lignes de fuite

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mardi 18 novembre 2008

ce n’est pas possible

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Ça ne peut plus durer comme ça. Il y a quelque chose qui ne va pas. Dans l’utilisation faite du mot poésie, dans l’utilisation qui est faite du mot. Ce n’est pas possible. Il faut faire quelque chose. (Ma langue, I, Al Dante, 2000)

La pensée est engoncée, dure et pâteuse, le poète la masse, l’amollit, la réchauffe. Il entraîne l’intelligence à sortir de son engourdissement. (Pan, POL, 2000)

Les textes majeurs de Christophe Tarkos, né en 1963 et mort prématurément en novembre 2004, sont réédités par les éditions POL. C'est l'occasion d'une soirée d'hommage à la libraire Le Divan.

Écrits poétiques contient des textes publiés notamment aux éditions Al Dante et devenus introuvables ; au sommaire du premier volume (l’édition en comprendra trois) : « Sokrat à Patmo », une préface de Christian Prigent, Manifeste chou, Ma langue est poétique, La poésie est une intelligence, Processe, oui, L’argent, Je m’agite, Donne.

::: voir aussi les pages remue.net et wikipedia

lundi 17 novembre 2008

dérouler parallèlement

Écrire, ça doit sûrement servir à quelque chose. Mais à quoi ? Ces petits signes tarabiscotés qui avancent tout seuls, presque tout seuls, qui couvrent le papier blanc, qui gravent sur les surfaces planes, qui dessinent l'avancée de la pensée. Ils rognent. Ils ajustent. Ils caricaturent. Je les aime bien, ces armées de boucles et de pointillés. Quelque chose de moi vit en eux. Même s'ils n'ont pas de perfection, même s'ils ne communiquent pas vraiment, je les sens qui tirent vers moi la force de la réalité. Avec eux, tout se transforme en histoires, tout avance vers sa fin. Je ne sais pas quand ils s'arrêteront. Leurs contes sont vrais, ou faux. Ça m'est égal. Ce n'est pas pour ça que je les écoute. Ils me plaisent, et c'est avec plaisir que je me laisse tromper par le rythme de leur marche, que j'abandonne tout espoir de les comprendre un jour.
Écrire, si ça sert à quelque chose, ce doit être à ça : à témoigner. À laisser ses souvenirs inscrits, à déposer doucement, sans en avoir l'air, sa grappe d'œufs qui fermenteront. Non pas à expliquer, parce qu'il n'y a peut-être rien à expliquer ; mais à dérouler parallèlement. L'écrivain est un faiseur de paraboles. Son univers ne naît pas de l'illusion de la réalité, mais de la réalité de la fiction. Il avance ainsi, splendidement aveugle, par à-coups, par duperies, par mensonges, par minuscules complaisances. Ce qu'il crée n'est pas créé pour toujours. Ça doit avoir la joie et la douleur des choses mortelles. Ça doit avoir la puissance de l'imperfection. Et ça doit être doux à écouter, doux et émouvant comme une aventure imaginée. S'il pose des jalons, ce ne sont pas ceux de la vie humaine. Comme une formule d'algèbre, il réduit le monde à l'expression de figures en relation avec un quelconque système cohérent. Et le problème qu'il pose est toujours résolu. L'écriture est la seule forme parfaite du temps. Il y avait un début, il y aura une fin. Il y avait un signe, il y aura une signification. Puérile, délicate, tendre comédie du langage. Monde extrait, dessin accompli. Volonté implacable, éternelle avancée des armées de petits signes mystérieux qui s'ajoutent et se multiplient sur le papier. Qu'y a-t-il là ? Qu'est-ce qui est marqué ? Est-ce moi ? Ai-je fait rentrer le monde enfin dans un ordre ? Ai-je pu le faire tenir sur un seul petit carré de matière blanche ? L'ai-je ciselé ? Non, non, ne pas se tromper là-dessus : je n'ai fait que raconter des légendes des hommes.

