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écrivains

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vendredi 27 février 2009

l'ego problématique

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ayant dormi trois heures à peine en une nuit mais y voyant clair, très clair, plus clair que jamais dans ma nuit déjà bien blanchie & ma vie un peu fanée - trois heures plus tard me réveillant avec les mêmes maux de têtes, l'ego problématique, l'ego voulant avant tout être aimé, adulé, caressé (un ego bien sucé, quotidiennement essoré nous laisse à peu près en paix), ayant encore raté une occasion de fermer ma gueule (mais plus je ferme ma gueule, plus la bêtise qui vient après - quand je l'ouvre - est énorme... considérable... monumentale : la méthode consisterait à écouler clandestinement ma folie par petites quantités et en lousdé, comme ces chats qui compissent nerveusement les coins des rues, à petits jets et fréquemment, comme par saccades, se soulageant en même temps qu'ils marquent leur territoire), ne pouvant longtemps me tenir, me polir, me contenir, offrir une surface lisse, un aspect policé, le mauvais fond -sale & sauvage- remontant à la surface et la défonçant, la crevant (comme si je m'ennuyais dans la paix, comme si j'avais voulu un combat ou la guerre) : si je ne remue pas le fond du pot, m'emmerdant grave mais si je le remue, une boue épaisse remontant et me submergeant de honte, remarquant que quand je dis ce que je pense (ce qui pousse & me bouscule), une odeur nauséabonde se répand et on croit que je suis une bête ou un fou (ce que je dis a quelque chose d'affreux), libérant un monstre quand je relâche mon attention, ce qui m'amène à conclure que ce que je pense est folie ou sagesse de bête et qu'il faut donc que je m'abstienne de tout avis personnel si je veux rester dans les limites de la raison (alors oui, tout va bien, je suis normal, j'accède à la normalité comme au paradis moderne & laïque), n'étant d'aucun groupe, d'aucune famille, d'aucun avis (mais demeuré idiot au pays des bêtes), ayant tout de même appartenu aux hommes par la force de cette normalité qui, toute ma vie, m'a rivé aux us et coutumes de mes semblables, ayant ressemblé à mes semblables de toutes mes forces (jusqu'à me fondre en eux et leur appartenir entièrement), la culpabilité étant l'autre moyen de continuer à appartenir à la communauté des hommes une fois la faute commise (faute qui retranche de la masse peinarde), disposant d'énormes quantités et de véritables gisements naturels de culpabilité (culpabilité éternellement disponible mais inassumable, inéliminable, incombustible), m'étant passionnément conformé au mode d'emploi (jusqu'à le tatouer sur ma peau), mais sinon faisant horreur à ceux que je m'efforce d'aimer (soit que je garde ma haine pour moi et qu'elle me brûle, soit que je la sorte et qu'elle m'éclabousse) (...)

« Un projet abandonné sous le canapé » (p. 105-106)

Jacques Brou, La machine à être. 773 paperoles trouvées dans les poches d’un homme ; suivi de Un projet abandonné sous le canapé (è®e, 2009)

Ce livre très singulier restitue, sous forme de fragments numérotés plein de points de suspension, les flux et reflux, doutes et certitudes, contradictions et affirmations d'une conscience.

C'est le quatrième livre de Jacques Brou, né à Nancy en 1966.
Il a publié auparavant :
- La Grande vacance (Léo Scheer, 2002)
- L’un (Léo Scheer, 2003)
- Le Penseur (Léo Scheer, 2003)

::: l'avis de Chloe Delaume

jeudi 26 février 2009

ne pas rester à la même place pour regarder dehors

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Parce que le vivant depuis le tout début du premier jour de la première cellule
bouge. Le vivant se transforme ne reste pas dans le même état - quand il ne bouge plus : il est mort. Foule de formes très vivantes aujourd'hui ici - bêtes arbres algues fleurs et certaines humaines mais ressemblent pourtant parfois à très très mortes. Des raisons, oui, ou simplement car nous figés engourdis englués finalement inanimés dans par exemple des simplicités comme rancunes ou habitudes. Et dommage, parce que plus longtemps on est figé plus dur après de bouger (je crois). La métaphore du sport et des courbatures éventuellement (question de la souplesse, craquements raideurs etc.).
Bouger : pas remuer les bras les jambes ni courir à toute allure ni gesticuler dans tous les sens. Non. je voudrais dire bouger, ne pas rester à la même place pour regarder dehors (ou dedans). Pas quand je décide tiens je vais bouger ce sera dur mais allons-y. Non. Bougé(e)(s) - accepter d'être. Plutôt (on ne sait pas quand). Des ci-dessous concrets pour illustrer, allez. (p. 9)

Cette année c'est tard peut-être mais mieux vaut tard n'est-ce pas - cette année donc je réalise combien je souvent régulièrement et pour pas grand-chose franchement : culpabilise. Très forte j'interprète j'analyse j'établis des scénarios plausibles et vraisemblables je trouve mille bonnes raisons au bout du compte j'ai réussi je me sens tout à fait entièrement totalement : coupable.
Un jour mariage, les mariés proches et la campagne on fait tout simple et ce qu'on veut, sourires vin rouge sous le soleil. Journée avec des amis chers anciens voisins. Joyeuse d'être avec eux mais pensée grignotante dans la tête et persistante « tu n'as pas honte tu devrais faire connaissance avec des autres inconnus ». Diable d'où vient ce tu devrais ? Bien des idées, oui mais. On a beau dire se rendre compte prendre conscience (ça fait du mieux certainement). Par exemple une de ces choses réalisée, ma foutue propension à une sorte de perfection (le mot sainteté et puis quoi encore). Que personne n'ait pour moi des reproches. Mais très curieux curieusement je fais l'inverse très souvent de justement ce qu'il faudrait. (p. 23)

Albane Gellé, bougé(e) (Seuil, Déplacements, 2009)

Albane Gellé est née en 1971 à Guérande, et a publié :
- À partir d’un doute (Voie Publique, 1993)
- Hors du Bocal (Le Chat qui Tousse, 1997)
- En toutes circonstances (Le dé bleu, 2001)
- De père en fille (Le Chat qui Tousse, 2001)
- L’air Libre (Le dé bleu, 2002)
- Un bruit de verre en elle (Inventaire/Invention, 2002)
- Aucun silence bien sûr (Le dé bleu, 2002)
- Quelques (Inventaire/Invention, 2004)
- Je te nous aime (Cheyne, 2004)
- Je, cheval (Jacques Brémond, 2006)

::: un premier état de bougé(e) (Inventaire/Invention)

::: remue.net
::: poezibao
::: Printemps des poètes
::: un entretien avec Alexandra Morardet (Arte, février 2006)

vendredi 20 février 2009

raconter des histoires c'est raconter des mensonges

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-- ras le cul de tous ces mensonges vous voyez si j'essaie d'écrire quelque chose en fait ça n'a rien à voir avec l'architecture j'essaie de dire quelque chose sur l'écriture sur mon écriture je suis mon propre héros absurde comme dénomination mon propre personnage principal donc j'essaie de dire quelque chose sur moi à travers lui Albert un architecte alors que mais à quoi bon cette mascarade oui mascarade cette mascarade qui donne l'illusion l'illusion que je peux tout raconter à travers lui enfin tout ce que je pourrais trouver d'intéressant à raconter

