lignes de fuite

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samedi 22 août 2009

folie que de vouloir croire entrevoir

Film_Beckett.jpg

folie –
folie que de –
que de –
comment dire –
folie que de ce –
depuis –
folie depuis ce –
donné –
folie donné ce que de –
vu –
folie vu ce –
ce –
comment dire –
ceci –
ce ceci –
ceci-ci –
tout ce ceci-ci –
folie donnée tout ce –
vu –
folie vu tout ce ceci-ci que de –
que de –
comment dire –
voir –
entrevoir –
croire entrevoir –
vouloir croire entrevoir –
folie que de vouloir croire entrevoir quoi –
quoi –
comment dire –
et où –
que de vouloir croire entrevoir quoi où –
où –
comment dire –
là –
là-bas –
loin –
loin là là-bas –
à pleine –
loin là là-bas à peine quoi –
quoi –
comment dire –
vu tout ceci –
tout ce ceci-ci –
folie que de voir quoi –
entrevoir –
croire entrevoir –
vouloir croire entrevoir –
loin là là-bas à peine quoi –
folie que d'y vouloir croire entrevoir quoi –
quoi –
comment dire –

comment dire

Samuel Beckett, Comment dire (dernier texte, daté du 29 octobre 1988)
dans Poèmes ; suivi de Mirlitonnades (Minuit, 1992)

mercredi 19 août 2009

organiser les traces internet qui construisent l'ambiguïté

francois_bon_incendie_hilton.jpg



Cet incendie du Hilton comme allégorie de la ville, et la ville comme allégorie du monde : où étions-nous, quelle ville, quel monde, qui soudain basculait dans son envers ? Il n'y avait plus de ville ni de temps : ces galeries, et le bruit du monde, s'il nous parvenait, nous n'en étions plus acteurs. Émigrants, plutôt, et jetés : à trois rues et une dizaine d'étages d'où nous étions deux heures plus tôt, lors de la première alerte, surplombant ce ventre souterrain dont nous devions être, trois jours durant, les appendices. Garants de la continuité, d'un état stable du monde, et voilà : entracte.
Quatre heures très précisément, juste un bloc de nuit. De 1 h 50 la première sirène et l'appel, jusqu'à 5 h 50, et qu'on s'effondre, sans retrouver pourtant le sommeil, avant journée blafarde à suivre. Et c'est maintenant, à dix semaines de distance, que je rouvre ces heures. Un non-événement : le plus parfait des non-événements. Des victimes, des blessés, des morts, dans l'immense catastrophe ordinaire du monde : rien, aucun. Un bouleversement de la ville, des ruines, un effondrement absolument pas. Juste cela, l'incendie du Hilton, ce qu'on y cherche, ce basculement provisoire, et la ville cul par-dessus tête.
Au moment de commencer, compteraient donc non pas des faits, mais le souvenir de cette déambulation dans l'envers de la ville, soudain offerte : le moderne montrait ses coutures. Alors cette attente, et l'incendie tout là-haut sous les toits, un livre qui en serait non pas la restitution, encore moins l'illusion, mais voudrait le redonner temps pour temps - quatre heures vécues, quatre heures à lire. Construction de nuit, construction d'une ville ou de l'envers d'une ville, construction d'un temps coupé de la grande loi du monde, comme nous l'étions, et qui pourtant exhibait soudain à nu, très provisoirement, toutes les lois cachées du monde. (p. 9-10)

J'ai toujours travaillé en double, avançant à la fois le livre et son projet : dans les anciens carnets, en page de gauche des listes, des bribes de plans et des éléments à se remémorer, des noms, des lieux. On note des titres de livres, on découpe ou recopie des bribes d'articles, on stocke des images, autrefois découpées, maintenant repiquées sur l'écran, on bricole des plans, des schémas avec des flèches et des assemblages, puis ces bouts de phrases, celles qui viennent dans la nuit, qu'on tient précautionneusement devant soi au lever pour les déposer dans le cahier qui les garde, la date avec le texte, ou juste comme ça, dans la rue. Et puis, autrefois page de droite des carnets, le récit linéaire, ses ajouts, reprises, corrections. Je gardais tout cela dans une vieille valise noire mais longtemps que l'ordinateur avait mangé d'abord les versions en cours, puis les carnets eux-mêmes.
De même j'aimais ces stylos-plumes de marque Schaeffer, au lourd corps de métal noir brossé, et leur capacité de tenir une écriture à la fois minuscule et grasse. Je ne supporte pas, s'il s'agit de récit, ce qui porte atteinte à la vitesse : le clavier aujourd'hui le permet, ils sont sur une plaque souple, on s'habitue à les utiliser sans voir et c'est comme ça que j'entame ce texte, première heure, juste au lever, avec un bol de café et le silence du dehors, la nuit pas encore défaite, l'ordinateur tenu sur les genoux dans quelque recoin qui ne soit pas la table de travail et ses tâches du jour : listes dans mini-bloc-notes hors du traitement de texte principal, schémas et noms, déroulé des heures - et c'est nouvelle grotte ou nouveau labyrinthe, ce qu'on peut associer à l'incendie du Hilton. (p. 15-16)

Des Salons du livre en général, et de celui-ci en particulier, j'ai peu à dire : ce qui nous occupe n'est pas un métier, en tout cas ça se passe ailleurs que dans ces entassements clos. Et ceux qu'on y croise, quand le hasard vous y ramène, sont comme la partie morte de ce petit monde : on dirait qu'eux ça leur convient, qu'ils n'en louperaient pas un de toute la France, y ont leurs habitudes presque comme d'un portemanteau réservé. Certains de mes plus proches amis, on peut se voir une fois tous les deux ans, c'est bien le roulement de temps qu'il nous faut pour avoir accumulé de quoi exprimer ce qu'on a (si je prenais ses mots à lui) ou conquis, ou vaincu, ou déplacé - ou bien, au contraire, là où on s'est résigné, et dont on laisse à d'autres le soin d'investir le territoire aperçu, sombre, hostile. C'était un Salon comme les autres, et sans cette table ronde sur le numérique je n'aurais pas, de moi-même, eu le souhait d'y participer, ni même d'y traîner : le livre, pour ses lecteurs, est un objet rare, personnel, et non pas ces accumulations en masse qui en mêlent toutes les catégories, vous donnent le tournis, tout en vous faisant respirer cette poussière des allées de ciment brut, ici aggravée par les sous-sols. (p. 51-52)

Utiliser des noms de personnes, existantes, qu'elles aient réellement été à ce Salon du livre de Montréal, ou bien que je les y convoque fictivement, au nom de la logique même de mon récit : ne rien laisser qui permette de trancher. Organiser même, en amont et rétrospectivement, les traces Internet qui construisent l'ambiguïté, ça doit pouvoir se négocier. (p. 158-159)

Consciencieusement évacuer toute version intermédiaire : ça m'aura aidé à avancer. Reste celles que j'envoie régulièrement, en cours de travail, à une boîte aux lettres créée il y a déjà quatre ou cinq ans uniquement pour cela, et dans laquelle je n'ai jamais fait le ménage, n'ayant jamais eu besoin de l'ouvrir. Étrange de penser à ce genre de dépôt. (p. 180)

Titre de travail, tout au long de la rédaction : Typologie de l’incendie du Hilton. Tenté aussi : Nouveau Monde. (p. 183)

François Bon, L'incendie du Hilton (Albin Michel, 2009)

Les 430 romans français de la très française « rentrée littéraire » commencent à déferler sur les tables des libraires.

