lignes de fuite

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dimanche 2 novembre 2008

des livres gratuits

sibylle_erithrea.jpg

Pour vos tablettes et écrans en tout genre, les dimanches pluvieux et les autres jours, KotKot propose un moteur de recherche de livres numériques gratuits ; vous pouvez aussi créer le votre, d'ailleurs.

::: voir aussi : où sont les livres ?

samedi 1 novembre 2008

pérégrinations en mode gnognotte

emilie_noteris.jpg

First of all,
vous avez opté pour le mode « narrations expérimentales parallèles » que vous avez réussi à tenir 40 heures 12 minutes et 15 secondes ce qui est particulièrement remarquable.
Vous avez retenu le level « confirmé » qui convenait mieux à l'étendue de votre savoir empirique de hardgamer.
Vous avez piloté votre avatar 48 heures 45 minutes et 39 secondes au total dans le game. Vous avez battu le record des précédentes immersions narratives (IGC).
Félicitatiooons sujet Ulyss.
Le bug report indique qu'après 40 heures 12 minutes et 15 secondes vous avez enchevêtré les deux narrats.
Vous avez freezé engendrant un gameover 8 heures 33 minutes et 24 secondes plus tard.
Vous êtes allé très loin au cours de cette séance et avez su étirer la partie malgré le bug.
Ce qui en soit est une performance.
Nous avons appris beaucoup ces dernières 48 heures.

Néanmoins, vous avez perdu de nombreuses HP (health points) en choisissant de développer plus volontiers vos pulsions perverses sado-masochistes (PPSM) que les pérégrinations en mode gnognotte (PMG). Les autres s'étaient cantonnés jusqu'alors à des scénarios plus confort.

La complexité de votre récit a engendré une certaine frayeur distillée parmi les membres du staff, nous avons douté de votre capacité à maîtriser l'odyssée, et ce à plusieurs reprises.
Adrénaline et suspense nous ont tenus en éveil, pendant cette période de gestation in fabula dans le Métaverse.
Heureusement vous avez su redresser la barre et hack & slasher commodément les obstacles qui vous auraient laissé pour mort si vous n'aviez pas usé du mode « respawn » après chaque intervalle de vivisection, permettant une suspension volontaire d'incrédulité nécessaire à la poursuite de la chimère narrative en real time strategy.
Vous n'avez même pas souffert du mal de rez.
Bravo. Bravo. Vraiment.

Émilie Notéris, Cosmic Trip (IMHO, 2008, p. 103-104)

Même si je préfère les scénarios « en mode gnognotte », avec moins de sang sur les murs, ce Cosmic trip là est une expérience à faire absolument, pour le collage des images, des typographies, des citations littéraires, philosophiques, filmiques, le montage au scalpel, et surtout pour la langue novatrice et mordante.

Écrivaine et plasticienne, Émilie Notéris est née en 1978.
Elle fait partie de l’équipe de la revue Tina, a participé à Hoax (è®e, 2008) et codirigé avec Jérôme Schmidt J.G. Ballard, hautes altitudes (à paraître en novembre aux éditions è®e).

ses blogs :
Déco®actif
>TXT<
>BOOK<

vendredi 31 octobre 2008

ça s'appelle grandir petit écrivain

amanda_sthers_keith_me.jpg

Keith. Keith. Keith Richards. Oui, je suis ce visage étouffé de rides, criblé des chemins qu'il n'a pas choisis, des vies qu'il a prises dans le ventre. Oui, je suis cet homme comme je suis les femmes qu'il a aimées. Oui, je sens son chagrin et j'aime son sourire. Mille fois Mick m'a serrée dans ses bras. Mais c'est Keith que je regardais par-dessus son épaule. Keith penché sur sa guitare. Les Rolling Stones à fond dans ma voiture, la main d'un garçon qui remonte sur ma cuisse. Les Stones dans le salon, je cours derrière mon frère et ma sœur. Le disque saute un peu. Papa chante par-dessus. Les Stones sur la guitare de mon frère. Le poster des Stones dans ma chambre. La langue rose que je tire devant le miroir. Angie qui couvre mon chagrin. Pourquoi on se penche sur un être ? Pourquoi on tombe amoureux ? Comme ça... Pour toutes les raisons du monde, à cause de nos putains de cerveaux malades. Mais on tombe. On se relève parfois, les genoux écorchés. Keith ne m'a jamais fait mal. On a eu du chagrin tous les deux. Il m'a fait faire des choses que je n'aurais pas osées seule. J'ai peur d'abîmer mon corps, je verse la drogue dans les veines de Keith et j'en prends les effets. Sur le visage, j'ai celui de Keith Richards. Je ne suis pas amoureuse de Keith. Je suis Keith, comme on se regarde parfois de si près dans le miroir qu'on ne se reconnaît pas. (p. 9-10)

