lignes de fuite

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samedi 5 avril 2008

seul lieu géométrique

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Toutes ces citations ne plairont pas à tous, et celui qui les propose est sans doute le seul lieu géométrique du plaisir et de l’intérêt que chacune contient.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes, 1 (Seuil, p. 63)

::: retrouvée dans le très riche « dictionnaire pour lecteurs » de David Farreny.

vendredi 4 avril 2008

la vie des bits est fascinante

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... comme le démontre le blog des bits de Pascal Jehanno (voir notamment blog et blog2)
et il y a même des animations pour comprendre comment ça marche, en fait.

jeudi 3 avril 2008

ne suivez pas ces liens !


::: « le sous-ensemble Nouvelle Poésie Française » vu par Nathalie Quintane depuis le fjord (nypoesi, 2006)

::: « Disjonctions sans retour. Entretien avec Nathalie Quintane » (Inventaire/Invention, 2006)

::: grâce à la notice consacrée à Nathalie Quintane, je découvre la ArdKorPédia et par ricochet Kilobytes'Patron : surtout ne cliquez pas, ce sont des sites addictifs !

::: ne suivez pas non plus les liens généreusement suggérés par Philippe De Jonckheere au webmestre du Ministère de la Culture : vous risquez de passer des heures à découvrir des coins d’internet passionnants alors que vous auriez très bien pu les passer à travailler plus pour gagner pareil.

mercredi 2 avril 2008

j'avais les moyens de me faire parler

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Étant donné la manière dont cette affaire a commencé - un herpès labial particulièrement invalidant -, j'espère obtenir quelque indulgence de la part du lecteur/trice (un quitus ?), la reconnaissance d'une gestion éthique, à défaut d'être exacte, des énoncés, de ces « chapitres » entiers intitulés faute de mieux, et non dans le but de provoquer qui que ce soit, faux barrage 1, 2, 3, etc.
Je mets en avant ma grosse lèvre, douloureuse, attestant de ce que je fais mon possible pour ne pas, par exemple, en rajouter, dire des choses qui ont déjà été dites cent fois, larmoyer sous une apparente tenue typiquement poétique.
Si je ne trichais pas avec ma propre apparence saccagée, c'est que j'avais les moyens de me faire parler de L'Année de l'Algérie. Il n'était pas question d'aller aux champignons.

D'ailleurs, il y avait des éléments curieux concernant ce pays grand (mais petit, dans une Afrique gigantesque) : l'Algérie avait été un département français au même titre que la Saône-et-Loire! Le Maroc et la Tunisie non, mais l'Algérie oui, et c'était tout naturel. À l'époque (fin des années 40, années 50), on avait installé pour ainsi dire un régime paratactique, les colons se juxtaposant aux autres et les subordonnants étant effacés, signe de modernité.


Voilà un mouvement qui varie peu : sur le moment, on constate qu'il n'y a à peu près rien de surprenant - aurais-je, à l'époque, réagi à cette phrase d'un homme important français : « La France, après avoir montré sa force, va montrer sa générosité » ? -, trente ans plus tard, on s'amuse d'un rien, on fait les yeux ronds, on a le sourire du chat du Cheshire.

Nathalie Quintane, Grand ensemble (concernant une ancienne colonie) (POL, 2008, p. 130-131)

Nathalie Quintane explore sa mémoire, celle de sa famille et celle de plusieurs peuples à propos de l’ « ancienne colonie » qu’est l’Algérie : amorces de récits, « dispositifs » ironiques, points de vue variés, un micro-roman de 11 pages, avec page de couverture et typographie, intitulé Une heureuse rencontre, inséré au cœur du livre, et la reprise du texte drôle et acéré L'Année de l'Algérie publié en 2003 chez Inventaire/Invention.