Choisir de commencer par L’incendie du Hilton, qui paraît jeudi mais que François Bon a eu la gentillesse de m’envoyer, afin d’adresser un salut virtuel à celui qui a traversé il y a quelques jours l’océan pour s’installer quelque temps dans ce « Nouveau Monde » où se situe l'incident de la nuit du 22 novembre 2008 qui a servi de pré-texte à cette belle réflexion sur le roman.

De ce roman, c’est son auteur qui parle le mieux, par exemple dans cet entretien vidéo avec Sylvain Bourmeau pour Mediapart, et certainement pas Christophe Donner, qui auparavant « n’avait jamais lu un livre de François Bon », car il se « méfiai(t) du côté social de ses titres » (sic !)

voir aussi :
::: des extraits avec photos du dernier chapitre
::: un film de Jean-Paul Hirsch, directeur commercial chez POL.

samedi 15 août 2009

nous lisons

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Nous lisons pour connaître la fin, pour l’histoire. Nous lisons pour ne pas atteindre cette fin, pour le seul plaisir de lire. Nous lisons avec un intérêt profond, tels des chasseurs sur une piste, oublieux de ce qui nous entoure. Nous lisons distraitement, en sautant des pages. Nous lisons avec mépris, avec admiration, avec négligence, avec colère, avec passion, avec envie, avec nostalgie. Nous lisons avec des bouffées de plaisir soudain, sans savoir ce qui a provoqué ce plaisir. « Qu’est-ce donc que cette émotion, demande Rebecca West après avoir lu Le Roi Lear. Quelle est cette influence qu’ont sur ma vie les très grandes œuvres d’art, qui me fait tant de bien ? » Nous ne le savons pas. Nous lisons dans l’ignorance. Nous lisons à longs gestes lents, comme si nous flottions dans l’espace, en apesanteur. Nous lisons pleins de préjugés, dans la malice. Nous lisons généreusement, pleins d’indulgence pour le texte, comblant les vides, réparant les erreurs. Et parfois, quand les astres nous sont favorables, nous lisons le souffle court, parcourus d’un frisson, comme si quelqu’un ou quelque chose avait « marché sur notre tombe », comme si un souvenir enfoui au fond de nous avait soudain été libéré – comme si nous reconnaissions une chose dont nous avions toujours ignoré la présence, ou une chose que nous sentions vaguement, ombre ou petite lueur, dont la silhouette fantomatique s’élève et rentre en nous avant que nous ayons pu voir ce que c’était, nous laissant plus vieux et plus sages.

Alberto Manguel, Une histoire de la lecture (1996, Actes sud, 1998, p. 357)

mercredi 12 août 2009

l'égalité des intelligences

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C'est ici que les descriptions et les propositions de l'émancipation intellectuelle peuvent entrer enjeu et nous aider à reformuler le problème. Car cette médiation auto-évanouissante n'est pas pour nous quelque chose d'inconnu. C'est la logique même de la relation pédagogique : le rôle dévolu au maître y est de supprimer la distance entre son savoir et l'ignorance de l'ignorant. Ses leçons et les exercices qu'il donne ont pour fin de réduire progressivement le gouffre qui les sépare. Malheureusement il ne peut réduire l'écart qu'à la condition de le recréer sans cesse. Pour remplacer l'ignorance par le savoir, il doit toujours marcher un pas en avant, remettre entre l'élève et lui une ignorance nouvelle. La raison en est simple. Dans la logique pédagogique, l'ignorant n'est pas seulement celui qui ignore encore ce que le maître sait. Il est celui qui ne sait pas ce qu'il ignore ni comment le savoir. Le maître, lui, n'est pas seulement celui qui détient le savoir ignoré par l'ignorant. Il est aussi celui qui sait comment en faire un objet de savoir, à quel moment et selon quel protocole. Car à la vérité, il n'est pas d'ignorant qui ne sache déjà une masse de choses, qui ne les ait apprises par lui-même, en regardant et en écoutant autour de lui, en observant et en répétant, en se trompant et en corrigeant ses erreurs. Mais un tel savoir pour le maître n'est qu'un savoir d'ignorant, un savoir incapable de s'ordonner selon la progression qui va du plus simple au plus compliqué. L'ignorant progresse en comparant ce qu'il découvre à ce qu'il sait déjà, selon le hasard des rencontres mais aussi selon la règle arithmétique, la règle démocratique qui fait de l'ignorance un moindre savoir. Il se préoccupe seulement de savoir plus, de savoir ce qu'il ignorait encore. Ce qui lui manque, ce qui manquera toujours à l'élève, à moins de devenir maître lui-même, c'est le savoir de l'ignorance, la connaissance de la distance exacte qui sépare le savoir de l'ignorance.
Cette mesure-là échappe précisément à l'arithmétique des ignorants. Ce que le maître sait, ce que le protocole de transmission du savoir apprend d'abord à l'élève, c'est que l'ignorance n'est pas un moindre savoir, elle est l'opposé du savoir ; c'est que le savoir n'est pas un ensemble de connaissances, il est une position. L'exacte distance est la distance qu'aucune règle ne mesure, la distance qui se prouve par le seul jeu des positions occupées, qui s'exerce par la pratique interminable du « pas en avant » séparant le maître de celui qu'il est censé exercer à le rejoindre. Elle est la métaphore du gouffre radical qui sépare la manière du maître de celle de l'ignorant, parce qu'il sépare deux intelligences : celle qui sait en quoi consiste l'ignorance et celle qui ne le sait pas. C'est d'abord cet écart radical que l'enseignement progressif ordonné enseigne à l'élève. Il lui enseigne d'abord sa propre incapacité. Ainsi vérifie-t-il incessamment dans son acte sa propre présupposition, l'inégalité des intelligences. Cette vérification interminable est ce que Jacotot nomme abrutissement.
À cette pratique de l'abrutissement il opposait la pratique de l'émancipation intellectuelle. L'émancipation intellectuelle est la vérification de l'égalité des intelligences. Celle-ci ne signifie pas l'égale valeur de toutes les manifestations de l'intelligence mais l'égalité à soi de l'intelligence dans toutes ses manifestations. Il n'y a pas deux sortes d'intelligence séparées par un gouffre. L'animal humain apprend toutes choses comme il a d'abord appris la langue maternelle, comme il a appris à s'aventurer dans la forêt des choses et des signes qui l'entourent afin de prendre place parmi les humains : en observant et en comparant une chose avec une autre, un signe avec un fait, un signe avec un autre signe. Si l'illettré connaît seulement une prière par cœur, il peut comparer ce savoir avec ce qu'il ignore encore : les mots de cette prière écrits sur du papier. Il peut apprendre, signe après signe, le rapport de ce qu'il ignore avec ce qu'il sait. Il le peut si, à chaque pas, il observe ce qui est en face de lui, dit ce qu'il a vu et vérifie ce qu'il a dit. De cet ignorant, épelant les signes, au savant qui construit des hypothèses, c'est toujours la même intelligence qui est à l'œuvre, une intelligence qui traduit des signes en d'autres signes et qui procède par comparaisons et figures pour communiquer ses aventures intellectuelles et comprendre ce qu'une autre intelligence s'emploie à lui communiquer.
Ce travail poétique de traduction est au cœur de tout apprentissage. Il est au cœur de la pratique émancipatrice du maître ignorant. Ce que celui-ci ignore, c'est la distance abrutissante, la distance transformée en gouffre radical que seul un expert peut « combler ». La distance n'est pas un mal à abolir, c'est la condition normale de toute communication. Les animaux humains sont des animaux distants qui communiquent à travers la forêt des signes. La distance que l'ignorant a à franchir n'est pas le gouffre entre son ignorance et le savoir du maître. Elle est simplement le chemin de ce qu'il sait déjà à ce qu'il ignore encore mais qu'il peut apprendre comme il a appris le reste, qu'il peut apprendre non pour occuper la position du savant mais pour mieux pratiquer l'art de traduire, de mettre ses expériences en mots et ses mots à l'épreuve, de traduire ses aventures intellectuelles à l'usage des autres et de contre-traduire les traductions qu'ils lui présentent de leurs propres aventures. Le maître ignorant capable de l'aider à parcourir ce chemin s'appelle ainsi non parce qu'il ne sait rien, mais parce qu'il a abdiqué le « savoir de l'ignorance » et dissocié ainsi sa maîtrise de son savoir. Il n'apprend pas à ses élèves son savoir, il leur commande de s'aventurer dans la forêt des choses et des signes, de dire ce qu'ils ont vu et ce qu'ils pensent de ce qu'ils ont vu, de le vérifier et de le faire vérifier. Ce qu'il ignore, c'est l'inégalité des intelligences. Toute distance est une distance factuelle, et chaque acte intellectuel est un chemin tracé entre une ignorance et un savoir, un chemin qui sans cesse abolit, avec leurs frontières, toute fixité et toute hiérarchie des positions.

Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé (La Fabrique, 2008, p. 14-17)

Depuis Le Maître ignorant, publié en 1987, l'émancipation intellectuelle, qui passe par l'abolition de la position d'autorité, est au cœur de la pensée de Jacques Rancière. C'est un concept particulièrement nécessaire aujourd'hui pour s'opposer aux thèses de ceux qui accusent Wikipedia, Google ou Internet en général d'attenter à l'intelligence en supprimant la hiérarchie des positions.

Né en 1940, Professeur émérite au département de philosophie de l’Université de Paris VIII, Jacques Rancière a animé la revue Les Révoltes logiques de 1975 à 1985, et a publié notamment :
- La Nuit des prolétaires (Fayard, 1981)
- Le Philosophe et ses pauvres (Fayard, 1983)
- Le Maître ignorant. Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle (Fayard, 1987)
- La Mésentente. Politique et philosophie (Galilée, 1995)
- Mallarmé. La politique de la Sirène (Hachette, 1996)
- Aux bords du politique (La Fabrique, 1998)
- La Parole muette. essai sur les contradictions de la littérature (Hachette, 1998)
- La Chair des mots. Politiques de l'écriture (Galilée, 1998)
- L'Inconscient esthétique (Galilée, 2001)
- Le Partage du sensible. Esthétique et politique (La Fabrique, 2000)
- La Fable cinématographique (Seuil, 2001)
- Le Destin des images (La Fabrique, 2003)
- Malaise dans l’esthétique (Galilée, 2004)
- La Haine de la démocratie (La Fabrique, 2005)
- Politique de la littérature (Galilée, 2007)

::: « Critique de la critique du « spectacle » », Entretien avec Jérôme Game (Revue Internationale des Livres et des Idées, 4, décembre 2008

mardi 11 août 2009

la qualité des hommes sans qualité

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Les procédures de la critique sociale ont en effet pour fin de soigner les incapables, ceux qui ne savent pas voir, qui ne comprennent pas le sens de ce qu'ils voient, qui ne savent pas transformer le savoir acquis en énergie militante. Et les médecins ont besoin de ces malades à soigner. Pour soigner les incapacités, ils ont besoin de les reproduire indéfiniment. Or pour assurer cette reproduction, il suffit du tour qui, périodiquement, transforme la santé en maladie et la maladie en santé. Il y a quarante ans, la science critique nous faisait rire des imbéciles qui prenaient des images pour des réalités et se laissaient ainsi séduire par leurs messages cachés. Entre-temps, les « imbéciles » ont été instruits dans l'art de reconnaître la réalité derrière l'apparence et les messages cachés dans les images. Et maintenant, bien sûr, la science critique recyclée nous fait sourire de ces imbéciles qui croient encore qu'il y a des messages cachés dans les images et une réalité distincte de l'apparence. La machine peut marcher ainsi jusqu'à la fin des temps, en capitalisant sur l'impuissance de la critique qui dévoile l'impuissance des imbéciles.
Je n'ai donc pas voulu ajouter un tour à ces retournements qui entretiennent sans fin la même machinerie. J'ai plutôt suggéré la nécessité et la direction d'un changement de démarche. Au cœur de cette démarche, il y a l'essai de dénouer le lien entre la logique émancipatrice de la capacité et la logique critique de la captation collective. Sortir du cercle, c'est partir d'autres présuppositions, de suppositions assurément déraisonnables au regard de l'ordre de nos sociétés oligarchiques et de la logique dite critique qui en est la doublure. On présupposerait ainsi que les incapables sont capables, qu'il n'y a aucun secret caché de la machine qui les tienne enfermés dans leur position. On supposerait qu'il n'y a aucun mécanisme fatal transformant la réalité en image, aucune bête monstrueuse absorbant tous désirs et énergies dans son estomac, aucune communauté perdue à restaurer. Ce qu'il y a, c'est simplement des scènes de dissensus, susceptibles de survenir n'importe où, n'importe quand. Ce que dissensus veut dire, c'est une organisation du sensible où il n'y a ni réalité cachée sous les apparences, ni régime unique de présentation et d'interprétation du donné imposant à tous son évidence. C'est que toute situation est susceptible d'être fendue en son intérieur, reconfigurée sous un autre régime de perception et de signification. Reconfigurer le paysage du perceptible et du pensable, c'est modifier le territoire du possible et la distribution des capacités et des incapacités. Le dissensus remet en jeu en même temps l'évidence de ce qui est perçu, pensable et faisable et le partage de ceux qui sont capables de percevoir, penser et modifier les coordonnées du monde commun. C'est en quoi consiste un processus de subjectivation politique : dans l'action de capacités non comptées qui viennent fendre l'unité du donné et l'évidence du visible pour dessiner une nouvelle topographie du possible. L'intelligence collective de l'émancipation n'est pas la compréhension d'un processus global d'assujettissement. Elle est la collectivisation des capacités investies dans ces scènes de dissensus. Elle est la mise en œuvre de la capacité de n'importe qui, de la qualité des hommes sans qualité. Ce ne sont là, je l'ai dit, que des hypothèses déraisonnables. Je pense pourtant qu'il y a plus à chercher et plus à trouver aujourd'hui dans l'investigation de ce pouvoir que dans l'interminable tâche de démasquer les fétiches ou l'interminable démonstration de l'omnipotence de la bête.

Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé (La Fabrique, 2008, p. 54-55)

lundi 10 août 2009

persuadé qu’au fond il n’y en a qu’un

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C’est que, à part les morceaux de prose et les vers de ma jeunesse et la suite, qui y faisait écho, publiée un peu partout, chaque fois que paraissaient les premiers numéros d’une Revue Littéraire, j’ai toujours rêvé et tenté autre chose, avec une patience d’alchimiste, prêt à y sacrifier toute vanité et toute satisfaction, comme on brûlait jadis son mobilier et les poutres de son toit, pour alimenter le fourneau du Grand Œuvre. Quoi ? c’est difficile à dire : un livre, tout bonnement, en maints tomes, un livre qui soit un livre, architectural et prémédité, et non un recueil des inspirations de hasard, fussent-elles merveilleuses… J’irai plus loin, je dirai : le Livre, persuadé qu’au fond il n’y en a qu’un, tenté à son insu par quiconque a écrit, même les Génies. L’explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poëte et le jeu littéraire par excellence : car le rythme même du livre, alors impersonnel et vivant, jusque dans sa pagination, se juxtapose aux équations de ce rêve, ou Ode.

Voilà l’aveu de mon vice, mis à nu, cher ami, que mille fois j’ai rejeté, l’esprit meurtri ou las, mais cela me possède et je réussirai peut-être ; non pas à faire cet ouvrage dans son ensemble (il faudrait être je ne sais qui pour cela !) mais à en montrer un fragment d’exécuté, à en faire scintiller par une place l’authenticité glorieuse, en indiquant le reste tout entier auquel ne suffit pas une vie. Prouver par les portions faites que ce livre existe, et que j’ai connu ce que je n’aurai pu accomplir.

Stéphane Mallarmé, « Autobiographie », Lettre à Verlaine, 16 novembre 1885

::: le Livre, ma contribution au débat sur le livre qui rebondit de blog en blog en blog en blog en blog.

::: à moins que le livre ne soit doudou, engrenage ou pendant d'oreille.

jeudi 6 août 2009

tptc - tu peux toujours courir

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BASKETVILLE
tu peux tjs courir se lit en deux heures (ou moins) –

le feu passe au rouge : c’est parti

tptc (tu peux tjs courir)
[ou comment comprendre le phénomène péri- urbain] (p. 5)

à basketville (1) il y en a qui se clashent pour savoir la couleur de maillot qu’on voit le plus souvent sur la course ou qui comparent le prix des baskets entre ici et là-bas quand ils reviennent – il y a ceux qui font des pronostics entre eux pour anticiper quelle sera la b.o. de leurs amours d’été et ceux qui classent les revenus des vedettes – il y a celui qui chronomètre son temps de trajet en métro : 12 stations par une moyenne d’une trente entre deux stations plus 2 minutes de changement avec en plus à peu près 3 d’attente ou alors ceux qui donnent des notes aux filles entre 0 et 10 quand ils sont au café – ils font des probabilités sur les cadeaux cachés dans les couvercles de pâte à tartiner – ils comptent les pubs sur le bord de la route – il y a ceux qui savent les noms de tous les basketteurs nba et ceux qui vont voir au thermo- mètre la température qu’il fait tous les quarts d’heure – il y a celles qui se tirent par les cheveux pour un moins 70% collé sur une étiquette et celui qui collectionne et qui fait des archives avec les numéros de plus de 1000 femmes de 40 à 60 ans qu’il a branchées pour des plans cul au téléphone – il y en a qui font de la customisation d’autos et aussi de motos et mobylettes ou qui lancent des forums de discussion sur les baskets laquées et où tous ceux qui aiment ou n’aiment pas les baskets laquées sont au rendez-vous – il y a ceux qui veulent savoir qui se cachait sous le masque du père fourrat et tous ceux qui sont inscrits à des concours de poésie – il y a celui qui connaît tous les tatoueurs de paris – il y a celle qui fait des listes avec le nom de toutes ses meilleurescopines avec des plus et des moins devant les noms pour savoir à la fin laquelle est la meilleurecopine ou ceux qui ne lâcheront pas l’affaire tant que le SAV ne leur aura pas renvoyé le petit service à thé qu’ils ont commandé TEL QU’IL ÉTAIT SUR LA PHOTO – (p. 11-12)

à basketville – le jour où on a dynamité la barre – n’a pas été le jour où tout le monde s’est rassemblé pour commémorer – il n’y avait pas de tristesse mêlée de joie devant une vie nouvelle – on n’a pas pu apercevoir le bâtiment qui a été coupé en deux ni les artificiers se féliciter car l’opération était difficile – il n’y a pas eu de cordon de sécurité pour permettre aux anciens locataires venus assister à l’événement d’éviter les projections de poussière – on n’a pas pleuré de bonheur ou laissé éclater sa colère – ce jour-là on n’a pas organisé un grand repas populaire – pas dit bonjour à maman devant la caméra – il n’y avait pas un vétéran qui a souligné qu’on ne quitte pas l’endroit où on a vécu 30 ans sans un pincement au cœur – et il n’y a pas eu la méticuleuse préparation des explosifs – ça n’a pas été la fois où toutes les générations sont réunies – pas la fois où à la fin du comptage à rebours tout le monde applaudit – on n’a pas pris des photos pour comparer avant et après – on n’a pas vu arriver les officiels contents – il n’y a pas eu de heurts ou de violences avec les uniformes – on n’a pas pu visiter les nouveaux pavillons dont les anciens locataires ont pris possession depuis une dizaine de jours – la fois où la barre s’est comme enfoncée dans elle-même n’a pas été la fois où un architecte cool va faire un point sur les tendances actuelles en urbanisme – pas la fois où chacun est reparti avec en souvenir un morceau de gravats – il n’y avait pas des bravos juste après l’explosion – on n’a pas chanté ou fait un black-out sur les avis des opposants et ça n’a pas été l’occasion de venir avec des caméscopes – il n’y a pas eu l’immortalisation à jamais des dernières minutes du bâtiment b ni de rediffusion au ralenti du dixième de seconde précis où on a vu les murs comme soufflés par la déflagration – pour cette fois on n’a pas évoqué la possibilité d’aller habiter ailleurs – pas non plus pensé à rester – on n’a pas tiré un trait ni entendu un des anciens dire – c’est la vie – il n’y a pas eu de volonté des constructeurs de minimiser leurs responsabilités – on n’a pas senti le sol trembler quand les 18 étages se sont écrasés par terre comme un accordéon – pas entendu le témoignage de parents qui avaient appelé une de leurs filles ariane parce que ici c’est le quartier de l’ariane – le matin où la barre est tombée – il n’y avait pas le sentiment partagé que comme un nouveau départ s’annonçait – (p. 17-19)

Félix Jousserand, Basketville (Au Diable Vauvert, 2009)

Basketville, c'est la création d’une zone poétique, dans une langue mutante et rythmée, pour dire les zones ou tptc (« tu peux toujours courir », expression leitmotiv) car les baskets « ont des semelles avec de l'air dedans » mais les objets artificiels du désir sont toujours hors d’atteinte.

