lignes de fuite

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mercredi 23 janvier 2008

empêcheurs de tourner en rond

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Tout prend si facilement à notre époque une forme extrémiste et contraignante, que si j'apprenais la réunion modérée de gens modérés, envisageant des échanges de vue modérés sur une amélioration modeste des rapports entre les hommes et entre les peuples, je me méfierais encore et les observerais du coin de l'œil et du recoin de l'âme, et surtout le développement de leur mouvement vers le meilleur je le surveillerais avec méfiance, tant les hommes de ces années me semblent voués de la même façon irrésistible à être les empêcheurs de tourner en rond de tous les autres individus de notre petite planète.

Henri Michaux, « Idées de traverses », dans Passages (Gallimard, « L'Imaginaire », 1963, p. 18-19)

mardi 22 janvier 2008

en traçant des gribouillis géants

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Dès que sa main va devenir assez agile pour tenir un crayon, l'enfant va séparer la matière en traçant des gribouillis géants, en ouvrant sur des cartons ou des grandes feuilles de larges fissures au crayon de couleur. Tous les enfants adorent dessiner. Jusqu'à six ou sept ans, ils réalisent un petit chef-d'œuvre de vérité à chaque fois qu'ils dessinent, ils voient avec leurs vrais yeux le monde tel qu'il est, ils peignent les dimensions et les significations tel que tout écrivain classique a rêvé de le faire : la maison est un carré et son toit est un triangle, la cheminée fait naître un fil dansant qui est sa fumée blanche. Le soleil projette des rayons dans toutes les directions, comme un gros oursin, et plus il fait chaud, plus ses antennes deviennent longues.
Le jour où ils découvrent l'orthographe et la grammaire, les enfants perdent le pouvoir de dessiner dans la vérité. La Société, alors, fait en sorte de les empêcher d'écrire. Beaucoup d'écrivains classiques résistent dès cet âge, mais la plupart ne parvient à retrouver la capacité d'écrire comme ils ont dessiné enfant, que très tard : après vingt ou trente années de pratique scripturaire. L'un d'eux, fils d'un professeur de médecine, n'a retrouvé ce don cette fois décuplé, qu'à l'âge de quarante ans, avant de mourir à cinquante-et-un ans, épuisé par dix années passées à écrire son gigantesque roman. S'il n'écrit pas, l'écrivain oublie tout.

Marc Pautrel, La vie des écrivains classiques

Marc Pautrel est né en 1967. Il a publié :
- Le métier de dormir (Confluences, 2005)
- Le voyage jusqu'à la planète Mars ou Lorsqu'aucun éditeur ne voulait de mon deuxième livre (Librairie olympique, 2006)
son blog : Ce métier de dormir

lundi 21 janvier 2008

à la moitié du chemin de la vraie vie

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Le titre du roman de Modiano est une citation d’une belle phrase de Guy Debord, citée en exergue :

À la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue.

tirée du film In girum imus nocte et consumimur igni (1978), cette phrase est elle-même un écho des trois premiers vers - si souvent cités (mais on ne s'en lasse pas) - de la Divine comédie de Dante :

Nel mezzo del cammin di nostra vita / mi ritrovai per una selva oscura, / ché la diritta via era smarrita.
Au milieu du chemin de notre vie, / je me retouvai au milieu d’une forêt obscure / car le droit chemin était perdu.

dimanche 20 janvier 2008

au milieu de toutes les lignes de fuite

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« On essaie de créer des liens, vous comprenez… »
Mais oui, je comprenais. Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repère, dresser une sorte de cadastre pour n’avoir plus l’impression de naviguer au hasard. Alors on tisse des liens, on essaie de rendre plus stables des rencontres hasardeuses. (p. 49-50)

Plus tard, j’ai ressenti la même ivresse chaque fois que je coupais les ponts avec quelqu’un. Je n’étais vraiment moi-même qu’à l’instant où je m’enfuyais. Mes seuls bons souvenirs sont des souvenirs de fuite ou de fugue. Mais la vie reprenais toujours le dessus. (p. 95)

