lignes de fuite

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écrivains

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vendredi 17 août 2007

pêcheuse de ligne

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J'ai l'impression de commencer ce que je n'finirai pas. Entreprendrai-je ? Il faut choisir. Je fais un pas. Personne ne finit la nature, elle se prolonge elle-même. Puisque rien ne se fait. Tout me trouble. Comment font ces adultes pour savoir ce qu'ils font ? Je poursuis ma perte. Sans autant de doutes, et seule, je m'oblige à composer avec ce que je suis devenue et avec ce que les autres arriveront à recevoir sans peine. Certains me diraient qu'ils m'aiment bien. On m'a trouvée bien préparée. Quelqu'un s'avança : « Si je devais être une fille, je voudrais être comme toi, habillée, sourire, avoir peur et regarder pareil. » je n'comprends pas c'qui n'est pas clair. Que veulent me faire entendre mes dires ? Ce que les autres voient.
J'ai le sentiment d'être un peu mieux qu'avant. J'ai des nouveaux défauts depuis ceux de mon adolescence. J'ai été vilaine si longtemps. En pleine déformation, mon trop gros nez avait une bosse qui le penchait à droite. C'était seulement du profil gauche qu'il tenait. Mes sourcils encore trop épais se coiffaient et se recoiff'ront. J'évite la chute qui renforcerait la nullité de mon regard. Mes yeux s'apitoieront sur des paupières aplaties par des cernes géants. Des impuretés hyper présentes me donneront l'air fatigante. Ma tête depuis, je l'ai reconnue. Mon corps change tout l'temps. Mes jambes sont toujours trop courtes pour leurs épaisseurs. Elles impliquent que quand je porte des pantalons, je nettoie tous les sols, en marchant. C'est du ventre que je n'sais pas. Le plus souvent, assez large et plutôt plat, une sorte de protubérance s'y pointe et au centre un nombril. Je suis tout sauf maigrichonne. Ma couleur au naturel change aussi, entre l'olive et le blanc dirty. En général, j'n'les aime pas trop. Sous tous ces défauts, je cache les pires de mes horreurs, qui, si je me plaisais à les recenser, m'auraient éloignée du sujet que j'offre au tout, mon désir.
Peut-être que depuis mon portrait, le monde se racont'ra. Alors, je projette l'avenir, en décollant du moi. Sans faute d'orthographe, je, partira. Avec l'outil du clair esprit, la force activa autrement le fou en moi. J'ai menti, triché, j'ai utilisé des lois. Je me suis améliorée. En me croyant sauvée, j'ai rebu la tasse des fois. Je préviens qui m'intéresse. Dans le futur, ce qui vient de s'commencer, s'organise. Plus loin, quelqu'un est mort. C'est mon égocentrisme. Désormais, la voie est ouverte à des articulations diverses. Ma destinée laissera le tout-faire s'exprimer, et avec attention, des surprises vont en surgir.
Produit d'une génération et produit du temps, sans regret, assumer l'ensemble, le détail est charmant. Tous les espaces corrigent le départ pour une origine anatomique. J'aimerais m'évader... jusqu'ici, après le computer, s'ouvrent les frontières. je déménage sans cesse. (p. 10-11)

Je n'ai pas fait d'introduction. Ce récit n'a pas d'portée. Il me manque des transitions. Je n'ai aucun langage. Je n'sais toujours pas comment me présenter. Il y a bien quelque chose. Je m'explique sur le tard. Les raisons de l'histoire sont la colère face à moi. Paresseuse utile. Face aux intellectualisations contemporaines, je n'suis ni costaude ni très forte pour donner des conseils. Je crois en haut et en bas. Le discours m'assassine. En pêcheuse de ligne, je guette l'inspiration. Le poisson croque mon fil. D'autres fois, il va donner sa peau. La rage me pousse à l'élan. Je sursaute pour le public. Crédulité captive. Tous les jours, je veille, et une fois pour de belle. Je maintiens, je n'ai pas de vérité à dire.
Prête pour les journalistes, mes lacunes et mes prouesses, sans problème, je signerais ce qu'il en reste. J'accepterais critiques et publicités. Je n'ai que le but de devenir moi-même.
Je vais me bio-dégrader. Sans aucune actualité, je continue mes suites comme une élève modèle et rebellée. Pas besoin d'choisir une voix pour du style ou du nougat, je suis tout à la fois : menteuse et naturelle. Littéraire imbibée. C'est ma naissance qui a trahi ma vérité. Comme les autres grands esprits, je ne peux pas oublier. Après ce premier cri, sur mes eaux claires et propres, le mensonge m'a portée. Les anges connaissent mes secrets. À figure morbide, je fus façonnée en morte. Je serai bien normale. Sans être hypocrite, je n'veux pas être un modèle. Mon masque est pt'être poétique, j'incarne la violence même. (p. 44-45)

Eva Steinitz, Le livre de l’immaturité (Allia, 2007)

Ces « Carnets » spamés à Lisbonne - en osant (hardiment) revendiquer l’héritage de Pessoa - sont une bonne surprise de lecture, comme beaucoup des jolis livres des éditions Allia.

Le Livre de l’immaturité est le premier livre d’Eva Steinitz, née en 1982 à Paris.

Une critique à lire en ligne : Alain Nicolas, « Oser la littérature », L’Humanité, 3 mai 2007

mardi 14 août 2007

il est triste de ne pouvoir avoir à la fois affection et santé

La correspondance de Marcel Proust montre également à quel point les rapports entre Proust et sa mère sont passionnels et conflictuels, notamment durant les années 1902-1903. Dans cette lettre par exemple :

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Le samedi soir 6 décembre 1902