Félix Jousserand, artiste multi-supports de la scène slam parisienne et membre du collectif Spoke Orkestra, est né en 1978 à Paris.

Ce livre fait partie des trois titres qui lancent la petite (par la taille !) collection de poésie des éditions Au Diable Vauvert, la collection VO.X ; les trois titres sont téléchargeables gratuitement au format pdf.

::: François Bon, « le slam comme littérature à part ? »

mardi 4 août 2009

extension du domaine du rhizome

rhizome2.jpg

Rentrée très paresseuse de mes ballades à la pointe du Finistère (où les bruyères (dûment arrosées cette année) étaient d'une splendeur inusuelle) j'ai du mal à reprendre le rythme ...

Pas de billet ce soir encore, donc, mais une invitation à aller visiter le tumblelog de lignes de fuite.

Tumblr est un service de microblogging qui me permet de faire converger sur une même page ce qui diverge, les liens que je fais désormais suivre non plus ici mais là, c'est-à-dire ailleurs, sur twitter, facebook, friendfeed, etc.

Quelques autres tumblelogs à suivre :
::: Ptilonorhynque
::: les éclats de S.I.Lex
::: liminaire
::: liberlibri
::: etc.

vendredi 24 juillet 2009

des lignes de fuite vers l'horizon

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::: blog en vacances jusqu'au 3 août
(les commentaires sont en mode modéré, soyez patients !)

mardi 21 juillet 2009

gros de mille définitions de lune

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La lune était en son plein, le ciel était découvert, et neuf heures du soir étaient sonnées lorsque nous revenions d’une maison proche de Paris, quatre de mes amis et moi. Les diverses pensées que nous donna la vue de cette boule de safran nous défrayèrent sur le chemin. Les yeux noyés dans ce grand astre, tantôt l’un le prenait pour une lucarne du ciel par où l’on entrevoyait la gloire des bienheureux ; tantôt l’autre protestait que c’était la platine où Diane dresse les rabats d’Apollon ; tantôt un autre s’écriait que ce pourrait bien être le soleil lui-même, qui s’étant au soir dépouillé de ses rayons regardait par un trou ce qu’on faisait au monde quand il n’y était plus. « Et moi, dis-je, qui souhaite mêler mes enthousiasmes aux vôtres, je crois sans m’amuser aux imaginations pointues dont vous chatouillez le temps pour le faire marcher plus vite, que la lune est un monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune. » La compagnie me régala d’un grand éclat de rire. « Ainsi peut-être, leur dis-je, se moque-t-on maintenant dans la lune, de quelque autre, qui soutient que ce globe-ci est un monde. » Mais j’eus beau leur alléguer que Pythagore, Epicure, Démocrite et, de notre âge, Coprins et Kepler, avaient été de cette opinion, je ne les obligeai qu’à s’égosiller de plus belle. Cette pensée, dont la hardiesse biaisait en mon humeur, affermie par la contradiction, se plongea si profondément chez moi que, pendant tout le reste du chemin, je demeurai gros de mille définitions de lune, dont je ne pouvais accoucher ; et à force d’appuyer cette créance burlesque par des raisonnements sérieux, je me le persuadai quasi, mais, écoute, lecteur, le miracle ou l’accident dont la Providence ou la fortune se servirent pour me le confirmer. J’étais de retour à mon logis et, pour me délasser de la promenade, j’étais à peine entré dans ma chambre quand sur ma table je trouvai un livre ouvert que je n’y avais point mis. C’était les œuvres de Cardan ; et quoique je n’eusse pas dessein d’y lire, je tombai de la vue, comme par force, justement dans une histoire que raconte ce philosophe : il écrit qu’étudiant un soir à la chandelle, il aperçut entrer, à travers les portes fermées de sa chambre, deux grands vieillards, lesquels, après beaucoup d’interrogations qu’il leur fit, répondirent qu’ils étaient habitants de la lune, et cela dit, ils disparurent. Je demeurai si surpris, tant de voir un livre qui s’était apporté là tout seul, que du temps et de la feuille où il s’était rencontré ouvert, que je pris toute cette enchaînure d’incidents pour une inspiration de Dieu qui me poussait à faire connaître aux hommes que la lune est un monde. « Quoi ! disais-je en moi-même, après avoir tout aujourd’hui parlé d’une chose, un livre qui peut-être est le seul au monde où cette matière se traite voler de ma bibliothèque sur ma table, devenir capable de raison, pour s’ouvrir justement à l’endroit d’une aventure si merveilleuse et fournir ensuite à ma fantaisie les réflexions et à ma volonté les desseins que je fais !... Sans doute, continuais-je, les deux vieillards qui apparurent à ce grand homme sont ceux-là mêmes qui ont dérangé mon livre, et qui l’ont ouvert sur cette page, pour s’épargner la peine de me faire cette harangue qu’ils ont faite à Cardan. — Mais, ajoutais-je, je ne saurais m’éclaircir de ce doute, si je ne monte jusque-là ? — Et pourquoi non ? me répondais-je aussitôt. Prométhée fut bien autrefois au ciel dérober du feu. » À ces boutades de fièvres chaudes, succéda l’espérance de faire réussir un si beau voyage. Je m’enfermai, pour en venir à bout, dans une maison de campagne assez écartée, où après avoir flatté mes rêveries de quelques moyens capables de m’y porter, voici comme je me donnai au ciel. Je m’étais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, et la chaleur du soleil qui les attirait m’éleva si haut, qu’à la fin je me trouvai au-dessus des plus hautes nuées.

Hector Savinien Cyrano de Bergerac, L’Autre monde ou Les états et empires de la Lune (1657)

samedi 18 juillet 2009

cet océan de liberté que promet la solitude

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10. Écrire

Je ne sais pas très bien à quoi cela tient un écrivain. Pourquoi ni comment quelque chose en soi résiste au-delà de tout, au-delà des soucis d'argent, de la solitude, du sentiment d'incompréhension et d'inutilité qui parfois submerge, de la vanité de toute cette énergie consacrée à témoigner d'une certaine vision du monde, d'une exigence, ou plutôt d'une soif qui exige en soi. Je ne sais pas. Je sais seulement que je ne peux faire autrement, parce que autrement pour moi c'est mourir. Or, j'ai choisi la vie.
Je comprends si bien comment par lassitude ou épuisement, les uns après les autres abandonnent et se replient vers l'ordre de la mort. Je connais ce harassement et ce dégoût de la répétition qui vient sans cesse interroger la qualité de notre exigence et de notre dignité d'homme. Et pourtant ce sont ces intimes fatigues, ce dégoût et ces lassitudes qui nous conduisent progressivement vers la nudité nécessaire à partir de laquelle le vivant peut nous habiter.
Humblement il m'arrive de perdre courage. Cependant l'écriture me redresse et me tient. C'est l'unique façon que j'ai de ne pas complètement échouer à tenir cette promesse qu'est la vie, témoignant ainsi de cet absolu à notre portée qui est celui non pas seulement d'être heureux, mais vivant.
- Vous parlez comme quelqu'un qui a survécu à un traumatisme et vit uniquement pour témoigner, m'a dit, un jour, un médecin.
Je témoigne de cet absolu, n'en finissant pas de survivre à ce traumatisme qu'est le monde. L'absence de sécurité intérieure, où j'ai perpétuellement vécu, m'a « contrainte » à tisser cet incroyable espace spirituel qu'est l'écriture, où je peux m'en libérer.
Elle m'a permis de me construire sur mes propres ruines dont chaque fragment m'appartient. Je suis entrée dans le plaisir intense d'accéder à ma propre vérité. Je sais désormais à quel point la vérité rend heureux et que chercher la sienne c'est aussi dévoiler celle des autres.