-- souveraine aposiopèse

-- J'essaie de dire quelque chose pas de raconter une histoire raconter des histoires c'est raconter des mensonges et je veux dire la vérité sur moi sur mon expérience sur ma vérité de ma relation à la réalité sur le fait d'être assis là à écrire et à regarder Claremont Square par la fenêtre à essayer de dire quelque chose sur l'écriture et sur le fait qu'il n'y a aucune réponse à la solitude et au manque d'amour

-- vous voyez donc je

-- encore une fois qu'est-ce que l'écriture sinon la vérité ma façon de dire la vérité ma vérité sur l'expérience sur mon expérience personnelle et si je me laisse aller à la falsification en racontant des histoires alors je m'éloigne de la vérité de ma vérité ce qui n'est pas bon oh certainement pas en aucune manière

-- alors c'est rien

-- vous voyez, j'essaie de vous dire quelque chose sur les sensations qu'éveillent en moi mon statut de poète dans un monde où les poètes sont les seuls encore à éprouver un quelconque intérêt pour la poésie, à travers le corrélat objectif d'un architecte qui doit gagner sa vie en acceptant un boulot de prof.
Ce dispositif que vous n'avez pu manquer de voir se fissurer, dysfonctionner très souvent, bien trop souvent, car un architecte manqué peut en général réussir à gagner sa vie sans trop s'éloigner de son art, alors qu'aucun poète n'a jamais vécu de sa poésie, et puis, il y a dans l'architecture une dimension pragmatique qui fait tout bonnement défaut à la poésie, et puis, tout simplement, l'architecture n'est pas la poésie, point final (p. 171-172)

-- Question de morcellement de la vie, aussi, tentatives de reproduire la simultanéité du morcellement de la vie, de ma vie, de le retranscrire formellement, ce morcellement, par un collage des fragments de ma vie, les pauvres petites bricoles, le bric-à-brac, une composition, donc.

-- S'il te plaît, raconte-moi une histoire, raconte-moi une histoire. Infantile.

-- Non pas que je ne sois pas attaché à Albert, car je le suis, attaché, beaucoup, même. Albert, subtile allusion comique de ce nom, substitut aujourd'hui, en tant que tel, et Albert Albert, pour souligner son Albertitude, Albertité, réalité, unicité, oui, je le suis, attaché à lui, très, même si le portrait fourni par mes soins ne constitue qu'une vague esquisse, une entité multiple, j'en ai conscience, mais il me représente, alors à quoi bon : Albert, me représenter ? N'importe quoi.

-- Et retranscrire aussi la complexité de la vie, tenter autant que faire se peut de reproduire la complexité des êtres qui m'habitent, aussi contradictoires et primaires soient-ils : puéril, diront certains, autant pisser dans un violon, sans doute, mais je suis puéril à mes heures, et pas qu'un peu, comme tout le monde, cela fait partie de la complexité de la vie que j'essaie de reproduire, d'exorciser.

-- Confronté à l'infinie précision, énergie, ampleur de cette complexité, cette complexité de la vie, la tentation est grande pour un écrivain d'appliquer son propre système, un système arbitraire qui ne peut éviter la falsification, un système voué à la falsification ; à défaut, il pourra toujours inventer, ce qui est pur mensonge. Il ne faut pas se retourner sur le passé et lui appliquer une grille d'analyse. Tout ça n'est que mensonge, mensonge, trois fois mensonge. C'est au mieux, un moindre mal, pour les autres écrivains, histoire de leur faire une faveur, de leur accorder le bénéfice du doute infini. (p. 173-174)

- L'un de mes objectifs est didactique aussi : le roman doit servir à transmettre la vérité, et dans ce but, chaque procédé, chaque technique de l'art de l'imprimeur devrait être mis à la disposition de l'écrivain : d'où les trous dans la page, comme des fenêtres sur le futur, par exemple, autant attirer l'attention sur les possibilités que pour prouver ma théorie sur la mort de la poésie.

- La page est un espace sur lequel je dois pouvoir déposer les signes qui, d'après moi, transmettent le plus justement possible ce que j'ai à transmettre : j'utilise donc, dans les limites du budget de mon éditeur et de la patience de mon imprimeur, des techniques typographiques qui transgressent les limites contraignantes du roman conventionnel. Rejeter de telles techniques en les traitant d'artifices, ou refuser de les prendre au sérieux, c'est laisser passer l'essentiel. (p. 179-180)

B.S. Jonhson, Albert Angelo. Traduit par Françoise Marel (Quidam, 2009)

Publié en 1964 et écrit dans un style très singulier, typique de ce que sera le travail de B. S. Johnson, Albert Angelo est célèbre notamment à cause des fenêtres évidées qu'arborent deux de ces pages, et qui donnent à voir « le futur de la fiction », qui n’est pas forcément ce que l'on croit.
B.S. Johnson multiplie les adresses au lecteur, les points de vue narratifs (le récit des cours à des élèves difficiles, avec le texte sur plusieurs colonnes, est très réussi), et toute une série d’originalités stylistiques, qui sont toujours au service d'un propos chargé d'émotion, d'humour, d'intelligence.

Bryan Stanley Johnson, qui est né en 1933 et s'est suicidé à l'âge de quarante ans en 1973, est peu connu en France alors qu'il jouit d’un grand prestige en Angleterre.
En dix ans, il a écrit sept romans que, grâce aux excellentes éditions Quidam, on découvre peu à peu en France, traduits avec talent de l’anglais par Françoise Marel. Ont déjà été publiés :
- Chalut (Trawl, 1966 ; Quidam, 2007)
- R.A.S. Infirmière-Chef, une comédie gériatrique (House Mother Normal, 1971 ; Quidam, 2003)
- Christie Malry règle ses comptes (Christie Malry's Own Double-Entry, 1973 ; Quidam, 2004)
et à venir, toujours chez Quidam :
- Les Malchanceux (« le livre-boîte dont les 27 sections ou chapitres peuvent être battus comme des cartes et être lu(e)s selon l'ordre imposé par le hasard, le seul impératif restant de lire la section Début au début et la section Fin à la fin »), à paraître en novembre prochain
- La biographie que lui a consacrée Jonathan Coe, Like a Fiery Elephant : The Story of B. S. Johnson (Londres, 2004), à paraître début 2010.