Si les gens me voyaient. Le petit écrivain en jogging avec son iPod. Les mains en l'air comme une ado. Le petit écrivain qui écoute de la guitare à fond pour comprendre qui est Keith Richards. Elle s'est fait plaquer le petit écrivain ? Pas vraiment, elle est partie. Elle a de l'orgueil le petit écrivain et même les jambes coupées, elle marche la tête haute. Même des larmes dans les yeux, elle ne les baisse pas. Non, non. Mais qu'est-ce qu'elle connaît à la douleur ? Oh... On l'a trompée... Pauvre petit écrivain... Pauvre chou blond. Ça a deux enfants ça ? Ça a une cicatrice de césarienne ? Incroyable... Et même une raie des fesses ? C'est mignon, on dirait une grosse tirelire. Alors ça fait quoi d'être mariée à un mec connu, puis plus ? Puis de ne pas avoir de table au restaurant... C'est important ça, dans la vie, les tables au restaurant... Vous faites bien de me poser la question. J'aurais dû m'asseoir la tirelire sur mon honneur pour pouvoir continuer à avoir la meilleure table au restaurant ? Tu crois ? Tu crois que tu vas avoir une ride, dis, petit écrivain ? Tu crois que Keith va te donner de son vécu ? Ou tu vas rester conne et naïve. Tu crois que les portes vont se refermer sur tes doigts, petit écrivain ? Que je ne pourrai plus écrire, que Keith va s'arrêter de jouer, lui aussi... Qu'il est temps d'arrêter tout ça. Si les gens te voyaient. Si les gens te voyaient telle que tu es. Comme ils pleureraient. Comme ils riraient. Est-ce que Keith peut transformer leurs rires en musique pour toi ? Tu crois ? Oui, oui on va le lui demander gentiment... Et tu vas dépoussiérer l'intérieur de ton cœur. Te détacher des gens. Tuer la nostalgie avec ce que tu veux, un couteau, un regard, d'autres bites. Ça s'appelle grandir petit écrivain. Ça s'appelle le cynisme et c’est ça qui fait qu’on devient grand et qu’on devient une connasse. Tu croyais quoi ? Qu’on devenait rock star petite fille qui gribouilles des petits mots ? Non, personne ne devient rock star. Personne sauf moi. (p. 86-88)

Amanda Sthers, Keith me (Stock, 2008)

Bon je sais vous allez certainement me conseiller de lire d’autres et de meilleurs livres sur les rockers, mais j’avais envie de voir comment le petit écrivain blonde et pipole, encore jamais lue mais intéressante dans sa rage à ne pas vouloir être un petit écrivain blonde et pipole, entre dans la peau du rocker : la fusion, façon Alien dit Michel Field, ou façon écrivain tout simplement, est assez réussie.

Amanda Sthers est née en 1978 et a publié :
- Ma place sur la photo (Grasset, 2004)
- Chicken street (Grasset, 2005)
- Le Vieux Juif blonde : théâtre (Grasset, 2006)
- Thalasso : théâtre (L'Avant-scène, 2007)
- Madeleine (Stock, 2007)

::: d'autres extraits lus

jeudi 30 octobre 2008

sous le masque de la normalité

philippe_honore.jpg

C'est un homme qui vit continuellement dans la peur, mais personne d'autre qu'elle ne le soupçonne. Même avant Martin, il était incroyablement fragile, dans le doute, le trouble, la systématique dévaluation de lui-même, l'impossible quiétude. Seule sa femme, son alliée, sa confidente, le sait. Les autres non. Par exemple, ceux avec qui il va devoir batailler dans quelques instants, ses associés, ses actionnaires, eux, il saura les époustoufler par son éloquence, son autorité avisée, son sens de la formule, cette capacité d'être à la fois diplomate et convaincant. Chacun, depuis trente ans - déjà à l'Université -, l'admirait pour ses qualités : « Ce Maisne, quel type ! » Et s'il n'avait jamais voulu d'amis trop proches, c'était justement pour que personne ne s'aperçût que, sous son impressionnante carapace d'homme d'affaires, il n'y avait rien, rien que du sable ; même pas du sable : de la glaise, infiniment modelable. Et la peur qui l'étreint chaque nuit, et la peur qui le ronge dès qu'ils se retrouve seul. L'insupportable folie du remord qui le submerge lorsqu'il est sans activité, livré à la vacance de la réflexion.
Seule Jeanne a su le démasquer et l'aimer pour ce qu'il est, sans réserve, irréversiblement. Jeanne la magicienne, Jeanne la prodigieuse. Jeanne. Sans elle, il se tuerait. Jeanne. (p. 20-21)