Nathalie Quintane est née le 8 mars 1964
Grand ensemble est son 11e livre (il faut les lire tous !) depuis Remarques (Cheyne, 1997) et Chaussure (POL, 1997)

en ligne :
une belle critique de Fabrice Thumerel (Libr-critique)
Éric Loret, « La jolie colonie vacante » (Libération, 27 mars 2008)
et un autre extrait chez Laure Limongi

mardi 1 avril 2008

exercice obligé

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« L'Elysée lance une mission pour sauver le point-virgule » annonce Rue89
moi j'aurais bien vu aussi, dans l'exercice obligé du jour :

« Dégoûté par l’ingratitude des français, le président annonce aujourd'hui sa démission. »

trop « gros » peut-être ?
... que cela ne vous empêche pas de découvrir la Saison 3 de la Chanson du dimanche et Le Président de GOdimus.

lundi 31 mars 2008

procession ascendante


Au-dessus de la balustrade entourant la bouche du métro apparaît la tête d'une femme aux cheveux grisonnants s'élevant d'un mouvement continu et oblique, puis ses épaules revêtues d'un imperméable gris-bleu Elle trébuche légèrement quand elle abandonne la dernière marche puis reprend son équilibre et s'éloigne marchant d'un pas vif malgré son âge Au bout de son bras pend un cabas marron Immobiles d'abord, entraînés par le même mouvement ascensionnel et continu qui semble les ramener du sein de la terre, puis prenant pied sur le trottoir et s'éloignant dans différentes directions apparaissent successivement à sa suite :
1 homme chauve aux mèches de cheveux clairsemées ramenées sur son crâne et collées au cosmétique, vêtu d'un complet bleu, avec une cravate bordeaux rayée en oblique ton sur ton, marchant de façon décidée à grands pas, 1 jeune femme en robe bleu foncé bras nus portant son enfant vêtu de bleu clair sur le bras droit dont la main tient l'anse d'un seau à pâtés orange une petite pelle et un petit râteau rouge et jaune dépassant du seau, 1 jeune homme à lunettes aux cheveux ondulés veste marron pantalon gris chaussures de daim gris également s'éloignant les deux coudes collés au corps les avant-bras horizontaux les mains se rejoignant un papier ou quoi entre elles lettre ? Les bustes de plus en plus serrés maintenant sans doute le gros des voyageurs de la rame un sur chaque marche probablement les têtes surgissant l'une après l'autre sans interruption deux religieuses un soldat une dame à chapeau rose de nouveau un chauve un nègre un homme au visage tout ridé jaunâtre une jeune fille tête nue une autre jeune fille tête nue le képi d'un agent une
Si on regarde fixement la fenêtre pendant assez longtemps on dirait qu'elle se déplace dérive lentement dans le ciel simple rectangle partagé en deux traversé de nuages. Maisons qui semblent basculer vous tomber lentement dessus sans fin
dame âgée au chapeau de paille noire avec un nœud violet type avec un nez comme un bec type avec une casquette à petits carreaux une jeune femme blonde très fardée, le contraste entre l'immobilité des personnages et le lent mouvement d'ascension leur conférant une sorte d'irréalité macabre comme sur cette image du livre de catéchisme où l'on pouvait voir une longue procession ascendante de personnages immobiles figés les uns simplement debout d'autres une jambe repliée un pied un peu plus haut que l'autre comme reposant sur une marche l'escalier constitué par les volutes d'un nuage s'étirant s'élevant en plan incliné des vieillards appuyés sur des cannes des enfants je me rappelle une femme drapée dans une sorte de péplum enveloppant d'un de ses bras les épaules d'un jeune garçon bouclé sur lequel elle se penchait l'autre bras levé montrant d'une (dessin de main) à l'index tendu là-haut la Gloire et les Nuées et derrière eux il en venait toujours d'autres montant vers Sa lumière tous suivant la direction indiquée par cette main impérieuse comme celles (ou quelquefois seulement une (dessin de flèche) ) qui sur les parois émaillées indiquent HOMMES ou DAMES dans l'odeur ammoniacale d'urine et de désinfectant le silence souterrain ponctué à intervalles réguliers par les bruits des chasses d'eau à déclenchement automatique tous à la queue leu leu errant dans les corridors compliqués de ce comment appelle-t-on l'endroit où vont les petits enfants morts avant d'avoir été baptisés ? aux étincelantes voûtes de céramique blanche jusqu'à ce qu'Il les appelle enfin à lui s'élevant alors en longues théories de complets vestons et de robes désuètes chantant Sa gloire arrachés sauvés du sein de la terre les yeux clignotant dans la lumière retrouvée tous les âges et toutes les professions mêlés 1 jeune femme 1 jeune homme à lunettes 1 ménagère 2 écoliers 1 long type maigre 1 couple 2 ouvriers l'un portant un veston marron fatigué sur des blue-jeans l'autre une salopette beige...