à lire en ligne sur ce roman :
::: Bartleby les yeux ouverts
::: Laure Limongi
::: le Préfet maritime

jeudi 19 février 2009

la vie telle qu’elle est

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Car cela ne vous aura pas échappé : très rapidement, nous sommes noyés dans la vie telle qu’elle est. Les plus délurés d’entre nous sont broyés par la maussaderie, et ne savent, au bout de quelques années de vie, que dire oui-oui à ce qui est, et s'en plaindre, sans protester davantage. Toute personne dotée d'un tant soit peu d'espoir ou d'entrain naturel le perd au bout de quelques années d'existence. Dans le passé, je me suis souvent demandé, moi qui n'ai jamais rien fait avec facilité, encore moins avec naturel, comment s'en sortiraient ceux que je voyais heureux autour de moi. Le constat s'impose : les choses ont mal tourné pour eux aussi. Au bout de quelques années de vie, ceux qui, dans mon entourage, étaient les plus heureux de vivre ont été réduits en bouillie. Ceux qui avaient un peu de brillance, de talent, de génie, vingt, trente, quarante ans passés, ont perdu leur joie de vivre ou leur talent, et je peux même dire qu'ils ont acquis une mine encore plus terne que ceux qui étaient incapables, dans le passé, d'être naturellement heureux. (p. 17-18)

Les écrivains présentent souvent des exemples de vies ordinaires. D'un ton atone, ma grande amie ni mâle ni femelle (qui me disait régulièrement ne pas aimer le téléphone) me répétait chaque jour au téléphone qu'il existait des écrivains (et de plus nombreux êtres humains encore) qui n'avaient, par exemple, pas baisé de leur vie. Pour elle, le grand événement ne pouvait résider qu'en une grande histoire d'amour (opinion que je tenais pour naïve). Beaucoup d'écrivains n'avaient pas même baisé une seule fois dans leur vie, pour preuve Antonin Artaud (à qui elle aurait souhaité ressembler, du moins quand il avait encore des dents). Elle tirait de cet exemple (et de celui de Pessoa) qu'il était probable, du moins possible, qu'elle ne rebaise plus. Elle avait eu la chance, connu le miracle, de baiser quelques fois dans sa vie (et encore, dans quelles conditions!), mais ce miracle pouvait ne pas se représenter. En outre, il s'était avéré totalement décevant. Si bien que tous les cas où le miracle d'un acte sexuel avec autrui était survenu, il ne lui était en réalité rien arrivé de plus. (p. 37)

Tous les soirs, tous les soirs de ma vie, j'ai jugé que rien de ce que j'observais ou vivais ne se hissait suffisamment haut pour atteindre la prétention flottante qui était la mienne. En désespoir de cause, j'ai pris le parti de considérer que ce que j'observais et ressentais était absolu dans le négatif : dans ma bouche, les choses n'étaient pas maussades, mais calamiteuses, ne frisaient pas le ridicule, mais étaient absolument grotesques, et ainsi de suite. Si le paradis n'était pas envisageable, du moins l'enfer le serait. Si manifestement aucune révolution ne s'annonçait, du moins une apocalypse sans lendemain était inévitable. Chaos, confusion, terreur, catastrophes, honteuse escroquerie, tels étaient les termes avec lesquels je me suis plu à dépeindre le monde et la vie. Je me suis accrochée à l'idéal, dans sa version la plus sombre, de peur de le perdre complètement. Mieux valait, dans mon esprit, un idéal aux teintes obscures que l'acceptation de la relativité des choses. Cette dernière m'apparaissait comme une position inacceptable. Mais je m'aperçois aujourd'hui que cet idéal sombre, auquel chaque soir m'a ferrée davantage, m'a plombé la vie, ruiné l'existence. (p. 96-97)

Isabelle Zribi, Tous les soirs de ma vie (Verticales, 2009)

Isabelle Zribi est née en 1974 à Paris.
Elle a publié M.J. Faust aux éditions Comp’Act (2003) et participé aux ouvrages collectifs Autres territoires (Farrago, 2003) et Suspendu au récit. La question du nihilisme (Comp’Act, 2006), ainsi qu’à des revues comme la revue X. Elle co-anime la revue Action restreinte.

Tous les soirs de ma vie est un monologue sobre et intimiste, écrit dans une langue classique aux accents parfois proustiens, très différent de son précédent roman Bienvenue à Bathory (Verticales, 2007), d'inspiration queer et gothique.

::: le livre des temps nouveaux, son blog
::: des extraits dans remue.net

mardi 17 février 2009

en petits ruisseaux sur des écrans ou des feuilles

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49.1
Criture.
Certains tentent de préserver leurs paroles en les transformant en traces liquides qu'ils font couler en petits ruisseaux sur des écrans ou des feuilles.

49.2
Les feuilles ne sont pas vertes mais blanches. Le liquide sèche en séchant.

49.3
Parfois ils font un paquet de ces feuilles, qu'ils assemblent en objets durs-mous, sur lesquels les autres peuvent s'asseoir.
(Voir ci-autour.)

(…)

49.19
Dans l'écriture on lisse et on relisse les mots avec une plume, jusqu'à ce que la pensée glisse parfaitement.

49.20
Dans l'écriture on touche et on retouche les mots au moyen d'une souris, jusqu'à ce que la pensée se couche. Parfaitement !

49.21
Dans la belle histoire de la page blanche, ce n'est pas la page qui est vide, ni le cerveau qui flanche, clic, c'est le trou plein qui ne sait où aller.

49.22
Idem écran plat, écran noir, cerveau-planche.

49.23
Vois l'œil du lecteur qui se glisse sous les mots et glisse à son tour sur la pensée lissée.

49.24
Glisse sur feuilles, plage, virginité, cristaux liquides.

49.25
En dépit des efforts paranoïaques des crivains pour protéger les mots de l'usure, ceux-ci se roulent à leur gré dans les louches, sur les écrans, se déformant et s'érodant par tous les bouts.

49.26
En usant des mots, on les use par la tête, et la queue.

Jacques Rebotier, description de l’omme (Verticales, 2008, p. 357-361)

post-scriptum : pour se faire une idée plus précise avant de courir l'acheter, la table et quelques extraits avaient été publiés sur le site d'inventaire/invention.

jeudi 12 février 2009

un grimoire aux couleurs de fée aquatique

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Dans ma boîte aux lettres ce soir, la surprise d'un magnifique objet : sous une jacquette en simili cuir bleu, douce comme un gant et qui sent bon, un grimoire vert pailleté aux couleurs de fée aquatique s'ouvre sur des pages vert d’eau où le texte est un peu délavé.

Le travail de rivière (Dissonances, 2009)
...le texte est de Laure Limongi et le livre de Fanette Mellier.

Si vous en voulez un aussi, il sera en librairie le 17 février.

Lecture/concert d'extraits du « Travail de rivière » au Musée de Chaumont par Laure Limongi sur une improvisation musicale d'Olivier Mellano.