Patrick Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue (Gallimard, 2007)

en ligne :
Patrick Modiano
Le réseau Modiano
Dossier BiblioObs, avec notamment un entretien avec Jérôme Garcin

samedi 19 janvier 2008

refuser toute échappatoire au grotesque

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Au début de la journée, dans les matins de mon ancienne vie, tout se passait bien. Chaque chose était à sa place : les trottoirs le long des rues, les rues derrière les fenêtres, et le tissu de mon slip, enfilé à l'endroit, tendu mais adaptable, docile, tant que je trottinais pieds nus d'une pièce à l'autre de l'appartement. Il y avait cet accord tacite, une connivence entre mon corps et le monde, une promesse d'harmonie ; la réimbrication de toutes les choses les unes dans les autres, dont moi.
Peu après je sortais, poussais la porte de l'appartement, celle de l'ascenseur, puis celle de l'immeuble, chacune plus lourde, et à chaque poussée de l'épaule, voire de tout le tronc avec la hanche en appoint, je me sentais davantage prête. Ça se renforcait, ça me redressait, la journée qui venait commençait à me faire envie. Je quittais un silence clos pour rejoindre la rue ouverte, son flot d'appétits illuminés de ciel, et je sentais poindre la faim de vie. Et puis j'entrais dans la rue, l'extérieur m'enrobait, j'ajoutais mon agitation à celle des autres, mettais mes pas dans le sens de la marche. Dès les premières grandes enjambées à la lumière crue de l'heure qui tourne, le bout de tissu, jusque-là immobile et discret, plissait. Quelques mètres suffisaient pour que le slip se ramasse en paquet, se retire vrillé au milieu des fesses, s'y renfrogne, et n'en bouge plus. Je poursuivais mon chemin du même pas, sans jamais, absolument jamais intervenir. Mais chaque matin je me fracassais sur ce moment amer. La retraite du slip était mon emblème secret, celui des enthousiasmes avortés, du loupé intime. Alors je prenais le métro et j'allais au bureau.

Seulement, il y a quelques jours, j'ai décidé une chose simple et évidente à en être terrifiante : à partir de maintenant, me promis-je, parmi ce qui se présenterait de possible matériellement, je choisirais toujours de faire exactement ce que je voudrais. L'étendue de la chose m'a immédiatement saisie et intimidée, un champ de neige vierge éblouissante dont on ne verrait pas le bout. (p. 10-11)

Il faudrait que je pense à quelque chose qui canalise ma volonté, synthétise mes souhaits. Je pourrais me souvenir de ce sourire que tout enfant j'avais offert à une femme, puis retiré très vite, parce qu'il l'avait fait rire méchamment. La femme avait imité mon sourire en le singeant jusqu'à la grimace, elle avait dû le trouver trop large, insupportable, et je l'avais aussitôt ôté de ma bouche comme on décolle honteusement un poisson d'avril de son dos. Ce serait l'occasion, oui, de retrouver le cadavre de mon sourire, de le réanimer, de le porter en parade. (p. 27)

Sur-le-champ, avant de m'endormir, j'intègre un complément de programme à ma nouvelle vie, un défi permanent, une volonté fixe : refuser toute échappatoire au grotesque. Ne jamais nier le ridicule de sa personne, mais le chérir, le porter haut face aux autres et à leur propre clownerie. Je ferai face, dans mes robes de perroquet, sur mes chaussures de putain, je serai le cancer qui sent la cocotte poudrée. Je serai troublante comme le temps qui passe, aussi épuisante qu'une maladie mortelle. D'abord je les amuserai, tous, surtout tant que je me tiendrai au loin. Je suis ce qu'ils ont réussi à ne pas devenir, ce qu'ils ont pu éviter grâce à des décennies de travail. Et puis peu à peu, je m’approcherai, je mettrai le bout des doigts sur leurs beaux costumes de distinction, d’élégance naturelle, sur leurs cernes creusés par une cause importante. J’effleurerai d’abord, et puis j’enfoncerai les mains, je plongerai jusqu’aux coudes, je creuserai jusqu’à libérer d’eux ce fumet, cette odeur qu’ils reconnaîtront, effrayés et séduits. (p. 69-70)

Cécile Reyboz, Chanson pour bestioles (Actes sud, 2008)

Un premier roman surprenant, moderne chanson de geste qui se tient sans cesse sur le fil entre l'émotion et le grotesque.

Cécile Reyboz est née le 6 janvier 1968 à Paris
Elle a auparavant écrit pour le théâtre :
Sushis variés (2005)
Oolong (2006)
Des lampions de papiers (2007)