Ma petite Maman,
Puisque je ne peux pas te parler je t'écris pour te dire que je te trouve bien incompréhensible. Tu sais ou devines que je passe toutes mes nuits dès que je suis rentré à pleurer, et non sans cause ; et tu me dis toute la journée des choses comme : « je n'ai pas pu dormir la nuit dernière parce que les domestiques se sont couchés à onze heures. » Je voudrais bien que cela soit ça qui m'empêche de dormir ! Aujourd'hui j'ai eu le tort, étouffant de sonner (pour avoir à fumer) Marie qui venait me dire qu'elle avait fini de déjeuner et tu m'en as instantanément puni en faisant, dès que j'ai eu pris mon trional, clouer et crier toute la journée.. J'étais par ta faute dans un tel étal d'énervement que quand le pauvre Fénelon est venir avec Lauris, à un mot, fort désagréable je dois le dire qu'il m'a dit, je suis tombé sur lui à coups de poing (sur Fénelon, pas sur Lauris) et ne sachant plus ce que je faisais j'ai pris le chapeau neuf qu'il venait d'acheter, je l'ai piétiné, mis en pièces et j'ai ensuite arraché l'intérieur. Comme tu pourrais croire que j'exagère je joins à cette lettre un morceau de la coiffe pour que tu vois (sic) que c'est vrai. Mais tu ne le jetteras pas parce que je te demanderai de me le rendre pour si cela peut encore lui servir. Bien entendu si tu le voyais pas un mot de ceci. Je suis du reste bien content que cela soit tombé sur un ami. Car si sans doute à ce moment là Papa ou toi m'aviez dit quelque chose de désagréable, certainement je n'aurais rien fait, mais je ne sais pas ce que j'aurais dit. C'est à la suite de ça que j'ai eu si chaud que je n'ai plus pu m'habiller et que je t'ai fait demander si je devais dîner ou non ici. À ce propos tu crois faire plaisir aux domestiques et me punir à la fois en me faisant mettre en interdit et en disant qu'on ne vienne pas quand je sonne, qu'on ne me serve pas à table etc. Tu te trompes beaucoup. Tu ne sais pas comme ton valet de chambre était gêné ce soir de ne pouvoir me servir. Il a tout mis près de moi et s'est excusé en me disant : « Madame me commande de faire ainsi. Je ne peux pas faire autrement. ». - Quant au « meuble » que tu m'as retiré comme du dessert, je ne peux m'en passer. Si tu en as besoin, donne m'en un autre ou alors j'en achèterai un. J'aimerais mieux me passer de chaises. - Pour ce qui est des domestiques, tu sais que je suis psychologue et que j'ai du flair et je t'assure que tu te trompes du tout au tout. Mais cela ne me regarde pas et je serai toujours content de seconder tes vues à cet égard quand tu m'en auras prévenu car je ne peux deviner que quand Marie a fini de déjeuner je m’expose à la faire renvoyer en lui demandant du feu dans une chambre où Fénelon et Lauris n'ont pu rester malgré leur paletot, et à fumer. Mais je suis affligé - si dans la détresse où je suis, toutes ces petites querelles me laissent bien indifférent - de ne pas trouver dans ces heures vraiment désespérées le réconfort moral sur lequel j'aurais cru pouvoir compter de ta part. La vérité c'est que dès que je vais bien, la vie qui me fait aller bien t'exaspérant, tu démolis tout jusqu'à ce que j'aille de nouveau mal. Ce n'est pas la première fois. J'ai pris froid ce soir ; si cela se tourne en asthme qui ne saurait tarder à revenir, dans l'état actuel des choses, je ne doute pas que tu ne seras de nouveau gentille pour moi, quand je serai dans l'état où j'étais l'année dernière à pareille époque. Mais il est triste de ne pouvoir avoir à la fois affection et santé. Si j'avais les deux en ce moment ce ne serait pas de trop pour m'aider à lutter contre un chagrin qui surtout depuis hier soir (mais je ne t'ai pas vue depuis) devient trop fort pour que je puisse continuer à lutter contre lui. Ainsi j'ai voulu mais trop lard ravoir ma lettre pour M. Valette. D'ailleurs je pourrai lui écrire en sens contraire. Nous en reparlerons.
Mille tendres baisers.
Marcel.

Marcel Proust, 102. Lettre à Jeanne Proust, Correspondance. Édition Kolb (Plon). Tome III, p. 190-191

à voir en ligne : le site du Centre de Recherche Kolb-Proust

lundi 13 août 2007

nous tuons tout ce qui nous aime

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Le titre de Thomas A. Ravier, ainsi que la large place faite au meurtre de la mère dans son essai, m’incite à relire « Sentiments filiaux d'un parricide », l’étrange article que Marcel Proust rédige pour Le Figaro (1er fév. 1907) sur Henri Van Blarenberghe, une assez vague connaissance qu’il avait rencontré une fois, avec qui il avait échangé quelques lettres et qui, dans un accès de démence, avait le 24 janvier 1907, tué sa mère avant de se suicider. En voici la fin :

(...) Si j'ai répété avec insistance ces grands noms tragiques, surtout ceux d'Ajax et d'Œdipe, le lecteur doit comprendre pourquoi, pourquoi aussi l'ai publié ces lettres et écrit cette page. J'ai voulu montrer dans quelle pure, dans quelle religieuse atmosphère de beauté morale eut lieu cette explosion de folie et de sang qui l'éclabousse sans parvenir à la souiller. J'ai voulu aérer la chambre du crime d'un souffle qui vînt du ciel, montrer que ce fait divers était exactement un de ces drames grecs dont la représentation était presque une cérémonie religieuse et que le pauvre parricide n'était pas une brute criminelle, un être en dehors de l'humanité, mais un noble exemplaire d'humanité, un homme d'esprit éclairé, un fils tendre et pieux, que la plus inéluctable fatalité - disons pathologique pour parler comme tout le monde - a jeté - le plus malheureux des mortels - dans un crime et une expiation dignes de demeurer illustres.
« Je crois difficilement à la mort », dit Michelet dans une page admirable. Il est vrai qu'il le dit à propos d'une méduse, de qui la mort, si peu différente de sa vie, n'a rien d'incroyable, en sorte qu'on peut se demander si Michelet n'a pas fait qu'utiliser dans cette phrase un de ces « fonds de cuisine » que possèdent assez vite les grands écrivains et grâce à quoi ils sont assurés de pouvoir servir à l'improviste à leur clientèle le régal particulier qu'elle réclame d'eux. Mais si je crois sans difficulté à la mort d'une méduse, je ne puis croire facilement à la mort d'une personne, même à la simple éclipse, à la simple déchéance de sa raison. Notre sentiment de la continuité de l'âme est le plus fort. Quoi ! cet esprit qui, tout à !'heure, de ses vues dominait la vie, dominait la mort, nous inspirait tant de respect, le voilà dominé par la vie, par la mort, plus faible que notre esprit qui, quoiqu'il en ait, ne se peut plus incliner devant ce qui est si vite devenu un presque néant ! Il en est pour cela de la folie comme de l'affaiblissement des facultés chez le vieillard, comme de la mort. Quoi ? L'homme qui a écrit hier la lettre que je citais tout à l'heure, si élevée, si sage, cet homme aujourd’hui… ? Et même, pour descendre à des infiniments petits fort importants ici, l'homme qui très raisonnablement était attaché aux petites choses de l'existence, répondait si élégamment à une lettre, s'acquittait si exactement d'une démarche, tenait à l'opinion des autres, désirait leur paraître sinon influent, du moins aimable, qui conduisait avec tant de finesse et de loyauté son jeu sur l'échiquier social l... Je dis que cela est fort important ici, et si j'avais cité toute la première partie de la seconde lettre qui, à vrai dire, n'intéressait en apparence que moi, c'est que cette raison pratique semble plus exclusive encore de ce qui est arrivé que la belle et profonde tristesse des dernières lignes. Souvent, dans un esprit déjà dévasté., ce sont les maîtresses branches, la cime, qui survivent les dernières, quand toutes les ramifications plus basses sont déjà élaguées par le mal. Ici, la plante spirituelle est intacte. Et tout à l'heure en copiant ces lettres, j'aurais voulu pouvoir faire sentir l'extrême délicatesse, plus l'incroyable fermeté de la main qui avait tracé ces caractères, si nets et si fins...
- Qu'as-tu fait de moi ! qu'as-tu fait de moi ! Si nous voulions y penser, il n'y a peut-être pas une mère vraiment aimante qui ne pourrait, à son dernier jour, souvent bien avant, adresser ce reproche à son fils. Au fond, nous vieillissons, nous tuons tout ce qui nous aime par les soucis que nous lui donnons, par l'inquiète tendresse elle-même que nous inspirons et mettons sans cesse en alarme. Si nous savions voir dans un corps chéri le lent travail de destruction poursuivi par la douloureuse tendresse qui l'anime, voir les yeux flétris, les cheveux longtemps restés indomptablement noirs, ensuite vaincus comme le reste et blanchissants, les artères durcies, les reins bouchés, le cœur forcé, vaincu le courage devant la vie, la marche alentie, alourdie, l'esprit qui sait qu'il n'a plus à espérer, alors qu'il rebondissait si inlassablement en invincibles espérances, la gaîté même, la gaîté innée et semblait-il immortelle, qui faisait si aimable compagnie avec la tristesse, à jamais tarie, peut-être celui qui saurait voir cela, dans ce moment tardif de lucidité que les vies les plus ensorcelées de chimère peuvent bien avoir, puisque celle même de don Quichotte eut le sien, peut-être celui-là, comme Henri van Blarenberghe quand il eut achevé sa mère à coups de poignard, reculerait devant l'horreur de sa vie et se jetterait sur un fusil, pour mourir tout de suite. Chez la plupart des hommes, une vision si douloureuse (à supposer qu'ils puissent se hausser jusqu'à elle) s'efface bien vite aux premiers rayons de la joie de vivre. Mais quelle joie, quelle raison de vivre, quelle vie peuvent résister à cette vision ? D'elle ou de la joie, quelle est vraie, quel est « le Vrai » ?

