lignes de fuite

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lundi 17 mars 2008

droit des intelligences. 2

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N'ayant pu accéder au Salon du livre pour cause d'alerte à la bombe (sans doute personnellement dirigée contre moi), j’ai enfin trouvé une heure pour écouter l’intéressant débat « Gutenberg 2.0 : l’édition face aux mutations numériques », enregistré vendredi dernier en direct du Salon pour « Place de la toile » de Caroline Broué et Thomas Baumgartner (France Culture), entre Stéphane Michalon (Place des Libraires), François Gèze (directeur des éditions La Découverte), Bruno Racine (Président de la Bibliothèque nationale de France) et François Bon, qui (non content de vanter mon modeste blog devant mon président) affirme avec beaucoup de panache, à propos du droit d’auteur, « moi j’m’en fiche »
... « je dis toujours des trucs que je ne devrais pas dire » affirme-t-il lui-même joliment a posteriori !

deux nouveautés inaugurées au Salon à essayer, donc :
::: Gallica 2
::: Place des Libraires

auxquelles j’ajoute :
::: Mediapart, journal en ligne né aussi ce dimanche, et en accès-libre jusqu'à mardi soir (c'est court!)
::: la WebTvCulture, qui en ce moment raconte le Salon du Livre au quotidien.

dimanche 16 mars 2008

droit des intelligences


Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient - le mot n’est pas trop vaste - au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous.

Victor Hugo, « Discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878 »

samedi 15 mars 2008

l’humanité dans toute sa splendeur

devant la télé ... couchée ... flottant ... avec un haut blanc et un bas orange ... artiste ... ou enrhumée : montrer « l’humanité dans toute sa splendeur » (et toute sa monotonie aussi), c'est le projet de Julien Pacaud et Mathilde Aubier dans le blog People Collector.

vendredi 14 mars 2008

canular spécial écrivain

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Objet : Très cher ami Éric Arlix

Très cher ami,
Enfin j'ai pu trouver votre mail, non sans mal, et je me réjouis de cela après plusieurs semaines de recherches intensives.
Sachez que ce mail n'est pas un canular comme il en circule tant sur Internet.
Il était impératif que je puisse vous contacter avant la fin du mois pour une affaire de la plus haute importance et je me réjouis, une nouvelle fois, de pouvoir vous écrire enfin pour cette affaire exceptionnelle. Monsieur Arlix Éric vous êtes l'heureux bénéficiaire d'une bourse exceptionnelle destinée à promotionner votre œuvre littéraire à travers la planète. Il est en effet incroyable au possible que certaines œuvres de facture très médiocre puissent bénéficier d'une reconnaissance, tant intellectuelle que commerciale, de grande ampleur alors qu'elles sont totalement niaises et vides de la moindre composante artistique. Notre comité d'experts a longuement débattu, non sans mal, et après plusieurs jours de délibérations et de discussions acharnées nourries d'arguments longuement soupesés, le comité a tranché et vous a élu comme l'œuvre littéraire la plus apte à devenir une lecture indispensable pour un maximum d'êtres humains de la planète terre.
En effet, la capacité de vos livres à transformer les lecteurs en unités réfléchissantes et actives semble dépasser, de loin, les œuvres en circulation actuellement. Veuillez nous communiquer au plus vite vos références bancaires que nous puissions effectuer un premier versement de 200 000 euros. En quelques semaines nous meilleurs agents en storytelling viendrons vous proposer des solutions communicantes prêtes à l'emploi afin d'entamer au plus vite la phase 1 du déferlement de votre œuvre sur le monde.

Très cher Éric Arlix, veuillez recevoir l'une des formules de politesse habituellement en usage et croire à la sincérité de celle-ci.

Pierre Verneuil,
Gérant bénévole du Comité Brain is not dead.

Hoax (èRe, 2008, p. 81-82)

En hommage à « l’inventivité narrative » et aux « fulgurances poétiques » (dues aux approximations des traductions automatiques) de certaines des arnaques qui encombrent nos boîtes mails, des exercices de style très réussis ont été commandés à Éric Arlix, Chloé Delaume, Frédéric Dumond, Karoline Georges, Emily King, Jean-Charles Massera, Émilie Notéris, Jean-Pierre Ostende, Ian Soliane, Guy Tournaye et Philippe Vasset et suivent la compilation, agrémentée de quelques réponses, de 13 « véritables » canulars.