J-M G Le Clézio, « Écrire », L’extase matérielle (Gallimard, Le Chemin, 1967, p. 73-74 ; Folio, p. 105-106)

dimanche 16 novembre 2008

momasaïque

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::: SFMOMA ArtScope

une façon fascinante - et addictive - d’explorer en ligne les collections du MOMA de San Francisco
(découvert grâce à Écrans.fr )

samedi 15 novembre 2008

le jour du blog de voyage

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C'est le jour du blog de voyage. Joseph l'écrit chez lui, confortablement installé devant son PC. Il s'est servi un café allongé, il a choisi la musique qu'il écoutera ; aujourd'hui ce sera l'intégrale des sonates de Liszt, c'est si agréable de voyager en compagnie de Franz Liszt. Sur sa table traînent des atlas, un dictionnaire français-anglais. Son étagère est pleine de Guides du routard, de Lonely Planet.
Joseph hésite : où partira-t-il cette fois-ci ? Il ouvre l'atlas, surfe sur internet, consulte les blogs de voyage des autres. Tiens, la route de la soie, ce ne serait pas mal. Un peu long, peut-être. Il la prendra à la sortie de la Turquie, ça raccourcira le voyage. Les noms d'étapes en Iran sont superbes, il ne parlera pas d'Iran, mais de Perse, ça sonne autrement mieux : Tabriz, Zanjan, Téhéran parce qu'on ne peut pas faire autrement, et Qom, la ville sainte, il faut toujours une ville sainte dans un beau voyage. Il hésite à faire le crochet par Bam et Chiraz, comme le conseillent plusieurs routards, mais il ne veut pas se disperser. Dommage, c'était joli, Chiraz. Surtout avec le double a, Chiraaz. Tant pis, cap sur Meshed.
Le voici au cœur du sujet : le Turkestan occidental. Très bien, le Turkestan, certains lecteurs croiront qu'il s'agit d'une erreur, il faut dire le Turkménistan ! Mais non, c'est bien le Turkestan, et sa kyrielle de -stan magiques, Ouzbékistan, Kazakhstan, Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan. Le Turkestan avec cet « occidental » à côté, c'est encore plus fascinant : Boukhara, Samarkand, Tachkent, la vallée du Ferghana et la plongée vers la Chine. Le voyage a de l'allure. En route !
Joseph lance ses recherches sur Google, trouve des blogs qui en parlent, des sites d'agences de voyages. Il note soigneusement les difficultés à rencontrer, c'est souvent le plus intéressant : ne pas oublier de parler des problèmes d'obtention de visas, et du passage de la frontière ouzbeko-kirghize.
Il lui reste à copier-coller des textes anglais qu'il lui faudra traduire, quelques passages étonnants mais mal écrits - ces jeunes voyageurs ne savent pas raconter, c'est vivant, mais c'est bâclé. Il leur emprunte quelques rencontres : l'inévitable vieux sage, le berger hospitalier, le marchand insistant, les gamins avec lesquels on joue aux cartes, les touristes néo-zélandais si drôles, si ouverts, la mystérieuse jeune femme je n'en dirai pas plus.
Il rédige lui-même les descriptions de paysages, car celles des blogueurs manquent de vocabulaire. Il le fait de façon très subtile, entremêlant les constats de topographe et les émotions d'un voyageur de l'époque romantique, c'est un savoureux mélange de Bougainville et de Gérard de Nerval.
Il faut aussi des anecdotes, beaucoup d'anecdotes. Les meilleures sont celles où la douane est bornée, et celles où l'on se retrouve un peu ridicule avec ses préjugés de bon Français. Pour pimenter le tout, ne pas oublier les étonnements culinaires, avec photos des plats mentionnés.
Les photos ! C'est ce qui l'amuse le plus : il les pioche un peu partout sur internet, change les cadrages, les retouche, gomme quelques éléments, ajoute quelques arbustes, quelques passants pour les rendre plus personnelles, voilà, c'est fait. Toujours légender les photos, si possible en y ajoutant une petite touche dérisoire. Il ne faut pas écrire : « Boukhara, le palais d'été de l'émir », mais : « C'est le palais d'été de l'émir ; dommage, je n'ai pas pu me faire inviter ! »
Ne pas oublier quelques smileys, et le blog est prêt.
Joseph va, comme d'habitude, mettre ça en ligne, par tranches, au hasard des étapes imaginées. Hé, c'est qu'on n'est pas supposé trouver partout des cybercafés sur la route de la soie !
Le voyage imaginaire est lancé, et les semaines passent. C'est bientôt la fin, il ne sort plus de chez lui et envoie déjà ses billets de Wu Wei, de Xi’An. Il glisse quelques fautes d'accent et parle des difficultés des claviers chinois. C'est le meilleur moment, celui où, sur les pages du blog, surgissent les commentaires de lecteurs, les questions de candidats au voyage. Il répond à chacun, ça fait partie de son image. Il n'invente rien, il va chercher les informations. Quand il ne trouve pas, il répond pour dire qu'il ne sait pas ; c'est rare.
Une fois de plus, il aura construit la légende de Joseph le grand voyageur.
Bien installé devant son bureau, il arrive aujourd'hui à Pékin, destination finale de son voyage. Qu'est-ce qu'il sera censé faire à Pékin ? Il y aura trouvé un petit boulot de factotum dans une boîte française d'import-export, il rentrera en France dans un mois ou deux. Des trucs de jeune. (...)