vendredi 18 janvier 2008

si peu de rien

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il est sept heures le mardi sept
octobre deux mille trois parking de champion
au soir les caddies s'étirent longuement
sur le bitume atteignent presque les bagnoles
de l'autre côté du passage central
à gauche une mère de famille charge
le coffre de sa voiture avec du
lait des petits suisses des bananes sa
fille la regarde faire en tenant le
caddie en embrassant tendrement une poupée à
droite un clochard pisse longuement contre le
mur de l'ancienne pharmacie maintenant en
ruines là juste derrière les bennes de
recyclage de verre donc de bouteilles en
grande partie la vapeur se lève se
mélange avec les nuages au dessus du
collège Boris Vian rénové qui ressemble à
un Titanic post soixante huit échoué là
parmi ces banquises de bitume ponctuées de
crottes d'ours polaires il ferme sa
braguette et il va rejoindre là les
copains qui gueulent eh ben toi tu
viens ou quoi il y va puis
s'ouvre une canette juste devant lui
une femme marche vite vers le supermarché
de pas décidé visage rouge une poussette
devant elle qui contient un petit caniche
grisâtre elle se ralentit un peu passe
devant le vendeur de Macadam Express qui
lui dit bonjour elle hoche la tête
les pigeons arrivent en quantité industrielle devant
les bennes où on a déposé une
quantité industrielle de bouts de baguettes moisissant
dans les flaques d'eau de pétrole
de bière de vin d'urine ils
becquètent les bouts de pain s'envolent
à droite à gauche secoués et lancés
par leurs becs puis tout le monde
se casse devant la bagnole qui arrive
vite très vite en prenant le parking
comme raccourci tout le monde sauf un
qui se fait choper vlan pas le
temps de se cacher pour mourir lui
et tout son temps pour être petit
à petit écrasé aplati dans le bitume
ses copains sont perchés sur le mur
de l'ex pharmacie plus qu'une
barrière entre le terrain vague crottes
et les pères de famille qui se garent (p. 33-34)

devant le collège Boris Vian le samedi
onze octobre à onze heure et demie
les mômes mâchent et crachent leur gum
créent un motif de pois grisâtres sur
bitume noirâtre entre crottes chamarrées de toutes
consistances qui laissent apparaître les habitudes alimentaires
de leurs fabricants pas assez de fibres
ici ou bien bien trop là-bas
les gens débarquent encore avec des clebs
tes types apparemment sportifs habillés en jogging
Nike et baskets Adidas et compagnie arrivent
à toute allure font crisser leurs pneus
s'arrêtent ouvrent les portails laissent marcher
pisser courir renifler chier leur pitbull / doberman
pendant que monsieur fume une clope adossé
à sa bagnole une fois Brutus vide
de divers excréments il vire sa clope
majeur sur pouce puis claque le mégot
trace une courbe de roquette en faisant
voler quelques étincelles rougeâtres avant de tomber
par terre là à côte d'une
nouvelle dune fumante les mômes mâchent encore
discutent entre eux de Star Academy Trois
de Charmed Six de on sait plus
on les regarde partir de là courir
les garçons se tapent dessus crient glissent
le miraculeux sens septième du citadin fait
qu'ils marchent courent glissent sautent tombent
pas dans la merde derrière les platanes
devant le grillage automatique qui s'ouvre
pour laisser passer la voiture encore immaculée
d'un prof du proviseur qui sait
les mômes eux la regardent même pas
ils s'entassent en petits groupes dans
leurs jeans leurs sweats leurs baskets américaines
leur uniforme uniforme reflété en face alors
que les grands sortent du lycée professionnel
un autre Titanic de verre et métal
échoué là en plein ville pour remplacer
en deux tours l'ancien qui datait
des années soixante et était tellement naze
déjà que la rouille dégoulinait le long
des murs coulait suintait des blessures béantes
des barres d'acier qui sortaient nues
du béton désarmé comme des os rouges
d'un dinosaure rongé par si peu
de temps si peu de pluie si
peu de soleil si peu de rien
refait flambant neuf flambant sous le soleil (p. 36-38)

Ian Monk, Plouk town (Cambourakis, 2007)

Une suite poétique rigoureusement organisée (11 parties composées chacune de X poèmes de XxX vers de X mots allant de 1 jusqu’à 11 : ci dessus 2 des 7 poèmes de 49 vers de 7 mots) pour évoquer, prosaïquement et avec un humour décapant, le quotidien déglingué d’une banlieue lilloise.

Ian Monk est né en 1960 près de Londres et vit depuis 1984 en France, à Lille, dans le quartier de Fives, où il écrit, traduit en anglais et anime des ateliers d’écriture. Il est membre de l’Oulipo depuis 1998.

jeudi 17 janvier 2008

le cerveau de beauvoir

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Dans Ce soir ou jamais, Frédéric Taddéï réunissait tout à l'heure un beau plateau féministe (Caroline Fourest plus efficace que jamais !) pour parler de l’héritage de Simone de Beauvoir.

