lignes de fuite

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mercredi 28 février 2007

dans la boîte d'albâtre

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::: pour prolonger la « fosse à bitume », cette amusante bd de M. le Chieur : « De la dissolution des blougueurs dans la marinade de leurs idées noires » (avec la collaboration d’Alain Korkos et Edward Hopper)

::: à tester (un peu décevant pour ce qui concerne les auteurs français, quand même) et à suivre : Worldcat identities version beta

::: bonne nouvelle : Bernard Strainchamps, webmestre du regretté Mauvais genres, revient en ligne avec Bibliosurf, une librairie – portail (liens, entretiens, agrégateur rss, etc.)

::: enfin, à écouter, ce que dit Michel Serres de Wikipedia dans sa chronique, courte mais salutaire, « Le sens de l’info » (France info, 25 février 2007) : merci Cairo pour la suggestion !

mardi 27 février 2007

entassement non panoramique

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Un dernier détail de Piero della Francesca pour vous remercier d'avoir continué à lire et animer par vos commentaires les lignes de fuite pendant mon absence !

Je veux voir la boîte d’albâtre mystérieuse et translucide qu'y tient Marie-Madeleine comme une antidote à la déprimante « fosse à bitume » de François Bon, métaphore injustement négative pour rendre compte de l’entassement vertical des billets des blogs, en sédiments certes éphémères mais pas davantage promis à l’oubli que toutes les autres humaines créations.

Sans doute ce texte intéressant est-il très juste sur plusieurs points, mais il me semble accuser les blogs d’évolutions qui sont celles d’internet en général : en se démocratisant, les formes d’expression en ligne se sont aussi standardisées, et il n’est plus temps d’opposer des sites dont la forme serait travaillée et personnelle à des blogs sans personnalité ... ici comme là on trouve quelques pépites et beaucoup de déchets.

Je préfère pour ma part parcourir le chaos bavard d’internet comme Orion - aveugle et égaré - les carrefours de sens ... ou comme Michaux le dictionnaire :

Une de mes joies de toujours, c'est dans un état détaché, souvent sorti d'un découragement, de contempler un entassement non panoramique des efforts de l'humanité. Je prends donc un dictionnaire. Tous ces bourgeons humains, dans leur foule alphabétique (je ne lis aucune définition) bien plus qu'aucune grande idée, m'émeuvent et m'agrandissent tout en m'humiliant justement.
Étincelles du monde du dehors et du dedans, j'y contemple la multitude d'être homme, la vie aux infinies impressions et vouloir être, et j'observe que ce n'est pas en vain que le monde humain existe. Même je succombe bientôt à ces myriades d'orbites.

Henri Michaux, « Idées de traverses » (1942) dans Passages (Gallimard, p. 19-20)

lundi 26 février 2007

fonds commun

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C’est à la recherche de ce jeu que l’on pourrait peut-être concevoir un engagement de l’écriture, qui, chaque fois qu’elle change un tant soit peu le rapport que par son langage l’homme entretient avec le monde, contribue dans sa modeste mesure à changer celui-ci. Le chemin suivi sera alors, on s’en doute, bien différent de celui du romancier qui, à partir d’un « commencement », arrive à une « fin ». Cet autre, frayé à grand-peine par un explorateur dans une contrée inconnue (s’égarant, revenant sur ses pas, guidé – ou trompé – par la ressemblance de certains lieux pourtant différents ou, au contraire, les différents aspects du même lieu), cet autre se recoupe fréquemment, repasse par des carrefours déjà traversés, et il peut même arriver (c’est le plus logique) qu’à la fin de cette investigation dans le présent des images et des émotions dont aucune n’est plus loin ni plus près que l’autre (car les mots possèdent ce prodigieux pouvoir de rapprocher et de confronter ce qui, sans eux, resterait épars dans le temps des horloges et l’espace mesurable), il peut arriver que l'on soit ramené à la base de départ, seulement plus riche d'avoir indiqué quelques directions, jeté quelques passerelles, être peut-être parvenu, par l'approfondissement acharné du particulier et sans prétendre avoir tout dit, à ce « fonds commun » où chacun pourra reconnaitre un peu - ou beaucoup - de lui-même.

Claude Simon, Discours de Stockholm (Minuit, 1986, p. 30-31)

dimanche 25 février 2007

carrefours de sens

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Plus ou moins consciemment, par suite des imperfections de sa perception puis de sa mémoire, l’écrivain sélectionne subjectivement, choisit, élimine, mais aussi valorise entre cent ou mille quelques éléments d’un spectacle (...)
S’il s’est produit une cassure, un changement radical dans l’histoire de l’art, c’est lorsque des peintres, bientôt suivis par des écrivains, ont cessé de prétendre représenter le monde visible mais seulement les impressions qu’ils en recevaient.
« Un homme en bonne santé, écrit Tolstoï, pense couramment, sent et se remémore un nombre incalculable de choses à la fois. » Cette remarque est à rapprocher de ces phrases de Flaubert, à propos d’Emma Bovary : « Tout ce qu’il y avait en elle de réminiscences, d’images, de combinaisons s’échappait à la fois, d’un seul coup, comme les mille pièces d’un feu d’artifice. Elle aperçut nettement et par tableaux détachés son père, Léon, le cabinet de Lheureux, leur chambre là-bas, un autre paysage, des figures inconnues. » (…)
C’est bien là que réside l’un des paradoxes de l’écriture : la description de ce que l’on pourrait appeler un « paysage intérieur » apparemment statique, et dont la principale caractéristique est que rien n’y est proche ni lointain, se révèle être elle-même non pas statique mais au contraire dynamique : forcé par la configuration linéaire de la langue d’énumérer les unes après les autres les composantes de ce paysage (ce qui est déjà procéder à un choix préférentiel, à une valorisation subjective de certaines d’entre elles par rapport aux autres), l’écrivain, dès qu’il commence à tracer un mot sur le papier, touche aussitôt à ce prodigieux ensemble, ce prodigieux réseau de rapports établis dans et par cette langue qui, comme on l’a dit, « parle déjà avant nous » au moyen de ce qu’on appelle ses « figures », autrement dit les tropes , les métonymies et les métaphores dont aucune n’est l’effet du hasard mais au contraire partie constitutive de la connaissance du monde et des choses peu à peu acquises par l’homme.
Et si, suivant Chlovski, on s’accorde à définir le « fait littéraire » comme « le transfert d’un objet de sa perception habituelle dans la sphère d’une nouvelle perception », comment l'écrivain chercherait-il à déceler les mécanismes qui font s'associer en lui ce « nombre incalculable » de « tableaux » apparemment « détachés » qui le constitue en tant qu' être sensible, sinon dans cette langue qui le constitue en tant qu' être pensant et parlant et au sein de laquelle, dans sa sagesse et sa logique, nous sont déjà proposés d'innombrables transferts ou transports de sens ? Les mots, selon Lacan, ne sont pas seulement « signes » mais nœuds de significations ou encore, comme je l’ai écrit dans ma courte préface à Orion aveugle, carrefours de sens, de sorte que déjà par son vocabulaire la langue offre la possibilité de « combinaisons » en « nombre incalculable », grâce à quoi cette « aventure du récit » dans laquelle s’engage à ses risques et périls l’écrivain paraît finalement plus fiable que ces récits plus ou moins arbitraires que nous propose le roman naturaliste avec une assurance d’autant plus impérieuse qu’il sait la fragilité et la très discutable valeur de des moyens.