Marcel Proust, fin de l’article « Sentiments filiaux d’un parricide ». Repris dans Contre Sainte-Beuve (Gallimard, Pléiade, p. 157-159)

dimanche 12 août 2007

se dispenser d'apparaître

Le plus émouvant, ou pathétique, je ne sais pas, ce sont, en y réfléchissant, ces faux lecteurs de Proust depuis longtemps vrais personnages de son œuvre. Ils n'en ont aucune idée, bien entendu. Je déjeunais hier encore avec l'un d'eux (qui m'a longuement parlé de sa passion pour la Recherche). Legrandin, portable en plus. Très drôle, très instructif. (p. 35)

J'imagine d'ici le scandale si Proust, un beau jour, par je ne sais quel accident miraculeux, était lu : rien qu'une fois. Quelle catastrophe (financière), quel écroulement (des valeurs), quelle chute (de la bourse des croyances), quel bide (pour le film patrimonial). Mais ne rêvons pas. Il faut, cela se comprend, un corps très original pour lire Proust jusqu'au bout, plutôt, par exemple, qu'une grande culture comme Charlus. (p. 74)

Thomas A. Ravier, Éloge du matricide. Essai sur Proust (Gallimard, L’Infini, 2007)

L’essai de Thomas A. Ravier sur Marcel Proust est parfois un peu agaçant - lorsqu’il se proclame ainsi novateur et en rupture complète avec le reste de l’abondante critique proustienne tout en enfonçant des portes depuis longtemps ouvertes - mais il est aussi passionnant et très attachant - par son enthousiasme, une écriture pleine de surprises, et des découvertes inattendues au tournant d’un raisonnement, par exemple :

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Marcel peut aussi se dispenser d'apparaître. Au jeu du vingtième siècle on ne le prendra pas. La société se révèle progressivement être l'affirmation de toute vie humaine, dans le détail, comme simple apparence ? Il fallait s'attendre à cette accusation rancunière tourmentée - ces aigres épigrammes - des participants qui ne peuvent admettre l'apparition soudaine dune distance rendue visible. Or, l'amitié est peut-être une manifestation lyrique de la surveillance sociale se nourrissant justement, chez les plus crédules, donc les plus dangereux, de cette distance. Il faut disparaître mais dans son style. L'invisible ami récuse cette politique non énigmatique de la transparence (qui sera celle, effroyable, des Verdurin). Proust, c'est embarrassant, réfute la figure du misanthrope officiel (lequel obéit sans s'en rendre compte au fantasme social de la confession identitaire) pour ne conserver du théâtre de la surface que le plaisir évanescent de la comédie pulsative. Il est beaucoup plus drôle que ça, beaucoup moins enfantin et, finalement, beaucoup moins sentimental. Plus vindicatif, plus venimeux : le reptile vous salue bien. L'ethnologue impitoyable du Ritz est aussi un joueur subtil qui annule rendez-vous après rendez-vous, se fait exempter d'un dîner, dispenser d'une fête, repousse pour la énième fois une visite, n'ouvre à personne, exige de ne pas être dérangé, déconseille à ses proches la fréquentation de son appartement et de son atmosphère malsaine ; ce qui n'empêche pas, sur un autre front, dix pages d'admonestations à un ami qui n'en « est pas un », ou de reprocher à Gide son absence d'affectivité, à Cocteau de le négliger, à Daudet de ne jamais venir le voir, à un duc quelconque sa froideur comme un obstacle au progrès de leur relation. Sa position d'agent du sens en cours d'invisibilisation est tout entière dans cette merveilleuse anecdote de Philippe Soupault : Marcel organise un dîner au Grand Hôtel de Cabourg, la soirée va durer, il offre des cigares à ses invités : « Messieurs, comme je ne peux supporter la fumée à cause de mon asthme, je suis obligé de vous demander de m'excuser. » Voilà en effet un rideau de fumée des plus fameux dans un décor curieusement coulissant. Et, en réaction, une poussée prévisible de crispations subjectives. (p. 20-21)

Dans la comédie universelle passive, nous savons que la plupart demeurent sur la scène à s'exhiber. Acteur social, certes, mais le script est de plus en plus monotone, pauvre, répétitif, impersonnel, bâclé. Il y a l'observé et l'observateur, c'est la loi, elle est dure, elle dure. Or l'observé l'est toujours sexuellement : Charlus, Jupien ou même Swann sont sexuellement observés, surveillés justement par où ils s'imaginent dans l'illicite, la question de leurs naïves activités érotiques. Et voilà que Proust, lui, s'appuie férocement sur son corps pour démontrer que la liberté dans la volupté, comme la clandestinité sexuelle, n'existent que si elles sont un moyen de connaissance, et peu, sinon jamais, par leur représentation audacieuse. Chaque fois, curieusement, que son narrateur approche d'une source d'activité sexuelle, c'est pour être le témoin paisible de ce qui se dit, ou plutôt ne se dit pas. Or, c'est cette faculté de se trouver systématiquement au point d'émission de la mystification sexuelle qui est, je crois, une des grandes révolutions de Proust baudelairien (et non balzacien). Et elle est peut-être le résultat concret de cette détermination effervescente et musicale dans la variation ironique. Juif ou catholique ? Romancier ou essayiste ? Homo ou hétéro ? Proust n'aura jamais choisi (c'est embêtant). C'est, au sens propre, son style. Passons les frontières ! Tout le problème est là. Nous sentons dans un monde, nous pensons, et surtout nous nommons dans un autre. Quelquefois, là où les muscles plongent et tordent leurs ramifications, aspirant cette vie nouvelle, un corps surgit pour faire sauter ces barrières sociales et culturelles. Ce sera, contrairement à l'opinion familiale, Guermantes et Méséglise, autant dire Jérusalem et Athènes. Proust sait donc parfaitement ce qu'il dit, il n'est pas fou ou exagérément dans la sorcellerie littéraire lorsqu'il écrit à Jacques Boulanger : « Les romanciers devinent à travers les murs. » Le romancier dévie, devine à travers les murs, les murmures, l'amour de la mère, la mire de la mort. (p. 61-62)

