brain Search » pour Google : pas forcément inutile ...
::: « Navigation faciale » pour Opera
::: et « Mix_0_matoze » pour le Nabaztag : trop mignon !

mercredi 1 avril 2009

découvrir des blogs d'écrivains

parcours1bis.jpg

Ceci n'est pas un poisson d'avril !.. une fois n'est pas coutume, je fais une passerelle vers une partie de mon activité professionnelle pour vous inviter à lire et à réagir au billet « Découvrir des blogs d’écrivains » que j'ai publié aujourd'hui dans le blog de la BnF.

N'hésitez pas à laisser des commentaires : cela fera plaisir à mes collègues et évitera au commentaire du facétieux François (qui m'embarrasse beaucoup, car on va croire que je lui ai demandé de me faire de la pub) de rester tout seul en ligne. Profitez en pour découvrir le reste du blog Lecteurs et les autres blogs de la BnF.

Que ceux qui ne sont pas cités dans ce billet ne m'en veuillent pas : il fallait faire court et je ne pouvais pas recopier tout mon agrégateur ! Dans le parcours guidé et surtout dans les Archives de l'Internet, il y a de très très nombreux autres sites et blogs littéraires. Dans la mesure où il s'agit d'un dépôt légal, et il faut venir sur place pour consulter ces archives, mais je peux servir de guide à ceux qui passeraient par là et auraient envie de jeter un œil.

mardi 31 mars 2009

les mots les choses la pensée

deguy_illisibilite.jpg

L'opération poétique principale consiste en un rapprochement : de mots (lequel est « en droit » toujours possible et facile) qui donne à penser... sans que les choses dont il s'agit, par la « puissance prochaine des mots sur les choses » (Merleau-Ponty) soient « magiquement » modifiées ; mais indirectement approchées par la pensée des choses capable de « persuader » des hommes d'agir (dans) sur les choses.

Michel Deguy, De l'illisibilité (publie.net, 2009, p. 11-12)

::: dans la collection d'essais, « Art, pensée & Cie », dirigée par Sébastien Rongier
::: dossier Michel Deguy (remue.net)
::: wiki Michel Deguy (Patrice Bougon)
::: Jean-Michel Maulpoix : « à propos de l'hybridité » (entretien juillet 2002) et « Michel Deguy : pourquoi la poésie ? »

lundi 30 mars 2009

100 000 blogs ... et moi et moi et moi ?

mer6.jpg

::: « Wikio : 100 000 blogs » par Jean Véronis, 27 mars 2009

::: « Blogs qui te paraissent merdiques » par Berlol, 24 mars 2009

::: « Les blogs « extimes » : analyse sociologique de l’interactivité des blogs », par Sébastien Rouquette (tic&société, décembre 2008)

dimanche 29 mars 2009

moi ?

la femme penchant son mystérieux buste de chair blanche enveloppé de dentelles ce sein qui déjà peut-être me portait dans son ténébreux tabernacle sorte de têtard gélatineux lové sur lui-même avec ses deux énormes yeux sa tête de ver à soie sa bouche sans dents son front cartilagineux d'insecte, moi ?...

Claude Simon, Histoire (Minuit, 1967, derniers mots, p. 402)