Écrire seul me donne la légitimité d'être. Je n'en ai aucune autre.
Cette part, inaltérable en moi, personne ne peut la posséder, y compris moi-même, elle m'ouvre un accès continuel à la connaissance qui est, à mes yeux, un autre nom de l'amour. (p. 33-35)

18. Solitude

« Je suis seule, même lorsque je suis avec les autres, je suis seule. Seule. Toujours seule. »
Il y a quelques années, un oncle m'a rapporté ces propos que je lui ai tenus enfant.
Plus que de solitude, je vois qu'il s'agit là d'un isolement profond. Celui dans lequel j'ai si largement vécu remonte à mon enfance. Je me souviens qu'autrefois mon isolement était tel que je clignais les yeux, presque sans paupières. Je ne voyais personne à qui m'adresser, personne.
J'éprouve depuis si longtemps que nous sommes en exil de notre propre dignité d'homme, œuvrant dans le jardin du diable comme sur des terres étrangères.

La solitude est l'unique façon que j'ai trouvée d'échapper à cet isolement. Seule, je rejoins le monde, puisque j'écris. Et ainsi, vient l'opulence.

Je lis couchée sur mon lit. Le motif de mon gilet projette sur mon livre un éclat de soleil qui va et vient au rythme de ma respiration. Être là pour témoigner de la sensualité paisible de cette tache de lumière justifie, à mes yeux, mon existence tout entière. Cette délicatesse, la présence des autres l'altère. Mais ce sont ces délicatesses dont j'ai aussi besoin pour vivre.

Nous ne voulons pas être seuls parce que nous ne voulons pas être libres. C'est si terrible d'être son propre maître avec sa propre loi. Et accrochés à nos contraintes comme à un misérable parapet, nous nous dérobons à cet océan de liberté que promet la solitude. (p. 51-52)

Lorette Nobécourt, L’Usure des jours (Grasset, 2009)

Une dépression oblige une femme à reprendre les choses de sa vie dans l'ordre et en 44 chapitres : 1. Naître 2. Prénom 3. Père 4. Mère, etc.

Lorette Nobécourt est née à Paris le 16 septembre 1968 et a publié aussi :
- La Démangeaison (Sortilèges, 1994 ; réédition Grasset en 2009)
- L'Équarrissage (Grasset/Les Inrockuptibles, 1997)
- La Conversation (Grasset, 1998)
- Horsita (Grasset, 1999)
- Substance (Pauvert, 2001)
- Nous (Pauvert, 2002)
- En nous la vie des morts (Grasset, 2006)

::: un article de Marine Landrot pour Télérama

vendredi 17 juillet 2009

mais j'aime tellement proust

::: le site de Pascale Borel

mercredi 15 juillet 2009

ce qui se forme alors c'est une tentative de fuite

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Le plus souvent, les vies vont leur chemin comme les fleuves. Les changements et les métamorphoses propres à ces vies, survenus en conséquence des aléas et des difficultés ou simplement liés au cours naturel des choses, apparaissent comme les marques et les rides d'un accomplissement continu, presque logique, qui conduit à la mort. Avec le temps, on devient finalement ce que l'on est, on ne devient que ce que l'on est. Les transformations du corps, de l'âme renforcent la permanence de l'identité, la caricaturent ou la figent, ne la contredisent jamais. Ne la dérangent pas.
Cette pente existentielle et biologique progressive, qui ne fait que transformer le sujet en lui-même, ne saurait faire oublier le pouvoir de plastiquage de cette même identité qui s'abrite sous son apparent poli, comme une réserve de dynamite enfouie sous la peau de pêche de l'être pour la mort. En conséquence de graves traumatismes, parfois pour un rien, le chemin bifurque et un personnage nouveau, sans précédent, cohabite avec l'ancien et finit par prendre toute la place. Un personnage méconnaissable, dont le présent ne provient d'aucun passé, dont le futur n'a pas d'avenir, une improvisation existentielle absolue. Une forme née de l'accident, née par accident, une espèce d'accident. Une drôle d'engeance. Un monstre dont aucune anomalie génétique ne permet d'expliquer l'apparition. Un être nouveau vient au monde une seconde fois, venu d'une tranchée profonde ouverte dans la biographie.
Il existe des métamorphoses qui dérangent la boule de neige que l'on forme avec soi-même dans la durée, ce gros tas circulaire bien rempli, replet, complet. D'étranges figures qui surgissent de la blessure, ou de rien, d'une sorte de décrochage d'avec l'avant, des figures qui ne résultent ni d'un conflit infantile non réglé, ni de la pression du refoulé, ni du retour subit d'un fantôme. Il est des transformations qui sont des attentats. J'ai longuement parlé de ces phénomènes de plasticité destructrice, des identités scindées, interrompues soudainement, désertes des malades d'Alzheimer, de l'indifférence affective de certains cérébro-lésés, des traumatisés de guerre, des victimes de catastrophes, naturelles ou politiques. Force est de constater et de faire reconnaître que nous pouvons tous, un jour, devenir quelqu'un d'autre, d'absolument autre, quelqu'un qui ne se réconciliera jamais avec lui-même, qui sera cette forme de nous sans rédemption ni rachat, sans dernières volontés, cette forme damnée, hors du temps. Ces modes d'être sans généalogie n'ont rien à voir avec le tout-autre des éthiques mystiques du XXe siècle. Le Tout-Autre dont je parle demeure à jamais étranger à Autrui.
Le plus souvent, les vies vont leur chemin comme les fleuves. Parfois, elles sortent de leur lit, sans qu'aucun motif géologique, aucun tracé souterrain, ne permette d'expliquer cette crue ou ce débord. La forme soudainement déviante, déviée, de ces vies est de plasticité explosive. (p. 9-10)

Qu'est-ce qu'une issue, que peut être une issue là même où il n'y a aucun dehors, aucun ailleurs ? C'est bien en ces termes que Freud décrit la pulsion, cette excitation étrange qui ne peut pas trouver sa décharge à l'extérieur du psychisme et dont il n'est pas possible, comme il est dit dans Pulsions et destin des pulsions, de « venir à bout par des actions de fuite ». La question est bien de savoir comment « éliminer » la force constante de la pulsion. « Ce qui se forme alors, dit Freud, c'est une tentative de fuite. » Il faut prendre ici au sérieux le verbe « ce qui se forme », « es kommt zu Bildung », littéralement « ce qui vient à formation », car ce verbe ne fait pas qu'annoncer la tentative de fuite, il la constitue. La seule issue possible à l'impossibilité de fuir semble bien être la constitution d'une forme de fuite. C'est-à-dire à la fois la constitution d'un genre ou d'un ersatz de fuite et la constitution d'une identité qui se fuit, qui fuit l'impossibilité de se fuir. Identité désertée, dissociée encore une fois, qui ne se réfléchit pas elle-même, ne vit pas sa propre transformation, ne la subjective pas. (p. 18)

