lignes de fuite

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écrivains

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samedi 4 octobre 2008

le meilleur ennemi du meilleur ami

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41.3 Aujourd'hui, le meilleur ami de l'omme n'est plus le chien, mais son meilleur ennemi : la puce.

41.3.1 Bancaire, sanitaire-sécuritaire, codes d'accès divers…

41.4 La puce, qui fut le meilleur ennemi du meilleur ami de l'omme, est aujourd'hui le meilleur ami de l'omme et, croyez-moi, elle le restera.

::: autre avant-première, Jacques Rebotier propose chaque lundi quelques extraits de sa Description de l'omme, à paraître chez Verticales, et qu'il décrit comme une « encyclopédie médiévale écrite au vingt-deuxième siècle, par un papillon, ou une grenouille. »

vendredi 3 octobre 2008

le saviez-vous ?

« Un être humain ressemble-t-il davantage à un sapin ou a un poisson ? »

« Saviez-vous qu’il est dans les grands fonds de formidables combats ? »

::: « Le saviez-vous ?
Quelques faits curieux que vous ignoriez peut-être… »
en avant première du roman en cours de Jean-François Paillard

mardi 30 septembre 2008

chambre d'échos

Un entretien vidéo avec Élodie Issartel réalisé par Florent Georgesco à propos de Festino ! Festino !, dont je parlais il y a quelques jours.

jeudi 25 septembre 2008

faire vrai sans faire faux

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Attention lorsque vous filmez à ne pas tomber dans l’effet. Je veux dire par là, les gros plans qui vont fouiller trop près et forcent l’émotion artificiellement. Comme la caméra subjective qui tremble pour rendre la spontanéité mais qui écœure le spectateur. Attention également, sous prétexte de vouloir rendre la vraie vie, aux détails qui seront invraisemblables à l'écran. Un détail peut prendre des proportions qui gâcheront l'harmonie d'ensemble. Par exemple, si vous filmez une scène de rue dans un quartier populaire, un personnage de SDF risque de faire vériste. Faire vrai peut faire faux mais tout ça est évident. Autre chose, vous pouvez aussi opter pour l'acte gratuit, que le spectateur aura du mal à interpréter, puisqu'il n'est pas justifié. Là, je m'adresse à ceux qui ont choisi la fiction. Revoyez Masculin Féminin de Godard, le personnage qui se poignarde peut s'inscrire dans la chaîne des événements violents du film (l'immolation du militant par exemple) ou être appréhendé comme un acte pulsionnel d'une violence retournée contre soi. Ceux qui utilisent la voix off attention, tout le monde n'est pas Chris Marker, évitez d'utiliser la voix off pour pallier les lacunes de l'écriture et les failles dans le scénario, elle ne doit pas être redondante par rapport à l'image. Je vous renvoie au texte de Barthes sur le costume au théâtre et à la préface de Pierre et Jean. À lundi prochain.

Élodie Issartel, Festino ! Festino ! (Léo Scheer, 2008, p. 199-200)

Des monologues intérieurs aux tons plus que variés se juxtaposent pour composer l'extravagant portrait de groupe d’une famille atypique et de tous ceux qu’elle accueille dans sa grande maison : cela donne un premier roman drôle, triste, très humain, très attachant et qui « évite de tomber dans l’effet ».

::: les 26 premières pages permettent de se faire une idée
::: les avis de Laure Limongi et Florent Georgesco.