Claude Simon, Discours de Stockholm (Minuit, 1986, p. 26-28)

samedi 24 février 2007

deus ex machina

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Si je ne peux accorder crédit à ce deus ex machina qui fait trop opportunément se rencontrer ou se manquer les personnages d'un récit, en revanche, il m'apparaît tout à fait crédible, parce que dans l'ordre sensible des choses, que Proust soit soudain transporté de la cour de l'Hôtel des Guermantes sur le parvis de Saint-Marc à Venise par la sensation de deux pavés inégaux sous son pied, crédible aussi que Molly Blum soit entraînée dans des rêveries érotiques par l'évocation des fruits juteux qu'elle se propose d'acheter le lendemain au marché, crédible encore que le malheureux Benjy de Faulkner hurle de souffrance lorsqu'il entend les joueurs de golf crier le mot « caddie », et tout cela parce qu'entre ces choses, ces réminiscences, ces sensations, existe une évidente communauté de qualités, autrement dit une certaine harmonie, qui, dans ces exemples, est le fait d'associations, d'assonances, mais peut aussi résulter, comme en peinture ou en musique, de contrastes, d'oppositions ou de dissonances.

Claude Simon, Discours de Stockholm (Minuit, 1986, p. 22)

vendredi 23 février 2007

cette sacrée corde raide

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Je n'écris pas pour les carabins. Ceux là savent qu'il ne se passe rien alors qu'un phénomène biologique comme les autres. De même que les militaires de métier savent qu'une maison coupée en deux, c'est une maison qui a reçu une bombe et que des tas de types morts, c'est tout simplement le résultat d'une concentration d'artillerie. Très bien. Ces gens savent ou sont censés savoir tant de choses qu'ils sont capables de tout résoudre sans aucun mystère. Vous essayez tant bien que mal de continuer sur cette sacrée corde raide, manquant de vous casser la gueule à chaque pas et ces types vous expliquent qu'il n'y a en réalité aucun danger, ni aucune difficulté, si vous connaissez les lois de l'équilibre. On les trouve dans tous les manuels.

Claude Simon, La Corde raide (Sagittaire, 1947, p. 60)

jeudi 22 février 2007

une poignée de verre pilé

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ce fut ainsi que cela se passa, en tout cas ce fut cela qu'il vécut, lui : cette incohérence, cette juxtaposition brutale, apparemment absurde, de sensations, de visages, de paroles, d'actes. Comme un récit, des phrases dont la syntaxe, l'agencement ordonné - substantif, verbe, complément - seraient absents. Comme ce que devient n'importe quel article de journal (le terne, monotone et grisâtre alignement de menus caractères à quoi se réduit, aboutit toute l'agitation du monde) lorsque le regard tombe par hasard sur la feuille déchirée qui a servi à envelopper la botte de poireaux et qu'alors, par la magie de quelques lignes tronquées, incomplètes, la vie reprend sa superbe et altière indépendance, redevient ce foisonnement désordonné, sans commencement ni fin, ni ordre, les mots éclatant d'être de nouveau séparés, libérés de la syntaxe, de cette fade ordonnance, ce ciment bouche-trou indifféremment apte à tous usages et que le rédacteur de service verse comme une sauce, une gluante béchamelle pour relier, coller tant bien que mal ensemble, de façon à les rendre comestibles, les fragments éphémères et disparates de quelque chose d'aussi indigeste qu'une cartouche de dynamite ou une poignée de verre pilé : grâce à quoi (au grammairien, au rédacteur de service et à la philosophie rationaliste) chacun de nous peut avaler tous les matins, en même temps que les tartines de son petit déjeuner, sa lénifiante ration de meurtres, de violences et de folie ordonnés de cause à effet, quitte, si cela ne le satisfait pas (et apparemment, et contrairement à ce qu'il pense, cela ne le satisfait pas), à recourir en supplément aux bons offices des esprits, du marc de café, des cierges bénis, des hommes providentiels ou de la camisole de force. Dans son récit donc, ou plutôt chaque fois qu'il me parla plus tard de ces journées (car ce ne fut que par bribes qu'il me raconta tout cela, et peu à peu, et non pas à proprement parler sous la forme d'un récit mais quand la mémoire de tel ou tel détail lui revenait, sans que l'on sût jamais exactement pourquoi — si tant est que l'on sache jamais exactement ce qui fait ressurgir, intolérable et furieux, non pas le souvenir toujours rangé quelque part dans ce fourre-tout de la mémoire, mais, abolissant le temps, la sensation elle-même, chair et matière, jalouse, impérieuse, obsédante), (…)

Claude Simon, Le Vent : tentative de restitution d'un retable baroque (Minuit, 1957, p. 174-175)

mercredi 21 février 2007

un bloc de plexiglas

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On dirait des gens obligés de se battre dans un couloir contre les parois duquel ils se cogneraient sans cesse, ou plutôt entre deux plaques de verre tellement rapprochées qu'à la fin ils semblent pris, immobilisés tels quels, comme ces animaux ou ces objets enfermés dans un bloc de plexiglas, encastrés les uns dans les autres par la pression des deux parois transparentes qui ne laissent plus subsister à la fin entre les combattants le moindre vide, tout espace (par exemple entre une cuirasse, un bouclier, une épaule, ou entre un bras levé et l'une de ces hautes coiffures surmontant les visages de leurs étranges cylindres allant en s'évasant, c'est-à-dire cylindre au départ, autour du front, puis coniques), tout espace, donc, intégralement rempli (par une portion de visage, un profil, un autre casque, un œil, le fer d'une hache), le ciel lui-même, au-dessus du moutonnement des têtes (découpé par les lances, roses, blanches, ou brunes, les courbes des étendards) aussi dur que du mortier, aussi matériel que le bleu des aciers, aussi impénétrable que les visages des combattants, les profils corbins ou prognathes empreints de cette impassibilité, de cette sérénité brutale qui constitue de tous temps l'apanage des puissants et de leur entourage (valets, portiers d'hôtel, chauffeurs de voitures de maîtres, gens de la haute couture), s'extériorisant dans un mélange de raffinements inouïs ou même agressivement ridicules (comme ces chapeaux, ces coiffures, ces plissés, ces pourpoints, ces jabots tuyautés, ces armures exagérément ornées), d'insolence, d'équivoques préciosités la belle jeunesse de Rome ces beaux danseurs si fleuris jaloux de conserver leur jolie figure ne soutiendraient pas l'éclat du fer brillant devant leurs yeux, le sol, où piétinent les jambes mêlées des chevaux et des fantassins, d'une couleur claire aussi, gris-vert, et rigoureusement plat comme celui, artificiellement damé, d'un terrain de jeu, d'une place ou d'une scène de théâtre