Avant de le rencontrer, elle n'était rien. Sinon cette petite fille modèle version comtesse de Ségur. Élève studieuse, elle joue du violon, fait de la danse classique, est habile de ses mains et résistante à l'effort. Elle recueille tous les suffrages, surtout ceux de ses parents, qui la citent sans cesse en exemple auprès de sa sœur aînée, Alice, tellement plus indisciplinée qu'elle. Personne ne voit qu'elle est atteinte d'une maladie mortelle qui va sans doute un jour l'emporter ; une maladie qui la ronge : l'ennui. Elle ne se souvient que de cela du plus loin qu'elle cherche : une lassitude et un désintérêt pour tout.
Effrayant à quel point elle s'ennuie. Épuisant, l'effort qu'elle fait pour paraître heureuse et concernée par le bruit de la vie. Mais à quoi lui aurait servi de se plaindre, de rechigner, de faire preuve d'agressivité ou de mauvaise humeur ? Alors, surtout, ne pas se faire remarquer, être la plus banale possible et afficher, telle une cicatrice, un sourire qui depuis l'enfance ne la quitte jamais. D'ailleurs, est-ce qu'une petite fille connaît ces mots : mélancolie, apathie, engourdissement ? Elle n'attendait qu'un moment, celui où elle allait retrouver son lit et s'engouffrer dans l'abandon du sommeil. N'être plus rien, enfin. Fuir comme au profond d'un miroir, espérant que de l'autre côté quelque chose pourra enfin la retenir et que, le lendemain, elle ne se réveillera plus. Qu'elle n'aura pas à connaître cet instant si douloureux où recommence, où continue l'épuisante comédie, la fastidieuse obligation de faire ce qu'elle croit qu'on attend d'elle. Faire avec. Faire semblant. Elle ne renâcle pas ; elle continue à agir comme les autres, un peu mieux que les autres parce qu'elle n'y attache aucune importance. Diplômes, amitiés, amourettes, voyages, divertissements, tout cela, elle s'y prête gaillardement. Elle s'y cogne avec son éternel sourire..., de rêveuse dit-on. (p. 85-87)

Philippe Honoré, L'obligation du sentiment (Arléa, 2008)

Dans le genre un peu rebattu du roman mauriacien de la famille monstrueuse sous le masque de la normalité, L'obligation du sentiment est d’une redoutable efficacité, notamment parce qu’il commence par prendre pour narrateurs successifs ceux que dans la vraie vie la presse unanime qualifierait de « monstres », et les rend de ce fait complexes, pathétiques, humains.

Né en 1965, Philippe Honoré a été directeur de théâtre et adapte des œuvres littéraires pour la scène. Son premier roman, La Mère prodigue, est paru en 2001 aux éditions du Bord de l’eau.

::: chez Clarabel
::: Pascal Bruckner (BibliObs)

mercredi 29 octobre 2008

post scriptum animal felix

« Passés ces quelques jours de gloire consécutifs à la sortie des Travaillants, les dîners au Fouquet's et autres télégrammes des grands de ce monde, il est temps maintenant de se remettre au travail. »

Grégoire Courtois, 29 octobre 2008

livre électronique

::: merci à Evelien Lohbeck !

mardi 28 octobre 2008

il faut être debout

« Assis ! Debout ! Couché ! » (trois monologues)
Performance à la Galerie Mycroft, 7 septembre 2008

Grégoire Courtois dit troudair propose également en ligne et gratuitement un intéressant roman d’anticipation (?), Les travaillants :

Nous avons cinq pauses par jour, et nous avons une nuit.
Ces moments sont les champs de bataille temporels de notre guerre.

De 5 heures à 8 heures, nous travaillons.
De 8h15 à 11h15, nous travaillons.
De 11h30 à 14h30, nous travaillons à nouveau.
De 14h45 à 17h45 nous travaillons encore.
De 18h45 à 21h00, nous continuons de travailler.
Et de 21h15 à 00h15 nous travaillons enfin.

Un dehors de ces horaires, nous sommes libres et luttons pour tenter de le rester.