Thomas A. Ravier est né en 1969. Il a publié aussi de très intéressants romans :
Au bord de l'amer (Le Talus d'approche, 1994)
Original remix (Le Lys dans la vallée) (Julliard, 1999)
Emma Jordan (Moeurs du Béton) (Julliard, 2002)
Les aubes sont navrantes (Gallimard, L'Infini, 2005)
Le scandale McEnroe (Gallimard, L'Infini, 2006)

à lire aussi, sur Éloge du matricide, un bel article de Marc Pautrel

vendredi 10 août 2007

de nuit sur ma ligne de jour

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Mardi – On peut se laisser entraîner par la ligne de fuite, le bord extérieur du rail converti par les pointillés, la chaussée, longer le trottoir, bifurquer, sauter à pieds joints dans les stries, disparaître. Mais l’œil se lasse et retourne aux fenêtres, ne sait pas se contenter du ballast, des grilles et des voies à vélo. Il exige le clocher de l’hôpital, quelques ardoises fluides, le ciel large qu’il ne reverra pas de la journée.
(...)
Samedi soir - Métro La Chapelle, sur le quai. Expérience inédite, je sors du cinéma et me retrouve de nuit sur ma ligne de jour. À travers la verrière, en attendant la rame qui ne vient pas, je surprends les pièces éclairées dont je ne distingue rien le matin. Salon chatoyant, jouets, rideau jaune. Teintures au mur, ficus, tableaux. À ma gauche, la pointe illuminée du Sacré-Cœur. Devant moi, les arbres aux dents jaunes flashés par les spots. Nous attendons toujours. Et que suis-je allée voir pour la quatrième fois, délaissant les films de la rentrée qui pourtant me tentaient ? Fenêtre sur cour, sans blague, c'est maintenant que le lien se fait.
Dans le métro. Durant quelques secondes je n'y pense pas, je sors Penser/classer de Perec et je commence à lire, plaquée contre la porte vitrée. Puis je lève les yeux et les fenêtres du matin s'imposent, m'envoient par saccades, par bouffées, un halo orange, les ombres d'une persienne, la vision fugitive d'une bibliothèque - comme si les gens qui vivent le nez sur le métro ne lisaient pas ! Pourquoi derrière mes cent fenêtres personne ne lit-il jamais ?

Anne Savelli, Fenêtres : open space (Le Mot et le reste, 2007, p. 30 et p. 31)

Les premières pages avait été publiées en ligne dans remue.net, puis un livre a été publié ; cette belle tentative d’épuisement de ce qu’on voit depuis la ligne 2 du métro parisien se poursuit maintenant sur un blog qui propose par exemple des photos, et souhaite « créer des sortes de satellites autour du livre ».

On peut lire d’autres textes d'Anne Savelli (née en 1967 à Paris), dans la revue Ambition chocolatée et déconfiture et dans remue.net (« Centre du monde »), où l’on peut lire aussi un bel article de Sereine Berlottier.

mardi 7 août 2007

les piquants du hérisson

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J'ai lu tant de livres...
Pourtant, comme tous les autodidactes, je ne suis jamais sûre de ce que j'en ai compris. Il me semble un jour embrasser d'un seul regard la totalité du savoir, comme si d'invisibles ramifications naissaient soudain et tissaient entre elles toutes mes lectures éparses - puis, brutalement, le sens se dérobe, l'essentiel me fuit et j'ai beau relire les mêmes lignes, elles m'échappent chaque fois un peu plus tandis que je me fais l'effet d'une vieille folle qui croit son estomac plein d'avoir lu attentivement le menu. Il paraît que la conjonction de cette aptitude et de cette cécité est la marque réservée de l'autodidactie. Privant le sujet des guides sûrs auxquels toute bonne formation pourvoit, elle lui fait néanmoins l'offrande d'une liberté et d'une synthèse dans la pensée là où les discours officiels posent des cloisons et interdisent l'aventure.

Muriel Barbery, L'élégance du hérisson (Gallimard, 2006, p. 51)

Depuis qu’il trône en tête des ventes, ayant même réussi un temps à devancer Marc Lévy, Guillaume Musso, Paolo Coelho ET Harry Potter (!), et qu'il a dépassé les 350 000 exemplaires vendus, il devient (forcément) tendance de dénigrer le livre de Muriel Barbery, L'élégance du hérisson. Les critiques s’étonnent d'un succès qu'ils n'ont pas annoncé, et, même si quelques-uns le jugent mérité (par exemple dans « Le Masque et la plume » d’hier soir), beaucoup, comme Philippe Lançon dans Libération, se demandent s’il faut « écraser le hérisson ? ».

C'est injuste, car, qu’on l’aime ou pas, le livre de Muriel Barbery a l'immense mérite d'être un vrai livre, pas un produit calibré pour la vente, qui s’est vendu sans véritable publicité de la part de son éditeur (trop occupé à la rentrée dernière à promouvoir les Bienveillantes), sans promotion télé, avec très peu de critiques, mais avec le soutien des libraires (qui lui ont décerné le Prix des Libraires) et grâce au bouche à oreille.

Je suis heureuse de l’avoir lu, avec beaucoup de plaisir et sans a priori, avant qu’il ait du succès, attirée par son joli titre (j’adore les hérissons !) - et de l’avoir aimé, malgré quelques réserves (son écriture un peu classique et son côté roman à thèse) ; si je l'avais lu aujourd'hui, j’aurais peut-être (mais peut-être pas) réagi comme Judith Bernard (dont je suis fan, précisé-je), qui l’assassine dans « l’arrogance du paillasson » avec des arguments qui sont parfois l'ombre portée de mes réserves.

Bon séjour sabbatique à Kyoto, Muriel !

jeudi 26 juillet 2007

ne pas s'agglomérer

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Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront.

La sagesse est de ne pas s’agglomérer, mais, dans la création et dans la nature communes, de trouver notre nombre, notre réciprocité, nos différences, notre passage, notre vérité, et ce peu de désespoir qui en est l’aiguillon et le mouvant brouillard.

On ne se bâtit multiformément que sur l’erreur. C’est ce qui nous permet de nous supposer, à chaque renouveau, heureux.

René Char, « Rougeur des matinaux », Les matinaux (Œuvres complètes, Gallimard, Pléiade, 1983, p. 329, 330 et 334)

Un billet, aujourd'hui même, de Ronald Klapka me permet de suivre le fil « René Char » sur remue.net, et de m'apercevoir que Françoise Dastur y avait, il y a presque un an, posté un beau texte intitulé « René Char & Georges de La Tour : ‘l’intelligence avec l’ange’ », et aussi qu’on peut y lire un autre très beau texte de Char, « Page d'ascendants pour l'an 1964 » (« Grands astreignants », Recherche de la base et du sommet, Œuvres complètes, Gallimard, Pléiade, 1983, p. 711-712).

Par rebond, sur remue.net encore, Sereine Berlottier et Sébastien Rongier racontent en contrepoint Avignon, en lignes obliques et visions brèves. Une autre vision, et de belles photos aussi, sur le blog de brigetoun, pas si « paumée » qu'elle veut bien le dire (en créant ce lien vers chez elle, je vois qu'elle vient d'en créer un vers chez moi, mais je persiste!)

mercredi 25 juillet 2007

les minutes de suif de la clarté

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La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j’ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme assis. Sa maigreur d’ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L’écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore.
Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains.

