lignes de fuite

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samedi 10 novembre 2007

le grand hôtel garni de l’univers

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Je ne suis pas plus moderne qu’ancien, pas plus Français que Chinois, et l’idée de la patrie, c’est-à-dire l’obligation où l’on est de vivre sur un coin de terre marqué en rouge ou en bleu sur la carte, et de détester les autres coins, en vert ou en noir, m’a paru toujours étroite, bornée, et d’une stupidité féroce. Je suis le frère en Dieu de tout ce qui vit, de la girafe et du crocodile comme de l’homme, et le concitoyen de tout ce qui habite le grand hôtel garni de l’Univers.

Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, 26 août 1846

(la carte vient de là)

vendredi 9 novembre 2007

trajectoires poétiques

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Hypnotisante, la poésie des trajets lumineux des avions dans le ciel des États-Unis, par Aaron Koblin, découverte grâce à David Calvo.

jeudi 8 novembre 2007

une perversion inopportune

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La maladresse d'Otto Maas fut d'autant plus frappante - et touchante - que je ne l'avais jamais vu se tromper. Puisqu'il me voyait lire sans cesse, toujours un volume à la main, ne sachant pas aller déjeuner avec quelque représentant de la ville ou du pays que nous visitions sans emporter deux ou trois pages arrachées dans la poche, comme si j'avais pu prendre la liberté de me plonger dans la lecture au beau milieu d'un repas - à vrai dire, je ne suis pas sûr d'en être incapable -, il voulut partager une expérience dans laquelle nous étions aux antipodes l'un de l'autre en évoquant l'un des seuls romans qu'il eût à son actif. « Vous connaissez Les Fourmis de Werber ? Passionnant. Costaud mais passionnant. Et puis toujours d'actualité. » Son intention était bonne et, au fond, je sentais bien qu'à travers lui c'était tout mon temps qui me plaignait deux fois : d'une part parce que je n'avais pas lu ce monument et d'autre part parce que je persistais à vouloir en découvrir d'autres quand il est criant qu'aujourd'hui il n'est guère d'activité plus inopportune. Plus tard je lirais sans déplaisir les trois épisodes de ce thriller entomologique et je comprendrais mieux ce qui, outre son succès mondial et pérenne, avait poussé Otto Maas à l'acheter et ce qui, outre sa bonne facture, le lui avait fait apprécier à ce point. Le devenir-insectoïde de l'homme est l'un des axes centraux de sa réflexion ; il en a tiré toutes les conséquences en fomentant à travers son travail son devenir-troglodyte. J'ai noté dans mes carnets une remarque qu'il me fit il n'y a pas si longtemps, à Canberra : « Au temps de la morale, les actes de barbarie étaient perpétrés par ceux qu'on appelait des "bêtes", des "loups". En notre aube de perfection technique, ce sont des hommes-fourmis, des insêtres humains, qui garantissent son prochain zénith. »
En compagnie d'Otto Maas, j'ai perçu mieux que jamais l'entrechoc de l'Éros et de la Machine qui secoue notre hors-saison de l'Histoire ; j'ai vu se confondre pour de bon « l'organisme » et « l'organisation ». Après, en effet, il ne semble pas judicieux de continuer à perdre son temps dans les livres. Après, en effet, quoi de plus vain que d'écrire pour essayer de se hisser à la hauteur - de vue, d'âme, d'homme - à laquelle porte, transporte, la littérature ? Et quoi de plus ballot surtout que de tenter l'aventure dans un langage qui se voudrait autant comptable de son passé que durable ? Tout ce qui dure est daté, me semble l'air de rien marteler l'air du temps. Or je vise à une prose surnaturelle, libidinale et nerveuse, dont la scansion serait une épiphanie de sens, toute chargée clé l'énergie de mes espoirs.
Autant concéder que, pour la plupart, mon français, c'est du chinois. Et si par bonheur je viens à bout des « Deux vies d'un amour », j'ignore qui me trouvera lisible et qui, d'abord, parmi les dernières officines à user de papier, voudra se risquer à la publication d'un livre rédigé dans le sabir d'un toujours illusoire certes mais crucial pour moi. Comme le cher Baudelaire - j'en conviens, je n'invente rien -, j'écris pour un frère - pour une sœur plus profondément encore, j'en ai conscience désormais - qui saura par-delà les années et les frontières rendre justice à ma folie, lui donner raison en somme, en la comprenant de l'intérieur, et même en renchérissant sur elle, non forcément de son stylo, mais dans la libre conduite de sa vie. Je ne prétends à rien d'autre lorsque je m'applique simplement à être conséquent avec mes goûts et mes douleurs.
Ainsi lorsque je me mettais à écrire au petit matin, je prenais soin de ne pas être surpris par Maas l'insomniaque. Ce n'est pas que je craignais de lui dévoiler les fragments que je continuais de réunir dans des chemises bleues, mais je ne tenais pas à éveiller sa défiance. Que je fasse partie de l'espèce protégée des lecteurs dont on ignore encore si on la relâchera dans la culture, soit. Mais que je verse dans cette perversion au point de la pratiquer moi-même, il y avait de quoi s'inquiéter. Du Secret, du Silence, des Sensations, tels étaient les trois S enchevêtrés comme trois vipères sur le caducée de l'écrivain que j'ambitionnerai longtemps de devenir. (p. 122-124)