dimanche 21 septembre 2008

tels les pompons du manège

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Ils se donnent rendez-vous au sortir du virage, après Malmousque, quand la corniche réapparaît au-dessus du littoral, voie rapide frayée entre terre et mer, lisière d’asphalte. Longue et mince, elle épouse la côte tout autant qu’elle contient la ville, en ceinture les excès, congestionnée aux heures de pointe, fluide la nuit – et lumineuse alors, son tracé fluorescent sinue dans les focales des satellites placés en orbite dans la stratosphère. Elle joue comme un seuil magnétique à la marge du continent, zone de contact et non frontière, puisqu’on la sait poreuse, percée de passages et d’escaliers qui montent vers les vieux quartiers, ou descendent sur les rochers. La dévisageant, on pense à un front déployé que la vie affecte de tous côtés, une ligne de fuite, planétaire, sans extrémités : on y est toujours au milieu de quelque chose, en plein dedans. C’est là que ça se passe et c’est là que nous sommes. Un panneau d’affichage leur sert de repère : derrière le poteau, le parapet révèle une ouverture sur un palier de terre sablonneuse semé de chardons à guêpes et de gros taillis inflammables, lesquels s’écartent à leur tour pour former des passages vers les rochers. On sait qu’ils vont venir quand le printemps est mûr, tendu, juin donc, juin cru et aérien, pas encore les vacances mais le collège qui s’efface, progressivement surexposé à la lumière, et l’après-midi qui dure, dure, qui mange le soir, propulse tout droit au cœur de la nuit noire. Chaque jour il y en a. Les premiers apparaissent aux heures creuses de l’après-midi, puis c’est le gros de la troupe, après la fin des cours. Ils surgissent par trois, par quatre, par petits groupes, bientôt sont une vingtaine qui soudain forment bande, occupent un périmètre, quelques rochers, un bout de rivage, et viennent prendre leur place parmi les autres bandes établies çà et là sur toute la corniche. (p. 11)

Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize et dix-sept, et c’est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison.
Nul ne sait comment cette plate-forme ingrate, nue, une paume, est devenue leur carrefour, le point magique d'où ils rassemblent et énoncent le monde, ni comment ils l'ont trouvée, élue entre toutes et s'en sont rendus maîtres ; et nul ne sait pourquoi ils y reviennent chaque jour, y dégringolent, haletants, crasseux et assoiffés, l'exubérance de la jeunesse excédant chacun de leurs gestes, y déboulent comme si chassés de partout, refoulés, blessés, la dernière connerie trophée en travers de la gueule ; mais aussi, ça ne veut pas de nous tout ça déclament-ils en tournant sur eux-mêmes, bras tendu main ouverte de sorte qu'ils désignent la grosse ville qui turbine, la cité maritime qui brasse et prolifère, ça ne veut pas de nous, ils forcent la scène, hâbleurs et rigolards, enfin se déshabillent, soudain lents et pudiques, dressent leur camp de base, et alors ils s'arrogent tout l'espace. (p. 14-15)

Il saute comme un ange malingre - comme si la gravitation terrestre était un frayage, comme si le ciel dissimulait des lignes de fuite qu'il fallait saisir tels les pompons du manège (p. 80)

Ils ont longé la corniche jusqu'aux plages du Prado avant de bifurquer vers le nord, Mario est assis à l'avant sur le fauteuil passager, la ceinture de sécurité lui cisaille la gorge, il fume une Lucky sans tousser, a tourné tous les boutons du tableau de bord, je peux mettre la radio ? La ville est pleine et chaude encore, à cette heure, le trafic est dense derrière le port, les trottoirs essorent une population épuisée qui ne veut pourtant pas se coucher : touristes étrangers, estivants en goguette - faut profiter -, pickpockets, familles qui traînent aux terrasses des pizzerias, grand-mères en jeans cloutés et nourrissons endormis dans les poussettes, première vague de noctambules, adolescents en grand appareil. Mais bientôt ce ne sont plus que de grandes avenues frangées d'arbres fluorescents qui ne ventilent plus rien, parcourues de bagnoles nerveuses, pleines à ras bord, vitres baissées musique à fond, on approche des cités, les lumières sont blanches, les gens pendus aux fenêtres fument dans l'air nocturne et l'écho des télévisions, des jeunes sont regroupés au bas des immeubles ou traversent les immenses dalles de béton bleutées, leurs voix résonnent sur l'esplanade lunaire, on leur crie de se taire, ils brandissent un doigt, il flotte dans l'atmosphère une odeur de joint, de plastique tiède, de vieilles épluchures et de papier journal. (p. 121)

Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy (Verticales, 2008)

Des minots qui jouent à défier les lois (celles de la gravitation et celles de la société), un commissaire sommé d’appliquer une tolérance zéro qui les envie secrètement, « la Plate », la corniche et Marseille comme scènes d’un ballet en lignes de fuite, et surtout une écriture lente et ciselée, magnifique.