samedi 28 mars 2009

l'œil s'acharnant à scruter

scène dont émanait on ne savait quoi d'insolite et même d'irréel, non seulement en raison du contraste entre cette ambiance à la fois familiale, bienséante et même cérémonieuse : le thé offert, la classique assiette de petits gâteaux, le studieux jeune homme, le sévère docteur à lunettes à quoi ressemblait le deuxième invité et la rigide lanceuse de bombes — et à côté, sur le divan, la présence du modèle nu (que, semble-t-il, on eût mieux vu entouré de figurants pittoresques, c’est-à-dire agressivement, paresseusement vautrés sur leurs sièges et affublés de défroques fantaisistes, comme on imagine en général les artistes) dont le cliché d'amateur, cette photo-souvenir prise avec la même absence d'artifice ou d'habileté que les maladroites photos de famille, accentuait encore la nudité : non pas bougé, comme le visage du Hollandais au premier plan et aussi grand à lui seul que la forme claire, mais un peu flou — du fait sans doute de la profondeur de champ insuffisante —, et non pas dans une de ces consternantes postures prétendûment harmonieuses ou tentatrices, mais simplement appuyé sur un coude, le buste légèrement soulevé, en train, comme les autres personnages, de prendre le thé, la soucoupe et la tasse posées devant elle sur la couverture rayée, à demi allongée (probablement encore dans la pose qu'elle tenait pendant les séances), fixant l'objectif d'un regard surpris parce qu'elle a sans doute été alertée par l'appel du Hollandais, le fatidique « Vous y êtes Ne bougez plus », alors que lassée par la longueur des préparatifs elle a pris le parti de ne plus s'en occuper, entendant l'avertissement au moment où elle vient de tremper son biscuit dans la tasse et restant ainsi, la soucoupe maintenue par sa main droite, le bras gauche à moitié levé, le biscuit à mi-chemin entre la tasse et sa bouche, les lèvres à demi ouvertes, immobilisée dans cette pose paisible, banale, sa paisible et banale nudité tellement dépourvue de mystère qu'il en émanait cette espèce de mystère au second degré caché au-delà du visible, du palpable, cette terrifiante énigme, insoluble, vertigineuse, comme celle que pose le rocher, le nuage, l'esprit décontenancé disant : « Oui ? Simplement du silex, de la chaux, des gouttelettes d'eau ? — Mais quoi encore ? Rien que de la peau, des cheveux, des muqueuses ? Mais quoi encore ? Quoi encore ? Encore ? Encore ? Encore ? », l'œil s'acharnant à scruter pour la millième fois la mauvaise photographie, tirée sur un papier trop dur donnant au corps nu et pourtant irrécusable un supplément d'irréalité en le privant de ces demi-teintes, ces reflets qui, dans la vision naturelle, relient tout objet à ceux qui l'entourent, les parties dans la lumière d'un blanc éclatant tandis que les ombres perdent toute transparence, épaisses et noires, si bien que le caractère gracile du corps (cuisses, ventre étroit, bras) est encore accusé par l'amincissement des formes à demi mangées en même temps que le flou de la mauvaise mise au point achève de donner au tout cet aspect un peu fantomatique des dessins exécutés au fusain et à l'estompe et où les contours ne sont pas délimités par un trait mais où les volumes apparaissent saillant hors de l'ombre ou s'y enfonçant tour à tour comme dans la mémoire, certaines parties en pleine lumière d'autres…

Claude Simon, Histoire (Minuit, 1967, p. 282-283)

vendredi 27 mars 2009

comme lorsqu'on ferme les yeux

poussin_arcadia200.jpg

... remarqué que tout ce qui est couvert, dissimulé à la vue, est toujours d'une couleur éclatante : le blanc de la peau sous les vêtements, et, sous la peau, quand ils apparaissent par une plaie, le sang, la chair rouge, ou encore une carrière au flanc d'une montagne, un champ qu'on vient de labourer, une tranchée ouverte dans la rue mettant à jour la terre orange, les canalisations, les tuyaux. Et cette impression de scandaleux, d'interdit, qui émane des choses dont la destination première n'était pas d'être exposées aux regards, qui étaient faites pour rester dans l'obscurité, les ténèbres. Ou plutôt choses qui sont elles-mêmes les ténèbres, nous révélant que celles-ci ne sont pas noires, absence de couleurs comme on se le figure, mais (comme lorsqu'on ferme les yeux et qu'on presse fortement sur les paupières) violence, éblouissement, éclat : pourpre, cinabre, soufre, corail, amarante, feu, cuivre, fauve, turquoise, jade, bronze : une somptuosité extraite, arrachée du cœur opaque des métaux, de la terre.

Claude Simon, Histoire (Minuit, 1967, p. 129-130)

jeudi 26 mars 2009

ne pas se dissoudre, s'en aller en morceaux

comme si la gesticulation passionnée des musiciens continuait seule, dans une sorte de vide, tandis que sous la surface des choses, derrière les portraits dans leurs cadres, par-dessous les charbonneux corsages brodés de perles des vieilles dames, les visages effondrés, la chair éclatante des jeunes filles quelque chose de vorace, grouillant, s'activait qui ne laisserait plus à la fin des assistants, des meubles, du salon tout entier qu'une mince pellicule extérieure, une croûte prête à s'effriter, aussi mince, aussi dépourvue de chair ou d'épaisseur que les maigres pupitres aux pattes d'insectes qui soutenaient les partitions, la couche de peinture des tableaux ou les fruits et les feuilles à demi effacés sur le tapis parmi les volutes décoratives avec leurs somptueuses couleurs aux teintes fanées expirantes vert pâle jaune rouge pâle saumon (p. 83)