Claude Simon, La Bataille de Pharsale (Minuit, 1969, p. 104-105)

mardi 20 février 2007

caractéristique flétrissure

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chez della Francesca : cette caractéristique flétrissure de la plupart des visages et qui ne tient pas tant à la morphologie première (faciès de brutes — naturels dans la soldatesque —, d'empoisonneurs, de bellâtres, de gitons, comme, par exemple, dans la Défaite de Chosroès, le page qui souffle de la trompette, un adolescent à première vue mais, si on l'examine plus longuement, une lourdeur opaque dans le regard, et les poches sous les yeux, l'impassibilité) qu'à quelque chose qui les a prématurément, sournoisement usés, marqués. Comme une tare. La richesse. Ou le pouvoir. Expression semblable sur les photos de vedettes de cinéma ou de milliardaires. Comme une sorte de masque, plaqué. Second visage, en surimpression pour ainsi dire, superposé à des traits originellement beaux. Les femmes (la Vierge elle-même) pourvues de ces yeux aux paupières lourdes, dissimulatrices, à la fente sinueuse à travers lesquelles filtrent, plus fourbes que pudiques, des regards en coin. Leurs lèvres aussi aux moues hautaines, dédaigneuses. Femmes-enfants conscientes de leur prix. Tout d'ailleurs est de prix ici, avec ostentation, insolence : les armures, les vêtements, les couleurs raffinées, les coiffures aux formes extravagantes ...

Claude Simon, La Bataille de Pharsale (Minuit, 1969, p. 153-154)

lundi 19 février 2007

une mince pellicule de couleur

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Quoique les règles de la perspective soient apparemment observées pour suggérer au spectateur la sensation de profondeur, le peintre s'est contradictoirement attaché à multiplier les artifices qui ont pour résultat de détruire cet effet de façon que le géant se trouve partie intégrante du magma de terre, de feuillage, d'eau et de ciel qui l'entoure. Orion ne s'avance pas debout sur un chemin, son corps dans un axe vertical au plan de celui-ci, comme par exemple une pièce d'un jeu d'échecs debout sur une case de l'échiquier, entourée d'air et de vide de tous côtés. Il apparaît, au contraire, comme une figure de bas-relief, collé au décor qui est censé l'encadrer ou lui servir de fond. Le corps gigantesque saille ou s'enfonce selon ses parties dans cette nature dont il ne se détache jamais. Selon les endroits, le sol, les rameaux des arbres, les nuages, sont habilement éclairés ou assombris de sorte que tantôt les parties du corps dans l'ombre (le bras droit, le dos) ou dans la lumière (l'épaule et le bras gauche tâtonnant en avant, la jambe gauche tendue en arrière) se découpent nettement, tantôt d'autres parties (la jambe droite portée en avant, le milieu du corps, la main qui tient l'arc) se confondent avec eux. De ce fait le paysage perd toute dimension perpendiculaire à la toile. Au contraire il se bossèle, se creuse, projette en avant certains de ses éléments non pas selon leur proximité ou leur éloignement rationnel, mais selon les seuls besoins de cette rhétorique. Il cesse d'être ciel, cailloux, feuilles, pour se faire environnement, ou plutôt gangue. Ce ne sont pas des masses gazeuses, minérales ou végétales plus ou moins proches, à la façon des plans d'un décor, mais de simples accidents de lumière (ou de couleur) s'accrochant aux reliefs (saillies) d'une même et unique pâte moulée en ronde bosse. Si les objets lointains, comme par exemple la colline à l'horizon, au flanc de laquelle le chemin reparaît, s'élève en serpentant, sont bien dessinés à une échelle plus petite, ils sont par contre ramenés au premier plan par la vigueur des contrastes et des accents. Le rocher qui surplombe la colline, aux pans violemment éclairés ou obscurs, le bouillonnement tumultueux des nuées aux noirs replis, sont de la même nature que le dos musculeux, rocheux du géant englué dans cette même argile où le créateur a pétri indifféremment les formes du monde vivant et inanimé. La curieuse disposition des nuages vient encore confirmer au visiteur du musée qu'il ne contemple pas un spectacle à trois dimensions. Ils imitent les circonvolutions intestinales et cartonneuses de ces nuées parmi lesquelles trônent les vierges et les saints des retables baroques, leurs pieds de marbre posés comme sur des coussins sur leurs tourbillons taillés au ciseau dans la pierre ou moulés dans le stuc et qui serpentent entre les colonnes torses, se mêlent aux plis des linceuls pendant hors des sépulcres, aux draperies qui déploient leurs tonnes de porphyre en d'aériens baldaquins claquant au vent d'imaginaires tempêtes et soutenus par des angelots. Autour de la tête d'Orion (et non pas derrière) ils enroulent leurs lourdes volutes avec lesquelles se confondent les plis flottants de la tunique du serviteur perché sur ses épaules, désignant de son doigt au visage aveugle un but idéal, fait seulement, comme le doigt lui-même, les paupières closes, les épaules bosselées et les empreintes des pieds monumentaux dans la poussière du chemin, d'une mince pellicule de couleur.

Claude Simon, Orion aveugle (Skira, 1970, p. 127-129)

dimanche 18 février 2007

réseau de correspondances

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Dans Les jeunes filles en fleurs, Proust, parlant des repas qu'il prend avec sa grand-mère dans la salle à manger du Grand Hôtel de la Plage, à Balbec, écrit ceci :
« Pour ma part, afin de garder, pour pouvoir aimer Balbec, l'idée que j'étais sur la pointe extrême de la terre, je m'efforçais de regarder plus loin, de ne voir que la mer, d'y chercher des effets décrits par Baudelaire et de ne laisser tomber mes regards sur notre table que les jours ou y était servi quelque vaste poisson, monstre marin qui, au contraire des couteaux et des fourchettes, était contemporain des époques primitives où la vie commençait à affluer dans l'Océan, au temps des Cimmeriens, et duquel le corps aux innombrables vertèbres, aux nerfs bleus et roses, avait été construit par la nature, mais selon un plan architectural, comme une polychrome cathédrale de la mer ».
Avant d'aller plus loin dans l'étude de ce texte étonnant, ce que l'on peut tout de suite noter c'est à quel point une telle description illustre la définition proposée par Chklovski, c'est à dire que par le travail de la langue un poisson bouilli posé sur un plat est soudain arraché à son contexte dans le monde quotidien (les couteaux, les fourchettes, un déjeuner vers 1900 dans la salle à manger d'un hôtel) pour être transporté dans un cadre aux tout autres dimensions.
Les mots que Proust a choisis pour en parler (et notons encore au passage la sélection qu'ils constituent, car pas plus qu'il ne nous précise son espèce, Proust ne nous dit ni la couleur de sa peau, ni sa forme particulière, ni sa saveur, etc. ...), les mots, donc, employés (convoqués) pour cette description (soit : vaste, monstre, marin, époques primitives, vie, afflux, Cimmérien, innombrable, vertèbres, bleu, rose, construit, nature, plan, architecture, cathédrale, mer), ont le pouvoir de susciter soudain dans cette banale salle à manger de Palace tout un ensemble de majestueuses résonances ou harmoniques mettant en jeu les concepts de préhistoire, de biologie et de structure qui font que, soudain nous prenons conscience que cet objet n'est pas un accident isolé mais un élément de cette immense et rigoureuse organisation dans l'espace et le temps qu'est le monde auquel il est étroitement lié par tout un réseau de correspondances qui font de lui un véritable monument.
Assis avec Proust, sa grand-mère et une marquise bavarde à cette table d'un grand hôtel normand, nous sommes soudain pénétrés, comme devant une peinture de Cézanne ou de Rubens, par ce sentiment pour ainsi dire cosmique que tout dans la nature se commande, est organisation, dépendances, rapports.
(…) ce que nous montre Proust (et en ceci il apparait comme le grand écrivain révolutionnaire du XXe siècle, l'écrivain véritablement sub-versif, c'est-à-dire renversant sens dessus-dessous l'optique romanesque traditionnelle), c'est le prodigieux dynamisme de la description qui, littéralement, projette autour d'elle, comme une pieuvre, des tentacules dans toutes les directions, sélectionne et convoque des matériaux, les assemble, les organise.