Claude Simon, La Bataille de Pharsale (Minuit, 1969, p. 14-16)

référent (n'en déplaise à Jean Ricardou !) : la sortie Place Monge, photographiée par Michel Bernard, en illustration de son article sur « l'hypotypose de la Place Monge » (1999)

dimanche 30 mars 2008

tu le sens, mon navigo ?

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Pénétrant dans le réseau métropolitain, l’usager se voit allouer la même capacité démultipliée par le nombre d'intersections, de retours et de changements possibles, explosion combinatoire qui met à sa disposition selon sa gouverne propre des millions de parcours aux milliers de sorties. Possibilité infinie d'un objet à capacité limitée. Cela dans le cas extrême d'un voyageur insouciant au parcours irrégulier ; l'exemple est rare (s'est-il jamais vu ?). De façon générale, négligeant ces virtualités, nous nous limitons à quelques trajets précis reliant deux ou trois sorties. (p. 27)

Ce faisant, nous rejetons les cheminements incertains, les trajets inattendus, les rencontres hasardeuses ; la rue en tant que lieu où tout naît, passe, circule, s’échange, se transforme et meurt dans la rencontre, l'indéterminé et l'aléatoire, ou tout peut advenir, lieu de l'imprévu et de l'invention, il faut dire l'histoire, il faut dire le temps. Que le métro refoule, n'en conservant que la répétition : à l’état pur. (p. 37)

Tenons-nous devant le portillon et observons les impétrants.
Une femme arrive de la surface et caresse l’excroissance brillante du gardien métallique. La main est rigide, sans douceur. Ça ressemble à une passe automatique, triste, dans l’indifférence énervée de celle qui caresse, attendant juste le râle du monstre, qu’il jouisse, vite ! Ça y est, il jouit, un orgasme silencieux suivi du relâchement des muscles, la grille s’ouvre, par où elle s’introduit rapidement, avant qu’il se ressaisisse. Les grilles se referment. C’est ça, l’accès, cette caresse froide et machinale ?
Et cet homme pressé, qui frotte tout bonnement son sac, son sac !, sur la vitre opaque, allez, gicle !, et cette ménagère au pas las posant simplement son cabas sur l’excroissance, qu’il jouisse, vite, qu’il jouisse, la journée n’est pas finie, encore mieux, ce lycéen qui se contente d'exhiber son cartable face à la machine comme un trophée, jouis, vite, grouille !, et tous ces humains qui quémandent le passage en montrant seulement d'un regard courroucé leur sac dans le même geste arrogant, comme une preuve certaine, que font-ils donc ? Approche-toi encore, colle tes oreilles aux lèvres des élus ? Ils disent à la bête :
Je suis là.
OK, c'est fini, je ne me cache plus, je suis ici, ça y est, je me rends. OK. Je clique. Je tape mon code, je valide. je pose ma main, je montre mon œil. Me voici. Mon empreinte digitale, mon pouce, ma paume, ma sueur, mon iris, mon regard, mon haleine, ma voix, mon ADN. Mon corps livré. Et encore. Ils disent :
Tu le sens, mon Navigo ? (p. 48-49)

Michel Fieux, Métrologie. Travaux préparatoires à une physique des interfaces, 1/3 (IMHO, Et Hop, 2008)

Ce très beau petit livre (avec des images parmi les mots et une mise en page travaillée (pourquoi pas une version électronique ou un site qui prolongerait les lignes et ajouterait des couleurs ?)) met des mots très justes sur les raisons qui font que je n’aime pas le métro et dresse avec exactitude la carte de ces transports fluides dont nos vies sont prisonnières.

Michel Fieux est né en 1958 dans le Gers, il est développeur (« partiellement », dit-il) indépendant, spécialisé dans la conception d’intranets. Ce premier livre est publié dans la toute nouvelle collection « Et Hop », dirigée par Éric Arlix.

samedi 29 mars 2008

notre propre humanité


Une ville : de la pierre, du béton, de l'asphalte. Des inconnus, des monuments, des institutions.
Mégalopoles. Villes tentaculaires. Artères. Foules.
Fourmilières ?
Qu'est-ce que le cœur d'une ville ? L'âme d'une ville ? Pourquoi dit-on qu'une ville est belle ou qu'une ville est laide ? Qu'y a-t-il de beau et qu'y a-t-il de laid dans une ville? Comment connaît-on une ville ? Comment connaît-on sa ville ?