les sons tumultueux, passionnés, se poursuivant, s'entrelaçant, continuant à tisser ce véhément tapage, comme une furieuse et indécente protestation, qui s'élèverait non des instruments, des cordes gémissantes, mais des personnages immobiles, du cadavre fardé, des vieilles dames effondrées, les archets continuant à aller et venir de gauche à droite, de droite à gauche, descendant, remontant, se croisant, l'invisible armée des termites poursuivant son invisible travail, s'attaquant maintenant aux derniers restes, aux carapaces, aux étoffes, tout s'écaillant, s'émiettant, s'effritant, jusqu'à ce que le salon tout entier, les invités, les musiciens, les tableaux, les lumières, s'estompent, disparaissent.
Pensant : ne pas se dissoudre, s'en aller en morceaux (p. 88-89)

Claude Simon, Histoire (Minuit, 1967)

mercredi 25 mars 2009

un monde irréel en train de se décomposer

trompet200.jpg

pouvant la voir, cadavérique et fardée, avec ce châle mauve en laine des Pyrénées acheté à Lourdes dissimulant ses jambes squelettiques, trônant au milieu du salon parmi les discordantes dissonances, la répétition insistante et aigrelette du la sur le piano et les cordes pincées des violons désaccordés, assise dans ce fauteuil où, quand on pouvait encore la lever, on l'installait pour ces soirées de musique de chambre avant l'arrivée des invités (les mêmes vieilles dames, pourvues ces soirs-là de leurs doubles masculins arrachés pour la circonstance à leur cercle et qui étaient, eux, comme le contraire de la majesté, avec leurs dos voûtés, leurs lorgnons, leurs mains tachées de son, leurs maigres costumes sombres et leurs maigres barbiches) chacun s'inclinant, la complimentant, feignant d'ignorer le visage aux pommettes artificiellement rougies qui paraissait jour après jour non pas s'amaigrir mais se muer en une sorte d'objet coupant (comme si tout ce qui se trouvait de part et d'autre de l'arête du nez était peu à peu raboté, repoussé en arrière, au point qu'il semblait n'en devoir plus subsister à la fin qu'un profil aussi mince, aussi dépourvu d'épaisseur et d'existence qu'une feuille de papier), commençant déjà à prendre, avec ses pommettes saillantes avivées de rouge par une suprême coquetterie ou plutôt un suprême et orgueilleux défi, cette consistance de matière insensible ou plutôt rendue insensible à force de souffrance : quelque chose comme du cuir ou encore ce carton bouilli des masques de carnaval, Polichinelle à l'aspect terrifiant et risible sous le coup d'un irrémédiable outrage, d'une irrémédiable blessure, et elle — ou ce qui restait d'elle — retranchée derrière comme ce (...)

elle donc assise là et non pas en retrait dans un coin reculé ombreux où l'éclairage tamisé aurait adouci, dissimulé sa maigreur, mais en plein sous les pendeloques scintillantes du lustre, cela aussi comme par une sorte de défi, de bravade (regardant entrer les uns après les autres les invités, guettant, épiant sur leurs visages avec une sorte d'amère satisfaction cette expression d'effroi, de scandale, ce haut-le-corps quand ils l'apercevaient, puis les regardant s'avancer vers elle, souriant, affables, s'extasiant sur sa bonne mine), pareille, avec ses pommettes carmin et sa coiffure apprêtée qui semblait quelque postiche directement sorti de la vitrine d'un coiffeur et dérisoirement posé au-dessus de la face ravagée, à quelque mannequin, quelque épouvantail méchamment disposé là, bourré non d'explosifs mais de morphine, à titre de macabre avertissement, comme le centre pompeux et terrifiant d'on ne savait quelle parade dans le salon jonquille illuminé où préludaient en de confus tâtonnements la cacophonie du piano et des pizzicati en train, semblait-il, de se chercher : des bribes, les fragments épars d'un langage bégayant et titubant, les incohérentes tentatives d'un idiot vers la parole, comme si les invités, les ténébreuses vieilles reines, les jeunes filles aux bras nus, suaves, les musiciens, et même les portraits accrochés aux murs participaient d'un monde irréel en train de se décomposer, s'effriter, s'en aller en morceaux autour de ce cadavre vivant à la tête fardée, parée, immobilisée une fois pour toutes dans un rictus enjoué et affable, dont il ne subsistait peut-être plus que l'apparence, la forme extérieure devenue insensible, indifférent à tout