Claude Simon, « Roman, description et action » (Conférence, 1980, p. 17-18)

samedi 17 février 2007

sentiers de la création

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En lisant les textes et entretiens réunis dans le volume Devenirs du roman, j'ai été (heureusement) surprise de voir Claude Simon si souvent cité par les romanciers d'aujourd'hui : ayant jadis exploré les multiples et fuyants « sentiers de la création » de ses romans, j'ai programmé pour les jours à venir quelques extraits de mes tablettes numériques simoniennes ... ce qui me permettra de ne pas laisser ces pages désertes pendant que je vais m'aérer la tête et les poumons sur des plages qui j'espère le seront. Les commentaires seront également temporairement modérés, mais sont tout de même les bienvenus !

vendredi 16 février 2007

soustraction du sens

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Dans Logique du sens, Deleuze expliquait que le sens ne serait pas quelque chose de planqué qu'il s'agirait de débusquer. Il n'y a pas de dévoilement à opérer, parce qu'il n'y a rien à dévoiler. Le sens n'est tapi nulle part ; n'attend pas qu'on vienne le chercher. Il ne précède pas le texte - n'en constitue ni l'arrière fond ni le programme. Le sens est production, c'est-à-dire qu'il s'élabore au fil de l'écriture, dans des directions hétéroclites, souvent à l'insu de l'auteur lui-même. L'interprétation - le sens qu'on assigne à un texte - intervient certes en cours de processus (du moins en partie pour l'auteur), mais surtout lors de son achèvement - interprétation qui est le fait du lecteur, du commentateur, du critique.
Pour aller vite, on peut diviser les écrivains en deux catégories. Ceux pour qui le sens doit précéder l'écriture ; pour qui le roman est avant tout usine à message. Cette pulsion autoritaire (il s'agit bien de cadenasser d'avance le texte) trouve souvent sa limite avec l'intervention du lecteur, cet intrus, dont l'interprétation peut contredire les assignations de l'auteur. Le cas échéant, l'auteur se plaindra de : 1) la cuistrerie du lecteur ; 2) la mauvaise compréhension de son œuvre ; 3) la trahison du sens. La deuxième catégorie d'écrivains laisse sa chance au produit. Non pas délivrer un sens avant même d'avoir écrit ; non pas tordre le texte en fonction du sens à assigner : mais autoriser le texte en cours d'écriture à produire du sens - quitte à ce que cette production lui échappe. En d'autres termes : maintenir les possibles.
Pour aller plus loin, disons que puisque le sens finira toujours par être produit, avec ou sans l'assentiment de l'auteur, autant envisager l'écriture comme une opération de soustraction du sens. Ce qui veut dire retirer tout ce qui va dans le sens de la clôture.
Il y aurait à cela deux obstacles : le premier tient à la tentation utilitariste qui demande au roman, s'il n'est pas agréable, d'être a tout le moins utile. Le second est dans le roman lui-même (dans sa version classique), qui déroule une histoire et s'achemine donc vers sa clôture. Une mécanique est mise en place que seules les péripéties pourraient venir contrecarrer, rendre hasardeuse (le héros va-t-il s'en tirer ? Oui, si l'auteur n'invente pas une énième péripétie, qui sera cette fois trop lourde à encaisser et qui aura raison de la liberté du personnage).
La tradition moderne inventera autre chose : au lieu de dérouler une histoire, elle la dépliera (à la façon de Faulkner dans Le Bruit et La Fureur). Elle inventera un rapport au temps qui permettra de passer d'une date à une autre, d'une heure à une autre, brisant tout lien de nécessité. Ou qui en tout cas empêchera que le lecteur s'y accroche comme un noyé à la première branche qui pend. Claude Simon, par exemple, intitule un chapitre de L'Acacia « 1982-1945 ». Ce faisant, les auteurs de la modernité parviennent à faire que le roman se glisse par un trou de souris, et débouche ou découvre des espaces infinis. Qu'il arpente et n'a pas fini d'arpenter, le sens n'étant plus dicté par la langue qu'il parle (comme dans le roman classique prisonnier de sa forme). Où le sens serait plutôt inventé par la langue installée dans l'ouvert. Cet ouvert n'est pas une chose acquise, mais bien une chose à conquérir toujours. Il ne s'oppose pas à un fermé, il est plein dehors.
Voilà peut-être la leçon d'écrivains comme Claude Simon et Juan Benet : la clôture du sens ou la clôture par le sens sont renvoyés hors de l'œuvre, dans l'espace-temps où le livre sera médité par le lecteur désireux de comprendre ce qu'il a lu à partir du point de totalité qu'il aura gagné. Comme on atteint un panorama, un belvédère. Et il y parviendra (chacun se constitue un parcours, comme après une projection de Mulholland Drive) bon an mal an, sans s'en rendre compte - il faut du temps avant de comprendre cela : que la lecture a tenu sans ce belvédère, sans cette mise en perspective. La matière du livre, de chaque page, suffisant à embarquer le lecteur. Non que ces pages ou ces passages soient autonomes. Mais déconnectés de la perspective - ce que Proust avait déjà fait à coup de phrases si longues qu'il transformait tout lecteur en explorateur myope de son œuvre - ils proposent, ces passages, une épaisseur ou une richesse de signifiants que la perspective n'est pas encore venue réduire, instrumentaliser. Moment magique mimé par Proust lorsque le narrateur se réveille et met du temps à ordonner ses perceptions. Le réveil contre la clôture : voilà où on voulait en venir.