mardi 10 février 2009

nager entre deux rives

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J'ai souvent l'impression de nager entre deux rives, pour reprendre l'expression de Chateaubriand.
J'ai l'impression de nager entre la rive d'une littérature toute occupée du sens, cherchant à dire la violence du monde, cherchant à saisir les orties de la réalité (la formule est d'Arno Schmidt), et la rive d'une littérature de plus en plus marginale, de plus en plus reléguée, de plus en plus chétive, qui, elle, cherche encore des formes.
Du point de vue de la forme, j'ai ce même sentiment. Celui de nager entre une rive hyperclassique (la rive du bien-dire français, du grand style, du grand genre, des périodes de douze pieds, tatata tatata tatata tatata, des imparfaits du subjonctif que vous épatâtes le monde Monsieur, etc) et la rive comico-grotesque : blagues, énormités, allusions sexuelles de mauvais goût, charges politiques à coups de trique etc.
J'ai dit « entre ». J'ai dit nager entre. Entre deux rives. Je n'ai pas dit au milieu. Je n'ai pas dit : dans la moyenne. Je n'ai pas dit : écrit en langue moyenne.
Le recours pour moi, au clacissisme, à l'absolu bien-dire du clacissisme, à sa perfection, à son excessive perfection est, précisément, l'une des façons de rompre avec cette langue moyenne dont nous sommes abreuvés et que j'abhorre. Idem pour le recours au grotesque, à l'exagération, au vulgaire, au mal-dire, à la poétique du « trop » (dont j'ai parlé pour Antonio Lobo Antunes) : autre façon de rompre avec cette modération et ce sens de la mesure qui sont devenues des marques françaises (à quelques exceptions près).
Tout, donc, sauf la moyenne.
Et que vive le baroque ! Ce que j'appelle le baroque. Cette fornication contre nature du classicisme de Pascal (clacissisme extrême auquel j'essaie de tendre) et du mauvais goût espagnol toujours prêt à jaillir, pour résumer la chose en quelques mots.
(…)
J'ai habité longtemps dans une barre HLM, j'ai parlé enfant un français très incorrect, j'ai eu honte d'avoir un père ouvrier et qui s'exprimait comme une vache espagnole, je pourrais continuer comme ça à vous arracher des larmes pendant un long moment. Mais si je vous dis tout cela, c'est uniquement pour que vous compreniez que la colère, elle commence là.
Elle commence très exactement là.
Devant cette infériorité là.
Devant cette injustice-là.
Et cette colère là devant cette infériorité là, devant cette injustice-là, cette colère là demeure toute la vie. Rien à faire. J'y suis, j'y reste.
Mais tandis qu'elle (la colère) se tient tranquille dans ma vie disons quotidienne, elle se réveille, intacte, absolument intacte, absolument vivace dès lors que je fais le geste d'écrire. C'est bizarre. C'est inexplicable. Et j'en suis toujours la première surprise.
J'ai le sentiment parfois que cette colère qui s'écrit relève de la pulsion, d'une pulsion cruelle, irrépressible, qui cogne la phrase, qui cloue la ponctuation, qui déchire comme disent les jeunes, et dont je dois absolument contrôler la violence. Pour le dire d'une façon moins effrayante, la colère est pour moi, comme pour Achille, ma muse. Chante ô déesse, la colère d Achille... Mais une muse qui finit souvent par éclater de rire, parce que trop, c'est trop.

Un bel entretien de Lydie Salvayre par Chloé Delaume, p. 152-161, dans le numéro 2 (20 janvier 2009) de la revue TINA. There is no alternative

Lydie Salvayre vient de publier Petit traité d’éducation lubrique (Cadex, 2008)

lundi 9 février 2009

la légèreté intime du trait

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Les lignes, les lignes, comme des rayures sur la peau, des mots distendus relançant la blancheur des propos. Une fonte des neiges en bouche, un filet s’écoule, des syllabes en tombent, forment de bruyantes zébrures, un iceberg dans le fond d’un verre, sa crête étincelante, sous l’eau, une masse somnolente aux variations bleues assourdit et fragilise le corps, au fond s’agitent les mots laissés muets, n’ayant pas encore fait surface. S’ils atteignent la ligne de flottaison, terre de liquidité, ils seront éclairés à vide, les lignes se dissoudront et la crête, abrupt de la langue fondra subrepticement, émaciant à jamais le blanc. Sous la peau ces couches glaciaires génèrent une telle fossilité verbale. Si dense. La faire émerger.

Virginie Poitrasson, Tendre les liens (publie.net, 2009, p. 8)

Pour les lignes de mots ... et pour la « légèreté intime du trait » (p.18) des lignes dessinées au bas de chaque page (la belle mise en page est due à Fred Griot).

Virginie Poitrasson est aussi traductrice de poésie contemporaine américaine, éditrice, plasticienne.
Elle a publié Demi-valeurs (Éditions de l’Attente, 2008)

::: son blog :::

vendredi 6 février 2009

racing against l'aube

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Il était peut-être quatre heures et demie. Quatre heures et demie du matin. Je lisais. Mon ordinateur s'est réveillé de son sommeil; il a émis un klang ; la routine de consultation du courrier venait de rapatrier un message. Ce message, expédié à 4:10 a. m., provenait de Jacques Roubaud.

Il y a longtemps que Jacques Roubaud se lève de bonne heure. Nombre d'indices l'attestent (dont ses courriers électroniques). Il l'avoue.
On sait aussi qu'il se couche tôt.
Je me lève tard. Je me couche tard. Au point que cette heure tardive déborde la bonne heure roubaldienne. Il se lève bien avant que je ne me couche. (Mais il se couche bien après que je suis levée.)
Je sais donc, tandis que je lis la nuit, carrée dans mon fauteuil, les pieds posés sur mon bureau ou sur une étagère de ma bibliothèque, je sais qu'il est probable, tandis que je lis, racing against l'aube, qu'à l'autre bout de la ville au moins un autre est réveillé, écrivant, lisant dans le silence et la solitude de ces heures nocturnes qui espacent les sons et distancient les vies.
Il était peut-être quatre heures trente du matin ce jour-là, et le message électronique de Jacques Roubaud me demandait, au cas où je ne dormirais pas (ce qu'il estimait probable) et n'étais occupée à rien d'important ou d'intéressant, de l'appeler au plus tôt. Surprenante urgence. Ceci n'arrive jamais.
Je l'ai donc appelé immédiatement.
Aussitôt décroché, Allô etc., il m'a dicté une adresse web. Une page assez sobre est apparue sur mon écran. Page que je reproduis ci-après.

Jacques Roubaud et Anne F. Garréta, Éros mélancolique (Grasset, 2009, p. 7-8)

En rentrant du Jeudi de l'Oulipo de ce soir, dont le thème n'était pas « Les présidentielles » mais « Cherchez la petite bête », j'ai commencé la lecture de l'étrange opus que semble être ce volume à quatre mains oulipiennes, dont l'incipit, en tout cas, me parle !

::: Monique Petillon, « Roubaud, Garréta et le manuscrit trouvé sur Internet », Le Monde des livres, 15 janvier 2009

jeudi 5 février 2009

se défaire s'en aller en morceaux

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s'élevant parmi les fleurs sauvages la folle et pathétique végétation des étés éphémères m'attendant à la voir peu à peu se défaire s'en aller en morceaux s'écrouler la vaste maison comme rongée par d'invisibles termites une secrète mélancolie avec ses pignons rococo ses galeries ses balcons ouvragés dentelles de bois jaunies par le temps entre les feuillages pâles comme ces très vieilles dames à la peau desséchée momies sur lesquelles des oripeaux fanés

Claude Simon, « Nord », Archipel et Nord (Minuit, 2009, p. 24)

Ce beau passage, qui évoque certaines de mes pages préférées d’Histoire, pour signaler une riche actualité simonienne :

::: sous ce titre Archipel et Nord, les éditions de Minuit publient deux courts textes, inédits en France, parus en 1974 dans les revues finlandaises Åland et Finland.

::: pour prolonger la lecture, d’autres textes de Simon publiés dans des revues sont depuis très longtemps disponibles sur le site de Patrick Rebollar

::: Les triptyques de Claude Simon ou l'art du montage, un livre accompagné d’un dvd édité par Mireille Calle-Gruber aux Presses de la Sorbonne Nouvelle (2009), est une intéressante « marqueterie » de documents variés et pour la plupart inédits : scenarii, correspondance, textes, manuscrits, plans de montage, entretiens, films, photographies, etc.