Lorsque je lui ai proposé un titre, « Technosmose », pour la monographie que l'on était en train de préparer sur son ouvre, Otto Maas a été emballé. Ce n'est pas qu'il a sauté au plafond, les effusions ne sont pas son genre, mais je l'ai vu rosir et il a posé sa main sur mon épaule comme un général qui passe en revue ses bons petits soldats. Ce geste était révélateur car il ne prise guère les contacts physiques. Longtemps je me suis interrogé à propos de ses préférences sexuelles. J'ai découvert une nuit, sur un écran mis en veille, qu'il lui arrive de visiter un nombre impressionnant de sites pornographiques. J'ignore s'il s'en tient à ces échanges virtuels, si l'onanisme structure son quotidien ou si - comme j'ai tendance à le penser maintenant - la chasteté est le fin mot de son secret. J'ai noté la réflexion suivante la seule fois où lui et moi avons abordé le sujet : « L'abstinence et la puissance sexuelle sont les deux faces de la même pièce, qui confèrent à qui les possède un pouvoir unique sur les autres. L'abstinence, je parle de la seule qui vaille, la volontaire, vous place dans une position de surplomb et de liberté absolue dans uni monde que régissent les désirs de masse. »
Cela faisait six mois que nous vivions ensemble pour ainsi dire et lui n'en savait pas beaucoup plus à mon sujet. En tout cas il ne laissait que rarement filtrer une opinion sur moi, ou la preuve qu'il avait saisi un trait de ma personnalité. Je crois que sa réserve ne signifiait pas qu'il me méconnaissait. Il m'observait, n'en pensant pas moins, me guidant - qui sait ? - vers la seule chose que je ne cesserai pas de revendiquer et qui avait pris un certain tour avec l'apparition d'Iris - la disparue dans ma vie : un destin. Il lui arrivait cependant de m'interroger à propos des livres que je lisais, en avion ou devant la télévision. Il commençait à comprendre - à moins qu'il n'ait cherché à me faire comprendre à mon tour - ce que la littérature représente en tant qu'expérience d'éveil à la vie dans le somnambulisme, le terrorambulisme, le consomnambulisme général. On se retranche dans un bon livre et, aussi sombre soit-il, il nous projette au cœur d'un soleil. (p. 213-214)

Mathieu Terence, Technosmose (Gallimard, 2007)

En ligne : un entretien Maxence Grugier pour fluctuat.net.

mercredi 7 novembre 2007

talent méconnu

« Le Prix de Flore fut fondé le 10 mai 1994 dans le but de couronner un auteur au talent "prometteur". Les critères de sélection étant l'originalité la modernité et la jeunesse. Composé de 13 journalistes - aux opinions diverses et variées - le jury se distingue par son indépendance, sa liberté, son insolence. »

Il couronne cette année Amélie Nothomb pour Ni d’Ève ni d’Adam, chez Albin Michel ... souhaitons que ce prix si insolemment décerné à un talent méconnu lui permette d’atteindre un large public !!

l'œil de la proie

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« À la différence de ce que vous pourriez croire, ce n'est pas l'œil du prédateur qui voit le mieux, mais celui de la proie. L'œil de l'aigle est désespérément limité, comparé à celui d'une mouche. J'ai essayé de faire de ce système un œil de mouche. Pour cela je me suis mis à la place de l'être vivant qui a le plus peur au monde. La peur est le sentiment moteur numéro un en matière de progrès scientifique. »
À croire que la mutation qu'il prophétise pour rire n'a pas eu lieu et que les insectoïdes n'ont pas encore colonisé la planète puisque quelque chose en moi m'a fait me cabrer devant le point d'orgue de son architecture. Non pas qu'il me révolte - je ne crois pas à l'efficience des réactions frontales - mais j'ai vu là un condensé de tout ce à quoi je suis rétif, l'obsession du contrôle et de la gestion des vies qui ne laisse pas de me rebuter. Pour les mêmes raisons qui m'obligent à me raidir, cette substruction m'a passionné. Otto Maas considère que ses travaux précédents en ont été les brouillons et qu'elle fut le prototype des cités souterraines mises en chantier au Qatar et à Bahreïn. « Imaginer la prison idéale, c'est rêver de la société idéale », m'a-t-il confié, devant l'écran d'ordinateur où venaient d'apparaître les plans des lieux et le réseau de surveillance électronique correspondant - des documents top secret. « De nos jours, un endroit où vivent plusieurs communautés d'hommes ou de femmes doit offrir à chacun des garantes d'hygiène, de confort et même de luxe, si on veut y maintenir I’ordre. Si vous réunissez ces trois éléments, vous vous rendrez compte que la notion de liberté est on peut plus superflue. On construisait depuis toujours des prisons pour empêcher les gens d'en sortir. Bien qu'Atlin soit, du simple fait de son enterrement, celle dont on ne peut s'échapper, je l'ai d'abord conçue pour qu'on ne songe même pas à le faire, et qu’ensuite on ne le souhaite plus. » (p. 156-157)