Et j’en profite pour signaler la prochaine naissance, chez le même éditeur èRe et avec le concours de quelques uns des mêmes, de la revue Tina, pour « There is no alternative » !

potin et conseil minceur


::: « Avisant la princesse de Clèves dans les allées du Salon du livre, ce matin, notre souverain se serait détourné d’elle avec dédain en lui lançant casse-toi, pauvre conne ! » Éric Chevillard, L’Autofictif, 163

::: radical pour réussir votre régime ce printemps (merci à Guy Birenbaum)

jeudi 13 mars 2008

gueuloir électronique

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« je considère mon blog un peu comme les vestiaires d’un gymnase, avant et après les acrobaties officielles. Je m’y échauffe, m’y plie, m’y luxe, m’y foule, j’essaie des tenues que je ne mettrais pas forcément pour aller acheter les croissants, je tutoie des types qui sont plus baraqués que moi, je dépose des pièges à souris dans les casiers qui ferment mal, je monte sur les bancs, je joue avec l’interrupteur, je cite, phagocyte, récite. Un gueuloir électronique, une carte blanche du tendre et du moins tendre »
Claro

« Ces petites écritures absolument libres de toute injonction (y compris celle de la forme) me rendent aussi euphorique que mes premières tentatives poétiques à l’adolescence. Est-ce parce que le média est neuf que le vieil écrivain piaffe comme un jeune cheval ? Je prends en tout cas cette activité d’écriture très au sérieux, j’ai opté pour un dispositif léger que je reconduis chaque jour assidûment : trois fragments brefs à tonalité le plus souvent humoristique qui peuvent être de micro-récits, des aphorismes, des réflexions diverses, notes ou formules poétiques, en variant les effets tout en recherchant des correspondances, en suivant quelques fils aussi afin que se construise jour après jour un livre »
Éric Chevillard

« C'est comme si nous étions un immense texte : il y a à lire pour chacun partout. Nous produisons des signes, du texte, et notre tâche, c'est d'interpréter. D'autres fonds à explorer. Si tu travailles avec un marteau-piqueur pendant un tremblement de terre, désynchronise-toi, sinon tu travailles pour rien. »
Pierre Ménard

à lire aujourd’hui dans le Contre journal de Libération : « Le blog, notre gueuloir électronique », des réflexions et témoignages d’écrivains sur les blogs littéraires... et demain c'est « Libé des écrivains ».

mercredi 12 mars 2008

accélérés vers l’avant et tirés vers l’arrière

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Mais nous héritons des positions qui ont été prises dans le passé, elles nous suivent à la trace pour nous rattraper et nous atteindre au moment où nous nous y attendons le moins. Alors que nous sommes paisibles et prospères – déjà fatigués de la paix et de la prospérité –, les bases sur lesquelles celles-ci reposent sont peu stables. Elle sont à la merci du contrôle, qui n’est plus la manifestation d’une oppression venant de l’extérieur, mais est niché en notre intérieur, comme le virus d’un temps qui se déroule à la façon d’un programme erroné, où le futur nous tombe sur la tête tel la boucle rétroactive d’un code obscur, pianoté quelque temps auparavant par un peuple de techniciens.

Dans la configuration où nous sommes, au moment où nous sommes accélérés vers l’avant et tirés vers l’arrière, poussés vers les choses les plus nouvelles et retournés vers les choses les plus anciennes, nous savons que nous pouvons considérer le langage non pas simplement en terme de fonctions, d’opérateurs et de séquences, mais comme une force – un quantum einsteinien, où subsistent des variables cachées.

C’est là où nous sommes encore des hommes : dans la force du langage. C’est là où le contrôle s’écrase, où la peur s’estompe, c’est là où nous entendons l’harmonie de la langue, où nous flottons dans le monde écumeux des merveilles et des secrets.

C’est un monde que nous pouvons écrire en nous introduisant dans le programme, en prenant le risque d’être autre chose que des survivants, en surgissant comme des variables cachées venant implanter notre langue au cœur de la renormalisation.