Notre bureau, c'est notre vie.
Personne aujourd'hui ne se souvient du temps où les hommes n'habitaient pas leur lieu de travail, pas plus que des siècles profonds où le travail consista en une activité quelconque.
Ce que nous savons, c'est que les jours morts aujourd'hui s'étirent sans qu'il y ait rien d'autre à faire que porter de l'eau à ébullition, la boire, tuer et éviter de se faire tuer.
C’est ce monde que nos prédécesseurs nous ont laissé, probablement parce qu'eux-mêmes en avaient hérité.
Ces box sont nos demeures, cette moquette notre terre, ces collègues nos concitoyens, et malheur à celui qui renonce à ces quelques droits fondamentaux, car pour un tel homme, il ne reste plus que la rue, et même si aucun d'entre nous n'y a jamais mis les pieds, nous savons qu'aussi rude soit notre condition, aussi pénible notre existence, il n'y a rien de pire que la rue. (p. 6)

L'histoire du travail est la première histoire qu'un travaillant connaît quand il devient travaillant.
C'est l'histoire première, celle qui lui apprend qui il est, et pourquoi il est là.
Dans cette histoire qui remonte aussi loin que le travail lui-même, il est dit qu'il n'exista pas d'époque où le travail ne fut pas la seule et unique raison d'être en vie. Le travail, et le combat pour le conserver.
Lorsque sortis de la nurserie, survivants incrédules au deuxième mois de notre existence d'adultes, nous avons commencé à poser des questions à nos collèges, toujours avons entendu les mêmes réponses, et toujours cette même histoire, afin qu'à notre tour, bien plus tard, toujours n'avons pu que les répéter aux remplaçants qui nous questionnèrent.
Il faut travailler car notre travail est notre dignité, l'unique chose qui permette de nous différencier des sauvages que la rue a dévorés et dont la vie n'est pas même utile à elle-même, électrons impassibles jetés sur l'orbite chaotique de leur propre inconsistance.
Le travail est une foi, une évidence ultime qui nous rend humain et qui répond à la seule question que nous aurions pu nous poser : pourquoi ?
Le travail est cette réponse, et cette réponse porte en elle le bulbe amorphe du reste : si jamais nous cessions de travailler, que resterait-il à faire ?

Dès que les premiers rayons du soleil changent l'obscure épaisseur nuageuse en masse côtoneuse striée de pluie noire, nous nous postons devant nos écrans afin de suivre l'évolution de l'impensable réseau de machines qui gère notre monde. Disposés sur 80 lignes, 106 colonnes et 32 niveaux de netteté, les lots de données défilent à rythme variable, en fonction de leur importance ou de leur urgence. Nos yeux halaient l'information brute que les nurses nous ont appris à décoder à l'aube de notre vie, dans les quatre sens, du haut vers le bas, du bas vers le haut, de gauche à droite et de droite à gauche selon un maillage que chacun s'amuse à personnaliser.
Nous surveillons les flux de capitaux.
Nous surveillons le cours des actions.
Nous surveillons la valeur des indices, les rapports de fonctionnement. les bilans trimestriels, les fusions et acquisitions, les krach, les embellies, les naissances et les morts, enchevêtrement fluide de chiffres et de mots qui passent devant nos yeux comme une vivace nature en perpétuelle accélération.
Chacun joue un rôle, le même, et ce rôle est garant du bon fonctionnement du monde.
Le travaillant surveille. Et cette surveillance lui permet de continuer à travailler.

Lors de nos premières heures de travail, si la fortune nous a permis de rencontrer un collègue, et que ce collègue est assez amical pour nous répondre, nous ne manquons pas de demander la marche à suivre en cas de problème. Que faire si une anomalie est détectée, si un système est déréglé, ou si une erreur est commise.
Le collègue amical apporte alors la réponse que tous les travaillants connaissent :
il n'y a jamais d'erreur dans le système.

Nous ne travaillons pas pour surveiller. Nous surveillons pour travailler.
Car sans travail, nous serions laids et sauvages, inutiles et indignes.

C'est ce que nous raconte l'histoire première, et chaque jour nous confirme son exceptionnelle pertinence. (p. 17-18)

::: d’autres textes
::: l’avis de Chloé Delaume

lundi 27 octobre 2008

adhérer par le déphasage

agamben.jpg

Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel ; mais précisément pour cette raison, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir son temps.
Cette non-coïncidence, cette dyschronie, ne signifient naturellement pas que le contemporain vit dans un autre temps, ni qu'il soit un nostalgique qui se reconnaît mieux dans l'Athènes de Périclès ou le Paris de Robespierre ou du marquis de Sade que dans la ville ou dans le temps où il lui a été donné de vivre. Un homme intelligent peut haïr son époque, mais il sait en tout cas qu'il lui appartient irrévocablement. Il sait qu'il ne peut pas lui échapper.
La contemporanéité est donc une singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances ; elle est très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l'anachronisme. Ceux qui coïncident trop pleinement avec l'époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons mêmes, ils n'arrivent pas à la voir. Ils ne peuvent pas fixer le regard qu'ils portent sur elle.