Georges Flippo, « La route de la soie », Qui comme Ulysse. Nouvelles en partance (Anne Carrière, 2008, p. 217-220)

Les nouvelles de ce recueil, comme leur titre l’indique, évoquent, chacune à leur façon, les multiples facettes du voyage. La plupart sont nettement plus sombres et graves (avec souvent la mort pour destination) que ce portrait de vrai blogueur - faux voyageur. Mais il m’a amusée (d'autant que la chute, que je ne cite pas, est belle), car c’est une hypothèse que j’envisage assez souvent, lorsque je lis en ligne des récits de voyages plus ou moins exotiques. M’a amusée, aussi, le fait que ce livre me soit arrivé par la poste, avec mission pour moi de le faire suivre : bonne idée que cette forme d'odyssée pour un Ulysse de papier à qui je souhaite bon vent !

Le site et le blog de Georges Flipo

des critiques plus complètes de :
::: Marion Prigent
::: Bibliomane
::: Cunéipage
::: et une revue de blogs plus complète par l’auteur.

vendredi 14 novembre 2008

les nuages qui passent

La police est si bien faite
à Paris
qu'il y a encore peut-être
par ici
des petits voyous
pas beaucoup.

On y brûle des autos
on y pique des vélos

mais il n'y a plus foule
de voleurs de poules.

François Caradec, Les Nuages de Paris (Maurice Nadeau, 2007)

L’oulipien François Caradec, né à Quimper en 1924, est mort hier à Paris, à l'âge de 84 ans.

::: « Caradec s’est carapaté »
::: « François Caradec est mort »
::: « François Caradec n'est plus »
::: « François Caradec »
::: « … oulipien occasionnel, Papou itou, régent du Collège de Pataphysique, isidoreducassien… »
::: « Je n'ai pas été violé par une boulangère (entretien avec François Caradec) »
::: « Un pataphysicien s'éteint »

(Berlol va encore dire que ce n'est pas le rôle de ligne de fuite que de centripèter, mais tant pis, cette nouvelle m'attriste ... et puis centripèter, pour des lignes de fuite, c'est une sorte de rébellion)

un bombardement de pensées déchaînées

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(...) Je n'ai pas compris. II avait encore changé d'état et certains dirent qu'il était devenu légume. Cette comparaison était stupide car sa vie s'était considérablement élargie, étendue et accélérée ; ce prétendu passage de l'état agrandi à l'état végétatif était une ineptie, l'entonnoir logique bien trop serré. Comment un mouvement pouvait-il se ralentir, être à ce point freiné ? Pour moi, quand j'allais le visiter dans ces deux années qu'ils dirent légumes, je me disais qu'il devait être dans plus large encore. Je le fixais, lui souriais, et il me répondait rapidement, un autre sourire, avant de retourner en lui. Où je n'imaginais pas qu'il ne se passe plus rien, j'étais convaincu qu'il se passait au contraire plus de choses qu'avant, et que ça allait désormais tellement vite que le devoir de communiquer tout ça aux autres, pour rendre compte de sa vie intérieure, ne le retenait plus amarré aux gens qui venaient le visiter, à Clémence ou à la femme de ménage, à ses nièces, à sa sœur. Il ne répondit plus, n'avait pas de temps à perdre. On sait que les nourrissons apprennent plus dans cet âge-là qu'à n'importe quel autre moment de leur vie, tout comme ils absorbent proportionnellement beaucoup plus de nourriture que par la suite, fourmis qui portent soixante fois leur poids. On dit que les personnes séniles retournent mentalement et physiquement en enfance. Il faut donc que ce soit aussi un âge (et non un état) où elles subissent un bombardement de pensées, de pensées déchaînées. Dès que nous jugeons ou décrivons le monde (entre sept et cent deux ans) c’est pour l’asseoir, avec des pensées elles-mêmes assises – nos mots, nos opinions sont des toiles d’araignée dans lesquelles le réel viendra se prendre les pieds. Et quand l’immobilité juge le mouvement, c’est toujours pour le disqualifier. Le mouvement appartient donc aux nourrissons et aux légumes. (p. 88-90)