::: Le 13e Séminaire de l’Association des Amis de Claude Simon, consacré à « Claude Simon et l’art américain », aura lieu samedi 7 février 2009 à la Sorbonne.

mardi 3 février 2009

un peu d’urbanisme en société

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C’était sans compter sur l’autre, là. Le milliardaire. Tom Cruise Junior. Imaginez vous en face de lui. L’homme est vautré sur sa chaise longue. Athlétique. Bronzé. Soudain dressé sur ses jambes. Hop ! Vous surplombant d’une bonne tête. Évidemment… Avec ses invraisemblables cothurnes. Des semelles de vingt centimètres d’épaisseur. Plus hautes que les talons du roi Soleil !
Les plus belles piscines du monde.
Son visage. Non mais son visage… Son visage désormais à quelques centimètres du vôtre. Son visage étrangement lisse. Refait de neuf. Par les plus grands artistes du scalpel. Son visage comme numérisé. Et au milieu du visage cette fente ourlée. Cette brèche mouillée d’où sortent des mots insidieux. Visqueux. Minaudés. Des mots façonnant des questions enveloppantes. Des questions émises d’une voix ridiculement barytonneuse.
Les plus belles piscines du monde.
Et en bas. Tout en bas. Une dizaine de doigts de pieds. Outrageusement manucurés. S’agitant bizarrement dans leurs cothurnes. S’égayant même. Infâmes vers de terre. À mesure que la situation devenait pour moi plus embarrassante. Plus insupportablement embarrassante. Plus incompréhensible, aussi. Vous m’avez bien entendu. Plus indéchiffrable.
Les plus belles piscines du monde.

Jean-François Paillard, Les plus belles piscines du monde (publie.net, 2009, p. 39-41)

::: « les plus belles quoi ? (piscines, imbécile !) » : ce que Jean-François Paillard en dit sur son blog

::: « où l’on embauche Tom Cruise et la mode pour un peu d’urbanisme en société » : ce que son éditeur François Bon en dit sur le sien

samedi 31 janvier 2009

si un roman est capable de tuer

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Je lis à Théophile une page de mon carnet.

Liste des raisons pour lesquelles je dois tuer ma grand-mère en écrivant un livre (extraits) :

- Elle m'a raconté des histoires, à moi de la raconter, elle.

- Ma grand-mère ne me considère pas comme une écrivaine, mais comme une paumée publiée. Je dois lui démontrer qu'elle a tort, en faisant un roman qui lui charcute le cœur.

- Il n'existe pas de pilules contre la grand-mère, pourtant les symptômes persistent. Il faut donc trouver une thérapie adaptée, qui mêle revanche et guérison. À noter que les psychotiques ne peuvent suivre d'analyse, et qu'il est très urgent de trouver une solution.

- Ceux qui ont des univers sains et ouverts, leurs livres sont moches et débiles. Christine Angot, L'Usage de la vie.

- Ma grand-mère n'aime pas les animaux domestiques, les hommes encore verts à leur âge, le vernis à ongles noir, les surprises, que je me fasse remarquer, les orages, lire autre chose que Télé 7jours, le bruit de chaînes que font parfois les esprits sur le plancher, la viande trop cuite, le groupe Indochine, qu'on fasse une belle réputation à la famille dans le quartier, que les gens pensent que Mamie est méchante, passe sa vie à se faire les ongles et n'a jamais aimé qu'elle-même. Les faits + ma haine = une bonne matière romanesque. N.B.: reprendre ce paragraphe intact, calculer le nombre de signes. Conclure qu'en moins de cinq cents la vieille peut trépasser.

- La littérature est devenue le territoire du commerce et du divertissement. Rappeler qu'elle est, et avant tout, une arme semble nécessaire en ce moment.

- Personne ne prend au sérieux la littérature. Si un roman est capable de tuer, ne serait-ce qu'une vieille dame, l'État va investir, les budgets du ministère de la Culture et du Centre national du livre vont notablement augmenter, soutenant ainsi de nombreux poètes schizophrènes et écrivains non salariés, ce qui peut donc sauver le monde.

Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre (Seuil, Fiction & Cie, 2009, p. 116-118)

Et voilà comment l'autofiction peut sauver le monde !

::: le « mardi littéraire » de Pascale Casanova sur et avec Chloé Delaume conseillé et commenté par Berlol.

vendredi 30 janvier 2009

échapper à la métonymie

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Il y a du vent, beaucoup de vent. Le ciel s'est un peu épaissi. Je m'approche, aucune fleur. Mais des plantes, des bambous, des pots cubiques en verre. Du terreau, des petits galets. La stèle est combinée à une borne de téléchargement. Toute l'œuvre de Clotilde, soit quarante-sept romans, treize pièces de théâtre, deux cent vingt-deux textes et trente-neuf ans de blog, y est disponible en format numérique. Il suffit d'en approcher sa liseuse pour en faire l'acquisition.

C'est une amie de Clotilde qui a supervisé les images et les mots qui dévisagent sa vie pour mieux la récrire au futur antérieur. Clotilde ne voulait pas se plier au rituel. Depuis quelques années les morts avaient tous leur montage, diaporama, voire court métrage, elle trouvait cela de mauvais goût. On voyait le corps s'abîmer, gonfler et s'affaisser, ou parfois, au contraire, le déni restait souverain, les images s'appliquaient à n'être que jeunesse, sourires, vivacité.

La surenchère déjà illuminait les tombes, les survivants des uns concurrençant les autres ; honneur, bonheur, fierté. De chaque famille, de chaque vie achevée : une vraie publicité. Elle aurait préféré, Clotilde, qu'il y ait de la musique, sa musique intérieure. Celle qui se jouait au-dedans aux tout derniers instants, parce qu'elle la trouvait belle. Et juste, aussi, si juste. Tellement qu'elle aurait pu en pleurer. Elle aurait bien aimé, Clotilde, que cette musique-là se glisse par Bluetooth dans les oreillettes de quiconque venu se recueillir. Puisque la plénitude ne pouvait être partagée, elle aurait voulu, justement, pouvoir en offrir quelques notes, ruisselantes, pâles et aiguës. Des mp3 étaient bien disponibles, mais il ne s'agissait que de ses pièces sonores.

Il y a du vent, beaucoup de vent. Qui empoisse mes cheveux et affole mon carnet. Je regarde Théophile, lui signifie : c'est trop. Le soleil se raidit, les bourrasques s'éteignent. Théophile me sourit et me dit : à présent, s'il vous plaît, regardez. Alors je fixe l'écran, mais ne saisis pas tout.

Ce ne sont pas tant les traits, la silhouette de Clotilde qui se modifient au fil des ans, à travers ces quatorze minutes. C'est plutôt le décor des prises qui évolue. Je vois des librairies et des brasseries connues, des maisons d'édition identifiables, aussi. Et puis au second tiers, maintenant, je ne sais plus trop. Les lieux, méconnaissables.
Beaucoup de choses se passent devant des ordinateurs. Design épuré, dématérialisation confondante. Clotilde est une femme mûre, lecture sur sa liseuse dans une pièce blanche, peut-être une galerie d'art où tout serait décroché. Il y a des bornes et des écrans, le public fait la queue devant des exemplaires fraîchement imprimés par une machine à livres.