René Char, Feuillets d’Hypnos, 178 (Œuvres complètes, Gallimard, Pléiade, 1983, p. 218)

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Comme souvent, dans l’exposition consacrée à René Char à la BnF, me parlent notamment les correspondances entre les textes et les tableaux présentés : ici, parmi de nombreux tableaux de contemporains dont René Char a souvent été l’ami, est exposé un beau tableau peu connu de Georges de La Tour, « La découverte du corps de saint Alexis » (1648, Nancy, Musée Lorrain) qui m'a donné envie d'aller lire ce que le poète écrit à propos de ce peintre.

Le « Prisonnier » (vers 1640-1645, Épinal, Musée départemental d'art ancien et contemporain) dont il est question dans le beau texte ci-dessus, a depuis été rebaptisé « Job et sa femme » puis « Les railleries de la femme de Job », ce qui infléchit considérablement sa signification.
On peut lire d’autres extraits de René Char sur Georges de La Tour sur le site Educnet : « La Madeleine à la veilleuse - René Char et Georges de La Tour ».

à voir et lire aussi en ligne :
- un site René Char
- une page et des documents Arte
- une page Télérama
- « Parole d’orage : à propos de René Char » par Laurent Margantin (Revue des ressources)

mardi 24 juillet 2007

la réalité n'était qu'une vieille chaussette

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Ingrid réfléchissait. Parce que la réalité nous appâtait avec quelques péripéties, nous laissait espérer une montée en puissance et une impressionnante explosion finale, on l'envisageait vigoureuse et exubérante. On prévoyait des séparations passionnées, ouvertes sur des revirements surprenants, alors qu'on n'avait droit qu'à un théâtre d'ombres, celui des silhouettes fantomatiques des amis morts et des amours fracassées qui se dissolvaient dans le brouillard. La réalité n'était qu'une vieille chaussette qui finissait un jour ou l'autre par perdre son élasticité.

Dominique Sylvain, L’absence de l’ogre (Viviane Hamy, 2007, p. 263)

Le titre très « conte de fée » de ce roman policier est emprunté à Alphonse Allais dont la maxime : « Il y a des moments où l'absence d'ogres se fait cruellement sentir » est reprise page 89. L'absence de l'ogre est la quatrième enquête de Lola Jost, commissaire de police à la retraite qui aime le porto, les puzzles et citer les classiques et d'Ingrid Diesel, masseuse, strip-teaseuse et assez américaine pour écorcher avec beaucoup d'à-propos la langue française. Les enquêtes de ce duo improbable sont plus mélancoliques que trépidantes, assez réalistes pour que le suspense agisse, mais aussi assez fantaisistes pour confiner parfois à l’absurde.

Dominique Sylvain est née en 1957 à Thionville.
Elle vit à Tokyo et a publié sept autres romans, que je conseille.
Le site qui lui était consacré ne fonctionne plus, mais peut-être n'est-ce pas définitif.

À lire en ligne :
- un entretien de Dominique Sylvain avec Claire Simon et Thomas Flamerion pour Evene, en mai 2007
et des articles :
- Alexandra Morardet pour Arte
- Julien Védrenne pour Le littéraire
- Myosotis (qui n’aime pas) pour Fluctuat.net

lundi 23 juillet 2007

une brèche dans le vide

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Tout se patine. À condition de savoir éviter la rancœur et de se garder du cynisme, on petit faire bonne mesure de sa tristesse. Et même l'aimer, ou du moins en sourire. Elle n'est pas le contraire de la joie, c'est un peu la même lueur sous un autre angle. Plutôt qu'un psy ou un philosophe, un chef opérateur de cinéma saurait bien l’expliquer, peut-être. (p. 43-44)

Sans alibi amoureux, sans alibi professionnel, à quoi pourrai-je vouer cette espèce de magma qui me sert d'existence ? Un hypothétique emploi de grand-mère ne me sourit pas suffisamment pour que je m'excite à l'attendre. J'ai renoncé à publier mes propres textes puisque personne n'en veut. Pas plus d'espoir d'un avenir meilleur côté JP.
Parfois, je songe à partir. Un long voyage, une brèche dans ma vie. Mais peut-on faire une brèche dans le vide ? (p. 58-59)

Je l’ai toujours su, plus encore qu’une philosophie, la paresse est un don. Celui de vivre sans éprouver le besoin de justifier son existence, la preuve qu’on peut être sans faire. (p. 85-86)

Luce Delobre, Journal d’une étourdie (Gallimard, 2007)

Ce premier roman énigmatique et émouvant, décrit, en phrases courtes et directes, les pensées de plus en plus confuses d’une femme qui a par hasard découvert un pistolet, et se demande ce qu’elle pourrait en faire : continuer à le planquer dans son tiroir à lingerie, ou bien en faire usage ? contre elle-même peut-être ? ou alors contre l’un de ces hommes dont les mots l'humilient et la maltraitent : son éditeur, son amant, son psychiatre, ou son mari, JP :

JP me démontrerait que ça n'a aucun rapport et que je raisonne faux, comme d'habitude. Entre nous de toute façon, aucun dialogue n'est possible. Je sens et il argumente. Lui, c'est l'intello, moi la petite romancière pour dames un peu sottes. Mais je suis persuadée qu'il a tort aussi souvent que moi, ou même plus. (p. 17)

JP me répète d'écrire plus vite. Est-ce que je me mêle de son travail ? Il parle peu en général mais sur ma paresse, il radote. Il croit me vexer en m'accusant d'avoir une vie végétative. Je lui réponds que c'est justement mon rêve. Je ne vois rien de plus beau qu'un arbre épanoui. S'il était plus malin, il se réjouirait. C'est comme une plante que je tiens encore à lui, par mes racines. (p. 28)

J'ai revu Troche. Il commence à m'exaspérer avec ses petites lunettes épaisses comme des ventouses. On dirait de faux yeux qui se collent aux miens. Il me regarde longtemps, fixement, et tout d'un coup il se met à écrire. J'aimerais savoir ce que je deviens dans sa langue de psy. (p. 75)

Lucie Delobre est aussi traductrice et vit à Paris.