Maylis de Kerangal est née en 1967 et a publié :
- Je marche sous un ciel de traîne (Verticales, 2000)
- La Vie voyageuse (Verticales, 2003)
- Ni fleurs ni couronnes : nouvelles (Verticales, 2006)
- Dans les rapides (Naïve, 2007)
et, en collaboration avec les Incultes :
- Le sport par les gestes (Calmann-Lévy, 2007)
- et Une chic fille (Naïve, 2008).

::: les avis de Clarabel et fluctuat.net.

jeudi 18 septembre 2008

tesselles de lumière

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On les appelait les Occidentaux, parce qu'ils avaient cette obsession de partir vers l'Ouest. On peut se demander pourquoi l'Ouest, plutôt que l'est ou le sud - un indice, peut-être : les vents dominants sur le globe soufflent d'ouest en est. On peu, donc penser qu'ils aimaient l'adversité.
Ce qui les rassemblait, c'était cela. Ce n'était que cela : l'adversité.
Il y avait là toute leur témérité, toute la tristesse de leur condition : ils partaient indéfiniment vers le ponant, quitte à finir par ne rien y trouver. Quitte à y perdre la raison. Colomb fut moins enfermé pour les atrocités qu'il avait fait subir à ses colonisés que parce qu'il avait trouvé l'Ouest et fermé une terrible boucle. (p. 22)

On se demandera peut-être un jour pourquoi personne ne s'était alors inquiété de l'invention de Jobs. Après tout, rappellera-t-on, cela se passait en 1976, l'année d'Orwell approchait. Mais l'Occident, pourtant si terrifié par les grosses machines omniscientes d'Atanasoff, fut rassuré par ses gentilles lampes : il les avait habillées de blanc, leur avait donné les dimensions et la docilité d'un animal domestique. Leurs noms aussi rassuraient ; ils faisaient penser à des fruits, des biscuits ou des imperméables.
Seul leur prix de vente, de six cent soixante-six dollars, surprit un peu.

Jamais aucune société n'avait grandi aussi vite que celle de Jobs. La manière dont ces petites boîtes s'étaient répandues avait quelque chose d'épidémique. Or, même la science-fiction omit de réagir. Rassurée par les gentils Macintosh, elle se tourna vers les soucoupes volantes, vers les clones... Personne n'avait compris que, en éparpillant ainsi l'intelligence à travers ses personal computers, Jobs avait entamé le morcellement de l'Occident. (p. 80-81)

L'Occident s'inspira une dernière fois de la Grèce antique en 1947, lorsqu'un mathématicien du nom de Claude Shannon bâtit sa théorie de l'information d'abord, Shannon y décrivait comment démonter le vivant en petits morceaux qu'il appela digits, ensuite comment le transporter sur des distances considérables en s'aidant de la lumière ; enfin, comment reconstituer le tout - ou du moins comment en donner l'apparence. Le prestidigitateur précisait tout un lot de précautions à suivre quant à la composition de ses mosaïques.

Les fragments de Shannon, comme les lampes de jobs, intéressèrent beaucoup les industriels. Du son hi-fi à la télévision haute définition, du téléphone à l'imagerie digitale, il n'y eut bientôt plus une seule onde qui ne fût chargée comme un baudet de ses tesselles de lumière.
On parla de révolution digitale. Les travaux de Shannon furent comparés à ceux d'Einstein. Un jour, ils seront peut-être comparés à ceux d'Oppenheimer, le père de la bombe atomique.