Vincent Eggericx, « La Renormalisation ». Publié dans L’Atelier du roman en décembre 2005. Repris dans La position de l’observateur : 11 essais brefs (publie.net, 2008)

De Vincent Eggericx, on trouve également dans publie.net des articles publiés auparavant séparément, dans La revue littéraire, Inculte et L’Atelier du roman. Le premier de ces essais, « La position de l’observateur », publié dans L’Atelier du roman en mars 2006, est disponible gratuitement en forme d'introduction.

mardi 11 mars 2008

le contrôle parasite

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La panique est contrôlée. Elle fermente à l’état de peur et d’excitation. Lorsque tout s’arrête, c’est elle que nous pouvons entr’apercevoir. Et nous l’espérons à part nous. Que la panique advienne enfin – que cela éclate, afin que nous demeurions le Maître du monde, l’unique survivant.
Le process n’a pas intérêt à la panique ; il a intérêt à la peur : fuir, identifier l’ennemi, le mettre en sûreté, fuir un peu plus loin.
L’ennemi est le fils de la reine.
Le process est une fuite. Sa perspective est une ligne de fuite, dont la direction est déterminée par des amplitudes de probabilité.
Le process connaît le risque statistique de la panique. Il a besoin de le contrôler : autrement, la perspective disparaît.
Le contrôle est la pure réponse de la technique à l’inquiétante étrangeté ; il grandit au fur et à mesure que la panique approche/que le fils de la reine approche. Le contrôle parasite le gouvernement et l’appareil législatif. Il les détruit et s’y substitue. Il prend la forme de ses serviteurs. Il est une onde, un chiffre fait chair.
Il commence à devenir visible – dans son invisibilité.
Dans son inquiétante étrangeté, le contrôle arrive.

Vincent Eggericx, Paradis Violent (publie.net, 2008)

Vincent Eggericx est né en 1971, il vit actuellement au Japon, et a publié auparavant :
- L'Hôtel de la Méduse (Verticales, 1998)
- Le Village des idiots (Denoël, 2004)
- Les Procédures (Léo Scheer, 2006)

lundi 10 mars 2008

gratuité à venir

Concernant la gratuité à venir, deux articles aux arguments intéressants :

::: Chris Anderson, « Free ! Why $0.00 Is the Future of Business » (Wired)
présenté par Olivier Ertzscheid

::: « Better Than Free » de Kevin Kelly
traduit par BioloGeek : « Mieux que gratuit : le business model réinventé »

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et une belle illustration : les lybers des éditions Zones, sur le modèle de ceux des éditions de L'Éclat

::: par exemple celui, très tentant, de Mona Chollet, Rêves de droite : Défaire l’imaginaire sarkozyste (La Découverte, Zones, 2008)

dimanche 9 mars 2008

sang impur

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Je connais cette engeance, c’est la mienne et je suis comme eux.
À mon avis, on n’est pas des êtres humains.
Les crevards, ici, c’est des types de Bondy, de Garges, de Trappes, de Stains, de Goussainville, de Vitry. Du faisandé. Du pathologique. Tous détenus pour de très bonnes raisons. Tous coupables. La plupart responsables. Tous innocents. Tous prêts à vous égorger si vous leur tournez le dos.
Ils ont leur propre logique.
C’en est pas une mais ils l’appliquent à ce vaste monde souffrant. Ils jouent leur rôle dans la comédie humaine. Comme les facteurs ou les chauffeurs de bus. Leur boulot, c’est de faire les fils de pute et ils le font bien. (p. 10-11)

Il y a un moment où les mots ne veulent plus rien dire et ce moment-là, dans une prison, il arrive assez vite. Pourquoi ? Parce que la Raison suit la Force. Même que ça s’appelle la Domination. Vous pouvez vous contenter de mettre des menottes aux crevards, de les tenir entre quatre murs et parler. La Parlotte, ça va avec le Pouvoir et le Pouvoir, ça va avec la Force et l’Horreur. Ça enrobe, c’est tout.
Vous avez le Pouvoir, vous parlez, vous avez raison.
Vous avez une machette dans les mains, vous parlez, vous avez raison.
Vous êtes non-violent, vous parlez, vous avez tort.
C’est la logique du monde. (p. 18)

Vous faire avaler l’injustice du monde, ça, c’est le travail des collèges de France.
Et des profs.
C’est eux les vrais bâtards.
Ils sont pires que les flics. Et ils s’en tirent toujours. Ils ont les mains propres. Toujours. Les profs gardent le monde injuste. Pour qu’on reste entre nous, entre Noirs et Arabes. Les collèges sont des ghettos. Et ceux qui disent le contraire n’ont jamais pris le RER ou ont du caca dans les yeux. Suffit de les ouvrir pour le voir. (p. 104)

Skander Kali, Abreuvons nos sillons (Rouergue, 2008)

Un premier roman qui, sans excès d’angélisme, de noirceur ni d’inculture, donne une voix à Cissé, monstre, criminel et humain, à qui les tragédies de Corneille et les hymnes nationaux qui parlent de « sang impur » ont donné dès le collège l’envie d’arrêter de respirer.