Le style de Duras repose lui-même tout entier sur la suppression des liens et des enchaînements, sur cette figure de rhétorique que l'on appelle savamment l'asyndète. Celle-ci est une sorte d'ellipse au moyen de laquelle on retranche les conjonctions qui unifient les propositions et les segments de la phrase. Le Dictionnaire de rhétorique la présente comme une « figure obtenue par suppression des termes de liaison ». Elle appartient à la classe des disjonctions et fait se télescoper les mots, qui arrivent les uns aux autres, les uns sur les autres, s'arrivent, comme autant d'accidents en effet. Ils se cabossent, perdent tout liant, tout enduit, toute graisse, toute société. L'asyndète est l'alcoolisme du langage. (p. 60)

Catherine Malabou, Ontologie de l’accident (Léo Scheer, 2009)

Catherine Malabou est professeur de philosophie à l’Université de Paris X Nanterre et directrice de la collection de philosophie aux Éditions Léo Scheer. Elle a publié aussi :
- L’Avenir de Hegel. Plasticité, temporalité, dialectique (Vrin, 1996)
- La Contre-allée ; avec Jacques Derrida (La Quinzaine littéraire - Louis Vuitton, 1999)
- Le Temps (Hatier, 2000)
- Plasticité, actes du colloque du Fresnoy (Léo Scheer, 2000)
- Le Change Heidegger. Du fantastique en philosophie (Léo Scheer, 2004)
- Que faire de notre cerveau ? (Bayard, 2004)
- La plasticité au soir de l’écriture. Dialectique, destruction, déconstruction (Léo Scheer, 2005)
- Les Nouveaux Blessés, de freud à la neurologie : penser les traumatismes contemporains (Bayard, 2007)

dimanche 12 juillet 2009

maintenir le monde avec ses pieds

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Une tâche scabreuse, marcher sur la pointe des pieds en passant par une poutre vermoulue qui sert de pont ; ne rien avoir sous les pieds ; gratter d’abord la terre avec ses pieds pour rassembler le sol que l’on va fouler ; marcher uniquement sur son propre reflet que l’on voit dans l’eau au-dessous de soi ; maintenir le monde avec ses pieds ; en l’air seulement se tordre les mains afin de pouvoir endurer cette peine. (p. 560)

« Ce n’est pas un mur nu, c’est de la vie très sucrée qu’on a comprimée pour en faire un mur, grain de raisin sur grain de raisin. – Je ne le crois pas. – Goûte. – Je ne peux pas lever la main à force d’incrédulité. – Je porterai le raisin à ta bouche. – Je ne pourrai pas le goûter à force d’incrédulité. – Alors rentre sous terre. – Ne le disais-je pas que devant la nudité de ce mur on ne peut que rentrer sous terre ? » (p. 585-586)

Je sais nager comme les autres, seulement j’ai plus de mémoire qu’eux, je n’ai pas pu oublier l’époque où je ne savais pas nager. Comme je ne l’ai pas oubliée, il ne me sert de rien de savoir nager et malgré cela je ne sais pas nager. (p. 586)

Frantz Kafka, Traductions de Marthe Robert. Œuvres complètes. 2 : Récits et fragments narratifs (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1980)

::: les « traductions » du fragment « wenn man doch ein indianer wäre... » ont été réunies et mises en page par François Bon dans un très joli petit calaméo.

::: et l'on trouve d’autres fragments narratifs dans le tiers livre.

jeudi 9 juillet 2009

wenn man doch ein indianer wäre...

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Wenn man doch ein Indianer wäre, gleich bereit, und auf dem rennenden Pferde, schief in der Luft, immer wieder kurz erzitterte über dem zitternden Boden, bis man die Sporen ließ, denn es gab keine Sporen, bis man die Zügel wegwarf, denn es gab keine Zügel, und kaum das Land vor sich als glatt gemähte Heide sah, schon ohne Pferdehals und Pferdekopf.

Christine Bauer lance sur le blog regard au pluriel une invitation à traduire/interpréter ce texte de Kafka ... et je me retrouve à traduire sans doute de manière très inexacte mais avec grand plaisir une langue dont je ne parle pas un mot, ce qui donne :

Faire comme si on était un indien, toujours prêt à s’enfuir sur un cheval fendant l’air pour échapper aux spasmes de la terre, et s’aperçevoir qu’on a perdu ses éperons, car il n’y avait pas d’éperons, qu’on a laché les rênes, car il n'y avait pas de rênes, et que progressivement le paysage virtuel s’efface, se mue en une matrice vide, tandis que l’encolure puis la tête du cheval retournent aux pixels.

Cela me rappelle l’époque où j’attaquais mes versions anglaises ou latines à l’intuition, ce qui produisait des résultats très ... contrastés,
cela me rappelle aussi pourquoi je me méfie des textes traduits,
cela me rappelle que Le Clavier cannibale de Claro attend sagement d’être lu sur une de mes étagères.
et cela me rappelle enfin un autre texte allemand que j'aime beaucoup, dans la traduction où je l'ai rencontré pour la première fois, en exergue d’Histoire de Claude Simon :

Cela nous submerge. Nous l'organisons. Cela tombe en morceaux.
Nous l'organisons de nouveau et tombons nous-mêmes en morceaux.
(traduction de J.F. Angelloz, Aubier bilingue)

le texte allemand, extrait de la huitième des Élégies de Duino (1912-1922, parution 1923) de Rainer Maria Rilke, est :

Uns überfüllts. Wir ordnens. Es zerfällt.
Wir ordnens wieder und zerfallen selbst.

et les autres traductions que j’ai pu en lire, en recherchant la référence de la première, me parlent beaucoup moins, par exemple :

Débordés. Nous mettons de l'ordre. Tout s'écroule.
Nous remettons de l'ordre et nous-mêmes croulons.
(traduction de François-René Daillie, Orphée-La Différence)

En sommes submergés. L'agençons. Sa ruine survient.
L'agençons de nouveau et périclitons nous-mêmes.
(traduction de la Pléiade)

Ce tout nous submerge. Nous y mettons de l'ordre. Il vole en éclats.
Nous l'ordonnons encore : nous volons en éclats nous-mêmes.
(traduction de Jean-Yves Masson, Imprimerie nationale)

mercredi 8 juillet 2009

I can pick my own nose

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Andy Warhol, The Lord Gave Me My Face But I Can Pick My Own Nose
(Le Seigneur m'a refilé mon visage, mais je peux me gratter le nez tout seul, 1948, Pittsburgh, Collection Paul Warhola Family)

L'exposition Le Grand monde d’Andy Warhol (au Grand Palais) permet de réviser pas mal d'idées reçues, de faire de jolies découvertes (comme l'autoportrait ci-dessus) et de mettre en perspective les quelque 250 portraits présentés dans la grande histoire du portrait et de l'autoportrait, depuis les portraits du Fayoum.