Arno Bertina, Ma solitude s’appelle Brando. Hypothèse biographique (Verticales, 2008)

Né en 1975, Arno Bertina fait partie des incultes. Il est l’auteur de plusieurs essais de critique littéraire et de :
- Le Dehors ou la migration des truites (Actes sud, 2001)
- Appoggio (Actes sud, 2003)
- La déconfite gigantale du sérieux (Lignes, 2004)
- J'ai appris à ne pas rire du démon (Naïve, 2006)
- Anima motrix (Verticales, 2006)

Sur ce beau livre plein de points de suspension du sens (dans la deuxième partie du livre chaque paragraphe commence par (...) jusqu'au dernier repris ci-dessus), trois intéressants billets (de moins paresseux que moi) à lire :
- Claro, « Des bulles sous la banquise »
- Didier da Silva, « Une certaine qualité de vert »
- Marc Pautrel, « Agrandissement de l'espace mental »

jeudi 13 novembre 2008

prisonnière des lignes de fuite ?

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::: ce qu'on aurait envie de voir plus souvent en matière de livre numérique : Le Carnet d’or de Doris Lessing intégralement en ligne, dans un dispositif qui permet une lecture collective et une conversation à propos de cette lecture (merci à Virginie Clayssen)

::: ce dont on n’a pas envie est lumineusement décrit, dans « Marchands de bits », par Michel Valensi, qui a été l’un des premier, aux éditions de l'Éclat, à offrir des livres numériques gratuits (merci à François Bon)

::: mais il y a pire ! je suis « prisonnière » des lignes de fuite, me révèle Berlol ... est-ce qu’aucun chevalier pourfendeur de dragons ne croise dans les parages ?

mercredi 12 novembre 2008

les prix du jour

Le prix Décembre est attribué à Mathias Énard pour Zone (Actes sud) et le 21ème Goncourt des lycéens à Catherine Cusset pour Un brillant avenir (Gallimard).

les écrivains, ils ne servent à rien

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Et les écrivains ?
Les écrivains, ça fait peur.

Pourquoi ?
Parce qu’ils écrivent. Parce qu’ils ne disent rien.
Parce que leurs mots, c’est comme des coups de carabine, sauf que tu ne meurs pas. Tu les reçois en pleine gueule, tu as beau en extraire les plombs, les cicatrices sont indélébiles. Les mots des écrivains, il faut s’en méfier. Ils le savent tous, au village. Ils se méfient des mots depuis l’école. Ils savent que si tu fais une faute, tu te prends un coup de règle. Ils savent que s’ils n’apprennent pas leur leçon, ils reçoivent un coup de règle. Un bonnet d’âne. On les met au piquet. Ils deviennent à leur tour la risée du village. Au village, on n’aime pas les mots. On n’aime pas les lettres que l’on ne comprend pas. On n’aime pas les notables, les avocats, les notaires, on n’aime pas les gens qui se la pètent à coup de grammaire française. On n’aime pas les écrivains, mais eux, on n’a pas besoin de les aimer. Les avocats, ils peuvent toujours servir. Les écrivains, ils ne servent à rien.

Laurent Hérrou, Je suis écrivain (publie.net, 2008)

Laurent Hérrou a 41 ans et a publié :
- Laura (Balland, 2000)
- Femme qui marche (H&O, 2003)
- L’emploi du temps à New York 2007-2008 (publie.net, 2008)
Je suis écrivain (publie.net, 2008) raconte sa « résidence d’écrivain » dans un village : un plus long extrait là.