On sait peu de Shannon lui-même. L'homme était jongleur, acrobate, autant qu'il était mathématicien. Il aimait, à l'instar de ses mosaïques de lumière, se disperser.
Les avatars de la théorie de Shannon furent innombrables. Ses mosaïques établirent une illusion de la réalité si parfaite qu'on finit par préférer les fragments de lumière à la réalité qu'ils entendaient copier ; le temps où l'on passait sur les écrans de Shannon parce qu'on était célèbre avait désormais cédé la place à un autre, où y apparaître suffisait à le devenir. On réunit ces paradoxes sous le nom de Société de l'information.
Tout y était permis et tout y était égal - une publicité pour le dernier Hummer suivait sans transition un reportage sur le génocide au Rwanda - tesselles de même durée, de même taille et de même éclat : il s'agissait toujours d'une seule et même image, aussi creuse, aussi émouvante.

Au temps de la Rome antique les mosaïques avaient annoncé l'éparpillement de l'Empire. Désormais c'était l'Empire lui-même qui n'était plus qu'une gigantesque mosaïque. On déplorera un jour que jamais l'éclatement universel n'ait été aussi décelable, aussi imminent, et que, malgré cela, nul ne sut l'empêcher. (p. 84-86)

Depuis trente ans l’analphabétisme progresse. L’autisme, la maladie du silence, se propage comme une épidémie. Au cours de l’an 2000, les psychiatres attirèrent l’attention des CEO des plus grands groupes de communication de la Silicon Valley, sur le fait que leurs employés, habituées à ne plus communiquer que par email et Instant Messaging, ne se parlaient plus. Les CEO se risquèrent jusque dans la pénombre des bureaux paysagés de leurs empires. Ils surprirent des voisins de cubicle en train de converser par ordinateur interposé. Ils les entendaient respirer. Ils entendaient le bruit des doigts qui sur le clavier tapaient chaque lettre de leur conversation. Effectivement, plus un seul mot n'était échangé. Les CEO trouvèrent à leur tour cela inquiétant, ce silence, cette nouvelle grande muette. Les chefs des nouveaux temples de la communication imposèrent que, un jour par semaine, leurs employés se parlent. (p. 102-103)

Les croyances des peuplades indiennes choquèrent les premiers missionnaires franciscains qui débarquèrent en Amérique au dix-huitième siècle : les cultes primitifs de ces indigènes, rapportèrent-ils, causeraient leur perte. Pour ces sauvages tout était vrai, tout était faux ; ils étaient en permanence plongés dans un univers d’esprits, d’ondes bénéfiques ou malfaisantes. Ils ne différenciaient plus le rêve du réel. Les moines s'empressèrent de convertir ce peuple de schizophrènes.
Ils s'empressèrent ensuite de bâtir un monde à leur image. Et ce monde ne fut précisément plus que cela : une image. (p. 111-112)

Jérôme Baccelli, Tribus modernes (éditions du Rocher, 2008)

Ce livre étrange et troublant décrit en une mosaïque de fragments un monde dont il déplore l’irrémédiable fragmentation en cours, juxtaposant morceaux d'histoire, récits mythiques et tesselles d'aujourd'hui, les inventions de Steve Jobs, Claude Shannon, Bob Metcalfe ou Bill Gates et les légendes des indiens Ohlones, dont les tombes des ancêtres ont été profanées pour construire les bureaux de la Silicon Valley.

Jérôme Baccelli est français, informaticien, et réside à San Francisco.
Il a publié aussi Dictionnaire de la pensee oblique (Cylibris, 2002)

::: à lire en ligne : Martine Laval, « Go to the Nouveau Monde » (Télérama, 2 septembre 2008).

::: post-scriptum : et La Lettrine met aujourd'hui en ligne un entretien avec Jérôme Baccelli.