::: Andy Warhol Museum
::: Andy Warhol Foundation
::: Andy Warhol City

lundi 6 juillet 2009

prière ératépiste

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Notre Auber

Notre Auber qui êtes Jussieu
Que Simplon soit Parmentier
Que Ta Volontaires soit Place des Fêtes
Que Ton Rennes arrive
Sur Voltaire comme Courcelles
Donne-nous Galliéni notre Havre-Caumartin
Et ne nous soumets pas à la Convention
Cambronne-nous nos Défense
Comme nous Odéon à ceux qui nous ont Maraîchers
Délivre-nous des Halles.
Miromesnil.

Hervé Le Tellier, Zindien (Syllepse, 2000) (Le Castor Astral, 2009, p. 47)

dimanche 5 juillet 2009

il manque une pièce au puzzle

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Cette discussion presque quotidienne me manque beaucoup après son décès, et chaque début d'après-midi il y a un moment où je ne sais plus quoi faire entre deux activités. C'est l'heure, deux heures et demie de l'après-midi, où habituellement depuis des mois je l'appelais au téléphone. Bien sûr, il n'y a plus personne à appeler, il a disparu, rayé de la liste, au suivant. Tout de même, quelque chose cloche dans ce système où tous les êtres humains décèdent un à un ; quelque chose a raté dans la création du monde, l'ensemble est défectueux, il manque une pièce au puzzle. Les choses sont bizarres, normalement les gens que l'on aime ne devraient pas mourir. (p. 19)

Pour le repas d'anniversaire de ses quatre-vingts ans, une nièce a fait imprimer sur les menus une photographie de lui que je n'avais jamais vue : il est enfant, il doit avoir cinq ou six ans, ses cheveux sont coiffés bizarrement, coupés au bol, trop longs, cela lui donne un air de fille ; il pourrait être l'objet de moqueries de ses camarades d'école mais je sais que c'est impossible, il a un regard qui inspire le respect et la crainte, il a une autorité naturelle qui s'impose à tous, même au travers du temps, qui s'impose même à moi aujourd'hui. La reproduction photographique est la partie d'un cliché plus large le montrant au milieu de ses père, mère et tante. Il a le regard dans le vide avec un timide sourire. Comme pour chaque photo d'enfant qui ne rit pas aux éclats, on peut réinterprêter a posteriori le personnage et prétendre voir des décennies plus tard quelque chose dans son regard. Mais personne ne peut jamais dire ce que va devenir un être, quelle va être sa vie, le hasard est le roi du monde et très peu d'hommes et de femmes peuvent le combattre et le vaincre. On ne peut non plus jamais savoir ce qu'a pensé une personne, ce qu'elle a ressenti, elle seule le sait, et encore, si elle n'a aucune mémoire, elle oublie son passé au fur et à mesure que la fin de sa vie approche. La photographie montre seulement un enfant qui pose pour l'objectif aux côtés des grandes personnes. Il ne peut rien savoir de son avenir, il ne sait même pas ce que le mot signifie ; il connaît seulement son présent et ce présent, c'est la grande maison, la rue, le château et la ville tout autour. (p. 29-30)

Quand on n’a pas d’enfants, on ressent d’une manière plus intense le devenir de l’humanité, on peut voir en surimpression sur le monde la trace du temps, telle une autoroute en pointillé. Un écrivain comme Marcel Proust en est l’exemple parfait, Franz Kafka également. Mais quand Proust est immobile, Kafka court, il sprinte à grandes foulées, il veut s’échapper, il attaque la réalité à la pioche, ou plus précisément à la clef à molette et au tournevis, il est là pour changer quelque chose, pour démonter le système et le remonter dans le bon sens, il est là pour réparer le monde. Si je devais comparer mon oncle à un de ces écrivains, je le comparerais à Proust : il voit, il comprend, il observe, il explique. Mais il laisse tout en place, il ne part pas en guerre contre le monde comme le fait Kafka. Non, mon oncle est un homme pacifique, un homme non pas résigné mais respecteux. (p. 54-55)

Marc Pautrel, L’homme pacifique (Gallimard, L’Infini, 2009)

Marc Pautrel est né en 1967. Il a publié auparavant :
- Le métier de dormir (Confluences, 2005)
- La vie des écrivains classiques (publie.net, 2008)
- Je suis une surprise (voir billet)

::: en ligne : deux articles de Guénaël Boutouillet (remue.net) et Jérôme Garcin (NouvelObs)

::: et aussi : le site de Marc Pautrel, son blog et son Carnet de triptyques quotidiens.

mardi 30 juin 2009

suite mobile de bifurcations, dérives, rhizomes

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Un livre ne commence pas – absence de commencement, une écriture sans début ni fin. Livre déjà commencé, déjà commencé d’être écrit. Non dans l’existence de l’écrivain, ses expériences, son enfance heureuse ou malheureuse, ses pensées, bêtes ou géniales, mais dans quelque chose en lui, un ailleurs à travers lui ouvert à l’absence de commencement, ouverture sans bord, illimitée – qui ne serait que cela, ouverture, vide désert, béance sans lieu, sans espace. Et, pas davantage, l’origine ne serait dans la langue ou le langage, dans des idées ou la culture ou... Personne n’écrit : ce qui écrit est personne, ce qui écrit est rien. Un livre ne se limite pas aux petites frontières de quelques pages rassemblées, selon la représentation commune qui retrouve dans le volume du livre les caractères les plus éculés de la subjectivité. Le livre dérive, fait de dérives, et d’un inconscient, l’écriture : suite mobile de bifurcations, dérives, rhizomes – infiniment.

Jean-Philippe Cazier, Le silence du monde (publie.net, 2009, p. 78)

::: et aujourd’hui sur publie.net un troisième livre de Jean-Philippe Cazier ! un essai très dense, sur l'expérience de la lecture notamment, composé de fragments, nourri de nombreuses références et citations, que je télécharge pour y revenir à loisir.

lundi 29 juin 2009

vie cérébrale du monde

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Écrire : zone obscure, écrire : inconnue zone obscure du monde, parler : mobilité du cerveau du monde, de la pensée, du corps du monde – parler inachevé :

(ondes, vie cérébrale, engloutie et sans forme, chutes d’un cerveau d’ondes, dans l’obscurité : écrire…

… (ondes sans cesse, sans cesse écrire, inachevé le monde, le cosmos du monde, mots à l’intérieur du crâne, écrire : vie cérébrale du monde

(écrire sur le cerveau du monde

(mobilité de la pensée, dans l’obscurité : écrire))).

Jean-Philippe Cazier, Écrires ; précédé de Poémonder (Inventaire/Invention, 2004, Publie.net, 2009, p. 17-21)

Jean-Philippe Cazier est né en 1966 ; il est professeur de philosophie et a publié :
- Voix sans voix (Sils Maria, 2002)
- Écrires précédé de Poémonder (Inventaire/invention, 2004)
- Désert ce que tu murmures (La Cinquième Roue, 2006)
- C’est pourtant Joseph K. qui est là (publie.net, 2009)

::: son blog : http://jeanphilippecazier.blogspot.com/

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