Enfant, je me disais que l'île du Belvédère des Buttes-Chaumont était creuse et qu'une antenne de la Protection civile y logeait en secret, veillant sur Paris. J'ignore encore si j'avais raison, mais en accompagnant Otto Maas à Kuala Lumpur pour l'inauguration d'un nouveau site j'ai pensé que lui et moi, à quelques années de distance, avions eu la même idée. À trois kilomètres de la cité, une montagne avait été évidée par de titanesques bulldozers. Une sorte de dôme de plusieurs centaines de mètres de haut avait été construit à l'intérieur. Un ciel étoilé la nuit, ensoleillé le jour, avait été mis au point sur la voûte, au-dessus d'un lac artificiel de deux hectares. De ces eaux transparentes aux reflets de lagon - des animaux marins y évoluaient - émergeaient de petites îles sur lesquelles avaient été bâties une cinquantaine de maisons aux architectures inspirées du folklore mondial.
Quand je questionnai l'auteur de cet archipel in vitro à propos de ces villas, de ces cases, de ces fermes luxueuses, celui-ci se tut et appuya sur l'un des boutons du tableau de bord de la tour de contrôle, érigée au milieu des flots, dans laquelle nous nous trouvions. Les plaques de la voussure se retournèrent alors une à une et le ciel se transforma en un formidable miroir concave où se refléta le planisphère tout entier. Chaque île avait la forme d'un continent : Otto Maas avait reconstitué le monde sous terre. Ceux qui en avaient les moyens pourraient choisir d'habiter l'Afrique, l'Amérique, l'Europe, l'Asie, l'Océanie, dans ce lotissement planétaire et passer d'une région du globe à l'autre en toute sécurité, à bord d'un canot à moteur. La tête levée vers la terre, je restai bouche bée.
Je comprenais mieux ce dont Atlin avait été le banc d'essai. Et la discussion avec Otto Maas dans l'avion du retour tourna autour du thème de la servitude volontaire. « Je voulais prendre l'exact contre-pied des visions archaïques, sinistres, de la détention et de la surveillance que l'inconscient collectif véhicule. Si je réussissais mon bâtiment, la captivité devait finir par être un choix et le contrôle un gage de bien-être pour la population. C'est ce qui est arrivé, mis à part le cas Ferréol, je vous l'accorde. Fermé, l'œil martial, intrusif, du violent Big Brother quand s'ouvre celui bienveillant, compatissant, attentionné, empressé, obligeant, de ma Big Mother. C'est pour la santé des incorporées, c'est pour leur sécurité, leur tranquillité, que tout est conçu à Atlin. J'ajoute que le fin du fin est atteint quand il n'est plus nécessaire qu'une instance supérieure assure la sérénité du groupe parce que ce dernier, une fois les conditions réunies, l'assure lui-même. Le plus difficile est de soulager les individus de la notion du temps, douloureuse quand on est enfermé, inutile quand on ne l'est pas. J'aspire à une sorte de chronosthésie à travers l'utilisation des murs d'images, le travail sur les sons et la lumière, et aussi l'emploi des médicaments. Une personne qui a trop le futur en tête va se faire des idées. Ferréol devait être de ces gens. » (p. 199-201)

Mathieu Terence, Technosmose (Gallimard, 2007)

Ce roman d'anticipation (légère) nous invite à voir notre société à travers l'œil de la proie et les livres comme seule façon de s'enfuir de la prison panoptique en cours d'édification.

Mathieu Terence est né en mai 1972 à Sain-Germain-en-Laye. Il a publié auparavant :
Palace forever (Distance, 1996)
Fiasco (Phébus, 1997)
Journal d'un coeur sec (Phébus, 1999)
Les Filles de l'ombre : nouvelles (Phébus, 2002) Prix de la Nouvelle de l'Académie française
Aux dimensions du monde : poèmes (Léo Scheer, 2003)
Maître-chien (Phébus, 2004)

Quelques articles en ligne :
- Maxence Grugier, « Manuel de survie en milieu inhumain » (Fluctuat.net)
- Christophe Greuet, « Technosmose, captivités en creux » (Culture café)
- Laurent Simon, « Futur presque parfait » (Zone littéraire)
- Pierre Bottura (Chronic’Art)
- Hubert Artus, « L'anticipation renouvelle le roman politique » (Rue89)

mardi 6 novembre 2007

paysage avec ruines (suite)