::: son blog, l’emploi du temps (avec Jean-Pierre Paringaux)

mardi 11 novembre 2008

des lois grammaticales persanophones

::: « Atiq Rahimi et P.O.L couronnés par le Goncourt ! »
::: « Le Goncourt 2008 a tout pour lui »

lundi 10 novembre 2008

un goncourt annoncé

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Le prix Goncourt 2008 vient d’être attribué à Atiq Rahimi pour Syngué Sabour. Pierre de patience (POL)

::: Ariane Chemin, « Un Afghan prix Goncourt ? »
::: Pierre Assouline, « En attendant le Goncourt » et « Un récit envoûtant venu de loin »
::: Alphonse Boudabard (lycéen), « Singué sabour d'Atiq Rahimi ou le choc du silence »
::: Martine Laval, « Un hymne à la liberté et à l'amour d'Atiq Rahimi »
::: Journal d’une lectrice
::: François Busnel, « L'Afghanistan larmes au poing »

Le Prix Renaudot 2008 a été décerné à Tierno Monénembo pour Le roi de Kahel (Seuil)

::: « Le Goncourt et le Renaudot attribués à... Grasset ? » (fluctuat.net)

d’avoir à continuer, on est ému

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Acceptant le don d’une vie réduite au geste de verser chaque jour dans le suivant. Aspirant au simple bouleversement d’humeur. Pousser une petite charogne sur le bord du chemin occupe un instant. Ce n’est plus à la fin ni plumes ni poils, mais une sombre manne en vain répandue. La terre, en dessous, est maintenue dans un étrange état, comme seule en peut donner l’idée une macération d’esprit dans un objet. Souverain séjour où tout s’accomplit. Rien ne diffère plus, et des tomberaux lointains défilent avec lenteur devant une paroi d’arbres auxquels s’appuie l’horizon. D’avoir à continuer, on est ému d’une émotion violente. (fragment VI, p. 8)

Billes tendres, poudreuses. Lancées loin devant, avec ferveur et fermeté. Pas comme à présent, pas comme on se déleste d’un trop-plein de paume ou d’on ne sait quoi dans la main. Ce mouvement calculé du bras, ce n’était encore l’aveu de rien. Il laissait aller, depuis la main jusqu’à l’épaule, toute la masse engagée. Il n’essayait pas de reprendre en achevant. L’instant d’après, celui qui le précédait même n’étaient pas de trop, on n’avait de semence en rien. Ni de ce temps projeté dans l’objet du jeu auquel l’âge, ou le sentiment de l’excès, vient mettre un terme. (fragment VIII, p. 10)

Dominique Quélen, Le temps est un grand maigre (Wigwam, 2007 ; publie.net, 2008)

Dominique Quélen est né en 1962 à Paris, et enseigne à Lille.
Il a écrit des livrets pour Aurélien Dumont et publié :
- Bas morceaux (Møtus, 1992)
- Vies brèves (Rafael de Surtis, 1999)
- Petites formes (Apogée, 2003)
- Sports (Apogée, 2005)
- Le Temps est un grand maigre (Wigwam, 2007 ; publie.net, 2008)
- Comme quoi (L'Act Mem, 2008)

::: « Loque » (remue.net)
::: « Villa des morts »
::: « Câble à âmes multiples »
::: notices Eulalie et Poezibao

dimanche 9 novembre 2008

moi aussi je veux un exosquelette

La soirée publie.net organisée par remue.net au Centre Cerise, je voulais y aller ; et puis j’étais trop malade et épuisée hier soir …

(tout pareil que Béatrice Rilos dont le billet m’a beaucoup fait rire, sauf que je ne suis pas en vacances, mais moi aussi je veux un exosquelette)

… mais grâce à Pierre Ménard et à François Bon, je peux voir et écouter quand même : merci beaucoup !

::: des photos et des mots aussi chez Philippe de Jonckheere
::: l'introduction au débat par Virginie Clayssen

::: « de la lecture » par Arnaud Maïsetti
::: « au plafond par Anne Savelli
::: « Ce qui est en train de se passer (c'est juste une révolution qui a démarré) » par Gilda

samedi 8 novembre 2008

connaissez-vous pitoupi ?

Connaissez-vous Pitoupi ? (Monsieur Dream propose aussi mises en abyme et making-of)

vendredi 7 novembre 2008

basse saison

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Je ne sais pas vous, mais moi l’attribution des prix littéraires ne me passionne pas excessivement cet automne : le blog Prix-littéraires permet de suivre tout de même ...