mercredi 17 septembre 2008

une ligne va se tendre

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Jacques n'est pas mécontent que j'aie reconnu l'excellence de la cabane aux outils romanesques pour écrire. Il s'en flatte avec ironie comme d'un savoir-faire d'amant. Munich d'où je reçois des nouvelles de Zita, Paris où je retournerai un jour, il se conduit comme si ces villes n'existaient pas, comme si je n'existais pas hors du Sumac.
Écrire, affirme-t-il, est une vanité d'idéaliste, la survivance d'une époque où l'on pensait la chose écrite capable d'expliquer, justifier ou réprouver l'ordre du monde. Doit être cependant, il l'admet, un passe-temps agréable et gratifiant pour une femme qui a besoin de gagner sa vie, surtout si elle écrit des romans, et vaut toujours mieux que se faire entretenir par un macho ou exploiter par un patron tout en jouant les émancipées.
Les considérations sur les femmes, sur le roman, auxquelles Jacques, comme tout un chacun, se croit autorisé, m'indiffèrent. À se mettre en tête de les contester point par point on ne fréquenterait plus personne.
Il s'amuse des mises en condition émotionnelles dont j'ai besoin avant de commencer à écrire mais il protège mon temps de travail :
- Ne la dérangez pas, elle écrit.
Mes scrupules sur le vocabulaire de la haine et de la douleur le laissent froid mais il défend mon repos :
- Faites moins de bruit, elle a écrit toute la nuit, maintenant elle dort.

Dix mots par ligne, trente lignes par page, trois cents mots sur une page, je compte l'avancée de mon travail chaque nuit : mille, mille cinq cents mots, selon l'énergie.
Se tenir immobile jusqu'à l'engourdissement précède le saut dans le texte. Attendre le temps qu'il faut. Regarder devant soi sans rien voir. Ne penser à rien. Ne plus rien entendre. Voilà. L’arc d'une légère crispation parcourt la colonne vertébrale, s'empare des épaules, se répand dans les bras, redresse la nuque.
En haut, tout est bleu. En bas, noir sur blanc. Je me tiens au plus près du texte, à l'extrême limite de son apparition. Le monde entier est présent, tout le néant possible est là.
Attendre encore.
Je le sais, à la moindre intention tout disparaîtra. Une ligne va se tendre, déterminer le soulèvement d'une image.
J'entends un grondement. Un torrent gelé apparaît. Je brise un éclat de sa cascade éblouissante, il brille comme un miroir, c'est une loupe, je la lance vers les objets célestes.

Dominique Dussidour, Le Risque de l’histoire (Laurence Teper, 2008, p. 131-132)

Dominique Dussidour est née à Boulogne-Billancourt en 1948.
Elle est aussi l’auteur de :
- Portrait de l’artiste en jeune femme : roman (Grasset, 1988)
- Les Mots de l’amour : roman (Grasset, 1991)
- Histoire de Rocky R. et de Mina : roman (Zulma, 1996)
- Journal de Constance (Zulma, 1997)
- Bleu palémoine (Les ennemis de Patterne Berrichon, 1997)
- L’alouette lulu (Dont acte I) : roman (Éditions des Syrtes, 2000)
- Desseins de la nuit (Peauésie de l’Adour, 2000)
- Les Matins bleus : roman (La Table ronde, 2002)
- Les couteaux offerts (Dont actes II) : roman (Éditions du Rocher, 2003)
- Si c’est l’enfer qu’il voit. Dans l’atelier d’Edvard Munch, Gallimard, « L’un et l’autre », 2007)
- Matériaux pour un roman (publie.net, 2008)
Elle est aussi membre du comité de rédaction et préside depuis septembre 2006 l’association remue.net.

::: « Comment la guerre s'incorpore-t-elle à l'acte de lire et d'écrire ? », un article de Cathie Barreau.

dimanche 14 septembre 2008

la destruction de mon intérieur

Je viens de déménager encore une fois, encore une fois je suis séparée de mon lieu, après avoir organisé la destruction de mon intérieur que constitue un déménagement. Symptomatiquement on ne retrouve rien, c'est prémonitoire de la réalisation qu'on ne retrouvera rien, effectivement, de ce qui nous a contenu, que le temps, le hasard et la chance avaient permis d'agencer, le croisement que les objets font entre eux et qui, maintenant ruiné, ne se reconstituera pas. On le réalise en regardant atterré les premiers coups de pioche qu'on met dedans, cela avec la fureur des assassins, ouvrant et scotchant des cartons et prenant à pleine main cette harmonie pour la désarticuler. On réalise en ouvrant ses colis qu'il n'y est plus, l'endroit qu'on aimait, et quelque raboutage qu'on organise, il n'y sera plus, et il faudra à nouveau tout ce temps, ce hasard, cette disponibilité à la chance, pour que quelque chose se refasse du bonheur intérieur.