Né le 15 mars 1970, Skander Kali est enseignant à Paris. Il a longtemps vécu à Vitry-sur-Seine.

samedi 8 mars 2008

journée alibi

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vendredi 7 mars 2008

boiter comme jambe gentille

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J’aurais pu m'exprimer de la sorte. Et quelques autres aussi, qui n’ont pas accoutumé de renoncer aux nuances qui n'enrichissent pas que les tableaux. Renoncer aux nuances c'est se renoncer, et préférer le bloc de marbre à la statue qu'il contient. Mais certains choisissent d’assumer les scories en toute connaissance de cause, et ne sont pas pour cela ni plus méprisables ni plus sots. C'est comme s'ils se dégrossissaient à chaque fois qu'ils se manifestent, comme si chaque instant était leur sculpteur, et qu'ils se mettaient à l'épreuve du ciseau devant tout le monde. Je suis d'avis que la sculpture de soi demande plus de pudeur, mais je n'ai sans doute cette opinion qu'à cause des habitudes qui me l’ont donnée et conservée, et cela m'interdit d'y attacher un prix excessif (on oubliera, s'il vous plait, cette méchante métaphore estatuante). J'aurais pu m'exprimer de la sorte ; j'y renoncerais par égard pour des contemporains qui ne savent pas lire. MAIS il se trouve que ces contemporains n'importent pas davantage qu'ils ne lisent. Et les statues ne leur sont rien que par le socle. Je serais donc bien bête si je renonçais pour eux à ce qui me convient. Je les ignore comme je le dois. Le choix, quand il s'impose, se fait entre deux égoïsmes dont certains veulent favoriser par délicatesse celui qui s'éloigne le plus de leur intérêt. Cela est admirable, j'en conviens d'autant mieux que j'ai moi-même cédé plus d'une fois à ce noble mouvement dont je n'ai pas fini de payer l'ahurissante facture. La capacité à faire des dettes, quand elle n'est pas associée à des talents qui en contrarient les dommages, cesse bien vite d'amuser les barytons qui veulent chanter La Bohème avec une voix de tête. Alors pour cette fois encore je parle juste. Aucune voix ne m'est étrangère et la mienne, faite de toutes plus une, présente des caractéristiques si astonishantes que certains vont chercher dans l'asthme le recours contre tant d'air frais. Je parle juste en chantant de travers et j'en sais le secret, qu'il ne m’importe pas de dire par une petite fenêtre de rien du tout, qui laisserait passer des vents, à lui contraires. Et si vous avez les oreilles mal faites et l'entendement nul je n'envisage pas de m'accorder à si pauvres carcasses. Votre pilon ne me fera pas boiter comme jambe gentille. (p. 47-48)

Pierre Lafargue, Ongle du verbe incarné (Verticales, 2008)

Pierre Lafargue est né en 1967 à Bordeaux.
Il aime à disserter dans une langue et une syntaxe classiques, désuètes peut-être, mais tout à fait jubilatoires.

Il a publié :
Mélancolique hommage à Monsieur de Saint-Simon (William Blake & Co, 1993)
L’Honneur se porte moins bien que la livrée (William Blake & Co, 1994)
Tombeau de Saint-Simon (Verticales, 2000)
De la France et de trois cent mille dieux fumants (Verticales, 2001)
Poèmes en eau froide avec saisissement des chairs (Verticales, 2001)
Sermon sur les imbéciles (Verticales, Minimales, 2002)
Pour détacher un homme de sa peau (Verticales, 2004)