::: deux articles à lire en ligne sur Biblioblog et Voyage au bout de la lettre.

dimanche 15 juillet 2007

face au trou noir

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1 équipage. Ce sont des résistants. Ils forment 1 ensemble. Cohérent ou incohérent n'est pas le questionnement. Leur futur sera une situation bouleversée. Vous suivez ? Ils laissent 1 univers derrière eux. Cet univers était celui d'une planète dévastée où les derniers hommes s'étaient réfugiés dans 1 dôme isolé. Vous suivez ? OK. Bienvenue à bord. On va vers le hors-carte. On sent les vibrations du vaisseau. On est à cran à bord d'1 vaisseau dans l'espace. On traversera tout ça comme des pros. 1 vaisseau avec l’espace pour écrin. D’abord il n’y avait rien. Ensuite il y a un rien profond. Puis une profondeur bleue. (p. 9)

Certaines scènes relèvent tout simplement du grand n'importe quoi qui viole toutes les lois de la physique et de la logique. La chute sera également 1 grand moment. Il y aura des mutants. L'effet d'annonce est déceptif. On est réceptif. Le capitaine prend ses choses en main ; c'est du propre. 1 futur pas très fin se profile. On attend 1 face à face. On voit venir le synthétique, le capitaine en sous-pull moulant. Le capitaine Robinson devant ses écrans est saisissant. (p. 11)

Dans l'espace : il glisse (le vaisseau), ils glissent (les membres d'équipage). À bord : 1 ordinateur. L'équipage le nomme, lui parle comme à 1 homme. 1 ordinateur de bord. L'équipage le nomme : Debord. Il leur parle. (p. 15)

Fondations. Destructions. ici l'imaginaire de la mutation est très important. Frissons font sauts vers le futur du futur. On avance avec prudence même si on peut techniquement le faire. Dans les coulisses d'1 futur, pas à pas, une histoire c'est ça ; parfois. Disparition entre figuration et abstraction avec des positions dans agenda. Le capitaine au cœur de la manipulaction, à présent, remplit son journal de bord. (p. 17)

On file. On file parfois la métaphore. (p. 19)

On décode des signes. Sommes des singes à peine évolués. Le capitaine, en tenue synthétique, avec 1 clavier bien tempéré, tente de synthétiser. (p. 24)

Le capitaine : il est l'image du penseur. Il est : image, forme émouvante. Au cœur de l'action, parfois mots-bile : la conversation. Gènes nous gênent ? Le mur du son n'est plus 1 mur, est 1 murmure. De rien à moins que rien, il n'y a qu'1 petit pet pour l'Homme. Sons ne se propagent pas dans le vide spatial, mais dans le cockpit le son est spatialisé autour des plus pitres et le laid avenir de l'Homme peut être manipulé. (p. 37)

Heureux qui dans ces cool trous lisses a bien voyagé (dans trous de ver). Par le hublot on voit une étoile qui - dense - finit par exploser. Toujours aucune planète habitable en vue. Le rebondissement final vaudra à lui seul une vision, coûtera quelques vies (2 hommes et une femme). La vérité va éclater, mettre fin à la cécité. Cela demande bien sûr à être confirmé. (p. 43)

Face au trou noir désir de fuir. Grâce à la fonction recherche automatique de remplacement, on traque les doubles-espaces et les remplace par des espaces-simples. On ouvre des lignes de fuite car il faut 1 espace entre les maux pour tenir le coup. (p. 44)

Nicolas Tardy, S.F. comme Syndrome Fusionnel (éditions de l’Attente, 2007)

Nicolas Tardy aime construire des montages textuels reposant sur le détournement et la parodie : ce sont ici les aventures de l'équipage d'un vaisseau à la Star Trek qui font l'objet d'un remake plein de jeux de mots (j'aime particulièrement l'ordinateur de bord surnommé Debord), de citations et de glissements progressifs du sens.

Nicolas Tardy est né en 1970 et vit à Marseille. Il anime des ateliers d'écriture, a créé plusieurs sites internet, co-pilote depuis 2003 avec Véronique Vassiliou la revue x et tient dans le CCP (Cahier Critique de Poésie) du cipM la chronique « Réseau lu », consacrée aux sites internet de ou sur la poésie.

Son site est là et on peut lire ici (Tapin) sa « Marseillaise » très personnelle.

samedi 14 juillet 2007

ferry boat et poésie

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Je retrouve mon addiction au « blogging », après quelques jours à Marseille, où je n’ai pas fait que savourer le soleil, buller sur la corniche en regardant passer les (quelques petits) nuages et attendre (en vain) que le « ferry boat » du vieux port (sur lequel veille une vache paresseuse du plus beau rose) ne soit plus en « arrêt technique ».

J’ai également rendu ma visite rituelle à la très riche (et néanmoins charmante) bibliothèque du cipM, hébergée dans la Vieille Charité, visite que j’ai prolongée par quelques escales dans mes librairies préférées, notamment L’Odeur du temps et son beau fonds de poésie.

Outre À la bétonnière (Le Quartanier, 2007) du poète marseillais Arno Calleja (né en 1975), dont on peut aussi lire en ligne Criture (Inventaire/Invention, 2006) et « Légen » (remue.net, 2006), j'en ai rapporté quelques uns des beaux petits livres (parfaits pour ne pas alourdir trop ma valise) des éditions de l’Attente : Marie Rousset, Jérôme Mauche et Nicolas Tardy.

post-scriptum : pour ceux qui ne liraient pas les commentaires, je relaie ici l’information fournie par FB : la mise en ligne des fichiers audio de la nuit remue 2.

mardi 10 juillet 2007

les suivre les redessine

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Ce qui n'a pas de chair ne peut être entamé ; ce qui a affecté l'âme ne l'a pas pénétrée - ni ne l'a marquée ; ce qui y demeure ce sont des lignes qui se perdent aussi loin qu'on les remonte : les suivre les redessine. (p. 7)

Œuvre est en soi, posée en soi par l'auteur entre l'auteur et lui-même. Œuvre est espace que se ménage l'auteur entre lui et lui. Qu'il n'est pas lui, tout ce lui, rien que ce lui-là, heureusement, - que l'œuvre soit le montre ; qu'il n'est pas pas lui, rien que non-lui, un tout autre-là, heureusement, - que l'œuvre soit d'un auteur le montre. Entre être et n'être pas, l'auteur, par l'œuvre, se ménage un délai, un suspens, une trêve. Entre les deux termes de l'impossible alternative il pose un lui qui y est. (p. 15)

D'où viennent les pensées qui ne sont pas des réflexions des souvenirs ou des jugements. Y a-t-il des pensées qui ne soient pas réflexions souvenirs jugement ou association des trois à divers degrés. Comment viennent les pensées si ce n'est pas d'un remuement, mélange de ces trois composants comme une main plongée dérange le contenu d'un sac de blé. Mais comment peut se faire cette réorganisation quelque infime sous l'effet de quelle impulsion de quel courant d'où venu. Est-ce du corps, d'un mouvement corporel qui déclencherait un réaménagement. (p. 67)

Marc Cholodenko, Glossaire (POL, 2007)

Marc Cholodenko est né le 11 février 1950 à Paris.

Ce Glossaire se compose d'une série de variations en prose où les mots donnent corps à un effort de définition de ce qu’est la conscience confrontée au réel, et dont la syntaxe et la ponctuation très singulières semblent engagées dans la tentative de (pour)suivre le cheminement de la pensée.

lundi 9 juillet 2007

que notre invisible s'accroche

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On laisse derrière soi l'événement muet. On laisse derrière soi l'événement, on le pose, on tourne, travaille, sombre, voyage. On laisse derrière soi tout ce qui eut lieu de l'homme ou de l'histoire qui révéla l'énigme précédant tout et soi. On n'a pas d'émoi. L'indifférence bâille, au début, dès le début, et finit, après le désastre, n'importe lequel, après, par nous donner raison. Il reste une question, une maille détricotée, un invisible comme les petites bêtes que l'on possède dans les nuits et cela a forme d'enfant entre deux arbres au jardin, dans le cadre net d'une fenêtre. Il est important et insensé que notre invisible s'accroche dans le jardin, soit nu, vu, pour un instant.