Giorgio Agamben, Qu'est-ce que le contemporain ? (Rivages Poche, Petite Bibliothèque, 2008, p. 9-11)

dimanche 26 octobre 2008

il est 2h59 ... puis il est 2h

impayable (bis)

Ne prenez pas au sérieux les exagérations de mon ire. N’allez pas croire que je compte « sur la postérité pour me venger de l’indifférence de mes contemporains ». J’ai voulu dire seulement ceci : quand on ne s’adresse pas à la foule, il est juste que la foule ne vous paye pas. C’est de l’économie politique. Or, je maintiens qu’une œuvre d’art (digne de ce nom et faite avec conscience) est inappréciable, n’a pas de valeur commerciale, ne peut pas se payer. Conclusion : si l’artiste n’a pas de rentes, il doit crever de faim ! On trouve que l’écrivain, parce qu’il ne reçoit plus de pension des grands, est bien plus libre, plus noble. Toute sa noblesse sociale maintenant consiste à être l’égal d’un épicier. Quel progrès ! Quant à moi, vous me dites : « soyons logiques » ; mais c’est là le difficile !
Je ne suis pas sûr du tout d’écrire de bonnes choses ni que le livre que je rêve maintenant puisse être bien fait, ce qui ne m’empêche pas de l’entreprendre. Je crois que l’idée en est originale, rien de plus. Et puis, comme j’espère cracher là-dedans le fiel qui m’étouffe, c’est-à-dire émettre quelques vérités, j’espère par ce moyen me purger, et être ensuite plus olympien, qualité qui me manque absolument. Ah ! Comme je voudrais m’admirer !

Gustave Flaubert, Lettre à George Sand, 12 décembre 1872

samedi 25 octobre 2008

l’abominable temps qui court

Pourquoi publier, par l’abominable temps qui court ? Est-ce pour gagner de l’argent ? Quelle dérision ! Comme si l’argent était la récompense du travail, et pouvait l’être ! Cela sera quand on aura détruit la spéculation : d’ici là, non. Et puis comment mesurer le travail, comment estimer l’effort ? Reste donc la valeur commerciale de l’oeuvre. Il faudrait pour cela supprimer tout intermédiaire entre le producteur et l’acheteur, et quand même cette question en soi est insoluble. Car j’écris (je parle d’un auteur qui se respecte) non pour le lecteur d’aujourd’hui, mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra. Ma marchandise ne peut donc être consommée maintenant, car elle n’est pas faite exclusivement pour mes contemporains. Mon service reste donc indéfini et, par conséquent, impayable.

Gustave Flaubert, Lettre à George Sand, mercredi 4 décembre 1872

::: mais, même par l’abominable temps qui court toujours, il y a des écrivains qui sont heureux de publier un livre et n’hésitent pas à le dire et à le montrer : ou , par exemple.

vendredi 24 octobre 2008

savoir à quoi ressemble la dame

::: si vous aussi vous utilisez avast, je suis sûre que vous serez ravis de savoir à quoi ressemble la dame dont la voix suavissime surgit à intervalles réguliers de votre pc pour vous informer du fait que « la base des signatures de virus a été mise à jour » :::

jeudi 23 octobre 2008

nous sommes tous des mille-vies

Le lait de douche a un parfum d'amande. Tout en me savonnant sous l’eau tiède, je me dis que si je n’avais pas accepté certains rôles, ma vie tout entière aurait été différente. Si je n'avais pas été Maria, la jeune fille au visage pur et aux mains meurtrières, j'aurais probablement continué à jouer des ingénues plus longtemps, et cela n'aurait pas seulement affecte ma carrière, mais ma vie tout entière... J'aurais pu être lisse jusqu'à la fin des temps, confinée dans ce type de rôles.
J'aurais continué à faire des films pour avoir un métier, sans même le choisir vraiment.
Je me serais dit que la vie d'actrice n'est pas toujours aussi romanesque qu'on croit.
Je me serais peut-être effacée, à force du jouer ces rôles-là. Ma fadeur aurait été stigmatisée, le public en aurait eu assez de cette jeune femme trop simple, les réaIisateurs se seraient fatigués de ce visage trop parfait, ils se seraient passé le mot, j'aurais été obligée d'arrêter ma carrière avant même de l'avoir vraiment commencée.
J'étais devenue actrice par hasard, j'aurai cessé de l'être par choix.
J'aurais coulé des jours calmes et pareils les uns aux autres, entourée du mes enfants, j'en aurais eu quatre ou cinq, et j'aurais rêvé dans ma cuisine aux mille vies que j'aurais pu avoir, comme dans un roman de Régis Jauffret. J'aurais joué, en somme, mais en silence.
Bien des jolies filles devenaient des mères au foyer parfaites.
J'essuie du revers de la main quelques gouttes écrasées sur le rebord du lavabo. (p. 12-13)