jeudi 6 mars 2008

trouble de l’adaptation avec anxiété

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Benoit Durand n'avait pas accolé à son texte le fameux schéma qui circulait, par ailleurs, indiquant que l'on pouvait lever l'anonymat par une technique de hachage.
Il n'avait pas rappelé que la Fédération voulait, en fait, un transfert de données nominatives avec consentement de l'assuré et qu'elle se rangeait pour l'heure à cette histoire de code secret pour calmer les esprits. Les associations d'usagers avaient, en effet, pointé que les patients donneraient forcément leur consentement, sans trop réaliser, fragilisés par la maladie ou par leur position d'assuré.
Il n'avait évidemment pas évoqué le double enjeu de cette conquête. D'un côté, la possibilité de sélectionner les patients en éliminant les « mauvais risques » de leur clientèle ou en les surtaxant, de l'autre, le projet de contrôler les prescriptions des médecins pour atteindre le maximum de rentabilité. À terme, il s'agissait que les assureurs deviennent des méga-superviseurs des professionnels de santé, sur le modèle des réseaux de soins américains, les HMO (Health Maintenance Organization). À terme, il s'agissait de remplacer la Sécurité sociale, à but non lucratif, universelle et solidaire par les assurances privées. (p. 57-58)

En assurance santé, c’est l’âge charnière, quarante-trois ans. Si on se reporte à la fameuse courbe en W, c'est l'âge fondamental, à partir duquel la consommation en santé se met à grimper, grimper, à partir duquel les hommes vont pour la première fois consulter, à partir duquel l'optique devient un véritable budget. Avec le vieillissement de la population dans les prochaines années, la cotisation annuelle à une assurance santé va presque doubler. La courbe en W combinée au basculement démographique. Les assureurs vont segmenter les cotisations par tranches d'âge, vont faire payer davantage les plus âgés, vont différencier leurs prestations, c'est l'adéquation au risque, je ne suis pas favorable à cette approche modulaire. Comment construire une grille de prestations face à l’effet vieillissement ? Il faut que je fasse une note sur le sujet.
Je crois savoir que c'est la moyenne d'âge pour le TAA, trouble de l’adaptation avec anxiété, souvent déclenché par l’un des événements de la vie type deuil-divorce-harcèlement-licenciement. J'ai vu une étude là-dessus. Cela pose le problème de la consommation d'anxiolytiques et d'antidépresseurs, avec accoutumance, souvent à partir de quarante-trois ans. Pour qu'il y ait un diagnostic de TAA, il faut une souffrance marquée et une altération significative de la vie sociale. C'est une affection fréquente en médecine générale. Le poste benzodiazépines et IRSS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) est lourd pour les assureurs, le recours au psychiatre n’arrive qu'exceptionnellement. De toute façon, Marina, c'est un accident. Cela n'a rien a voir. C’est un accident. Un terrible accident (p. 92-93)

Emmanuelle Heidsieck, Il risque de pleuvoir (Seuil, Fiction & Cie, 2008)

Le monologue intérieur drôle et grinçant d’un assureur qui, pendant l’enterrement de sa belle sœur, entremêle de sombres cogitations personnelles, familiales et relationnelles avec des considérations désabusées sur l’avenir radieux de notre système de santé.

Emmanuelle Heidsieck travaille et vit à Paris.
Elle a été journaliste d’investigation dans le domaine social et a publié un premier roman :
Notre aimable clientèle (Denoël, 2005)

en ligne : François Xavier, « Suite & fin de la Sécurité sociale » (Oulala.net)

mercredi 5 mars 2008

lignes de suite

::: quelques liens en post-scriptum à de récents billets :

... sur Madman Bovary de Claro : un entretien video (Metropolis, Arte), François Bon et Fric-Frac Club

... sur Balayer fermer partir de Lise Benincà : Marc Pautrel et François Bon

::: et un blog participatif qui - paradoxalement? - remonte à l'occasion le moral : Vie de merde

mardi 4 mars 2008

quelque chose de très compliqué

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Or voici que quelqu’un (que je n’identifie pas dans le rêve, mais à qui je me sens très redevable dans la réalité) me prend à l’écart pour me dire : « C’est pourtant bien simple. Il suffit de montrer que le désir est quelque chose de très compliqué, ou plutôt de très complexe. On ne désire jamais quelque chose, mais une pluralité de choses. Évoquez en passant Deleuze et concluez avec Balzac. Le début ? Eh bien, il n’y a qu’à parler du Combray de Proust, de la petite madeleine ». Le curieux est que tout cela était assez précis et aisément déchiffrable, contrairement à ce qui se passe ordinairement dans les rêves. C’est pourquoi, sitôt réveillé, je me précipite à ma table et retranscris le plan de mon ami inconnu.