À cette occasion, une petite brassée de liens où l’on parle aussi du cerveau de Simone de Beauvoir :

Société internationale Simone de Beauvoir
Autour de Simone de Beauvoir
Centenaire de Simone de Beauvoir - Éloges et critiques (Sisyphe)
Simone de Beauvoir, Mémorialiste
Dossier Centenaire (Arte)
Dossier « être une femme selon Beauvoir » (INA)

et pour ceux qui auraient envie d'autres clics : « Par où t’es passé ? »

mercredi 16 janvier 2008

une porte de sortie


La sœur dit à B : Tu dois t'aménager une porte de sortie. Alors on peut faire ça, s'aménager des portes de sortie ? Les portes de sortie existent. Les portes de sortie servent à sortir des impasses. Dans la vie, on s'aménage des portes de sortie. Tout le monde le fait. Il n'y a pas de honte à s'aménager des portes de sortie, ça n'est pas mesquin d'envisager des fuites possibles. On le fait pour autrui. En aménageant une porte de sortie, on évite à autrui d'aller trop loin, on évite le pire, en quelque sorte on le protège. On protège autrui d'un acte irréparable. À autrui aussi, on aménage une porte de sortie. En s'aménageant une porte de sortie, on aménage à autrui une porte également. On n'agit pas dans la vie comme s'il n'y avait pas de sortie possible. Agir comme s'il n'y avait pas de sortie possible, c'est irresponsable, comme pousser autrui à la perte.

Avec les autres (famille de fonctionnaires gauchistes, amis bien-pensants oints de bons sentiments), B ressemble à un singe, A ne la reconnaît pas, c'est fou. Plus grand monde ne vient.

Sauver sa peau, tout le monde peut le faire. Elle va s'élever avec ses grands sentiments.

Sarah Cillaire, 10 fois en moyenne (publie.net, 2008, p. 35-36)

Ce beau récit de Sarah Cillaire sur la violence au quotidien dans le couple fait partie des « formes brèves » contemporaines proposées par publie.net au prix de 1,3 €.

Sarah Cillaire est doctorante en littérature générale et comparée et chargée de cours à l’Université Paris 3
elle a co-fondé la revue Retors, dans laquelle on peut lire de précédents textes :
« Scène blanche » et « J’ai fait des progrès en tant qu’être humain »

mardi 15 janvier 2008

pas bling-bling

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Ayant obtenu le meilleur job, la plus belle fille, la plus grosse montre, l’homme s’assit au sommet de la montagne qu’il avait gravie. Il leva les yeux au ciel. Décrocher la queue de Dieu comme il avait décroché la queue du Mickey ? Pour la première fois de sa vie, il chassa une idée présomptueuse. Mais alors, que faire désormais ? Il se mit debout, embrassa la vallée d’un regard et, relevant le col de son pardessus, commença à dégringoler dans les sondages.

Éric Chevillard, L’autofictif, 103 (les liens sont ajoutés par moi)

D’un hérisson à l’autre, le roman le plus acheté et offert en France en 2007 (après Harry Potter, tout de même) a été L’élégance du hérisson de Muriel Barbery, qui comme le souligne l'édito de Livres Hebdo, n’est « pas bling-bling » du tout !

lundi 14 janvier 2008

la muette perfection des cyborgs

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La solution exigeait une part d'irrationalité ; seul un humain pouvait ajouter à son analyse un paramètre échappant à la logique pure, et reproduire cette intuition indéfinissable jadis utilisée face aux chess computers. (p. 14)

Je me réveillai dans une chambre aux murs jaunes. Des vêtements s'échappaient de la petite valise en cuir posée sur le lit, une paire de bas, un déshabillé de soie. Au plafond, les moulures de plâtre formaient une tresse végétale ; je m'amusais à suivre la spirale de fleurs grisâtres tout un éprouvant, par à-coups, les étranges palpitations de la chair. De précédentes incarnations m’avaient révélé cette cénesthésie, mais les jeux orchestrés par V. Dee, ces projections à l’intérieur d’organismes archaïques, duraient généralement peu. Horrifié par le rythme des pulsations cardiaques, et par tous ces remous produits par le fonctionnement viscéral, je battais vite en retraite et retrouvais avec soulagement la muette perfection des cyborgs. (p. 14-15)

La main continua son exploration sur la poitrine, le ventre et la région pelvienne. Bien qu'un tel constat ne revêtît qu'une importance secondaire, ce serait donc en femina sapiens qu'il me faudrait agir. L'implant dressa immédiatement la liste des avantages afférents à cette qualité ontologique : intelligence émotionnelle, aptitude au langage, maîtrise du stress... des capacités plus développées que dans l'autre genre homo. Compte tenu de ce qui m'attendait, le programme avait opté pour la forme qui apparaissait maintenant dans l’étroit miroir vissé contre le mur, celle d'une jeune femme, de taille moyenne, aux longs cheveux bruns masquant les fosses claviculaires.