(...)

Ressortaient des cartons ce qui était des objets, c’est-à-dire rien. (Et les livres, les transporte-t-on avec leur ivresse ?)

Jane Sautière, Nullipare (Verticales, 2008, p. 33 et p. 36)

samedi 13 septembre 2008

régler des comptes au déni

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Je m’entends désignée par mon nom, mon sexe, mon âge, et ma position dans l’ordre de la reproduction : « nullipare ». Le mot me frappe, me blesse, me suit dans ma journée, comme les toutes petites coupures qu’on se fait avec une feuille de papier, qui saignent beaucoup, et qui nous gênent au delà du vraisemblable. Je l’entends si fort aujourd’hui sans doute parce que tout est joué, et que cet état est devenu définitif. Ou parce qu’il est réellement prononcé, ce mot, pour la première fois me concernant et pour les mêmes raisons. (p. 12)

Je voudrais interroger l’ahurissant mystère de ne pas avoir d’enfant comme on interroge l’ahurissant mystère d’en avoir. (p. 13)

Toujours difficile de répondre à la question : « Avez-vous des enfants ? »
Sûrement traînent encore les remarques vachardes entendues sur l'égoïsme des femmes sans enfants, sans doute aussi est-ce se désigner comme marginale, peut-être malade, peut-être ayant traversé des drames. Difficile pour l'interlocuteur d'imaginer un choix heureux, tandis que le contraire est tellement simple.
Il y a un stéréotype de l'heureux événement, comme il y a un stéréotype de l'infertilité. C'est une question sur l'intime qu'on me pose, un intime plus profond, plus obscur dans l'absence d'enfant que dans sa présence. Il y a quelque chose de caché chez quelqu'un qui n'a pas d'enfant, la preuve, aucune photo à montrer, pas de prénom à donner, ni d'âge à citer. Blanc. Je cache plus de choses, des choses irreprésentables. (p. 52)

Pourquoi dire cela : « je sais », alors que rien n'a été comme cela, rien n'a été su, ou révélé, ou limpide, ou lumineux un jour, tandis que les jours de chaos auraient été opaques de savoirs et sombres. Non, je n'ai rien su « un jour ». J'ai, au fil du temps, créé mon histoire, donné une continuité aux faits et aux épreuves surmontées, constitué un récit, tandis que la houle, le chaos dont je suis issue reste préhistorique, sans rapport à une histoire, à un continuum.
Cette vie confuse, je lui dois toute la clarté de celle-ci, elles sont, ces deux vies, vie sans récit et vie en récit, parfaitement les mêmes, j'ai mis les couleurs, j'ai décidé que ceci était l'ombre et ceci la lumière. J'ai inventé ma vie, comme tous. (p. 90)

Les mots sont une vraie violence, des mots affligeants, voilà qui donnait raison à la jeune poétesse. On ne peut pas rendre des points au réel, on ne peut pas tout dire et à quoi bon.
Je suppose que je voudrais sortir du mensonge dans lequel nous baignons à propos de la vieillesse. Ménopause est le mot honni de notre époque, un mot plus laid et honteux que tant d’autres misères bien plus horrifiantes, je voudrais régler des comptes au déni. (p. 143)

Jane Sautière, Nullipare (Verticales, 2008)

Jane Sautière est née le 12 juin 1952 à Téhéran.
Elle est aussi l’auteur du très beau Fragmentation d’un lieu commun (Verticales, « Minimales », 2003)

On peut lire, grâce à remue.net, un entretien (2003) et un bel article de Fabienne Swiatly (8 septembre 2008).

mardi 9 septembre 2008

un texte en costumes avec plusieurs costumes

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Et lors qui peut dire où finit l’hystoire et de quelle manière ?
Bar-sur-Aube ou un aultre, tout corps, every body, qui porte en teste la bastard battle complète et tient encor les armes, en tous lieux la portera et en écho par les siècles. Et ainsi ja l’hystoire ne finira.