Après le Femina à Jean-Louis Fournier pour Où on va papa ? (Stock) et le Médicis à Jean-Marie Blas de Roblès pour Là ou les tigres sont chez eux (Zulma), le prix de Flore a été décerné aujourd’hui à un livre que j’ai lu, La meilleure part des hommes (Gallimard) de Tristan Garcia ; chose amusante, en 1999 le prix de Flore avait été attribué à l’un de ses « personnages », Guillaume Dustan.

Le Goncourt sera attribué lundi 10 novembre, de même que le Renaudot, et le prix Décembre le 12 novembre. Pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, dont la sélection est plus intéressante, il faudra attendre le 24 novembre.

jeudi 6 novembre 2008

comme une estampe marseillaise

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Était-il lâche ? Il se le demandait, accroupi sur un rocher, comme se mêlaient sur la mer noire les reflets blancs et jaunes de la lune et des ampoules au-dessus des paliers des cabanons de Malmousque - enfilade de maisonnettes et de terrassettes en ciment autour d'un petit port de pêche mûr pour la carte postale, abstraction faite de l'intempestif djembe d'un groupe de faux babs pubescents. Lâches, ses muscles ou ce qui en tient lieu sont loin de l'être, en tous cas, lorsque, exemple courant de sa couardise, il est piégé par la nécessité de monter en voiture : l'expérience se solde toujours par une sueur moite, la rétraction frileuse de ses orteils et un agrippement hystérique de la poignée de la porte, tout véhicule décélérant surgissant ou doublant fournissant le prétexte d'une vision d'accident (s'il avait été catholique, la répétition de ses signes de croix aurait fait l'effet d'un ventilateur). Ce sport ne lui paraît aussi dangereux que parce qu'il ne sait pas conduire, lui dit-on, mais il n'en croit rien, sans aller jusqu'à invoquer des histoires de desperados fonçant à contresens en face desquels la plus grande prudence ne vaut pas tripette il faut bien que les statistiques glaçantes de la sécurité routière soient alimentées par de vraies morts, là, tout de suite, maintenant. Ses alarmes faisaient rire, il plaçait bien trop bas le seuil de l'intrépidité, ce fil à quoi tout tient l'obsédait trop, les parques n'étaient pas des garces la main sans cesse crispée sur le ciseau. Cette fille soûle aux cheveux filasses qui se défaisait d'un sari coûteux pour sauter lourdement dans l'eau, sans s'assurer que des roches acérées ne l'y attendaient pas sous la surface, était dotée d'une telle confiance, il aurait aimé ne pas craindre de réveiller une carie en croquant la vie à pleines dents. Tout en se reprochant cette locution atroce - non mais franchement, croquer la vie à pleines dents - il se tâtait à n'en plus finir, l'idée d'un bain de minuit anticipé l'attirait sauf que l'eau serait froide, qu'il n'avait pas de maillot, qu'il détestait la sensation du sel séché brûlant la peau, qu'avec sa chance il y aurait des méduses, et patati et patata. (p. 29-30)

Sa misanthropie n'est qu’une fine et craquante couche de glace sur un lac d'amour pour l'humanité. S’en tenir à ce que les gens montrent et font lui donne le droit de préférer tel ou tel individu ; car sinon il est prêt à tout excuser, c'est si dur d'exister. Heureusement cette tendresse un peu mièvre qui le porte vers son prochain pour voir en lui l'enfant désemparé et le mort en sursis est sans cesse combattue par la très réelle sottise, la grossièreté impardonnable et l'égoïsme pétulant dont tout un chacun témoigne et pour lesquels il a aussi des capteurs finement réglés. Un rien le blesse. Une expression, un mot, moins qu'un mot, une façon de le prononcer, peuvent suffire à faire rétrograder quelqu'un dans son estime jusqu'à des limbes dont il ne s'extraira jamais, cette intransigeance est extravagante mais aucune preuve d'intelligence n'arrivera à corriger l'impression faite par un mot exécré, rien selon lui n'est moins excusable qu'un défaut d'oreille, plutôt absoudre un crime. Bref, un rempart de contradictions lui dérobe la moindre certitude, sa spontanéité se noie dans un océan de scrupules - ce qui se traduit dans la vie réelle par l'opinion largement répandue que Sam n’est pas cool. (note en bas de page 58)

Treize mille jours moins un (Léo Scheer, Laureli, 2008)

En abandonnant l’exotisme et le prétexte du voyage de son premier roman Hoffmann à Tôkyô (Naïve, 2007), le deuxième livre de Didier da Silva gagne en acuité de la phrase et du trait : un narrateur « agaçant comme un miroir » (dit très justement la notice de son éditrice), auquel on (je en tout cas) s’identifie à chaque page ; et autour de lui la ville de Marseille, peinte avec la délicatesse et les nuances extrêmes d’une estampe japonaise, dans ses beautés et ses laideurs, ses vides vertigineux et ses trop-pleins de vie.