Le prix Décembre 2007 a semble-t-il été attribué comme prévu à ... Yannick Haenel pour Cercle, publié chez Gallimard (!), dans la collection L'Infini dirigée par Philippe Sollers (!)... il va falloir que j'essaie de le terminer.

post-scriptum : demain, encore un prix, le prix de Flore : pour continuer chez Gallimard, je suggère de le décerner à Technosmose de Mathieu Terence, qui est un bon livre.

paysage avec ruines

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L’appel de Léo Scheer au « soulèvement de la blogosphère » et à la création de prix littéraires alternatifs ne me convainc guère.

En effet tout à l’heure c’est le tour du prix Décembre, jadis « Novembre » qui se voulait au départ « une sorte d'anti-Goncourt. En pleine période de remise des prix d'automne, il tente de diriger les projecteurs de l'actualité littéraire sur un livre, roman ou essai, publié en marge des circuits commerciaux. »

Je voterais volontiers, dans la sélection retenue, pour le Cendrillon d’Éric Reinhardt, mais Nelly Kapriélian (Inrocks, 621, 23 octobre) m’enlève mes illusions :

« (…) on annonce déjà que c’est lui (Yannick Haenel) qui recevra le prix Décembre 2007, confortablement doté de 30 000 euros, puisque son éditeur, Philippe Sollers, qui est aussi membre du jury de ce même Décembre (eh oui !), a réussi à faire éliminer son seul concurrent sérieux, encore une fois l’auteur de Cendrillon. Ajoutons que parmi les jurés du Décembre, on compte aussi Frédéric Beigbeder, Arnaud Viviant et Dominique Noguez, tous trois très attachés à Sollers (…) »

Pour en rajouter dans ce tableau sinistré, je lis ce constat désabusé de Jean-Michel Maulpoix :

« Il n’y a plus de place dans la France d’aujourd’hui pour une revue littéraire trimestrielle de qualité paraissant chez un éditeur de taille modeste, disposant de peu de moyens et peu soutenu par les institutions nationales ou régionales.

Une centaine d’abonnés et quelques ventes en librairie ne suffisent pas pour maintenir en vie cet objet désormais perçu comme archaïque par beaucoup. Si l’on ajoute à cela le désintérêt complet des médias pour une publication qui ne transporte pas dans ses pages l’esprit de polémique mais qui se montre simplement soucieuse de garder vivante et présente une certaine idée de l’écriture supposant autant d’exigence et de rigueur que d’esprit d’ouverture, alors on comprend que 23 ans d’existence c’est déjà beaucoup : presque un miracle !

On arrête. Le numéro 85 qui sortira dans quelques semaines sera le dernier numéro « papier » du Nouveau recueil.

On arrête. Mais on continue. Avec les moyens du temps : une nouvelle revue électronique sera bientôt en ligne (…) »

Bienvenue, donc, et très longue vie au Nouveau Recueil en ligne.

Et un extrait (tout frais) du blog d'Éric Chevillard pour apprendre ce qui s'est vraiment passé (et en rire!) :

« Il aura donc fallu que je les menace de sanglantes représailles et de veiller moi-même désormais sur leur lente agonie ; puis encore que je leur laisse entendre en jouant avec un couteau que je connaissais les noms et les adresses des écoles fréquentées par leurs arrière-petits-enfants : les jurés Goncourt ont finalement renoncé à m’attribuer leur prix et reporté leur vote au hasard sur un pauvre zigue qui traînait dans le coin. Je lui présente toutes mes excuses, mais chacun pour soi dans la jungle des Lettres. »

lundi 5 novembre 2007

ne l'ébruitez pas !

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Sans rapport avec Henri Michaux (quoique...) le prix Goncourt 2007 vient d'être très secrètement décerné à Éric Chevillard ... mais ne l'ébruitez pas !

Sans doute pour éviter à Chevillard un sort cruel, Didier Decoin vient d'annoncer que le Goncourt était « officiellement » attribué comme annoncé à Gilles Leroy pour Alabama Song, publié par le Mercure de France (un petit éditeur indépendant encore !).

C'est Daniel Pennac qui décroche le Renaudot 2007 pour Chagrin d'école (chez Gallimard !)

ne pas laisser de trace

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Plus tu auras réussi à écrire (si tu écris), plus éloigné tu seras de l'accomplissement du pur, fort, originel désir, celui, fondamental, de ne pas laisser de trace.
Quelle satisfaction la vaudrait ? Écrivain, tu fais tout le contraire, laborieusement le contraire !