Collectif Inculte, « Soustraction du sens », Devenirs du roman (Inculte / Naïve, 2007, p. 113-115)

jeudi 15 février 2007

le titanic après l'iceberg

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je pose aujourd'hui que ce qu'on appelle roman (officiel) ce qu'on offre en tant que roman (officiel) ce qu'on achète en tant que roman (officiel) ce qu'on critique en tant que roman (officiel) ce dont on parle comme étant de l'ordre du roman (officiel) dans la presse et dans l'édition en France en général n'est pas de l'ordre du roman et moins encore de l'ordre du contemporain mais autre chose

je pose que ce qu'on nous offre en tant que roman (officiel) cet autre chose est en général aussi pertinent que Druon pétitionnant pour rebâtir les Tuileries et aussi contemporain que les écrits des Émigrés en 1815 qui n'avaient rien appris ni rien compris ce qui dans la description la dénonciation l'appréhension du monde dans lequel on vit dans lequel on est revient à faire jouer l'orchestre du Titanic après qu'il a heurté l'iceberg

je pose que cet autre chose ces textes en général appelés romans (officiels) par les éditeurs et les journalistes dénaturent ce qu'est le roman et que ce sont des produits culturels c'est-à-dire des produits destinés à la vente et qu'il n'est donc plus possible de parler de roman contemporain visible ou reconnaissable en France au risque de mélanger les aveux les confessions les relations de viol d'inceste d'euthanasie les histoires de la Première Guerre mondiale les histoires de la Deuxième Guerre mondiale et pourquoi pas si la langue était tentait osait quelque chose qui ressemble au réel se remette en question si la langue

Emmanuel Adely, « Sans titre », Devenirs du roman (Inculte / Naïve, 2007, p. 37-38)

Emmanuel Adely est né à Paris en 1962.
Il a publié :
- Les Cintres, roman (Minuit, 1993)
- Dix-sept fragments de désirs (Fata Morgana, 1999)
- Agar-agar, roman (Stock, 1999)
- Jean, Jeanne, Jeanne, roman (Stock, 2000)
- Fanfare, roman (Stock, 2002)
- Mad about the boy, roman (Joëlle Losfeld, 2003)
- Mon amour, roman (Joëlle Losfeld, 2005)
- « Edition limitée » (Inventaire/Invention, 2006)

mercredi 14 février 2007

météo-poétique

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La nature c'est comme le reste, c'est pas plus beau ni plus pur qu'une ville, que les zones commerciales ou les zones industrielles, que les éoliennes hautes et arrogantes au-dessus des épicéas. Des fois même la nature elle est comme ça énervante et neurasthénique, à l'automne si moche et sale, boueuse et collante au printemps quand la neige poisse, arrogante avec le soleil intact de l'hiver, et ridicule si verte l'été. Pénible, ennuyeuse, comme tout le reste. Si pourtant le plateau me vient souvent autour de moi si beau, c'est juste parce que j'y vis. C'est bête, mais magnifique est l'endroit où on vit, ça dépend de comment on se lève, comment on regarde au-dehors, ça dépend de si on regarde. Il y a des jours, des matins ou des nuits, où le temps dans le paysage, où l'air dans les arbres est exactement, presque trivialement, en accord avec le temps dans notre corps, l'air dans notre humeur, on est maussade et dehors aussi, l'humidité se palpe de partout, de nous jusqu'aussi loin là-bas, où ne voient pas nos yeux, puisque le crachin nous interdit de voir. Il nous surprend jusque dans la cuisine, et on s'y attendait tellement. Que la pluie soit froide dans le cou ça ne nous enlève pas l'envie de pleurer, mais ça nous rend la dépression presque belle. (p. 61)

Je ne suis pas sûre que ce soit plus facile, je me souviens juste un peu trop fort de ma propre adolescence, de cette adversité qui me paraissait insurmontable. J'aimerais lui dire, à Nadège, mais comment lui parler. Même à Nadège c'est impossible, elle qui serre les cuisses ou les ouvre trop. J'aimerais lui dire, personne ne t'empêche de les ouvrir, tes cuisses, mais personne ne t'y oblige. Je ne peux pas lui expliquer, comment je ne pouvais pas, moi, ni les ouvrir, ni les fermer. Pour devenir ce que j'étais, je m'enfermais dans la salle d'eau. Je n'avais devant moi que des moments étroits. Et tout le reste du temps et de l'espace, il me fallait porter le sexe en avant pour avoir l'air d'être ce que je n'étais pas, avec en plus ce déplaisir de plaire aux filles à cause de mon air romanesque idiot, cet air qu'essaie de prendre Sébastien quand il referme son cartable résigné en regardant Nadège, puis en se retournant vers moi, vers elle. (p. 63)

Au-dessous des éoliennes, juste, au moment du paysage où le lac artificiel trouve son espace, émondé dans ma mémoire, je vois quelque chose dans les montagnes. Les nuages qui posent leur brume jusqu'au sol ne sont pas assez épais pour empêcher d'y voir, même loin, mais ils bouchent une sorte de transparence par endroits, et la renforcent à d'autres. Juste en face de moi, juste en face de nous, un rectangle, oui, un rectangle presque parfait, laisse filtrer le soleil. On dirait pas un filtre comme je sais pas, au bord de la mer par exemple. Non, ça fait comme ces filtres qu'on visse sur les objectifs des vieux réflex et qui changent les couleurs. Dans un cadre rectangulaire du paysage, toutes les couleurs ont changé, mais seulement à l'intérieur du cadre. C'est mon premier phénomène météo-poétique partagé avec les petits, Lise me dit regarde, mais les maternelle, debout d'un bloc, ont une agitation, une ébullition de cachet jeté dans l'eau, qui nous gâche tout. (p. 141-142)

Emmanuelle Pagano, Les Adolescents troglodytes (POL, 2007)

Emmanuelle Pagano est née en septembre 1969 dans l'Aveyron.
Elle a publié :
- Pour être chez moi, récit, publié sous le pseudonyme d’Emma Schaak (Rouergue, mars 2002)
- Pas devant les gens, roman ( La Martinière, février 2004)
- Le tiroir à cheveux (POL, 2005)
- Les Adolescents troglodytes (POL, 2007)

Elle a également un site internet Les corps empêchés qui comporte une partie blog : « dans la marge ».

En ligne aussi :
- Philippe De Jonckheere en parle très bien là et dans ce ricochet très drôle concernant une critique d'Alexis Lacroix
- un autre billet, dans un tout autre genre, chez Clarabel
- un article de Martine Laval pour Télérama
- et, aujourd'hui même, un article de Fabienne Swiatly dans remue.net.

mardi 13 février 2007

entaille dans la grande fiction

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On nous dirait qu'ainsi va le monde. On nous dirait qu'ainsi il va, qu'il n'y a rien d'autre. À chercher. À trouver. Tous le diraient. Tous depuis toujours. On est si petit alors. On vient d'arriver. On nous dit ce qui est vrai. Que faire ? On dirait qu'on ferait semblant de croire que ce qui est donné pour vrai est le vrai. Que les mots ne sont pas vidés de leur sens. On ferait semblant de croire que ce qu'il faut, c'est être raisonnable, peut-être le croirait-on, peut-être le ferait-on, être raisonnable. De notre mieux. Quand même, on dirait qu'on aurait du mal à y croire. Mal d'y croire. Mais dans ce bruit qu'on entendrait, comment ne pas croire qu'on serait seul à souffrir ? On aurait mal et l'on se sentirait plus seul encore de croire que l'on est seul à avoir ce mal jusqu'à craindre parfois qu'il n'y ait pas d'issue, qu'il n'y a que ça souffrir, le cacher, être seul, faire semblant. Un temps peut-être on essaierait, l'on ferait semblant que tout va, qu'il y a plus malheureux, qu'il ne faut pas s'écouter, qu'on n'est jamais satisfait. On essaierait et pourtant toujours la souffrance serait là, nous arrachant la peau, nous découpant jusqu'à l'os, nous plongeant dans la plus haute solitude. On nous dirait, bien sûr, qu'il ne faut pas trop se poser de question que ça ne sert à rien, qu'ainsi va le monde. Que faire ? Alors on se tairait, l'on dissimulerait la souffrance dans nos corps pour ne pas devenir fous et parfois même on arriverait à croire cela, que ce serait la vérité. On dirait qu'on vivrait dans la Grande Fiction.