Je regarde Théophile, mes pupilles lui renvoient mon interrogation. Il s'éclaircit la gorge et se meut en voix off. Il dit : les rayons des hypers ont terrassé les librairies. Il ajoute : pour pallier au surendettement, nombreuses sont celles qui ont limité leur fonds aux classiques et aux seuls contemporains bancables. Un livre de littérature contemporaine reste en rayon trois mois. Les stocks explosent, des millions de livres sont passés au pilon. Les grands groupes réduisent le budget de leur secteur recherche et multiplient les coups commerciaux. Les maisons indépendantes sont parallèlement accusées de surproduction. Faillites et dépôts de bilan. Sur internet, les wannabe s'impatientent, dénonçant la consanguinité de la République Bananière des Lettres. Les auteurs surexploités en sont rendus à avoir recours à des agents. C'est dans ce marasme que les premières maisons d'édition numérique voient le jour. Les textes circulent au creux des écrans. Les grands groupes numérisent à leur tour leur catalogue. Peu à peu les livres ne sont plus qu'imprimés à la demande via des structures adaptées. La mise en place n'existe plus, l'éditeur se focalise sur son rapport au texte ; le libraire redevient le conseiller privilégié du lecteur, sans s'encombrer de gestion de stocks. La mutation du secteur, loin de nuire à la littérature, lui permet d'échapper à la métonymie qui lui a collé à la peau au cours du XXe siècle. Le mot livre n'est plus littérature, la machine folle liée à la production d'objets s'effondre. Plutôt que d'être lus par cent vingt-deux personnes, les auteurs de littérature non commerciale et les écrivains expérimentaux se font massivement publier sur support numérique. À l'instar des iPod, dont les playlistes comportent au moins 10 % de bizarreries, les bibliothèques nomades hébergent un quota d'étrangetés. De là à avancer que chaque texte a sa chance, indépendamment de son label, je ne sais pas, s'arrête soudainement Théophile. Le lecteur est un consommateur qui fait confiance à des marques (les maisons d'édition), des prescripteurs (les libraires) et des leaders d'opinion (les blogs littéraires et leur communauté, certains critiques littéraires). Là, vous voyez Clotilde Mélisse en train de déclarer : le livre est mort, vive la littérature. Elle a fait suivre cette phrase d'un point d'exclamation.

Théophile fait une pause, allume une cigarette. La bibliophilie contemporaine se développera parallèlement, ne vous inquiétez pas. Ceux qui ont le goût du papier y gagneront, soyez-en sûre. Il y aura des livres-objets, des formes plus inventives, qui se trouveront en librairie. C'est un renouveau, pas une chute. Il m'agite son index vers un gros plan de Clotilde. Me sous-titre : voyez-vous, elle sera la première à avoir tout quitté, un exil très concret, un territoire en friche, l'abandon du Château et de ses dépendances. Ses textes sont accessibles partout. À un clic du client, à égalité avec les auteurs formatés, ceux sur qui les maisons investissent. Dans n'importe quelle librairie, elle est téléchargeable. Clotilde a fini libre, totalement autonome. Théophile s'enthousiasme : c'est un sujet de roman.

Je ne comprends pas très bien le CQFD de l'histoire. D'autant que Clotilde Mélisse, à la base, c'est moi qui l'ai inventée. Dans d'autres livres, le lecteur la croise, écrivaine militante, un creuset à fantasmes, un transfert très grossier. La voilà qui m'échappe, et à pleins paragraphes. Je ne l'avais en rien destinée à cela, je l'avais laissée en suspens, quelque part, à sa trentaine, entre la vie et l'éboulement. Je ne saisis pas le sens de ce tour de passe-passe, au fond de moi, je crois, en fait, j'ai un peu peur.

Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre (Seuil, Fiction & Cie, 2009, p. 25-29)

Intéressant, le futur des cimetières et celui du livre selon Chloé Delaume, même si ce n'est pas le propos central de ce livre, dans lequel l'écrivaine retrouve la veine autofictive du Cri du sablier pour explorer avec précision, distance et humour (noir) une « biographie » très singulière.

::: un bel article de Marc Pautrel, « L'écriture ou la vie » (6 janvier 2008)
::: Erwan Desplanques, « Un règlement de comptes familial en forme de monologue fantaisiste » (Télérama, 10 janvier 2009)

mercredi 28 janvier 2009

vers un horizon purement mathématique

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Elle advient cette ville mal établie, fragile sur ses fondations.
Le paysage flotte entre tes cils. Les murs, vibrant de clarté sans matière, les façades, pareilles à des paravents, sont des toiles fines qui gonflent et dégonflent. Tu es allongé sur le côté, les odeurs de sous-sol dans les narines. Tu entends la machinerie du métro, un bruit de soufflet de forge, une respiration profonde et caverneuse.
Le reste n’a pas plus d’épaisseur.
Une suite de droites balançant au-dessus des gouffres que la course des nuages incline. Des parallélépipèdes, des lignes de fuite obliquant vers un horizon purement mathématique. Des segments des axes des projections dans l’azur, un ciel sans cesse repoussé.
Quelques pas claquent contre le bitume. Des silhouettes mordues par la lumière, amoindries, fragilisées, traversent rapidement ton champ de vision tandis que s’étale le ras de terre, extrêmement proche, puis flou, ondulant. Les grains de poussière, ta main au milieu comme une chose morte posée devant tes yeux. Dans chaque pierre un paysage miniature, des veines en rivières, des arbres flageolants, un condensé de ciel dans les sédiments.
Une tache sombre sur le ciment comme une île affleurante au milieu d’une mer.
Tu fermes les yeux, aspiré par le vide tiède que ton corps referme comme un couvercle et enflent alors les souffles, les échos, les soupirs d’une cité sous terre. Murmures tirés des fonds, pressentiment de voûtes humides, de catacombes, eaux claires des puits souterrains, silence distendu.
Et enflent alors les chocs assourdis des machines, sifflements, circulation des fluides, bruit de pompe, aspiration, éjection — ce qui ne se tient plus adossé dans le jour se relie au-dessous en venelles et couloirs, enchevêtrement de câbles, de tuyaux confondus-dissociés — fuite des corps, battement des cœurs innombrables et spasmes peut-être, imprévus.

Virginie Gautier, Les Sédiments (publie.net, 2009, p. 54-56)

Qu'on se le dise : depuis quelques jours, les particuliers peuvent aussi s’abonner pour avoir accès à tout le catalogue de publie.net, et la lecture à l’écran est désormais proposée également dans une version « codex » que je préfère très nettement à l’ancien « feuilletage ».

lundi 26 janvier 2009

psychologiquement rien n'est jamais clair

Dans le vrai-faux roman familial qu’est Paris-Brest, l’émotion des souvenirs est mise en abîme comme le manuscrit dans la valise ou la crème écoeurante dans la pâtisserie du même nom : la peur de trop en dire et l’impossibilité d’échapper au dévoilement des secrets de famille rendent nécessaire la réinvention ludique des codes du roman familial. La lecture en est tout à fait jubilatoire … et très émouvante en même temps : « Techniquement tout était clair. Psychologiquement non. Psychologiquement rien n'est jamais clair mais techniquement si. » (p. 107). Encore quelques extraits pour le plaisir :

Même aujourd'hui, avec tout le recul que j'ai sur la situation, je peux dire comme lui que oui, tout le monde s'en fout des histoires de famille. Mais tout le monde s'en fout de tout, aurais-je quand même pu lui répondre si le sens de la repartie ne me venait pas toujours avec retard, avec plusieurs années de retard quand je me dis désormais que oui, c'est ça, exactement ça que j'aurais dû lui répondre. (p. 47-48)