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 57)

dimanche 4 novembre 2007

la sottise de te montrer

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Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 36)

samedi 3 novembre 2007

si la souffrance

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Si la souffrance dégageait une énergie importante, directement utilisable, quel technicien hésiterait à ordonner de la capter, et à faire construire à cet effet des installations ?
Avec des mots de « progrès, de promotion, de besoin de la collectivité » il fermerait la bouche aux malheureux et recueillerait l'approbation de ceux qui à travers tout entendent diriger. Tu peux en être certain.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 20)

vendredi 2 novembre 2007

les vertus du mimétisme

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Dans une société de grande civilisation, il est essentiel pour la cruauté, pour la haine et la domination si elles veulent se maintenir, de se camoufler, retrouvant les vertus du mimétisme.
Le camouflage en leur contraire sera le plus courant. C'est en effet par là, prétendant parler seulement au nom des autres, que le haineux pourra le mieux démoraliser, mater, paralyser. C'est de ce côté que tu devras t'attendre à le rencontrer.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 21)

jeudi 1 novembre 2007

quantité d'autres

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La pierre n'a pas reçu en partage la respiration. Elle s'en passe. C'est à la gravitation surtout qu'elle a affaire.
Toi, c'est beaucoup plus aux « autres » que tu auras affaire, à quantité d'autres. Considère en conséquence tes compagnons de séjour avec discrimination, traitant les roches d'une façon, le bois, les plantes, les vers, les microbes d'une autre façon, et les animaux et les hommes d'une autre façon encore, sans jamais te confondre avec les uns et les autres, surtout pas avec ces créatures à qui la parole semble avoir été donnée principalement afin d'arriver à se mêler au plus grand nombre, au milieu duquel, croyant comprendre et être compris, quoique à peine compris et immensément incompréhensifs, ils se sentent à l'aise, réjouis, dilatés.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 23-24)

mercredi 31 octobre 2007

rock around the clock

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Quelqu'un me tend une fiole de whisky. Le goulot se rapproche de ma bouche. Mon corps tremble, je déglutis : c'est horrible. Dans ma tête, c'est l'explosion, je ne contrôle plus rien. Mes sens se bousculent. Je ne peux pas... je ne dois pas... Il continue sa descente au fond de ma gorge, puis dans mon œsophage en raclant les parois avec violence. Il arrive dans mon estomac, le goût devient insupportable. Je cherche de l'air à tout prix, j'ai comme l'impression de me noyer. Tout ça se passe en un éclair, mais mon cerveau ne me demande qu'une chose : surtout, je ne dois rien laisser paraître. Je souris, j'en redemande. (p. 36)

Boris Bergmann, Viens là que je te tue ma belle : Journal imaginaire (Scali, 2007)

J’ai voulu voir par moi-même si le premier roman du « plus jeune auteur de la rentrée littéraire » (c’est le bandeau qui le dit !), Boris Bergmann (né en 1992), était vraiment une « révélation » : Viens là que je te tue ma belle est le récit d'un passage initiatique de l’adolescence à l’âge adulte, à travers la découverte du rock’n’roll et de son univers d’alcool, de sexe, de baston, et autres errances très « Rose Poussière » (cité page 132) ; récit un peu agaçant parfois, qui sonne un peu faux aussi (l'impression qu'il s'agit d'une adolescence d'un autre âge) - mais original, rythmé et finalement attachant.

mardi 30 octobre 2007

le chaos comme une effusion

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(Une jeune fille de 16 ans a été tuée hier dans le Val d'Oise d'une décharge de fusil. Elle aurait été la victime d'un « différend » entre des personnes de son entourage. Le meurtrier présumé, ex-concubin de la mère de la victime, s'est suicidé à son domicile.)

Je vois le chaos comme une effusion. Le journal tâche de contenir ça dans les quatre colonnes de la page, toute cette substance que nous ne cessons de perdre, la grande expansion continue. Les faits divers, là-dedans, font le bruit du caillou qui tombe sur la peau du tambour.

Nicole Caligaris, Medium is mess (Inventaire/Invention, 2007, p. 47)

Nicole Caligaris est née en 1959 à Nice.
Elle a aussi publié :
La scie patriotique (Mercure de France, 1997)
Tacomba (Mercure de France, 2000)
Les Samothraces (Mercure de France, 2000)
Barnum des ombres (Verticales, 2002)
Les Chaussures, le drapeau, les putains (Verticales, 2003)
L'os du doute (Verticales, 2006) que j’avais cité ici et
Le Littéral sorcier (l'Esprit des péninsules, avril 2007)