Écrire, gratter la surface lisse du monde, érafler la Grande Fiction, y découper des portes, des fenêtres ou même la poignarder, à chaque écrivain(e) sa méthode pour entamer ce mur, pour celles et ceux, évidemment, qui ne le cimentent pas plus. Le roman, entaille dans la trame serrée des mots usagés, couteau dans le récit consensuel des jours pour ouvrir au-dedans de nous les espaces qui ont été niés, fermés, déclarés inexistants. Le roman. Pas tous les romans. Combien de livres n'ont d'autre objet que d'épaissir la paroi opaque de la Grande Fiction, de renforcer son pouvoir en donnant au lecteur, lorsqu'il refermera le livre, le lâche soulagement qu'il aura peut-être eu peur, été touché, ému, etc., mais qu'il ne lui sera rien arrivé.

Louise Desbrusses, « Une entaille dans la Grande Fiction », Devenirs du roman (Inculte / Naïve, 2007, p. 335-336)

Louise Desbrusses est l'auteur de L'Argent, L'Urgence (P.O.L. 2006)
et de Couronnes, Boucliers, Armures ( à paraître chez P.O.L.)
On peut lire en ligne un entretien (L'Internaute)

lundi 12 février 2007

ceci tuera cela

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Après avoir lu les réponses de François Bon et de Berlol à un article où Francis Marmande (Le Monde, 8 février 2007) accuse la « toile cirée » d'internet de tuer la littérature, j'ai envie d'ajouter mon grain de sel en ricochant sur une autre expression. Comme trop souvent ceux qui accusent aujourd'hui internet de tous les maux, Francis Marmande cite en effet Victor Hugo :

« Oui, sans doute, voir le « Ceci tuera cela » de Hugo dans Notre-Dame de Paris. La Toile tuera le livre, vous avez raison, mais vous n’avez que raison. Cette mort promise du livre, de la littérature, du journal, plonge dans la joie sale qu’ont toujours éprouvée les nouveaux barbares devant ce qui les rassure. Rien à dire, rien à faire contre la conjuration des imbéciles et la revanche des 4 × 4. Vous avez raison, mais vous avez tort d’avoir raison. Nous n’avons que pauvrement raison d’avoir tort. »

... et comme chaque fois ce détournement d'intention et le fait que jamais personne ne pense à replacer cette citation dans son contexte hugolien m'agace.

La sentence « Ceci tuera cela » est en effet proférée dans Notre-Dame de Paris par le peu sympathique archidiacre de la cathédrale, Claude Frollo, en 1482 ; elle est ensuite développée par Hugo dans un long chapitre qui précise le sens de ces « paroles énigmatiques » : « ceci » c'est le livre et « cela » l'architecture religieuse ; l'écrivain applaudit à la victoire de « ceci », celle du livre, qui, depuis le moyen âge, s'est heureusement confirmée au moment où il écrit.

Quelques extraits de ce texte, qui de plus est très beau (et souvent pourrait fort bien décrire internet) à l'appui de ce propos :