Mon cerveau analysait jusqu’à l’étourdissement un flot de nouvelles sensations. L'interaction avec le milieu exigeait une attention de tous les instants, les pieds pesaient curieusement sur le sol à la recherche d’un équilibre aléatoire. Si une posture requérait l’ensemble des muscles striés squelettiques, plus grande encore était l'énergie dépensée pour un simple exercice. Se lever exigeait un effort trente-cinq fois supérieur au fait de tendre le bras, mille fois supérieur à l'abaissement d'une paupière. Ma situation eût été identique si l'on m’avait subitement confié les commandes rudimentaires de la première fusée dans l'espace. Je n'éprouvais aucune difficulté à comprendre son fonctionnement, mais je m’effrayais, à chaque apprentissage, de la trivialité des manœuvres et de leur extrême fragilité. (p. 16-17)

Voilà exactement ce à quoi me destinait l’épreuve. Le corps que l’on m’avait attribué formait la base d’une conscience aliénée mais féconde. (p. 20)

Le futur est nécessairement inhumain (p. 66)

Robert Alexis, Flowerbone (Corti, 2008)

Ce télescopage très inhabituel entre un sujet est de science-fiction (pour stimuler sa créativité, un cyborg est envoyé en « stage de formation » dans le corps d’une américaine du milieu du vingtième siècle) et une écriture classique, retenue, elliptique, s’avère extrêmement séduisant.

Robert Alexis est né en 1956 et a publié deux autres romans :
- La Robe (Corti, 2006)
- La Véranda (Corti, 2007)

dimanche 13 janvier 2008

des têtes qui se décomposent

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Tout signifie et cependant tout est surprenant. Arcimboldo fait du fantastique avec du très connu : la somme est d'un autre effet que l'addition des parties : on dirait qu'elle en est le reste. Il faut comprendre ces mathématiques bizarres : ce sont des mathématiques de l'analogie, si l'on veut bien se rappeler qu'étymologiquement analogia veut dire proportion : le sens dépend du niveau auquel vous vous placez. Si vous regardez l'image de près, vous ne voyez que des fruits et des légumes ; si vous vous éloignez, vous ne voyez plus qu'un homme à l'œil terrible, au pourpoint côtelé, à la fraise hérissée (l'Été) : l'éloignement, la proximité sont fondateurs de sens. N'est-ce pas là le grand secret de toute sémantique vivante ? Tout vient d'un échelonnement des articulations. Le sens naît d'une combinatoire d'éléments insignifiants (les phonèmes, les lignes) ; mais il ne suffit pas de combiner ces éléments à un premier degré pour épuiser la création du sens : ce qui a été combiné forme des agrégats qui peuvent de nouveau se combiner entre eux, une seconde, une troisième fois.

(...) Tout se passe comme si, à chaque fois, la tête tremblait entre la vie merveilleuse et la mort horrible. Ces têtes composées sont des têtes qui se décomposent.

Roland Barthes, « Arcimboldo ou Rhétoriqueur et magicien », L’Obvie et l’obtus : Essais critiques III (Seuil,1982, p. 122-138)

L’exposition Arcimboldo du musée du Luxembourg se termine : ce peintre très intellectuel, qui nous semble aujourd'hui trop moderne pour appartenir à la Renaissance, y est fort bien mis en relation et en perspective avec les cabinets de curiosités, les poètes et les peintres de son époque.

J’y ai aussi découvert cette magnifique Salome tenant la tête de Jean Baptiste de Bernardino Luini (qui est conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne).

samedi 12 janvier 2008

game over

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Je ne sais pas vous, mais le Tetris reste un de mes gaspille-temps préférés :
ce Tetris humain m'amuse donc beaucoup !

vendredi 11 janvier 2008

vos remblais les uns les autres

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Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ? Communiquer quoi ? tes remblais ? la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?
Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.

Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 53)

jeudi 10 janvier 2008

ce petit cœur brisé ridicule

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À propos de Facebook encore, j’ai reçu ce lien vers un blog surprenant dont l'auteur publie, par paire, les photos de couples déclarés sur Facebook :

Toutes les photos sont issues de profils publics du réseau France de Facebook. Les couples choisis sur ce blog annoncent sur leur page qu'ils sont « in a relationship with » leur partenaire.
Si vous regrettez votre exhibitionnisme, ne souhaitez pas vivre dans un monde orwellien et exigez de ne pas apparaître sur cette page, laissez un commentaire ou envoyez un mail.
In a relationship

À rapprocher de l'anecdote racontée par Christine Rosen :