voir aussi son site Point N

lundi 29 octobre 2007

s'il n'y avait plus d'éditeur

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(...) ce que c'est un créateur ça je sais ce que c'est un
créateur toi aussi tu sais ce que c'est un créateur et
lui aussi il sait ce que c'est un créateur et elle et nous
et vous et ils on sait ce que c'est un créateur ça on
sait hein je parle d'un éditeur un éditeur c'est quoi
c'est quelqu'un qui édite c'est ça c'est quelqu'un qui
publie c'est quelqu'un qui édite c'est quelqu'un à qui
on envoie un projet un objet un texte un livre c'est
quelqu'un à qui un créateur s'adresse un créateur ne
peut s'adresser qu'à un éditeur sinon ce n'est pas un
créateur pour créer on est seul mais pour être créé il
faut un édit un éditeur une édition sans édition le
créateur est un artisan au mieux avec un violon
d'Ingres forcément d'Ingres il faut passer par l'édit par
l'éditeur par l'édition pour devenir un créateur sans
violon avant l'éditeur avant la caution de l'éditeur qui
prend l'objet le texte le livre et l'édite même en édition
limitée même limitée parce qu'on n'est pas non plus
Amélie Nothomb on n'est pas non plus Philippe Starck
qui éditent à combien à combien de milliers de millions
ça va et Houellebecq et les autres combien ils sont en
tout quoi dix ou vingt ou dix autres en tout dans
l'édition pas limitée celle montrée sans violon celle
qu'on montre partout t'en as plein les premières
pages les pages idées les têtes de gondole tu les vois
partout et t'achètes ça qu'on te montre partout c’est
le syndrome de l’entonnoir (…)
mais la pauvreté j'ai tu as on a les créateurs on a
donc je on cherche un édit une édition un éditeur c'est
quoi un éditeur pour oublier Ingres c'est qui c'est quoi
un éditeur quelqu'un qui a des couilles qui a l'instinct
qui ne regarde pas que son chiffre d'affaires sa marge
brute son bilan de fin d'année et les parts de marché
ou pas que ça en tout cas pas que ça non pas que ça
ça aussi mais pas que ça mais aussi qui a l'instinct les
couilles de croire en un projet un objet un texte un
livre ton livre ton talent ton avenir ton passé tout de
toi qui croit en tout de toi qui croit en toi et en tout de
toi parce qu'avant l'éditeur on n'est pas un créateur
on n'est pas un créateur on n'est rien c'est ça on n'est
rien et si on ne trouve pas d'éditeur parce que par
exemple parce qu'il n'y aurait plus d'éditeur si par
exemple par hasard il n'y avait plus d'éditeur par
exemple je pose la question mais des marchands s'il
n'y avait plus d'éditeur je pose la question s'il n'y avait
plus d'éditeur parce que l'entonnoir entonne s'il n'y
avait plus que pour deux trois objets livres de la place
s'il n'y avait plus de place s'il n'y avait plus de place
que pour trois deux livres objets s'il n'y avait plus pour
la création s'il n'y avait plus

Emmanuel Adely, Édition limitée (Inventaire/Invention, 2007)

On trouve aussi chez Inventaire/Invention, éditeur (il y en a encore quelques uns!) en papier et en ligne : J’achète – emo ergo sum (2007)

Emmanuel Adely est né à Paris en 1962.
Il a publié :
Les Cintres (Minuit, 1993)
Dix-sept fragments de désirs (Fata Morgana, 1999)
Agar-agar (Stock, 1999)
Jeanne, Jeanne, Jeanne (Stock, 2000)
Fanfare (Stock, 2002)
Mad about the boy (Joëlle Losfeld, 2003)
Mon amour (Joëlle Losfeld, 2005)

voir aussi en ligne : un entretien (Zone littéraire, 2005)

dimanche 28 octobre 2007

et bleu est je

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Et bleu est je et le brouillon la non-mesure, au sable premier aspiré retenu, et traces de glu ce faufil sur la mer, la nuit, entre les corps désembrassés la nuit cette couture, et la croix, le sel, la différence, alors qu'aux cuisses craque un silence de colle, et que, dans la rature dénouée l'espace même de la fuite s'évase, et s'ouvre bleu
et bleu est seul, et mauve, et sans écriture, aveugle et nu ruban filé inerte encore, traçoir des pauses, des vides, les absences de la mer ce pli même ce faux pas, les nuits du navire je brisé de coque brisé de mât, bleu, grince et vieux, rouille comme sang par saccades s'effondre, ce tombeau que le ressac descelle, au minuit losangé de la cuisse une figure du vertige, et l'autre, elle, avec la mer, aimer c'est traquer infiniment chercher me fouille, plus nue que bleu l'écorché le navire, la nuit, à la proue nos transis de nuits lisses et noires, et sans paupières à jamais couverts, et bleu est seul, de hasard, innombrable
la ligne d'horizon bleu-noir, et cette étroite baie d'où coule, immédiat, ma vive, le sang, de mes grandes feuilles à petits carreaux, de ma grande feuille à vif dans la résille des bleus, et la mer, glissée menu sous la courbature de la nuit, long de mes feuilles la nuit, fragment des bleus, du grand alambic des bleus ce plain-chant d'écriture, allège, ourle, défait, engendre le sursis dans la sueur et la morsure, du rond des seins à jamais nus, et l'appel même le nom, la dérive des cris ce grincement sur le cahier, au fer des spirales raclées, infiniment raclées à la mine bleu-noir

et parler bleu c'est l'impasse taillée à la racine du voyage, l'exil avant la course, l'épuisement, la corruption, la face morte du voyage, parler bleu en lui-même se dévide, enferme et répète la fugue, les ruines circulaires, bleu, l'intense le cœur du songe, comme saisir la nuit par les ailes (p. 20-21)