Méthode : il faudrait, ou bien renoncer à parler de la ville, à parler sur la ville, ou bien s'obliger à en parler le plus simplement du monde, en parler évidemment, familièrement. Chasser toute idée préconçue. Cesser de penser en termes tout préparés, oublier ce qu'ont dit les urbanistes et les sociologues.
Il y a quelque chose d'effrayant dans l'idée même de la ville ; on a l'impression que l'on ne pourra que s'accrocher à des images tragiques ou désespérées : Metropolis, l'univers minéral, le monde pétrifié, que l'on ne pourra qu'accumuler sans trêve des questions sans réponse.
Nous ne pourrons jamais expliquer ou justifier la ville. La ville est là. Elle est notre espace et nous n'en avons pas d'autre. Nous sommes nés dans des villes. Nous avons grandi dans des villes. C'est dans des villes que nous respirons. Quand nous prenons le train, c'est pour aller d'une ville à un autre ville. Il n’y a rien d’inhumain dans une ville, sinon notre propre humanité.

Georges Perec, Espèces d’espaces (Galilée, 1974, p. 85-86)

vendredi 28 mars 2008

numérisation totale

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« Mémoire Numérique : Droit à l'oubli » :
ce débat, tout à l'heure, réunissait des participants très divers : Bernard Massip, webmestre de l’APA, Catherine Dufour, romancière et bibliothécaire et Serge Tisseron, psychanalyste, ainsi qu'un public très actif. De nombreuses questions ont été posées - dont ce très complet dossier préparatoire donne une idée - des inquiétudes exprimées, des anecdotes contées, la science-fiction, la philosophie, la psychanalyse, l’anthropologie convoquées.

Et, en sortant, le sentiment que notre tendance actuelle à tout afficher de nos vies en ligne, et la numérisation en cours de la totalité des productions de la culture humaine, vont faire de ce prodigieux réservoir de bits à la croissance exponentielle quelque chose qui dépassera l’humanité, pour le meilleur et/ou pour le pire, un saut qualitatif à propos duquel certains parlent de singularité, d'autres d'une « numérisation infinie nullifiée » virale, d’autres encore de l’avènement d’un « successeur » inhumain ; et que lorsque nous invoquons aujourd’hui notre « droit à l’oubli », en arguant que toute mémoire est fondée sur une part d’oubli, ce n'est que parce que nous raisonnons encore à l’aune de notre cerveau humain, très imparfait, et de notre condition mortelle, pour l’heure.

jeudi 27 mars 2008

le tsunami, c’est bon pour les assurances


::: chez Rue89 et chez Marianne, deux entretiens vidéos avec Emmanuelle Heidsieck à propos de son roman Il risque de pleuvoir - dont je parlais il y a quelques semaines - abordé surtout sous l’angle de son contenu, la mort annoncée de la sécu.

::: et, en parlant de vidéos, merci à François Bon pour ce cadeau : Georges Perec parlant des Choses.

mercredi 26 mars 2008

point et virgule

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« Le point-virgule est précieux quand la matière est complexe » écrit Michel Volkovitch.

Avec Guillemette Faure et Fuligineuse, luttons contre la disparition du point-virgule, qui, nous dit-on, serait de moins en moins utilisé ...

Je dois à mon modeste niveau faire remonter les statistiques, tant j’apprécie - on me le reproche assez - cette ponctuation pensive, hésitante, fuyante, point trop tranchante.