Je connais une jeune femme – séduisante, intelligente, distinguée – qui, comme beaucoup d’autres à vingt ans, s’est inscrite sur Facebook comme étudiante à l’ouverture du site. Quand elle s’est fiancée, elle et son compagnon ont mis à jour leur profil pour annoncer la nouvelle et leurs amis ont déposé des messages de félicitation sur leurs « Murs ». Mais par la suite ils ont rompu leurs fiançailles. Et une drôle de chose arriva. Bien qu’elle ait déjà prévenu quelques amis et parents, son ex décida d’officialiser la nouvelle d’une façon très contemporaine : il changea son statut sur son profil Facebook de « Fiancé » à « Célibataire ». Facebook généra immédiatement un flux d’actualité visible par tous les membres de leurs réseaux annonçant que « Mr.X et Mlle.Y ne sont plus en couple », accompagné d’une petite icône de cœur brisé. Quand j’ai demandé à la jeune fille comment elle avait vécu cet évènement, elle avoua que bien qu’elle se soit faite à l’idée que ses proches finissent par apprendre la nouvelle, elle avait été assez déconcertée par le fait que tout le monde soit instantanément au courant ; et comme le message venait de Facebook et non d’un échange en face-à-face à son initiative, la rupture était coupée de son contexte – dont il ne restait qu’une utilitaire mention de la date et ce petit cœur brisé ridicule.
Christine Rosen, « Amitiés virtuelles et nouveau narcissisme »

la suite : Francis Pisani, « Guerre des données/2 - Facebook contre Plaxo »

mercredi 9 janvier 2008

le marketing de soi-même

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Pendant des siècles, les riches et les puissants ont illustré leur existence et leur rang à travers des portraits peints. Marque de richesse et gage d’immortalité, les portraits offrent d’intrigantes allusions à la vie quotidienne de leurs sujets – professions, ambitions, attitudes, et, surtout, statut social. De tels portraits, comme le soutient l’historien de l’art allemand Hans Belting, peuvent être compris comme de « l’anthropologie peinte », susceptible de nous apprendre beaucoup, intentionnellement ou non, de la culture dans laquelle ils ont été créés. Les autoportraits peuvent être particulièrement instructifs. En montrant l’artiste à la fois comme il se voit sincèrement et comme il aimerait être vu, ils peuvent simultanément exposer et masquer, éclairer et distordre. Ils sont une opportunité d’expression autant que de recherche de soi. Ils peuvent déployer l’égotisme comme la modestie, l’auto-promotion comme l’auto-dérision.

Aujourd’hui, nos autoportraits sont démocratiques et digitaux ; ils sont faits de pixels plutôt que de pigments. Sur des sites de réseaux sociaux comme MySpace et Facebook, nos autoportraits modernes s’agrémentent de musiques d’ambiance, de photos soigneusement retouchées, de flux de pensées en continu, et de listes de nos hobbies et de nos amis. Ils sont interactifs, invitant les visiteurs non seulement à regarder, mais aussi à contribuer à cette vie représentée en ligne. Nous les créons pour trouver l’amitié, l’amour, et cette ambiguïté moderne nommée « contact ». À l’instar des peintres reprenant sans cesse leur œuvre, nous modifions, actualisons et peaufinons nos autoportraits en ligne ; mais ces objets digitaux sont bien plus éphémères que les huiles sur toile. Statistiques essentielles, chair à vif entraperçue, inventaire de musiciens et de poèmes favoris réclament notre attention – et c’est cet éternel et humain désir d’attention qui émerge, thème dominant de ces vastes galeries virtuelles.

Bien que les sites de réseaux sociaux n’en soient encore qu’à leurs débuts, on constate leur impact culturel : dans nos langues (les amis « s’ajoutent » désormais), chez nos politiques (il est maintenant de rigueur pour un candidat de cataloguer ses vertus sur MySpace), sur les campus universitaires (où ne pas être sur Facebook est un handicap social). Mais nous commençons à peine à saisir les conséquences que nos pratiques sur ces sites ont sur nos relations, et sur nos conceptions de la vie privée, de l’authenticité, de la communauté, de l’identité. Comme devant toute avancée technologique, nous devons prendre en considération le type de comportement social que les réseaux sociaux sur internet encouragent. Cette technologie et son incessante injonction à la collection (d’amis et de prestige), à la performance (par le « marketing » de soi-même) ne va-t-elle pas d’une certaine façon à l’encontre de ce qu’elle nous promet : un sentiment plus solide d’identité et d’appartenance ? L’oracle de Delphes nous disait « connais-toi toi-même ». Aujourd’hui, dans le monde des réseaux en ligne, son conseil pourrait être « fais-toi connaître toi-même ».