Laisse monter, laisse venir, laisse prendre, le pont du rêve est solide, la vision est nette, la délivrance proche, à ta portée, sans combat, sûre
à ta droite les ciels, leurs printemps aux oiseaux clairs, innombrables, lancés à l’assaut des spirales noires quand tu lèves la tête et que la nuit ils te la déverrouillent, la pénètrent, te l’étoilent de prodiges, comme la mer qu’ils cousent avec ses voiles de sang et ses danses immobiles, dans le vertige clos du baiser
toutes tes vies cheminent, nues et légères, délivrées du creuset de fer, et les dieux s’avancent dans la transparence reconquise, parmi les hommes qui jamais ne t’ont offert les paumes de leurs mains, jamais l’ovale tendre où poser ta joue, toi, le rêveur de rêves échappés, envolés loin, extensions de la nuit sur des paysages abstraits, sans bouche, un silence incandescent pave les voies où toutes tes vies cheminent
le chagrin enfle la poitrine des mers et le monde soudain se ramasse sur ta solitude, le silence se fait, et sur ton bras tendu où les veines saillent, brille ce chiffre gravé là à même la peau, de ton appartenance, mathématique, à la nuit (p. 67-68)

Michèle Dujardin, abâdon (Seuil, Déplacements, 2007)

Des voix anonymes et familières, poétiques et prophétiques, racontent la ville, la mer, le bleu, la solitude, le silence, le lacher-prise : « ils ont sur eux un roi , le messager de l’abîme, nommé en hébreu Abâdon, "perdition". Apocalypse, 9, 11 » dit l’exergue.

Michèle Dujardin est née à Marseille et a aussi publié, en 1983, un roman, Blockhaus (Éditions du Quai)

En ligne :
- François Bon, « le poème relève du danger et de l’inquiétude » (tiers livre)
- Dominique Dussidour, « place nette là où mon regard s’éploie » (remue.net)

samedi 27 octobre 2007

le sixième homme

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Bientôt novembre, les prix fleurissent comme les chrysanthèmes :

Le 10 octobre, l’écrivain et journaliste Pierre Assouline a remporté le 21e Prix de la Langue française pour Le Portrait (Gallimard).

Ingrid Thobois a obtenu le Prix du Premier Roman pour Le roi d’Afghanistan ne nous a pas mariés, paru chez Phébus.

Le Grand prix du roman de l'Académie française a été attribué jeudi 25 octobre à Vassilis Alexakis pour son livre Après J.C. (Stock).

Treize livres (parmi lesquels plusieurs très bons livres) ont été sélectionnés pour le Prix Wepler – Fondation La Poste, onze pour le Prix Décembre et sept pour le Prix de Flore.

Ont été également publiées de nouvelles sélections pour le Medicis, le Femina, le Renaudot et l’Interallié.

Quant à la dernière sélection du Goncourt, elle a été proclamée aujourd’hui lors de l'ouverture de la Foire du livre de Brive.
Restent officiellement en lice :
Olivier Adam : À l'abri de rien (L'Olivier)
Philippe Claudel : Le rapport de Brodeck (Stock)
Clara Dupont-Monod : La passion selon Juette (Grasset)
Gilles Leroy : Alabama Song (Mercure de France)
et Michèle Lesbre : Le canapé rouge (Sabine Wespieser)

Cette sélection comporte cinq titres, soit un de plus que d'habitude : une manière subtile, pour les membres du jury, de continuer à dissimuler le sixième homme, leur grand favori : Éric Chevillard !

post scriptum : le « sixième homme » confirme aujourd’hui !

vendredi 26 octobre 2007

dessiner l'écoulement du temps

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Henri Michaux écrivait :

Je voulais dessiner la conscience d'exister et l'écoulement du temps. Comme on se tâte le pouls. Ou encore, en plus restreint, ce qui apparaît lorsque, le soir venu, repasse (en plus court et en sourdine) le film impressionné qui a subi le jour.

« Dessiner l'écoulement du temps », Passages (1957, Gallimard, Tel, p. 129) (Gallimard, Pléiade, II, p. 371)

Camilla Torna, graphiste florentine installée à New York, invite dans son projet « Visualizing Time » des gens d'âge, de milieux et de nationalités diverses à dessiner le temps.

jeudi 25 octobre 2007

plan d’occupation du temps

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Pour prolonger un peu la « journée de la glande », ce deuxième roman dont le narrateur évoque, depuis un pays chaud où il a établi ses nouveaux quartiers, quelques mois de cdd passés à « glander » en faisant mine de travailler dans une entreprise (même pas publique, précisé-je).