Les nuages sont épais et coupés des fils noirs du téléphone et des toits. Les roses trémières font une frise au balcon juste sous le premier toit. Une tourterelle au collier noir se perche sur l'antenne de télévision, se perd un instant et recommence.

La forme d'enfant a beau nager, ombre et saisie de ce qui est secret, au-dessus de deux qui ont une histoire, elle réclame pourtant réponse, n'étant bien sûr ombre qu'ici. La forme n'est pas forme simplement. Elle croît bien sans moi et sans ce que nous fîmes d'elle, de nous, de deux, des idées, des effrois. Aller chercher mon fils à l'école. Je punaise sur le mur ses dessins au fusain. Un rouge-gorge ploie le col par mouvements saccadés. Cela fait exactement dix minutes qu'il est posé sur la cheminée bien au-dessus du balcon aux roses trémières. Il y reste. À l'aurore, les couleurs ou reliefs se superposent, une lumière, lustre blanc, gonfle ou tend le nuage. Je regarde par le rectangle gris de la fenêtre. Des postillons noirs se précipitent, traversent. Par groupes de deux. Et cela est surprenant quand le groupe est grossi. Ce sont les martinets qui courent en volant, trois secondes de martinets par la fenêtre, groupés et surprenants.

Marie Cosnay, Déplacements (Laurence Teper, 2007, p. 77-78)

Marie Cosnay est née à Bayonne en 1965
Professeur de lettres classiques et traductrice de textes antiques, elle a déjà publié :
Que s’est-il passé (Cheyne, 2003)
Adèle, la scène perdue (Cheyne, 2005)
Villa Chagrin (Verdier, 2006)
On peut aussi lire dans remue.net « La langue maternelle » et « En outre ».

samedi 7 juillet 2007

né libre-penseur

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Lorsqu'il fut descendu sur le quai du métro, Petit Plug perdu au milieu d'une forêt de jambes d'hommes et de femmes qu'il ne pouvait ne point identifier à M. Hébrant (car ils devaient tout comme lui croire que la Terre tourne), sa décision était arrêtée. Il ne pouvait demeurer parmi les conformistes. Il était façonné tout autrement, lui, Petit Plug. Il était né libre-penseur. Il croyait en Dieu, mais à sa façon. Et sans les condamner il ne prenait point les vérités données pour argent comptant. Il possédait un esprit critique par trop développé pour se contenter de vivre comme tout le monde. Et c'était contre lui qu'il exerçait ce don reçu des fées ; contre lui et ses maîtres, contre l'enseignement qu'il recevait d'eux. Cela était tout un. Il était bien plus aventureux de rétorquer ses dons contre soi-même à travers les personnes qui nous nourrissent que contre les gens dont on ne dépend point. Il y fallait quelque courage. Le monde était peuplé de gens comme M. Hébrant, d'honnêtes gens qui croyaient fort à ce qu'on leur avait inculqué. Il savait d'instinct qu'il ne rencontrerait que des M. Hébrant où qu'il aille et de pires que lui peut-être bien. Il se trouvait dans la situation d'un homme qui adore le mouvement et ne rencontre que des gens satisfaits d'eux-mêmes exprimant leur suffisance, tout vulgairement, tout bruyamment, en demeurant sur place. C'était le lot des gens de la tribu. Il n'était point, Plug, un homme de la tribu. Mais il n'y avait point d'autres endroits au monde où il pût se poser. Les gens de sa sorte y sont toujours tenus pour des sauvages, des exceptions. Petit Plug ne voulait point être une exception. On commence par être une exception et l'on finit par devenir une bête curieuse aux yeux des bas-de-plafond. Cela n'était point vivre dans la dignité. Aussi, quand il entendit que l'on annonçait l'arrivée de la rame de métro, Petit Plug qui s'était déplacé vers le bout du quai respira profondément et sauta du quai au milieu des rails. (p. 67-68)

Marcel Detiège, Le petit Plug est mort (La Table ronde, 2007, p. 67-68)

L’histoire drôle, édifiante et tragique de Plug, surdoué de dix ans qui s’exprime comme un auteur classique et n’entend pas accepter que son professeur lui dénie le droit d’exercer son esprit critique et sa liberté de pensée.

Marcel Detiège est né le 11 mars 1941 à Beauraing en Belgique.
il est Greffier honoraire des tribunaux belges, et a déjà publié de nombreux essais et des poèmes.

jeudi 5 juillet 2007

une si douce apocalypse

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Le projet Cassandre doit beaucoup à plusieurs penseurs de la fin du siècle dernier oubliés de tous. Ceux-ci formulèrent, avec un sens prophétique remarquable, mais de manière fragmentaire, des hypothèses qui rejoignent nos propositions actuelles.
Qu’il s’agisse de Guy Debord, de Jean Baudrillard, de Baudoin de Bodinat, ou de Philippe Muray, tous décrivent la disparition de la réalité, sa falsification systématique dont notre système a besoin pour soumettre l’humanité aux nouvelles conditions de vie après le monde ancien.
Leur description valait dénonciation, ce qui implique que leur littérature n’est aujourd’hui plus lisible.

Traçons rapidement les principaux axes selon lesquels doit être menée la transformation de l’homme.
Celle-ci étant définie non comme une surhumanité, comme l’ont cru certains songe-creux néo-positivistes, mais bien comme une infra-humanité, seule à même de consentir au régime d’horreur…

Jérôme Leroy, Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruines (Mille et une nuits, 2007, p. 131)

Sous ce beau titre, Jérôme Leroy propose de courtes nouvelles d’anticipation très noires qui évoquent un monde déglingué d’une inquiétante familiarité, notamment chaque fois que revient le leitmotiv « depuis les élections de 2007 » (par exemple « depuis les élections de 2007, il fallait être glamour, gagneur, optimiste », p. 32), et qui sont introduites par une exergue au diapason :

Je sais seulement que si vous avez quelque chose qui vous tient tant soit peu à cœur, autant en faire votre deuil dès maintenant parce que tout ce que vous avez connu se disloque, s’effondre et finira en gadoue dans le crépitement ininterrompu des mitrailleuses.
George Orwell, Un peu d’air frais

Né en 1964, Jérôme Leroy est notamment l’auteur de :
Le Déclenchement muet des opérations cannibales (Équateurs, 2006)
Rêves de cristal (Mille et une nuits, 2006).
Le cadavre du jeune homme dans les fleurs rouges (Le Rocher, 2005)
Big Sister (Mille et une nuits, 2004)
Bref Rapport sur une très fugitive beauté (Les Belles lettres, 2002)
Une si douce apocalypse (Les Belles Lettres, 1999)

mercredi 4 juillet 2007

(on s'est perdus.)

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Des lignes chevauchées par des mots.
Des signes simples. Des codes. Des
figurines. Des simulacres de corps. Des
cercles. Des boussoles. Des points
cardinaux. Des flèches. Des couleurs.
Des doigts tendus. des épaisseurs. Des
flaques.

La carte est vide. Pastilles rondes et
légende : un endroit où vous n'irez pas.

Au zoo, illisible.

Le lieu et la langue, illisibles.

(...)

Les mots-dessins.

La langue dans les cartes cachée.