J’en profite pour vous inviter à relire les splendides hommages - cités jadis ici - de Claro au point-virgule de Flaubert, orfèvre en la matière.

mardi 25 mars 2008

désemparés

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Un homme est mort. D'une mort provoquée par un tiers. Il souffrait de la maladie d'Alzheimer, une maladie du cerveau qui se caractérise par une perte de la mémoire. Les médecins n'y peuvent rien, ils la décrivent comme on le ferait pour un coucher de soleil. Les souvenirs disparaissent les uns après les autres, on ne sait où et encore moins pourquoi. Pas de microbes à combattre, pas d'hémorragie à stopper, pas de tumeur à opérer. On assiste impuissant à l'extinction des feux. Il est étrange d'appeler cela une maladie. Il serait préférable de ne pas imaginer qu'il s'agisse d'une volonté de fuir une réalité trop pesante. La maladie d'Alzheimer est une maladie qui efface lentement la vie sans faire mourir. Elle n'est pas contagieuse et cependant se propage. Et nous laisse désemparés. (p. 12-13)

Il se trouve que je n’ai que ce cheveu, je ne le coupe pas en quatre, je le suis comme un fil d’Ariane. (p. 78)
Jean, dans son costume gris sombre, les avant-bras sur les accoudoirs, tout en gardant les yeux fixés sur Ghislaine, reste interdit par le sentiment que la situation lui échappe. Impuissant. Comme face à un corps inerte rétif au déplacement. Il se fait tard. Ses convictions s’effondrent. Et s’il avait eu tort. Pourquoi tourmenter cette femme si démunie ? Parce qu’il est commissaire et qu’il en a plus qu’assez d’être inutile. Il tient toujours son fil, mais après ce moment de flottement, il ne sait pas dans quel sens il se déplaçait au moment de l’interruption, à cet endroit du labyrinthe où l’avant ressemble à l’après. Il hésite car le risque est de revenir à la case départ. Et le temps s’écoule, les traces de pas s’estompent dans la neige qui fond. Tragique. Ghislaine remonte à la surface :
- Vous vouliez me demander quelque chose ? (p. 81-82)

Le commissaire a le sentiment de s’être déplacé pour rien. Rien d’autre que pour voir la misère humaine. La sienne. (p 112)

Le commissaire Jean Brossin, assis à son bureau, regarde le fauteuil vide devant lui. L'amnésie du père s'appelle maladie d'Alzheimer, celle de la fille s'appelle comment ? Un blanc dans l'histoire. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Un puits sans fond. Il passe la main sur son menton. Le temps a poussé. La vie pousse. Il passe la main sur ses cheveux. Le code pénal grand ouvert ne parle pas du délit d'oubli. Un puits sans fond où dégringolent des cadavres. Il n'a pas de témoin, pas de preuve, que des billes de plastique dans un vieux paillasson. Une affaire minable. Un commissaire mal rasé, un père absent. Quelques kilos à perdre. Il dirige les investigations, il mène l’enquête, il est commissaire de police. Il ouvre son tiroir et, dans le fond, sous quelques feuilles oubliées, délaissées, sa main cherche un dé laissé là par un tricheur pris sur le fait. Il décide : pair je l’inculpe, impair je laisse tomber. Il lance l’objet qui tombe, roule et s’arrête contre la boîte de cachous. Sur le quatre. Il recule son fauteuil, se lève, attrape son manteau, son écharpe. Il va jusqu’au radiateur et baisse le chauffage. Il revient au bureau pour prendre la feuille de notes. Elle est sous le dé. Il la fait glisser. Le dé roule et s’arrête sur le deux. Il le regarde. Entre le pouce et l’index, il s’en saisit et le tourne délicatement pour le mettre sur le trois. Il relève le col de son pardessus et ferme la porte derrière lui. (p. 115-116)

Roman singulier, que Clarabel ou Le littéraire n’ont pas aimé, sans doute parce qu’ils en attendaient autre chose que ce qu’il est : la trame policière n’y a que peu d’importance, et, comme dans son premier roman, Un bras dedans, un bras dehors, ce que traque Emmanuelle Peslerbe c’est l’opacité des êtres, l’insignifiance de leurs paroles, les moments où tout devient égal ; et si ses personnages scrutent aussi souvent leur image dans le miroir, c’est peut-être que, ainsi désemparés, ils sont aussi notre miroir.