De toute façon, mon histoire familiale n'intéressait personne, et mon histoire familiale n'est jamais devenue un livre, pour toutes les raisons que j'aurai sûrement l'occasion d'expliquer, mais seulement un manuscrit que j'avais soigneusement rangé dans ma valise, que maintenant pour la première fois j'allais faire entrer dans la maison. J'ai pensé c'est comme des poupées russes, maintenant dans la maison familiale il y a l'histoire de la maison familiale. (p. 59)

Sauf que dans mon livre je ne l'ai pas appelé comme ça. Dans mon livre, je lui ai donné un autre nom qui n'a pas d'importance. En tout cas on comprend très vite qu'il ne devrait pas être là, dans l'intimité de la famille, que déjà la tension monte avec ma mère, enfin, pas vraiment ma mère mais une femme avec des lunettes noires qui enterre sa vieille mère et qui est quand même ma mère dans le roman, parce que c'est raconté à la première personne, donc par moi en quelque sorte, enfin quelqu'un proche de moi, disons, assez proche pour que les gens qui me connaissent comprennent que c'est moi. Ma mère, par exemple, comprendra tout de suite que c'est moi. (p. 175-176)

Tanguy Viel est né à Brest en 1973.
Si vous ne les connaissez pas, lisez aussi très vite ses autres romans et textes courts :
- Le Black-Note, roman (Minuit, 1998)
- Cinéma, roman (Minuit, 1999)
- Tout s'explique : réflexions à partir d'« Explications » de Pierre Guyotat (Inventaire/Invention, 2000)
- L'Absolue perfection du crime, roman (Minuit, 2001 et « double », 2006)
- Maladie (Inventaire/Invention, 2002)
- Mélancolies (Inventaire/Invention, 2005)
- Insoupçonnable, roman (Minuit, 2006)
- Paris-Brest, roman (Minuit, 2009)

::: Roger-Michel Allemand. « Tanguy Viel : imaginaires d'un romancier contemporain ». Entretien (@nalyses, 3 janvier 2009)

::: à lire aussi, le dossier consacré à Tanguy Viel dans Le Matricule des anges de janvier.

samedi 24 janvier 2009

des choses sur nous

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Sûrement c'est ce qu'a pensé ma mère aussi, que ça faisait beaucoup, toutes ces paroles comme des puits sans fond, tout cet air si épais quand à peine nos assiettes remplies, à peine elle-même assise, comme si le silence elle avait voulu le lacérer une fois pour toutes, ma mère a dit comme ça sans aucune gêne, seulement évitant de croiser mon regard, elle a dit comme ça devant tout le monde : alors, Louis, il paraît que tu écris des choses sur nous ?
Il y a eu comme un silence, plus qu'un silence, moi figé dans sa phrase comme dans un tableau hollandais, en tout cas quelque chose d'austère et d'inquiétant, comme enveloppé dans une lumière d'orage. Il y a eu l'expression sous mes tempes, des choses sur nous, tu écris des choses sur nous. Mais comment elle savait, comment elle pouvait seulement savoir, tandis que jamais je n'aurais évoqué ça avec elle, ni ça ni rien de ma vie parisienne, ni ça ni rien de ma vie intellectuelle, mais de quoi tu parles, maman, de quoi tu parles ?
Il y a eu comme un gouffre en plein milieu de moi. Je sais que je suis devenu tout rouge, je sais que j'ai regardé mon frère une seconde puis ma grand-mère une seconde et j'ai dit, oui, enfin non, enfin c'est-à-dire je note des choses, de temps en temps, et j'ai regardé mon frère à nouveau parce qu'il n'y avait que lui à cette table qui pouvait en avoir parlé, qui pouvait avoir fait l'erreur d'en parler, ainsi que moi, à cet instant précis je me suis dit ça, que j'avais fait l'erreur de lui en parler à lui, la seule fois à vrai dire où on s'était vus hors de la maison familiale (…)

Des choses sur nous.
Et c'était comme une phrase qui ne voulait pas s'effacer, qui naviguait en moi comme une boucle sonore et s'inscrivait partout, sur la nappe, sur les verres, sur la neige carbonique qui blanchissait les vitres, il paraît que tu écris des choses sur nous.
Oh mais ça ne nous dérange pas, a repris ma mère, nous n'avons rien à cacher.
Non. Bien sûr.
Mais si ça n'avait tenu qu'à elle, elle m'aurait cloué au mur pour savoir exactement où j'en étais avec cette histoire familiale, si vraiment j'avais entrepris de l'écrire et qu'est-ce que j'avais bien pu raconter, parce que en un sens, c'est vrai, elle était extrêmement curieuse de lire des choses sur elle, mais en un sens aussi elle était extrêmement fébrile. C'est pour ça qu'elle était particulièrement gentille et attentive avec moi ce Noël-là, et c'est pour ça qu'en même temps elle était inquiète, parce que avec moi on ne peut jamais savoir, pensait-elle, que j'étais un intellectuel et qu'en tant qu'intellectuel je me croyais tout permis, y compris de prendre les autres pour des imbéciles, avait-elle eu l'occasion de me dire plusieurs fois, et tétanisée déjà en imaginant quelle version des faits j'avais pu donner, quelle version non expurgée, quelle version avec moi, quelle version avec le Languedoc-Roussillon et donc quelle version avec sa propre mère, se disait-elle, tu n'auras pas fait ça, implorait-elle en silence, tu n'auras pas raconté toute notre histoire. Et dans son regard je lisais la peur des phrases et des mots comme argent, comme héritage, comme briquets et comme Stade Brestois. Et dans son regard aussi, c'était comme une supplique qu'elle m'adressait : non tu n'as pas fait ça, priait-elle.
Ce jour-là, je m'en souviens, la tête plongée dans l'assiette en porcelaine je me suis seulement dit : ne lève pas les yeux sur elle, si tu lèves les yeux une seule fois c'est foutu, si tu la regardes maintenant, toi aussi tu seras un satellite pour toute ta vie. Et replié au fond du gouffre en moi, j'ai juste entendu, comme une fusée qui traversait la pièce, j'ai entendu la voix de ma grand-mère à côté de moi qui ajoutait : tu parles de nous en bien, j'espère.
Ensuite il y a eu du silence encore et des paroles normales. Il y a eu mon frère qui ne savait pas où se mettre puis des conversations déviées et du silence toujours. Il y a eu la pluie à Brest et les prix des loyers. Il y a eu les cuillères cognées contre la porcelaine. Mais sur la table au-dessus de nous, outre la mer dehors et les vieux meubles qui pliaient sous nos regards, il y avait cette expression devenue presque sale, comme un nuage de pluie qui se serait maintenu : des choses sur nous. Et dans le tourbillon noir des tasses en porcelaine, on aurait dit que chacun, à la surface mouvante de son café, que chacun désormais lisait des choses sur lui.

Tanguy Viel, Paris-Brest (Minuit, 2009, p. 156-161)

mardi 20 janvier 2009

comme le flot recherche le sable

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Le sort en est jeté. Ma fille sera de la génération de la liseuse numérique. Autant l’initier dès à présent, me suis-je dit. Eh bien, croyez-le ou non, j’ai eu beau chercher, impossible de lui en trouver une en tissu.