Ainsi commence un très intéressant article de Christine Rosen, « Amitiés virtuelles et nouveau narcissisme », publié par NonFiction

voir aussi le reste du dossier, et notamment « Jeu de société. Va-t-on se lasser de Facebook ? » de Barthélémy Menayas

et, aujourd'hui, un billet de Francis Pisani sur le scraping des données personnelles : « Guerre des données/1 - Facebook contre Plaxo »

mardi 8 janvier 2008

kiosques sans fesses

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ça au moins ça fait plaisir de le voir placardé sur les kiosques parisiens !

Courrier international

collection d’hiver


Je suis présent encore en cette rentrée littéraire de janvier et, je le dis avec modestie, les choses se présentent plutôt bien : jamais aucun de mes précédents livres n’avait bénéficié dans les librairies-papeteries d’une mise en place aussi généreuse que celle de ces rames de pages blanches en quoi consiste – on est styliste ou on ne l’est pas – ma collection d’hiver.
Éric Chevillard, L'autofictif, 99

Si comme moi vous les préférez quand elles ne sont pas blanches, les pages d'Éric Chevillard, vous pouvez aussi le lire sur vos écrans grâce à François Bon, qui, avec publie.net, devient éditeur en ligne et propose des textes inédits de Bernard Noël, Olivier Rolin, Pascale Petit, Jacques Roubaud, Philippe De Jonckheere, Régine Detambel, Emmanuel Darley, etc. etc.
Des pdf de formats divers sont proposés pour tenter de s'adapter aux écrans de toutes tailles, ainsi que (parfois) du rtf, pour ceux qui comme moi n'aiment pas le pdf, le tout sans drm.

à lire aussi en ligne :
« publie.net, l’édition en réseau » par Virginie Clayssen
et « Lancement de Publie.net » par Marc Pautrel

lundi 7 janvier 2008

la chapelle sixtine de notre siècle

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D'abord expliquer où nous sommes. Pour bien comprendre.

Le temps est lourd et nuageux. Brando ne le voit pas mais c'est ce que dit la météo. La maison est à l'ombre de la barre. C'est sa zone franche, rétractée. Personne ne vient. Banlieue nord, c'est l'espace de non-droit rêvé par la République. Glaise malléable à volonté, un lieu où les policiers ne se hasardent pas, les ambulances ne viennent pas, une zone délimitée par de grandes avenues, une zone où presque tout petit se vendre et s'acheter. Les bus ne se risquent plus. Ici, on parle une autre langue. Un autre jeu est en route. Avec ses règles très précises, ses conditions et, comme dans tout jeu, ses amendes et ses gages. Ce lieu est un monstre d'autarcie branché, câblé sur le reste de la planète grâce aux paraboles, bénitiers blancs à recueillir les grandes messes cathodiques. toutes braquées dans la même direction. Combien d'habitants ? Deux mille ? Certains disent plus. On ne compte pas. Autre chose à faire que des statistiques. La maison était là avant les immeubles. Il y a longtemps maintenant. Elle avait été construite alors qu'il n'y avait encore rien autour. Calme. Le long bâtiment dessine comme un flanc de falaise artificielle. Nu. Beauté de l'ouvrage humain. Trésor de puissance à créer des angles. (p. 31-32)

Télé. La télé graillonne en face de lui. À la fin, la télé sera poussée au maximum. La télé, c'est le compost du réel. Du fumier qui aide à vivre. La télé, c'est la chapelle Sixtine de notre siècle. Ses anges et ses démons que l'on reconnaît au premier coup d'œil, pour apprendre. Pour apprendre même à ceux qui ne veulent pas. Pour convaincre le cœur de chacun versé dans la sébile de la morale et apprendre à peser le pour et le contre suivant le cadrage de la caméra. La télé, c'est la chapelle Sixtine de notre vanité tout entière ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur notre orgueil à vouloir. Ses papes et ses nonnes d'un mètre quatre-vingts qui entrent dans les ordres de l'image en se faisant refaire les seins et les lèvres. Elles ont fait vœu de beauté éternelle et de jeunesse vorace. La télé a ses confessionnaux où, après avoir tout dit de ses péchés, des millions d'autres pauvres pécheurs vont décider de la punition à donner en envoyant des SMS. Désormais, c’est Dieu et ses actionnaires qui travaillent ensemble à un nouvel Évangile. (p. 51-52)

Pour arriver jusqu'ici, j'ai passé les frontières de petits territoires non officiels, des frontières mouvantes au gré des trafics, de la politique intérieure et des bandes qui prennent et perdent le pouvoir. J'ai passé des check-points tenus par des petits d'à peine une douzaine d'années. Dans leurs yeux, j'ai lu la rage et la misère extrême de ne pas avoir la force de leurs aînés. Ça viendra. Une meute aux dents de lait. Mais nombreuse dans les halls d'entrée. La rue est la meilleure école du désir.