Clément Rosset, La Nuit de mai (Minuit, « Paradoxe », 2008, p. 8)

Écho de la « Nuit » pascalienne (qui n'était pas de mai mais de novembre, si je me souviens bien) ? ou antidote à sa très sombre Route de nuit (Gallimard, 1999) ? Ce très court livre de Clément Rosset est étrange et quelque peu énigmatique, à l'image de son bel Avant-propos en forme de récit de rêve.

lundi 3 mars 2008

ne pas se cogner


L'objet de ce livre n'est pas exactement le vide, ce serait plutôt ce qu'il y a autour, ou dedans (cf. fig. 1). Mais enfin, au départ, il n'y a pas grand-chose : du rien, de l'impalpable, du pratiquement immatériel : de l'étendue, de l'extérieur, ce qui est à l'extérieur de nous, ce au milieu de quoi nous nous déplaçons, le milieu ambiant, l'espace alentour.
L'espace. Pas tellement les espaces infinis, ceux dont le mutisme, à force de se prolonger, finit par déclencher quelque chose qui ressemble à de la peur, ni même les déjà presque domestiqués espaces interplanétaires, intersidéraux ou intergalactiques, mais des espaces beaucoup plus proches, du moins en principe : les villes, par exemple, ou bien les campagnes ou bien les couloirs du métropolitain, ou bien un jardin public.
Nous vivons dans l'espace, dans ces espaces, dans ces villes, dans ces campagnes, dans ces couloirs, dans ces jardins. Cela nous semble évident. Peut-être cela devrait-il être effectivement évident. Mais cela n'est pas évident, cela ne va pas de soi. C'est réel, évidemment, et par conséquent, c'est vraisemblablement rationnel. On peut toucher. On peut même se laisser aller à rêver. Rien, par exemple, ne nous empêche de concevoir des choses qui ne seraient ni des villes ni des campagnes (ni des banlieues), ou bien des couloirs de métropolitain qui seraient en même temps des jardins. Rien ne nous interdit non plus d'imaginer un métro en pleine campagne (j'ai même déjà vu une publicité sur ce thème mais - comment dire ? - c'était une campagne publicitaire). Ce qui est sûr, en tout cas, c'est qu'à une époque sans doute trop lointaine pour qu'aucun d'entre nous en ait gardé un souvenir un tant soit peu précis, il n'y avait rien de tout ça : ni couloirs, ni jardins, ni villes, ni campagnes. Le problème n'est pas tellement de savoir comment on en est arrivé là, mais simplement de reconnaître qu'on en est arrivé là, qu'on en est là : il n'y a pas un espace, un bel espace, un bel espace alentour, un bel espace tout autour de nous, il y a plein de petits bouts d'espaces, et l'un de ces bouts est un couloir de métropolitain, et un autre de ces bouts est un jardin public ; un autre (ici, tout de suite, on entre dans des espaces beaucoup plus particularisés), de taille plutôt modeste à l'origine, a atteint des dimensions assez colossales et est devenu Paris, cependant qu'un espace voisin, pas forcément moins doué au départ, s'est contenté de rester Pontoise. Un autre encore, beaucoup plus gros, et vaguement hexagonal, a été entouré d'un gros pointillé (d'innombrables événements, dont certains particulièrement graves, ont eu pour seule raison d'être le tracé de ce pointillé) et il a été décidé que tout ce qui se trouvait à l'intérieur du pointillé serait colorié en violet et s'appellerait France, alors que tout ce qui se trouvait à l'extérieur du pointillé serait colorié d'une façon différente (mais, à l'extérieur dudit hexagone, on ne tenait pas du tout à être uniformément colorié : tel morceau d'espace voulait sa couleur, et tel autre en voulait une autre, d'où le fameux problème topologique des quatre couleurs, non encore résolu à ce jour) et s'appellerait autrement (en fait, pendant pas mal d'années, on a beaucoup insisté pour colorier en violet - et du même coup appeler France - des morceaux d'espace qui n'appartenaient pas au susdit hexagone, et souvent même en étaient fort éloignés, mais, en général, ça a beaucoup moins bien tenu).
Bref, les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a aujourd'hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner.