Quand toute l’édition sera devenue numérique, c’est alors que nous autres, fils des techniques silencieuses, allons pour la première fois, comme Balzac, comme Hugo, entendre gémir les presses.

Mais pour l’heure, nos phrases inscrites dans l’éther bleuâtre des écrans par l’opération du Saint-Esprit s’effraient encore de ce vide infini autour d’elles ; et, comme le flot recherche le sable, elles se déposent un jour sur le papier, qui les absorbe.

Éric Chevillard, L'Autofictif, 453, 20 janvier 2009

::: Éric Chevillard, L'Autofictif. Journal 2007-2008 (Arbre vengeur, 2008)

« Les 328 premiers billets de L’autofictif, publiés entre le 18 septembre 2007 et le 17 septembre 2008, sont désormais disponibles en librairie comme cela se faisait jadis. » précise l'auteur.

lundi 19 janvier 2009

j’ai pingué son whuffie

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J'ai vécu assez longtemps pour voir le remède à la mort, assister à l'ascension de la Société Bitchun, apprendre dix langues étrangères, composer trois symphonies, réaliser mon rêve d'enfance d'habiter à Disney World et assister non seulement à la disparition du lieu de travail, mais du travail lui-même. (p. 9)

Ainsi commence un roman où les humains sont immortels car équipés d’une interface homme / machine qui permet des sauvegardes fréquentes :

Pourquoi s’embêter avec la chirurgie quand on pouvait faire pousser un clone et restaurer une sauvegarde dans ce nouveau corps ? Certaines personnes changeaient de corps juste pour se débarrasser d’un rhume. (p. 145)

mais surtout où il n'est plus nécessaire de « travailler » au sens actuel du terme, car l’argent est remplacé par le « Whuffie », monnaie éphémère fondée sur la réputation et le nombre d’amis (ne se croirait-on pas dans facebook ?), une sorte de « personal rank » que tout un chacun peut consulter d'un simple « ping » mental ... la contrepartie étant la domination d’un politiquement correct quelque peu ennuyeux et étouffant :

J’ai pingué son whuffie plusieurs fois, et j’ai remarqué qu’il grimpait avec régularité au fur et à mesure que Dan accumulait davantage d’estime de la part des gens qu’il rencontrait. (p.16)
J’arrivais à lui faire admettre que le whuffie recréait la véritable essence de l’argent : dans l’ancien temps, quelqu’un de fauché mais de respecté ne mourait pas de faim ; à l’inverse, quelqu’un de riche mais de détesté n’arrivait jamais à s’acheter paix et sécurité. En mesurant ce que représentait réellement l’argent – le capital personnel auprès de ses amis et voisins -, on jugeait le succès avec davantage de précision.
Puis il m’a conduit par une piste subtile et balisée avec soin à reconnaître que oui, s’il pouvait arriver qu’on rencontre un jour des extraterrestres aux manières étranges et fabuleuses, pour le moment, le monde affichait une homogénéité quelque peu déprimante. (p. 17-18)

Cory Doctorow, Dans la dèche au Royaume Enchanté (Down and out in the Magic Kingdom, 2003, Gallimard, Folio SF, 2008)

Cory Doctorow est né en 1974 à Toronto, a vécu au Canada jusqu’à l’âge de 29 ans et vit aujourd’hui à Londres.
Très actif sur internet, il est l’un des coauteurs du très influent blog Boing Boing et propose tous ses romans en téléchargement gratuit sur son propre site.

Dans la dèche au Royaume Enchanté a inspiré à Tara Hunt The Whuffie Factor, un essai sur le capital social présenté ici par Hubert Guillaud.

samedi 10 janvier 2009

accepter de sombrer dans le ridicule

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Tu continues à écrivasser, mon bel écrivassier ? Tu bricoles la phrase, tu te pavanes, tu marches encore de long en large dans un bouquin comme un plouc sur son bout de jardin ? De quoi tu parles ? De qui ? Je ne t'entends pas !
Je ne t'entends pas, tu comprends, je n'entends plus rien. Tu crois que la mort est un music-hall ? Qu'on écoute là-bas des bardes? Qu’on éclate de rire à s'en décrocher le maxillaire en écoutant tes histoires ? Tu t'imagines qu'on a de quoi faire des larmes en se tapant des élégies comme on se tape des pauvres nanas dans tes romans ? Tu m'amuses, pauvre amour, avec tes œuvres complètes que tu étires désespérément chaque nuit sur ton clavier comme un garçonnet de huit ans son petit kiki ! (p. 51)

J'ai sans doute ridiculisé la réalité par habitude, et puis c'est plus facile de raconter des histoires. Un observateur peu amène, pourrait dire que je tords le réel pour éviter de me cogner la tête contre son métal froid. Un peu comme je me garde d'avoir un revolver sous mon oreiller. Un coup est si vite parti. (p. 62)

- Espèce d'écrivain !
Toi et les tiens vous êtes des charognards. Vous vous nourrissez de cadavres et de souvenirs. Vous êtes des dieux ratés, les bibliothèques sont des charniers. Aucun personnage n’a jamais ressuscité. Dostoïevski, Joyce, Kafka, et toute cette clique qui t'a dévergondé, sont des malappris, des jean-foutre, des fripons, des coquins, des paltoquets ! Ils ont expulsé leur époque par les voies naturelles pour en barbouiller toutes ces feuilles de papier aux traînées noires et tristes comme des canaux où les mots flottent ventre à l'air comme des poissons d'eau douce bouillis par la canicule.
- Espèce de spirite !
Ne joue pas les innocents. Tu rêves de faire apparaître mon ectoplasme, afin de me mettre en bière une deuxième fois dans un de tes bouquins scintillants de suffisance et d'absurdité !

Je t'enguirlande, mais que veux-tu, parfois la mort m’irrite. En attendant, dépêche-toi d'aller te coucher. Tu mènes une vie de patachon devant cet ordinateur dont tu tripotes compulsivement les touches comme une onaniste enchantée sa ribambelle de clitoris. (p. 112-113)

- Dites-moi, que ce roman, j’ai eu raison de l’écrire.
Ma demande est ridicule. Mais un écrivain doit accepter de sombrer dans le ridicule, autrement il ne serait même pas un humain. (p. 216)

Régis Jauffret, Lacrimosa (Gallimard, 2008)

mercredi 7 janvier 2009

une ligne qui s’enfuit

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« Une ville en cercle, et une ligne au milieu qui traverse et s’enfuit pour aller ailleurs. »

C’est le bel incipit du premier roman de Sébastien Rongier, Ce matin (Flammarion 2008, p. 7), qui sort demain.

Sébastien Rongier est docteur en Esthétique. Il enseigne actuellement à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et il est l’un des animateurs de remue.net. Il a publié auparavant :

- De l’ironie, enjeux critiques pour la modernité (Klincksieck, 2007)
- Littérature d’aujourd’hui : cinq essais critiques (publie.net, 2008)
- Au troisième étage (publie.net, 2008)

::: son site tout neuf : http://sebastienrongier.net/ (avec la participation de l’indispensable Julien Kirch)
::: Philippe De Jonckheere, « L’art et la manière de tuer une femme »

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