Je regardais par la fenêtre. L'unité centrale - cette machine qui ingurgite les disquettes et digère le disque dur -, placée sous le bureau, restreignait la mobilité de mes jambes. Pour les dégourdir, je déambulais comme un gentilhomme dans le labyrinthe d'un jardin à la française. Je me déplaçais toujours avec un dossier sous le bras. Je tenais cette pratique d'une connaissance ayant effectué un stage pour le Trésor public. Ce conseil lui avait été prodigué par un ancien du service Recouvrement, précaution qu'il avait lui-même héritée d'un collègue. Transporter un dossier, une chemise cartonnée, bientôt un rapport relié sous le bras donnait un alibi à mes déplacements. (p. 28)

Afin de se parler, les employés se contorsionnaient pour dépasser la tête des écrans d’ordinateur. Ils basculaient leur corps comme on se révèle à l’issue d’une partie de cache-cache. Les dossiers ordonnés en cotes polychromes constituaient des remparts sur le rebord des tables. (p. 29-30)

Les premiers jours, on me demandait si mon poste me plaisait. Je répondais : « Bien sûr, je le trouve très intéressant. » Je lisais sur le visage de mes interlocuteurs une manière d'intérêt, de surprise. Aurais-je raconté une aventure où ma vie ne tenait qu'à un fil, ils auraient montré ce même petit étonnement qui marque la grande indifférence. Je tachais de trouver un angle de vue singulier à un quotidien linéaire. (p. 33)

La préparation de l'un de ces rapports m'accaparait, au bas mot, trois jours toutes les deux semaines et n'intéressait que le contrôleur de gestion, un monsieur dont je n'ai jamais saisi l'utilité. Après trois ou quatre entretiens avec lui, je compris qu'il ne lisait pas mon rapport, qu'il n'avait pas identifié mon statut. Moi non plus, d'ailleurs. Je ne servais à rien, sauf parfois à compliquer légèrement les choses. Dans l'exposé, au fur et à mesure des semaines, j'ajoutais davantage de fioritures. Sa présentation se sophistiquait à l'encan sans pour autant altérer son aspect précis, comme un buffet froid, mais dont chaque denrée, à s'y pencher de près, est périmée. Ce que j'écrivais devenait opaque. Le rapport se changeait en un vitrail composé de si minuscules éclats qu'on ne distingue plus la scène, qu'on ne comprend plus où voulait en venir l'artisan vitrier. Mon vocabulaire foisonnait de mots tenant à la technique anglo-saxonne dont personne n'avait de définition exacte. Mes graphiques évolutifs, agrémentés de reliefs, se juxtaposaient en plusieurs dimensions.
Je jouais le jeu comme un GI aux ordres du colonel Nicholson dans Le Pont de la rivière Kwaï. Inapte à la plus infime exploitation d'ordre pratique ou financier, parfaitement inoffensif, incapable de servir le moindre sabotage technocratique, mon assemblage de données légitimait ma présence. Mon rapport glacé figurait à la fois le pont de la rivière thaïlandaise et le morceau de ciel qu'un malade aperçoit en tournant la tête vers la fenêtre. L'alité n'en a plus pour longtemps. Jour après jour, il entretient avec l'azur une amitié particulière. Le ciel est un grand benêt à l'émotivité calquée sur les saisons. Les infirmières et le patient remarquent une rémittence quand le ciel bleuit. Le malade se transporte dans un pays semblable à celui où je me trouve, la Jamaïque, le Gabon ou les Philippines. Le malade est optimiste, son entourage l'estime naïf. Deux mois ont passé dans le pays pauvre qui scintille. Mais l'état du malade se dégrade : le ciel le toise de son indifférence. Et il meurt dans une chambre inondée de lumière.
Au fil des rendez-vous, muni de mon rapport, j'avais le sentiment de devenir indispensable. Nous étions, mon rapport et moi, les relais d'un code, le même qu'à l'école, qu'à l'université, celui d'être évalué sur des critères aléatoires dénués de pertinence. Il eût été logique qu'on s'aperçoive rapidement que je ne servais à rien, mais la sanction fut assez longue à intervenir. (p. 51-53)

Le travail relève d’un plan d’occupation du temps. L’occupation, même inutile, doit être pérenne, tels un bâtiment ou une cuisine. Pour occuper le temps, remplir les heures. (p. 112)

Guillaume Noyelle, Jeune professionnel (Bartillat, 2007)

Guillaume Noyelle est né le 5 décembre 1979
Il a publié un premier roman : Les piétinements (Bartillat, 2004)
Un article en ligne : Christian Authier, « Esprit d'entreprise » (Le Figaro, 18 octobre 2007)

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