::: sur son blog, la photo du livre et de son auteur, qui ces jours-ci scrute les nuages et les nombres, le 13 ou le 377.

::: un extrait là (accompagné d’un dessin) et un autre ici

::: le premier chapitre à feuilleter (je recommande l’incipit particulièrement réussi)

::: « Une soixantaine de chips au paprika », une « critique libre » de Feint.

mercredi 5 novembre 2008

le sentiment que l'humanité progresse

... parfois, tout de même et même si.

mardi 4 novembre 2008

autres phénomènes inexpliqués

Le classement wikio des blogs fait tous les mois son intéressant en changeant les paramètres du calcul de notoriété :

« Évidemment ce blog monte comme une flèche (entrée dans le top 10). Ça ne me plaît qu'à moitié parce que les mauvaises langues vont sûrement dire que je règle les paramètres pour me faire monter, ce qui n'est pas le cas. Mais bon. La caravane passe. Vous n'aviez qu'à pas me lier comme des malades. »

écrit Jean Véronis, l'un des paramétreurs, qui nous explique tout cela très scientifiquement (puisqu'on vous le dit!).

Étrange, le coup de la première place au classement littérature récupérée in extremis par Pierre Assouline après avoir été attribuée à Clarabel : dommage, puisqu’il paraît que le nouveau classement favorise « les blogs de filles », celui-ci aurait mérité de crever le plafond de verre ...

quant à moi, comme je suis une fille, je monte, mais pas vraiment en flèche !

storytelling ?

Est-ce que les spin doctors en sont à hâter le trépas des grand-mères de candidats pour gagner quelques voix … dites-moi que nous n’en sommes pas encore là ?

lundi 3 novembre 2008

perversement amoureuse d’une musique de l'illisible

Nous savons tous qu'il est hasardeux d'analyser la production post-exotique quand on emploie les termes que la critique littéraire officielle a conçus pour autopsier les cadavres textuels dont elle peuple ses morgues. L’exercice est possible, mais au prix de contorsions mentales qui font du post-exotisme un lieu de rendez-vous pour élites schizoprènes et hautaines, perversement amoureuses d’une musique de l'illisible.
Le passage au crible de la critique traditionnelle a cet effet : il déçoit, mais, surtout, il rend hideux et il tue. Des instruments non adaptés lacèrent le texte et ils l’écrasent, ils ne réussissent pas à en démonter les rouages, ils s’appuient sur des domaines de réflexion que nous n’avons fait qu’effleurer, par exemple le statut esthétique du narrateur ou de la narratrice, et ils négligent ce qui pour nous est essentiel, comme le degré de dégradation de la voix qui parle, ou sa relation amoureuse avec la mémoire de Wernieri, de Maria Schrag ou de Maria Clementi, etc., ou l’angle d’attaque par quoi nos héros exposent leur détestation de l’ennemi.
De plus, le recours à des outils qui appartiennent, au bout du compte, à une autre science, emmaillote nos textes dans une logique qui ne peut les abstraire du mouvement artistique contemporain et, au contraire, les y ramène de façon abusive, de façon déloyale, parfaitement absurde. À défaut de trouver pour le post-exotisme une place convaincante, on le relègue au sein des avant-gardes, envers lesquelles, il faut bien le dire, sa relation est la même qu’envers le reste du monde non carcéral. Le post-exotisme est une littérature partie de l’ailleurs et allant vers l’ailleurs, une littérature étrangère qui accueille plusieurs tendances et courants, dont la plupart refusent l’avant-gardisme stérile. (p. 59-60)

Antoine Volodine (et alii) , Le post-exotisme en dix leçons, leçons onze (Gallimard, 1998, p. 59-60)

::: Berlol a relevé sa robe de bure et montre, avec sa « sagesse joliment potelée », qu’il est possible d’éviter l'écueil (même si personnellement il ne me déplaît pas vraiment d’appartenir à une élite schizoprène, « perversement amoureuse d’une musique de l'illisible » ).

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