J'ai pose pour des milliers de photos dans ma vie. J'ai eu des milliers de visages différents. Gamine, délurée, bourgeoise, séductrice,élégante, raffinée, sexy, femme de tête.
Une autre Cindy Sherman. Derrière mon visage impassible vivent toutes les possibilités de moi. Et je me sens être multiple, ou rien.
Peut-être que mes différents visages, finalement, au lieu de me définir, une femme et sa singularité, ne font qu'affirmer que Dorine M. n'existe pas. Peut-être n'avons-nous pas un seul moi, mais au contraire de multiples fictions du moi. Nous sommes tout à la lois, la maman et la putain, la femme de tête et la soumise, la Fille aux yeux clairs et Grisélidis, toutes issues de la résistante et de la fille des yéyés, nous n'avons pas une identité individuelle, mais plutôt diverses figures collectives que nous empruntons selon le contexte : la fille de joie, la fille à papa, la femme fatale. Des figures, des costumes en fonction du rôle à jouer. Chacune d'entre nous porte en elle l'existence de toutes les autres, et passera par les mêmes moments, bons ou mauvais.

Il n'y a peut-être pas de vrai moi, seulement les différentes apparence, friables, que nous prenons au fil des années, selon le regard des autres sur nous, et les événements extérieurs. Chez les actrices, cela se voit juste un peu mieux, c'est tout. Pas de vraie Dorine M., mais de multiples Dorine M. Fictions de l'intimité. Simulacres de l'existence, qui cherchent à nous faire croire que nous sommes uniques.
Nous avons tous une vie réelle et des vies imaginaires, et aucune ne doit primer sur les autres. Il s'agit de garder l'équilibre. (p. 108-109)

Tout me semble absurde, décousu. Et soudain la vie me semble aussi destructurée que des rushes : moments sans lien les uns avec les autres, que j’essaie de mettre bout à bout, d’organiser ; des morceaux de temps que j’agrège ; un film que je montre au fur et à mesure que je le tourne.
Ordonner le chaos. Essayer de choisir entre les prises, entre les diverses expressions du visage et les inflexions de voix, les différents sens d’un mot selon la façon qu’on a de le prononcer.
De peur de ne rien y comprendre, nous inventons un récit. Chaque épisode de notre vie n’existe que parce que nous avons fait l’effort de le raconter. Nous inventons une histoire avec tous ces instants épars, nous décidons qu’un figurant devient un premier rôle, qu’une scène en flash-back devient la cause de ce qui nous arrive. Dans chacune de nos vies, il y a des second rôles, des jeunes premiers, des régisseurs.
Nous sommes tous des interprètes. C’est notre enfermement, et notre liberté. Nous sommes Manon Wilms et la Veuve Ching. Nous sommes Dorine Morel, si l’on veut. Et puis nous-mêmes, dans cette histoire que nous nous racontons chaque jour.
Nous sommes des mille-vies. La nôtre est composée de toutes celles que nous avons vécues en songe l’espace de quelques minutes, quelques après-midi, quelques années.
Sans fiction, nous ne pouvons pas vivre. (p. 151-152)

Delphine Coulin, Les mille-vies (Seuil, 2008)

Delphine Coulin est aussi réalisatrice, et a publié :
- Les traces (Grasset, 2004)
- Une seconde de plus : nouvelles (Grasset, 2006)

des critiques en ligne :
::: Chez Clarabel
::: Livres de malice
::: Pierre Assouline

mercredi 22 octobre 2008

je dépasse un peu de je ne sais plus quoi que j'exagère

anne_parian_une_ligne.jpg

5
Uccellini
leur dispersion
je reprends
grammaticalement le sexe
dans la grammaire dit
dans l’ombre de la grammaire
nie l’angélisme apparié
d’une implacable logique
Aussitôt que je vous vis continué
dans dès que je vous voyais
Aussi près que je puisse me tenir
dans aussi longtemps que je puisse
y tenir exactes réparties
de baleines de loups de souris
à quel point préférer
se taire sinon
que la grammaire en absout
en absout
répétez la négation après
moi déplier le tracé
seulement je dépasse
un peu de je ne sais
plus quoi que
j’exagère

Anne Parian, Une ligne (Éric Pesty , 2008)

Pour « déplier le tracé » des mots de l'intime comme celui du dessin : ligne, perspective, spirale baroque ...

les avis de :
::: Nathalie Quintane (Sitaudis)
::: Sébastien Smirou (Si tu vois ce que je veux dire)
::: Litote en tête

::: sur = jonchée, poésie dure (Les petits matins, 2008) dans lignes de fuite

mardi 21 octobre 2008

les blogs ne sont pas des outils sérieux

... qu'on se le dise ! la saison 3 de « Candide et le conservateur », série à suivre absolument, commence très fort.

lundi 20 octobre 2008

la bonne équation entre le trou et son comblement

rosenthal_viande_froide.jpg

On peut mettre un tas de choses
matérielles
et immatérielles
dans un trou
il est d'ailleurs primordial
de ménager dans son existence
des espaces vides
afin de se donner le loisir
de les remplir.