Emmanuelle Peslerbe, née le 23 mai 1962 à Nantes, est aussi kinésithérapeute, et a publié :
Un bras dedans, un bras dehors (Éditions du Rouergue, 2007)

lundi 24 mars 2008

mises entre parenthèse du rien du tout

C’est parce que les hommes ont peur de ne pas avoir d’origine qu’ils ont créé l’hypothèse
L’hypothèse, c’est ce qui permet au monde d’avoir une boucle
Parce que l’hypothèse apporte le sens
Parce que l’hypothèse légitime les lignes, les segments, les frontières, les parties et les plans
Parce que l’hypothèse est une fondation qui vient répondre au néant de l’origine

C’est parce que les 6 milliards de particuliers tournent en rond autour du monde
et que le vertige de la boucle de cette course en rond dans le crâne leur fait peur
que pour guérir leur angoisse, de ne savoir où commence la bande de moebius, ils ont posé un début et imaginé une fin (p. 36-37)

Les hypothèses sont des suspensions
Des mises entre parenthèse du rien du tout
Parce qu’un point c’est tout suffit pour construire du sens
Pour établir des lignes qui sont des traces de mouvement sur le plan du monde
Pour supporter l’angoisse du rien (p. 39)

L’hypothèse emplit le vide de l’origine et de la fin, c’est pour cela que les hommes ont de l’imagination (p. 40)

Philippe Boisnard, Atom-Z (publie.net, 2008)

Série d’ « hypothèses » sur la singularité des hommes dans le monde, ce court texte a été adapté pour le théâtre en 2007, et fait partie des « formes brèves » proposées par publie.net pour 1,3 €.

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Philippe Boisnard est né le 18 juillet 1971 à Paris

il a publié :
Dégoût en corps (Rafael de Surtis, 2000)
K (or) T(or tu(r)& (Trame Ouest, 2002)
Préface dès l’aléa : poésie (Poésie / Express, 2001)
C'est-à-dire : poésie (L'Âne qui butine, 2007)
Pancake : roman (Hermaphrodite, 2007)
Inter-action C.L.O.M. (Joël Hubaut) : essai (Le clou dans le fer, 2007)

il anime libr-critique : actualités des littératures contemporaine
et on trouve ses « vidéo poésies » ici et

dimanche 23 mars 2008

la dernière chance de fuite

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La littérature, en fin de compte, ça doit être quelque chose comme l'ultime possibilité de jeu offerte, la dernière chance de fuite.

J.-M.-G Le Clézio, Le Livre des fuites (Gallimard, 1969, p. 41)

les pro-am arrivent

Encore une poignée de liens, pour remercier les participants d’avoir mis si vite en ligne (avec du son, des images et beaucoup d’humour !) les compte-rendus d’une journée d’étude à laquelle je regrette de n’avoir pu assister : « L’industrie de la recommandation est-elle recommandable ? » (La Roche-sur-Yon, 20 mars 2008) :

::: « Polyphonies du livre : que des gens (très) recommandables » par Olivier Ertzscheid, le maître de cérémonie

::: « du culot d’Olivier Ertzscheid » par François Bon

:::: « Polyphonies » par Virginie Clayssen

::: « L’édition en recommandation » par Constance Krebs

samedi 22 mars 2008

délivrez les livres

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::: c’est un académicien qui le dit :
« Moi, c'est le contenu qui m'intéresse, pas le support. Je ne suis pas du tout bibliophile. Les éditeurs ont longtemps prétendu que l'e-book ne marcherait jamais parce que ce n'était pas fait pour un public cultivé, que ce n'était pas « sensuel ». Pour moi, un SMS, c'est aussi sensuel qu'une lettre. En réalité, les éditeurs ont pratiqué la politique de l'autruche. Aujourd'hui, ils ont changé d'avis, et ils réfléchissent sérieusement à la question. Tant mieux. »

::: « L'édition : que faire ? » (Les Mardis littéraires, France Culture, 18 mars 2008)

::: « Salon du livre : fonce, Papy ! » (g@rp)

::: quant à l'affiche, je l'ai trouvée sur http://www.soixantehuit.org/, né aujourd'hui

vendredi 21 mars 2008

revue de web

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::: « Le blog ou le ‘culte de l'amateur’ » par Xandra Schutte (Courrier international, 13 mars 2008)

::: Philippe De Jonckheere, magistral comme toujours sur le livre numérique et les éditeurs (Désordre, 17 mars 2008)

::: Jean-Philippe Toussaint parle d’Alain Robbe-Grillet depuis la Chine (Mediapart, 19 mars 2008)