Nos lectrices nous pardonneront de nous arrêter un moment pour chercher quelle pouvait être la pensée qui se dérobait sous ces paroles énigmatiques de l'archidiacre : Ceci tuera cela. Le livre tuera l'édifice.
À notre sens, cette pensée avait deux faces. C'était d'abord une pensée de prêtre. C'était l'effroi du sacerdoce devant un agent nouveau, l'imprimerie. C'était l'épouvante et l'éblouissement de l'homme du sanctuaire devant la presse lumineuse de Gutenberg. C'était la chaire et le manuscrit, la parole parlée et la parole écrite, s'alarmant de la parole imprimée ; quelque chose de pareil à la stupeur d'un passereau qui verrait l'ange Légion ouvrir ses six millions d'ailes. C'était le cri du prophète qui entend déjà bruire et fourmiller l'humanité émancipée, qui voit dans l'avenir l'intelligence saper la foi, l'opinion détrôner la croyance, le monde secouer Rome. Pronostic du philosophe qui voit la pensée humaine, volatilisée par la presse, s'évaporer du récipient théocratique. Terreur du soldat qui examine le bélier d'airain et qui dit : La tour croulera. Cela signifiait qu'une puissance allait succéder à une autre puissance. Cela voulait dire : La presse tuera l'église.
Mais sous cette pensée, la première et la plus simple sans doute, il y en avait à notre avis une autre, plus neuve, un corollaire de la première moins facile à apercevoir et plus facile à contester, une vue, tout aussi philosophique, non plus du prêtre seulement, mais du savant et de l'artiste. C'était pressentiment que la pensée humaine en changeant de forme allait changer de mode d'expression, que l'idée capitale de chaque génération ne s'écrirait plus avec la même matière et de la même façon, que le livre de pierre, si solide et si durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. Sous ce rapport, la vague formule de l'archidiacre avait un second sens ; elle signifiait qu'un art allait détrôner un autre art. Elle voulait dire : L'imprimerie tuera l'architecture.
(…)
L'invention de l'imprimerie est le plus grand événement de l'histoire. C'est la révolution mère. C'est le mode d'expression de l'humanité qui se renouvelle totalement, c'est la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une autre, c'est le complet et définitif changement de peau de ce serpent symbolique qui, depuis Adam, représente l'intelligence.
Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais ; elle est volatile, insaisissable, indestructible. Elle se mêle à l'air. Du temps de l'architecture, elle se faisait montagne et s'emparait puissamment d'un siècle et d'un lieu. Maintenant elle se fait troupe d'oiseaux, s'éparpille aux quatre vents, et occupe à la fois tous les points de l'air et de l'espace. Nous le répétons, qui ne voit que de cette façon elle est bien plus indélébile ? De solide qu'elle était elle devient vivace. Elle passe de la durée à l'immortalité. On peut démolir une masse, comment extirper l'ubiquité ? Vienne un déluge, la montagne aura disparu depuis longtemps sous les flots que les oiseaux voleront encore ; et, qu'une seule arche flotte à la surface du cataclysme, ils s'y poseront, surnageront avec elle, assisteront avec elle à la décrue des eaux, et le nouveau monde qui sortira de ce chaos verra en s'éveillant planer au-dessus de lui, ailée et vivante, la pensée du monde englouti.
Et quand on observe que ce mode d'expression est non seulement le plus conservateur, mais encore le plus simple, le plus commode, le plus praticable à tous, lorsqu'on songe qu'il ne traîne pas un gros bagage et ne remue pas un lourd attirail, quand on compare la pensée obligée pour se traduire en un édifice de mettre en mouvement quatre ou cinq autres arts et des tonnes d'or, toute une montagne de pierres, toute une forêt de charpentes, tout un peuple d'ouvriers, quand on la compare à la pensée qui se fait livre, et à qui il suffit d'un peu de papier, d'un peu d'encre et d'une plume, comment s'étonner que l'intelligence humaine ait quitté l'architecture pour l'imprimerie ? Coupez brusquement le lit primitif d'un fleuve d'un canal creusé au-dessous de son niveau, le fleuve désertera son lit.
(…)
Ainsi, pour résumer ce que nous avons dit jusqu'ici d'une façon nécessairement incomplète et tronquée, le genre humain a deux livres, deux registres, deux testaments, la maçonnerie et l'imprimerie, la bible de pierre et la bible de papier. Sans doute, quand on contemple ces deux bibles si largement ouvertes dans les siècles, il est permis de regretter la majesté visible de l'écriture de granit, ces gigantesques alphabets formulés en colonnades, en pylônes, en obélisques, ces espèces de montagnes humaines qui couvrent le monde et le passé depuis la pyramide jusqu'au clocher, de Chéops à Strasbourg. Il faut relire le passé sur ces pages de marbre. Il faut admirer et refeuilleter sans cesse le livre écrit par l'architecture ; mais il ne faut pas nier la grandeur de l'édifice qu'élève à son tour l'imprimerie.
Cet édifice est colossal. Je ne sais quel faiseur de statistique a calculé qu'en superposant l'un à l'autre tous les volumes sortis de la presse depuis Gutenberg on comblerait l'intervalle de la terre à la lune ; mais ce n'est pas de cette sorte de grandeur que nous voulons parler. Cependant, quand on cherche à recueillir dans sa pensée une image totale de l'ensemble des produits de l'imprimerie jusqu'à nos jours, cet ensemble ne nous apparaît-il pas comme une immense construction, appuyée sur le monde entier, à laquelle l'humanité travaille sans relâche, et dont la tête monstrueuse se perd dans les brumes profondes de l'avenir ? C'est la fourmilière des intelligences. C'est la ruche où toutes les imaginations, ces abeilles dorées, arrivent avec leur miel. L'édifice a mille étages, Çà et là, on voit déboucher sur ses rampes les cavernes ténébreuses de la science qui s'entrecoupent dans ses entrailles. Partout sur sa surface l'art fait luxurier à l'oeil ses arabesques, ses rosaces et ses dentelles. Là chaque oeuvre individuelle, si capricieuse et si isolée qu'elle semble, a sa place et sa saillie. L'harmonie résulte du tout. Depuis la cathédrale de Shakespeare jusqu'à la mosquée de Byron, mille clochetons s'encombrent pêle-mêle sur cette métropole de la pensée universelle. À sa base, on a récrit quelques anciens titres de l'humanité que l'architecture n'avait pas enregistrés. À gauche de l'entrée, on a scellé le vieux bas-relief en marbre blanc d'Homère, à droite la Bible polyglotte dresse ses sept têtes. L'hydre du Romancero se hérisse plus loin, et quelques autres formes hybrides, les Védas et les Niebelungen. Du reste le prodigieux édifice demeure toujours inachevé. La presse, cette machine géante, qui pompe sans relâche toute la sève intellectuelle de la société, vomit incessamment de nouveaux matériaux pour son oeuvre. Le genre humain tout entier est sur l'échafaudage. Chaque esprit est maçon. Le plus humble bouche son trou ou met sa pierre. Rétif de la Bretonne apporte sa hottée de plâtras. Tous les jours une nouvelle assise s'élève. Indépendamment du versement original et individuel de chaque écrivain, il y a des contingents collectifs. Le dix-huitième siècle donne l'Encyclopédie, la révolution donne le Moniteur. Certes, c'est là aussi une construction qui grandit et s'amoncelle en spirales sans fin ; là aussi il y a confusion des langues, activité incessante, labeur infatigable, concours acharné de l'humanité tout entière, refuge promis à l'intelligence contre un nouveau déluge, contre une submersion de barbares. C'est la seconde tour de Babel du genre humain.

Victor Hugo, Notre Dame de Paris (Livre Cinq, chapitre 2)

Sans vouloir faire parler les morts (quoique lui-même ait fait tourner les tables dans ce but) je gage que Victor Hugo (à qui je veux bien pour cela pardonner son « nos lectrices nous pardonneront... » peu féministe) se serait trouvé du côté de ceux que Marmande qualifie de « nouveaux barbares » et aurait vu dans la toile une troisième « tour de Babel » davantage qu'une « toile cirée » ...

dimanche 11 février 2007

ce qui est fait

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J'ai souvenir de mon émotion quand je lisais Voyage en grande Garabagne, il y a plus de vingt ans. Tout au long de ma lecture, je me disais « j'ai une idée, je vais écrire ce livre », et j'étais tellement exalté par ce projet que je ne voyais pas l'évidence : qu'il était trop tard, que le Voyage en grande Garabagne n'était plus à écrire, que je le tenais entre les mains... Nous trouvons surtout dans les livres de nos écrivains favoris une partie de la besogne abattue. Ce qui est fait n'est plus à faire, et, d'ailleurs, rares sont les écrivains selon mon goût qui se posent en maîtres. Disciples et épigones sont de pénibles crampons. Mais peut-être, oui, alors, ces œuvres majeures délimitent-elles en creux la forme que pourra prendre la nôtre dans le voisinage de la leur : ce qui reste à faire.

Éric Chevillard, « Des crabes, des anges et des monstres. Entretien avec Mathieu Larnaudie », Devenirs du roman (Inculte / Naïve, 2007, p. 109)

samedi 10 février 2007

dans la direction des arbres

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quelques liens pour permettre à la pensée de « bondir plus avant »
::: on peut retrouver aujourd'hui les trois arbres d'Hudimesnil dans le tiers livre de François Bon ::: Proust dans le compte-rendu sous forme de blog inversé (Mémoire-de-la-Littérature) du séminaire "Marcel Proust" d'Antoine Compagnon au Collège de France ::: et les trois arbres de Monet, et de quelques autres, dans la boîte à images.

post scriptum ::: le séminaire Marcel Proust est également retranscrit par Madame de Véhesse - merci Guillaume) ::: et Jean-Claude Bourdais a croisé les trois arbres.

vendredi 9 février 2007

méconnaître un dieu

Puisque ce « passage secret » (il le reste même s'il a été souvent cité et étudié) figure dans mes tablettes numériques (il m'est cher et secret aussi), j'espère que Jean-François Paillard ne m'en voudra pas de le rendre moins secret en le citant in extenso :

Nous descendîmes sur Hudimesnil ; tout d'un coup je fus rempli de ce bonheur profond que je n'avais pas souvent ressenti depuis Combray, un bonheur analogue à celui que m'avaient donné, entre autres, les clochers de Martinville. Mais, cette fois, il resta incomplet. Je venais d'apercevoir, en retrait de la route en dos d'âne que nous suivions, trois arbres qui devaient servir d'entrée à une allée couverte et formaient un dessin que je ne voyais pas pour la première fois, je ne pouvais arriver à reconnaître le lieu dont ils étaient comme détachés, mais je sentais qu'il m'avait été familier autrefois ; de sorte que, mon esprit ayant trébuché entre quelque année lointaine et le moment présent, les environs de Balbec vacillèrent et je me demandai si toute cette promenade n'était pas une fiction, Balbec, un endroit où je n'étais jamais allé que par l'imagination, Mme De Villeparisis, un personnage de roman et les trois vieux arbres, la réalité qu'on retrouve en levant les yeux de dessus le livre qu'on était en train de lire et qui vous décrivait un milieu dans lequel on avait fini par se croire effectivement transporté.