Ça se passe quelque part dans les plis des zones HLM, des barres de béton qui tinrent si chaud aux rêves italiens, espagnols et arabes et chinois et portugais, et tous ceux qui sont venus chercher lorsqu'on les autorisait à prendre. Ça se passe à Grigny, ou Épinay-sur-Seine ou Clichy-sous-Bois, ou les quartiers Nord de Marseille. (p. 55)

Tarik Noui, Serviles servants (Léo Scheer, Laureli, 2007)

Brando et sa graisse envahissante comme allégorie maniériste (c'est un compliment) de notre monde gavé par la télévision d’images de violence et de guerre.

Tarik Noui est né en 1973. Il a déjà publié :
- La Cruauté (Loris Talmart, 2000)
- La Désolation des singes (P.A.R.C, 2003)
- La Treille des négriers (Melville / Léo Scheer, 2006)

en ligne :
- une belle analyse de Philippe Boisnard dans Libr-critique.
- les collages de Tarik Noui, découverts grâce à son éditrice, Laure Limongi.

dimanche 6 janvier 2008

le poulpe découvre internet

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Comme a dit un grand ponte de l’Internet, seuls les paranoïaques survivent. Le temps que tu appliques tes méthodes de toujours, n’importe qui de bien équipé t’abat le même boulot en deux temps, trois mouvements et t’es largué. (p. 82)
C’est le SGU, le système gesticulatoire universel. Aujourd’hui, comme on confond la communication et l’information, on confond la gesticulation et l’action. (p. 137)
Tu vas me dire que ça ressemble à un mauvais roman de gare que l’auteur aurait été pressé de conclure. (p. 153)
Ça tient quand même bizarrement la route ton affaire. Il y a des trucs un peu gros.
- Je te dis que si c’est ça l’explication, mon ami, donc c’est ça. La réalité maintenant n’a plus besoin d’être cohérente. Le vrai et le faux, le faux et le vrai et toutes les interprétations et théories se valent. T’as qu’à lire sur Internet… et ce truc est quand même un bon reflet de réel ou en tout cas du mental humain d’aujourd’hui. (p. 156)
Tout ce que je te raconte est non seulement plausible, mais c’est la vérité… Jusqu’à ce qu’il y ait une nouvelle vérité en tout cas. Tout ce qui compte c’est le début d’une affaire, et qu’il y ait une fin. Au milieu c’est le méli-mélo gesticulatoire qui profite à tout le monde, et puis voilà. Ça fait un tout et c’est l’essentiel. (p. 157)

Francis Mizio, Sans temps de latitude (Baleine, 2007)

Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe, le privé libertaire inventé en 1995 par Jean-Bernard Pouy était jusqu'alors plutôt vieux jeu : il découvre dans cet opus internet et les gadgets électroniques ... et c'est très drôle.

samedi 5 janvier 2008

les fesses de sartre

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Certainement, il ne faut pas croire qu'il suffise de modifier sa condition économique pour que la femme soit transformée : ce facteur a été et demeure le facteur primordial de son évolution ; mais tant qu'il n'a pas entraîné les conséquences morales, sociales, culturelles, etc. qu'il annonce et qu'il exige, la femme nouvelle ne saurait apparaître ; à l'heure qu'il est elles ne se sont réalisées nulle part, pas plus en U.R.S.S. qu'en France ou aux U.S.A.; et c'est pourquoi la femme d'aujourd'hui est écartelée entre le passé et l'avenir ; elle apparaît le plus souvent comme une « vraie femme » déguisée en homme, et elle se sent mal à l'aise aussi bien dans sa chair de femme que dans son habit masculin. Il faut qu'elle fasse peau neuve et qu'elle se taille ses propres vêtements. Elle ne saurait y parvenir que grâce à une évolution collective.

Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe (1949)

Parce qu’on n’imagine pas un numéro spécial du NouvelObs avec en couverture les fesses de Sartre … nous sommes en 2008, l'U.R.S.S. n'existe plus, mais ce n’est pas encore gagné, petites sœurs ... le pire est que sans doute l'intention est « bonne » : montrer qu'on peut être intellectuelle et « bien foutue » (expression entendue tout à l'heure) !

Colloque du centenaire

post-scriptum à l'usage de ceux qui ne liraient pas les commentaires :

la photographie d'Art Shay (disponible ici) a, circonstance aggravante, été dûment retouchée, comme le démontre l'analyse magistrale de Philippe De Jonckheere.
post-scriptum au post-scriptum : lassitude ...
post-scriptum 3 : un entretien, non moins magistral

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