Georges Perec, « avant-propos » d'Espèces d’espaces (Galilée, 1974, p. 13-14)

dimanche 2 mars 2008

mémoire de classe

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Dans Camarades de classe (Gallimard, 2008), Didier Daeninckx procède à la reconstitution d’une mémoire collective à travers des échanges de mails entre les membres d’une photo de classe du collège Gabriel Péri, à Aubervilliers en 1964.

Manipulations, jeux de rôles et règlements de compte, une chute amusante, l’analyse de la manière dont se sont (de)formées des personnalités adultes extrêmement diverses, et une bonne idée de départ : utiliser pour cette recherche du temps perdu les pratiques, très populaires aujourd'hui, de sites comme « copainsdavant.com » - auquel « camarades-de-classe.com », ajoute fort à propos quelques connotations sociales.

à voir en ligne : la présentation vidéo par l’auteur sur la page des éditions Gallimard.

samedi 1 mars 2008

des livres sans durée

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L'emplacement nécessaire aux bibliothèques sera une question de plus en plus difficile à résoudre à une époque où le rapetissement général des choses et des hommes atteint tout, jusqu'à leurs habitations. De Paris, les grands hôtels, les grands appartements seront tôt ou tard démolis ; il n'y aura bientôt plus de fortunes en harmonie avec les constructions de nos pères. Quelle honte pour notre époque de fabriquer des livres sans durée !

Honoré de Balzac, Les Illusions perdues, III : Eve et David

vendredi 29 février 2008

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::: « Le livre est une base de données » d’Hubert Guillaud, 18 janvier 2008. Repris dans La feuille le 26 février 2008 (et en video chez François Bon)

::: « "Propriété intellectuelle" est un euphémisme malencontreux » (« a silly euphemism ») de Cory Doctorow, 21 février 2008. Traduit par Hervé Le Crosnier pour C & F éditions.

jeudi 28 février 2008

sortie de secours

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Les rares qui écrivent vraiment leurs livres paient cher l'écriture. Ils subissent l'épreuve du temps, doivent patienter comme tu l'as fait, se taire et écrire, rien que cela, écrire.
Les autres se contentent de publier, de se répéter ou de juger, de répandre jalousie et envie, usant leur ambition à participer à la société du spectacle, au grand carnaval de la culture de la nouveauté, s'évertuant à occuper l'espace et le temps présent, pour ne produire que du vide.
Il y a ceux qui écrivent comme ils feraient autre chose, tirant les bénéfices, comme dans tous les domaines, de leurs relations ou de leur savoir-faire pour obtenir le meilleur, et il y a les écrivains, ceux qui ne savent faire que cela et dont les œuvres traversent parfois les siècles ou surgissent d'un long oubli. (p. 80)

Dans tous les cinémas, il y a une sortie de secours. Le cinéma, c'est la vie écrite sur la lumière et la poussière. Il y a un début, une histoire et une fin. Tu peux sortir quand tu le désires. Il suffit de le décider. Si le film ne te plaît pas, tu sors. C'est simple. Certains se font remarquer en sortant, font du bruit, gênent au passage. D'autres sont discrets et respectueux de ceux qui restent pour connaître la suite.
Sans y penser clairement, le suicide a toujours été là, à portée de main. Je ne me serais pas fait sauter la cervelle en éclaboussant les murs, je ne me serais pas jeté sous les roues d'une automobile au milieu de l'autoroute ou sous un métro, ni pendu. Rien de tout cela. J'aurais fait comme dans une salle de cinéma : je ne gêne personne et sans bruit je pousse la porte de la sortie de secours.
Moi aussi, je serais parti comme font les rêveurs, au fin fond d'un océan. (p. 159)

Hafid Aggoune, Premières heures au paradis (Denoël, 2008)

Une fuite en forme de voyage initiatique, avec David Lynch comme guide énigmatique.

Hafid Aggoune est né à Saint-Etienne en 1973. Il a publié :
Les avenirs (Farrago, 2004)
Quelle nuit sommes-nous ? (Farrago, 2005)

Il était l’invité d’Alain Veinstein le 8 février dernier (Du jour au lendemain, France culture)
et on peut lire en ligne un article de Blandine Longre (Sitartmag)

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