Une existence pleine
est une existence dans laquelle
on a su trouver la bonne équation
entre le trou et son comblement.

Si on comble trop vite
les spécialistes vous le diront
on risque
de ne pas prendre suffisamment en compte
les fondations.

Mais si on laisse trop longtemps à l'air libre
cela produit des désordres et des déséquilibres
qui peuvent ensuite
causer dégâts et préjudices
irréversibles

tout est question de calendrier. (p. 24-25)

Les anciens ne sont pas revenus sur le site. Ils sont restés chez eux. Ils ont pensé à autre chose. Ils ont poursuivi leur existence ailleurs. Ils ont dit la vie continue, ça ne s'arrête pas à, le service a été fermé mais heureusement y a pas mort d'homme. Quand les travaux de réhabilitation ont commencé, on leur a proposé de visiter mais rares sont ceux qui se sont manifestés. Avec le temps, forcément, y avait eu mort d'hommes. Mais aussi de la réticence. De la crainte. De l'émotion. Revenir là où on a travaillé pendant plusieurs décennies pour quoi faire. Pour voir quoi. II n'y a rien à voir. C'est troué. C'est cassé. C'est bouleversé. C'est détruit. C'est creusé. C'est traumatisé. À quoi ça sert de venir. C'est ouvert. C'est blessé. C'est plein de cicatrices. C'est bétonné. C'est transformé. C'est méconnaissable. (p. 43)

Il y a beaucoup de monde qui travaille au 104 de la rue d'Aubervilliers. Mais il y en a moins que par le passé, quand le 104 était une entreprise de Pompes funèbres qui marchait bien, qui était active, qui était rentable. À l'époque, mille cinq cents employés environ venaient chaque jour sur le site, qui pour découper le bois, qui pour vernir les cercueils, qui pour coudre les tentures, laver ou réparer les corbillards, nourrir les chevaux puis les moteurs, choisir et recevoir les fournisseurs, visiter les chefs d'atelier, parler aux familles, aller chez le coiffeur, manger à la cantine, faire cirer ses bottes ou draguer les secrétaires. C'était une activité tous azimuts qui mettait aux prises des vivants bien entraînés, entreprenants, joyeux, blagueurs, souvent alcoolisés et presque essentiellement de sexe masculin, avec la mort. (p. 54)

Le 10 mars, monsieur P. me rencontre par hasard sur le chantier. Notre entretien doit avoir lieu le lendemain. Il me demande, me semble-t-il avec une pointe d'inquiétude, ce que j'attends de notre rendez-vous et comme je réponds que je n'attends rien de particulier il paraît plus inquiet encore. C'est exactement comme si j'allais chez le psy, me dit-il, d'un ton où se mêlent l'amusement et le reproche. (p. 69)

Le 15 juin, je constate que certaines des personnes ne me parlent vraiment que hors micro. Je ne sais pas s’il faut restituer ce qui n’est pas enregistré ou s’il faut s’abstenir. (p. 93)

Olivia Rosenthal, Viande froide (Lignes, 2008)

Viande froide est un beau texte impressionniste, qui parle d’un chantier mais aussi de toutes autres choses, les vies, la vie, le travail, la mort ; il a été composé à partir de rencontres et d’entretiens avec des ouvriers travaillant sur le chantier du 104, nouveau « lieu » parisien, et d’anciens employés du Service municipal des Pompes funèbres qui occupait auparavant cet espace ; il donne actuellement lieu à une installation sonore sur place.

Olivia Rosenthal est née en 1965 à Paris

::: « Traverser » dans le n°1 de la revue du 104
::: sur On n’est pas là pour disparaître (Verticales, 2007)
::: un bel entretien pour Auteurs.tv (mars 2008) :

dimanche 19 octobre 2008

le doute m'habite

::: que vous soyez plutôt chasseur ou plutôt cueilleuse, cueilleur ou chasseuse, on nous dit que la recherche d’informations sur internet, c’est bon pour les neurones.

::: et si vous êtes de ceux que le doute habite, internet vous fournit la solution. « Étonnant, non ? »

::: grâce à vos commentaires d'hier sur le doute, je suis allée chercher en ligne le sketch de celui qui disait « la seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute... » et j'ai eu le plaisir de découvrir que les ayants droits de Pierre Desproges ont eu la bonne idée de passer un accord avec Dailymotion pour mettre en ligne des vidéos dans un espace dédié. Mais il y a aussi beaucoup de choses chez YouTube.