::: et la dernière tendance ( pour fabriquer vos post it, c'est là ) :

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post-scriptum : on peut aussi en faire un usage plus ludique

jeudi 20 mars 2008

relever la nuit

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(…) nous sommes encore quelques-uns n’ayez crainte nous n’avons pas abdiqué nous sommes quelques-uns quand la nuit est tombée qui la relevons tout se passe ainsi depuis l’aube des temps et pour toujours jusqu’à l’heure de notre mort quand la nuit s’affaisse il nous faut la prendre sur nos épaules et la ramener d’où elle vient et maintenant. (p. 28)

Remplacer le temps comptable en temps nu et vide, plein de l’expérience du temps sans nulle autre pensée, et voir l’espace devenir le temps, le long des lignes d’une voix, suivre la trace du temps qui n’accomplit rien pour une fois, voilà le miracle – et voilà l’intention. (p. 106)

Mais ça ne change rien. Ce qu’il faudrait changer, c’est la vie telle qu’elle se prolonge depuis le début, et c’est impossible. L’écrire pour abolir ce que je suis – effacer les restes. La vie comme conséquence, c’est cela qu’il faudrait interdire, oublier. Il a dû se passer quelque chose pour qu’on se sente si dépouillé de tout sans savoir de quoi, si absent de ce monde – je cherche les raisons de tout cela. (p. 174)

Tous les matins se confondent : ceux qui derrière pourrissent dans la mémoire, et ceux qui au-devant de nous attendent et trépignent et nous appellent. Les mêmes, tous les mêmes matins, préparant les mêmes journées incompréhensibles. Les mêmes tâches, le même rôle pour nous tous, et aux pieds les mêmes chaussures portées sur la même scène. (p. 176)

Arnaud Maïsetti, « Où que je sois encore... (Seuil, Déplacements, 2008)

La traversée d’une nuit, du crépuscule à l’aube, de 21h38 à 07h57 en passant par 04h17, titre de la deuxième partie, dans un texte compact et exigeant, une chambre d’enregistrement des voix d’ombre de la nuit, qui se réclame, dans « Voix, de quels fonds venus ? », sa postface, de Koltès, Beckett et quelques autres.

Arnaud Maïsetti, né en 1983, est étudiant en lettres.

en ligne :
- une lecture par l’auteur (à la galerie Mycroft)
- Contretemps, son blog, présenté ici (remue.net)
- Seul, comme on ne peut pas le dire, une lecture de Koltès, chez publie.net
- « Face(s) : Maïsetti sur Roller » (tiers livre)
- un article de Dominique Dussidour (remue.net)

mercredi 19 mars 2008

s'aventurer dans l'impossible


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Les trois « Lois de Clarke » :

Lorsqu'un scientifique distingué mais vieillissant affirme qu'une chose est possible, il a presque certainement raison.
Quant il prétend que quelque chose est impossible, il a très probablement tort.

La seule façon de découvrir les limites du possible, c'est de s'aventurer un peu au-delà, dans l'impossible.

Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie.

Arthur C. Clarke (16 décembre 1917 - 19 mars 2008)

The Arthur C. Clarke Foundation

mardi 18 mars 2008

c'est déjà dem@in

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Comme le montre cette vidéo (Nouvolivractu), dans le petit coin consacré aux « Lectures de dem@in », tout au fond à gauche du Salon du Livre, les tablettes électroniques sont presque toutes sous cloche, mais on peut tout de même voir l'essentiel des modèles actuellement disponibles en France ou aux États-Unis.

Quant aux conférences et débats, ils font apparaître encore des abîmes d'incompréhension entre les mondes du papier et de la toile, mais ont le mérite de susciter des interrogations, comme en témoigne la pluie de questions de Constance Krebs de retour du Salon.
Et je suis ravie d'y avoir retrouvé tout à l'heure François Bon, Isabelle Aveline et Constance Krebs et d'avoir mis des visages sur d'autres relations réticulaires, notamment Martine Sonnet, Alain Pierrot et Virginie Clayssen.

Enfin pour rire un peu :
Francis Mizio, « Le Salon du livre de Paris vu par un prol' de l'écriture. Hummm, se faire flatter la croupe au Salon du livre de Paris... » (BibliObs)

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