Sereine Berlottier, Chao Praya (Apogée, 2007, p. 37-38)

Ce journal d'un voyage dans la langue davantage que sur les cartes (pleines de vide) où dans le réel (incertain) se termine par une (belle) parenthèse qui contient les mots : « (On s'est perdus.) » (p. 59).

Sereine Berlottier est née en 1971.
Elle a publié également Nu précipité dans le vide (Fayard, 2006)
Elle est membre du comité de rédaction de remue.net.

On peut lire en ligne :
- un autre extrait dans Poezibao
et, dans remue.net :
- un article de Jean-Marie Barnaud
- une page sur Nu précipité dans le vide
- et d'autres textes : « en marchant », « On dort », « Revoir » et « Mezza voce ».

jeudi 28 juin 2007

ce dont tremble un enfant

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Si par hasard vous croisez, n'importe où dans le monde - à l'aéroport de Chicago par exemple, les flics y sont très gentils avec les enfants, ils leur donnent toujours des badges amusants -, une petite fille vêtue de noir coiffée d'un béret, un attaché-case à ses pieds, et qui lit avec intensité, en suçant son pouce ou en buvant du jus de tomate avec une paille, le Traité du désespoir de Kierkegaard, il y a pas mal de chances pour que ce soit Unica.
Et si elle vous regarde droit dans les yeux, en murmurant : Ce dont tremble un enfant, pour l'adulte n'est rien. L'enfant ne sait ce qu'est l'horrible, l'homme le sait, et il en tremble. Le défaut de l'enfance, c'est d'abord de ne pas connaître l'horrible, et en second lieu, suite à son ignorance, de trembler de ce qui n'est pas à craindre.
Éloignez-vous au plus vite...

Elise Fontenaille, Unica (Stock, 2007, p. 11)

Ce court roman, qui est à la fois (et donc n’est pas vraiment) un thriller d’anticipation, une fable sur les tabous de notre époque et une histoire d’amour impossible entre Herb, ancien hacker qui traque les pédophiles sur internet, et Unica, la petite fille aux cheveux blancs qui ne peut pas vieillir, exerce une étrange séduction.

Née à Nancy, en 1960, Élise Fontenaille est l’auteur de cinq autres romans :
La gommeuse (Grasset, 1997)
Le Palais de la femme (Grasset, 1999)
Demain les filles on va tuer papa (Grasset, 2001)
L'enfant rouge (Grasset, 2002)
Brûlements (Grasset, 2005)

mardi 26 juin 2007

une fois coupé que le fil

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Pour ceux qui n'y étaient pas (et que donc je n'ai pas ratés!) ou pour prolonger encore un peu la Nuit remue 2, deux items de Continuez dont Jérôme Gontier a lu d'autres passages :

11. – Le fait têtu étant que ma parole avait du mal à être continue vu que le temps durant lequel celle-ci se dévidait ou se nouait ou se dépliait ou s’enroulait en des circonvolutions pas possibles, inimaginables même, m’était compté et qu’en son terme un au revoir allait signer la fin de tout craignais-je, alors qu’en vérité c’était seulement une fois coupé que le fil se mettait à trembler faisant chanter l’air donc et moi dedans, alors seulement que le temps travaillait la parole et qui le travaillait, le remplissant à la manière d’une parenthèse à moins que ce ne fût l’inverse mais je n’étais pas sûr – et je n’aimais pas ça.
(...)
82. Vous avez égaré votre Point de vue ? au moins ce silence médité, têtu et su tel des deux côtés de nous participant en somme d’un jeu eût-il donné crédit même si muet à l’effort par moi consenti pour revêtir les signaux d’une certaine gravité tandis que sinon, dans cet autre cas qui est le plus probable : à savoir qu’il n’a rien remarqué des efforts que j’avais consentis, tout simplement, il me fallait admettre alors que je l’indifférais d’une certaine façon, ce qui était quand même une perspective dure à avaler si ça peut se dire mais aujourd’hui tout cela m’indiffère moi aussi assez voire complètement et aurait même tendance, je dois dire à m’amuser ce qui est un autre signe indubitable je trouve que des choses quelque part bougent et pas seulement le temps et je suis satisfait aussi de ça, depuis le temps et c’est normal je trouve : peut-être est-ce que je m’éloigne de moi ou que je m’en approche ?

Jérôme Gontier est né en 1970.
Continuez paraîtra chez Léo Scheer, dans la collection Laureli, en septembre prochain
C'est son deuxième livre, après (ergo sum) (Al Dante, 2002)
Et, en attendant septembre, on peut lire quatre extraits de Continuez dans remue.net : 1, 2, 3 et 4.

lundi 25 juin 2007

rencontre du troisième type

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Une rencontre, cela ne se fait pas sur des bases égales. C’est une espèce qui en rencontre une autre. Pas l’inverse. L’espèce Dumonde ici n’en rencontre pas une en cette action. Une espèce qui se met là, entièrement en dehors de la volonté collective de celle ci. Un événement donc, en dehors des événements Dumonde. Il n’y a plus Demonde il y a une espèce, et des histoires des chronologies différentes. Une espèce qui se propose une rencontre, avec l’espèce dauphin. Pas avec l’espèce homme. Ce serait amusant. Parce que la communication serait possible. Humilier une espèce qui se croit l’espèce. Une rencontre se fait, ce n’est pas l’espèce Dumonde ici qui la fait c’est une autre espèce, une espèce qui décide qui se rencontre. Une rencontre ce n’est pas égal. Une espèce qui n’est pas égale, se dit une espèce, y mettre un terme, une espèce plusieurs peut-être c’est possible une espèce technologique cela peut être nombreux, jusqu’à ne plus être une unique espèce mais une pluralité, la technique cela peut faire beaucoup de choses. Une pluralité d’espèces et pas de personnes avec cette pluralité d’espèces, peut-être pas Demonde. L’hypothèse que cette pluralité d’espèces ne transporte pas Demonde avec.
(...)
Avec une rencontre extraterrestre c'est de l'inédit tout de suite.
Avec une rencontre extraterrestre c'est L'EXP. TOT. qu'arrive vitesse grand V.
Le plus sûr moyen de créer conscience et psychologie.
Pan dans ta gueule.

Dominiq Jenvrey, L’Exp. tot. Fiction théorique (è®e, 2006, p. 73 et p. 76)

Hier soir c’était la nuit remue : beaucoup de beaux textes, des découvertes, des rencontres, et la soirée se termine par une performance en forme de cours de Dominiq Jenvrey : « L’EXP. TOT. Plan d’attaque » qui évoque la rencontre extraterrestre pouvant advenir.
Et en sortant (juste après car je suis en retard) de la charmante cité Véron où se trouve le Théâtre ouvert, juste derrière le Moulin rouge dont on voit de la terrasse l’arrière des célèbres ailes, le choc quasi extraterrestre du boulevard de Clichy où je mets rarement les pieds, surtout le samedi soir : la vie des terriens bat son plein, les bus déversent des flots de touristes endimanchés directement devant les queues des cabarets, un gros allemand photographie sa femme devant un étalage où trônent des tour eiffels de toutes tailles et matières … au secours les dauphins ! à moi les intelligences extraterrestres !

Dominiq Jenvrey est né en 1975
On peut télécharger L’EXPÉRIENCE TOTALE sur le site de son éditeur
et lire « ExTension de L’EXP.TOT. » sur remue.net.

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