Claude Simon, Histoire (Minuit, 1967, p. 60-62)

mardi 24 mars 2009

comme si l'arbre tout entier se réveillait

simon_histoire.jpg


l'une d'elle touchait presque la maison et l'été quand je travaillais tard dans la nuit assis devant la fenêtre ouverte je pouvais la voir ou du moins ses derniers rameaux éclairés par la lampe avec leurs feuilles semblables à des plumes palpitant faiblement sur le fond de ténèbres, les folioles ovales teintées d'un vert cru irréel par la lumière électrique remuant par moments comme des aigrettes comme animées soudain d'un mouvement propre (et derrière on pouvait percevoir se communiquant de proche en proche une mystérieuse et délicate rumeur invisible se propageant dans l'obscur fouillis des branches), comme si l'arbre tout entier se réveillait s'ébrouait se secouait, puis tout s'apaisait et elles reprenaient leur immobilité, les premières que frappaient directement les rayons de l'ampoule se détachant avec précision en avant des rameaux plus lointains de plus en plus faiblement éclairés de moins en moins distincts entrevus puis seulement devinés puis complètement invisibles quoiqu'on pût les sentir nombreux s'entrecroisant se succédant se superposant dans les épaisseurs d'obscurité d'où parvenaient de faibles froissements de faibles cris d'oiseaux endormis tressaillant s'agitant gémissant dans leur sommeil

comme si elles se tenaient toujours là, mystérieuses et geignardes, quelque part dans la vaste maison délabrée, avec ses pièces maintenant à demi vides où flottaient non plus les senteurs des eaux de toilette des vieilles dames en visite mais cette violente odeur de moisi de cave ou plutôt de caveau comme si quelque cadavre de quelque bête morte quelque rat coincé sous une lame de parquet ou derrière une plinthe n'en finissait plus de pourrir exhalant ces âcres relents de plâtre effrité de tristesse et de chair momifiée

comme si ces invisibles frémissements ces invisibles soupirs cette invisible palpitation qui peuplait l'obscurité n'étaient pas simplement les bruits d'ailes, de gorges d'oiseaux, mais les plaintives et véhémentes protestations que persistaient à émettre les débiles fantômes bâillonnés par le temps la mort mais invincibles invaincus continuant de chuchoter, se tenant là, les yeux grands ouverts dans le noir, jacassant autour de grand-mère dans ce seul registre qui leur était maintenant permis, c’est-à-dire au-dessous du silence que quelques éclats quelques faibles rires quelques sursauts d'indignation ou de frayeur crevaient parfois

les imaginant, sombres et lugubres, perchées dans le réseau des branches, comme sur cette caricature orléaniste reproduite dans le manuel d'Histoire et qui représentait l'arbre généalogique de la famille royale dont les membres sautillaient parmi les branches sous la forme d'oiseaux à têtes humaines coiffés de couronnes endiamantées et pourvus de nez (ou plutôt de becs) bourboniens et monstrueux : elles, leurs yeux vides, ronds, perpétuellement larmoyants derrière les voilettes entre les rapides battements de paupières bleuies ou plutôt noircies non par les fards mais par l'âge, semblables à ces membranes plissées glissant sur les pupilles immobiles des reptiles, leurs sombres et luisantes toques de plumes traversées par ces longues aiguilles aux pointes aiguës, déchirantes, comme les becs, les serres des aigles héraldiques, et jusqu'à ces ténébreux bijoux aux ténébreux éclats dont le nom (jais) évoquait phonétiquement celui d'un oiseau, ces rubans, ces colliers de chien dissimulant leurs cous ridés, ces rigides titres de noblesse qui, dans mon esprit d'enfant, semblaient inséparables des vieilles chairs jaunies, des voix dolentes, de même que leurs noms de places fortes, de fleurs, de vieilles murailles, barbares, dérisoires, comme si quelque divinité facétieuse et macabre avait condamné les lointains conquérants wisigoths aux lourdes épées, aux armures de fer, à se survivre sans fin sous les espèces d'ombres séniles et outragées appuyées sur des cannes d'ébène et enveloppées de crêpe Georgette

Claude Simon, Histoire (Minuit, 1967, incipit, p. 9-11)

- page 7 de 57 -