Je regardais les trois arbres, je les voyais bien, mais mon esprit sentait qu'ils recouvraient quelque chose sur quoi il n'avait pas prise, comme sur ces objets placés trop loin dont nos doigts, allongés au bout de notre bras tendu, effleurent seulement par instant l'enveloppe sans arriver à rien saisir. Alors on se repose un moment pour jeter le bras en avant d'un élan plus fort et tâcher d'atteindre plus loin. Mais pour que mon esprit pût ainsi se rassembler, prendre son élan, il m'eût fallu être seul. Que j'aurais voulu pouvoir m'écarter comme je faisais dans les promenades du côté de Guermantes quand je m'isolais de mes parents ! Il me semblait même que j'aurais dû le faire. Je reconnaissais ce genre de plaisir qui requiert, il est vrai, un certain travail de la pensée sur elle-même, mais à côté duquel les agréments de la nonchalance qui vous fait renoncer à lui, semblent bien médiocres. Ce plaisir, dont l'objet n'était que pressenti, que j'avais à créer, moi-même, je ne l'éprouvais que de rares fois, mais à chacune d'elles il me semblait que les choses qui s'étaient passées dans l'intervalle n'avaient guère d'importance et qu'en m'attachant à sa seule réalité je pourrais commencer enfin une vraie vie. Je mis un instant ma main devant mes yeux pour pouvoir les fermer sans que Mme De Villeparisis s'en aperçût. Je restai sans penser à rien, puis de ma pensée ramassée, ressaisie avec plus de force, je bondis plus avant dans la direction des arbres, ou plutôt dans cette direction intérieure au bout de laquelle je les voyais en moi-même. Je sentis de nouveau derrière eux le même objet connu mais vague et que je pus ramener à moi. Cependant tous trois, au fur et à mesure que la voiture avançait, je les voyais s'approcher. Où les avais-je déjà regardés ? Il n'y avait aucun lieu autour de Combray où une allée s'ouvrît ainsi. Le site qu'ils me rappelaient, il n'y avait pas de place pour lui davantage dans la campagne allemande où j'étais allé, une année, avec ma grand'mère prendre les eaux. Fallait-il croire qu'ils venaient d'années déjà si lointaines de ma vie que le paysage qui les entourait avait été entièrement aboli dans ma mémoire et que, comme ces pages qu'on est tout d'un coup ému de retrouver dans un ouvrage qu'on s'imaginait n'avoir jamais lu, ils surnageaient seuls du livre oublié de ma première enfance ? N'appartenaient-ils au contraire qu'à ces paysages du rêve, toujours les mêmes, du moins pour moi en qui leur aspect étrange n'était que l'objectivation dans mon sommeil de l'effort que je faisais pendant la veille, soit pour atteindre le mystère dans un lieu derrière l'apparence duquel je le pressentais, comme cela m'était arrivé si souvent du côté de Guermantes, soit pour essayer de le réintroduire dans un lieu que j'avais désiré connaître et qui, du jour où je l'avais connu, m'avait paru tout superficiel, comme Balbec ? N'étaient-ils qu'une image toute nouvelle détachée d'un rêve de la nuit précédente, mais déjà si effacée qu'elle me semblait venir de beaucoup plus loin ? Ou bien ne les avais-je jamais vus et cachaient-ils derrière eux, comme tels arbres, telle touffe d'herbe que j'avais vus du côté de Guermantes, un sens aussi obscur, aussi difficile à saisir qu'un passé lointain, de sorte que, sollicité par eux d'approfondir une pensée, je croyais avoir à reconnaître un souvenir ? Ou encore ne cachaient-ils même pas de pensée et était-ce une fatigue de ma vision qui me les faisait voir doubles dans le temps comme on voit quelquefois double dans l'espace ? Je ne savais. Cependant ils venaient vers moi ; peut-être apparition mythique, ronde de sorcières ou de nornes qui me proposait ses oracles. Je crus plutôt que c'étaient des fantômes du passé, de chers compagnons de mon enfance, des amis disparus qui invoquaient nos communs souvenirs. Comme des ombres ils semblaient me demander de les emmener avec moi, de les rendre à la vie. Dans leur gesticulation naïve et passionnée, je reconnaissais le regret impuissant d'un être aimé qui a perdu l'usage de la parole, sent qu'il ne pourra nous dire ce qu'il veut et que nous ne savons pas deviner. Bientôt, à un croisement de route, la voiture les abandonna. Elle m'entraînait loin de ce que je croyais seul vrai, de ce qui m'eût rendu vraiment heureux, elle ressemblait à ma vie.

Je vis les arbres s'éloigner en agitant leurs bras désespérés, semblant me dire : « ce que tu n'apprends pas de nous aujourd'hui, tu ne le sauras jamais. Si tu nous laisses retomber au fond de ce chemin d'où nous cherchions à nous hisser jusqu'à toi, toute une partie de toi-même que nous t'apportions tombera pour jamais au néant ». En effet, si dans la suite je retrouvai le genre de plaisir et d'inquiétude que je venais de sentir encore une fois, et si un soir - trop tard, mais pour toujours - je m'attachai à lui, de ces arbres eux-mêmes, en revanche, je ne sus jamais ce qu'ils avaient voulu m'apporter ni où je les avais vus. Et quand, la voiture ayant bifurqué, je leur tournai le dos et cessai de les voir, tandis que Mme De Villeparisis me demandait pourquoi j'avais l'air rêveur, j'étais triste comme si je venais de perdre un ami, de mourir à moi-même, de renier un mort ou de méconnaître un dieu.

Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, II, À la Recherche du temps perdu (Gallimard, Pléiade, 1988, II, p. 76-79)

J'ai cherché en vain l'« épouvantail », et fini par conclure qu'il était l'irruption, dans le souvenir d'une lecture, d'une métaphore de l'écrivain contemporain au « statut » si précaire (tout cela est très proustien) ! En revanche grâce à lui je me suis interrogée sur la « ronde de sorcières ou de nornes qui me proposait ses oracles » que je n'avais pas remarquée lors de mes précédentes lectures : les « Nornes » selon la note (que wikipedia permet de compléter) sont « les déesses du Destin dans la mythologie scandinave ».

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