« Quand à ces féroces soldats, je le dis, c’est pas pour cafter, mais y font rien qu’à mugir dans nos campagnes » ... et plus que jamais !

samedi 18 octobre 2008

allez lui dire que son site n’est pas une daube

(...) j’explore comme vous les blogs dits d’auteurs ou littérateurs (...) Or, il y a ceci qu’à la lecture de beaucoup de ces blogs, j’ai constaté (à de notables exceptions près, connues de tous et que je n’aurai pas l’outrecuidance de citer) que (...) la plupart d’entre eux sont à ce point infatués de leur auteur, si pleins de leur pauvre petite vie si sérieuse et vaguement indifférenciée (à crever! hurlerait Bessette : ils n’ont pas même compris qu’elle est la nôtre à tous!), si sonores et creux dans leurs raisonnements, si bêtement aveuglés par cette tension narcissique inhérente au blog et dont ils devraient tout faire pour se déprendre, notamment par l’humour et l’autodérision, si peu ouverts à d’autres expériences et à d’autres savoirs que purement littéraires (...), si gros de jugements sur tout et n’importe quoi (dans le pire des cas sur ce petit monde littéraire qui n’existe pas et dont ils croient faire partie) et enfin si peu généreux en cadeaux virtuels vraiment littéraires, qu’à les lire, ils me font mal. Aussi, la faculté de juger autrui étant beaucoup plus développée chez l’Homme que celle de se juger soi-même, me vient à point nommé cette saine interrogation : cette même bêtise nombriliste et prétentieuse transpire-t-elle aussi dans mes site et blog ? Mon nez s’est-il pareillement collé si près des pièces de ma machine que je n’aurais rien vu venir de cette duperie-là ? J’ai soudain un doute devant l’évidence qu’un site d’ôteur doublé d’un blog contient de facto un immense potentiel de ridicule. Ce n’est donc pas de gaîté de cœur que j’attends pour confirmation vos légitimes railleries concernant mon site

Jean-François Paillard, Territoire3, 16 octobre 2008

::: allez lui dire (une adresse mail à la fin du billet y invite) ou dites lui ici (on en profitera !) que son site n’est pas une daube … et aussi qu'il existe d'autres sites d'ôteurs très fréquentables !

vendredi 17 octobre 2008

les pistes du jeu

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Et cette question qui terrifie, qui me terrifie qui pense à la possibilité de la rencontre, cette question qui ne permet pas la moindre habitude.
À quelle hauteur les extraterrestres nous placeront-ils ?
Nous placeront-ils à la même hauteur que l'espèce d'ici le pense, la place à laquelle l'espèce d'ici a mis sa pensée ? Et j'imagine conscience et psychologie sous cette soudaine action d'une espèce extérieure rencontrant à égalité les espèces animales d'ici, y trouvant le même intérêt. Une espèce extérieure en forme d'insecte se trouvant plus d'affinité avec nos fourmis.
Une rencontre ce n'est pas égal, ce n'est pas égal pour l'espèce d'ici qui est rencontrée.

Dominiq Jenvrey, L'E.T., fiction concrète (Seuil, Déplacements, 2008, p. 20)

Avez-vous suivi toutes les pistes du jeu et les lignes de fuite de blog en blog, découvert tous les concepts ?... Pour prolonger l'expérience, le livre est dans toutes les bonnes librairies, au rayon sf ou pas, c’est selon.

jenvrey_experience1.jpg jenvrey_exp_tot.jpg

Les deux précédents livres de Dominiq Jenvrey, L’expérience totale (è®e, 2006) et L’exp. tot. (è®e, 2006) sont disponibles aux éditions è®e ; le premier est téléchargeable gratuitement.

::: dans lignes de fuite, voir aussi ici et .

jeudi 16 octobre 2008

Dominiq Jenvrey répond à vos questions sur les extraterrestres

L'extraterrestre, qui est avant tout une Espèce Technologique (E.T.), ne peut sans doute pas se définir par le concept de personne tel que nous le concevons : un corps égal une personne autonome. Avec la technologie implantée dans le corps, de la technologie communicationnelle, il est fort probable que les corps que nous rencontrerons seront des entités collectives. Peut se supposer également que ces corps soient fabriqués exprès pour cette rencontre avec nous. La fabrication de corps est facile avec la technologie. Ce qui nous rencontrera sera peut-être uniquement une forme communicationnelle, une multiforme pluri-chronologique.

La langue est-elle utile pour effectuer une rencontre extraterrestre ?

Est-ce que la tribu Ashanti en Afrique de l'Ouest a le droit de rencontrer des extraterrestres ?

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