Céline Minard, Bastard Battle (Léo Scheer, Laureli, 2008, p. 104)

Encore une langue presqu’étrangère, mélange déjanté de faux-vrai moyen français, d’anglais, d’espagnol et de chinois, pour le nouveau roman de Céline Minard.
Bastard Battle est « un texte en costumes avec plusieurs costumes », qui mixe vidas et danses macabres du moyen-âge occidental avec la tradition chinoise et les films de sabre, le western, les Monty Pythons et Tarentino, autour d'un personnage central de vieille Kill Bill, vipère-d’une-toise : une magnifique « chimère » comme le dit très justement Laure Limongi dans ce bel entretien sur fond de crépuscule romain à la Villa Medicis.

à lire aussi en ligne :
- les premières pages
- un extrait lu par l’auteur
- « Beau brûlot » de Claro
- « Un manga en vyeu françoy » de Maxence Grugier (fluctuat.net)
- et une revue de presse complète

Céline Minard est née en 1969. Elle a publié aussi :
R. (Comp’Act, 2004)
La Manadologie (M.F, 2005).
et Le dernier monde (Denoël, 2007)

Bastard Battle a fait l’objet d’une édition graphique réalisée par Fanette Mellier dans le cadre de son projet : « fictions (des livres bizarres) » (Dissonances/Pôle graphisme de Chaumont, Haute-Marne).

lundi 8 septembre 2008

des sales mots sur d'autres sales mots

Je n'ai rien inventé, l'argot est bien souvent composé de vieux mots, par exemple appeler le père le daron, aujourd'hui il n'y a que les jeunes qui osent le faire, mais ça date d'avant les pharaons...
Et puis à la campagne, c'est vrai qu'on associe sans complexe un vocabulaire du cru à une langue plus moderne, on prend tout, un gamin de quinze ans peut dire : « vingt dieux comment ça déchire ». Ces vieilles expressions, qui ont toujours été là pour nous, on les utilise sans y penser. Moi je dis souvent « vingt dieux », et quand j'ai commencé à rencontrer des gens de la ville, ils rigolaient.
Cette langue que j'ai travaillé, je tenais à ce qu'elle ne limite pas le récit par des codes générationnels trop puissants, d'ailleurs le « parler jeune » m'agace, les « carrément », « à la base », « grave »... alors de la même manière que l'on dit de deux frères capricieux qu'il faut en prendre un pour taper sur l'autre, j'ai tapé des sales mots sur d'autres sales mots, et j'ai obtenu toutes ces salopes de phrases et on a fait l'amour comme des tarés des nuits entières, des années, et j'en ai bien profité, je me suis régalé.

déclare Pierric Bailly, né en 1982, dans un autre entretien avec Daniel De Almeida (fluctuat.net) à propos de son premier roman Polichinelle (POL, 2008).

Polichinelle semble d’abord écrit dans une langue étrangère, un mélange de patois et d'argot, qui, au fil de la lecture, devient familière et prenante, pleine de tension, d’énergie, de raccourcis, une langue impossible à citer ; pour se faire une idée de cette « petite musique » très singulière, de longs extraits ici (les premières pages), ou .

::: « Du jour au lendemain » avec Alain Veinstein (26 août 2008)

jeudi 4 septembre 2008

le fil des mots

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Souvent je prends le prétexte d’une promenade dans les vignes pour marcher aussi longtemps que le fil noué de ma pensée en a besoin. Marcher longtemps permet aux pensées de ne plus s’enrouler sur elles-mêmes, de se fixer, par je ne sais quel mystère d’écriture sans encre. Comme si marcher c’était écrire. Comme si mes pas imprimaient les mots quelque part, mais où, je ne sais pas, pas dans la terre des vignes, mais dans une matière invisible autour de moi, étrangement solidaire de ma mémoire. Un dedans qui se met dehors. Je marche, le vent d’automne remue les rosiers au bout des rangées, je pose mes pensées, elles ne se rembobinent plus, elles sont écrites, inscrites, je me souviens d’elles. Aller et venir dans ces rangées de ceps, changer de lignes et de couleurs, d’un côté vers l’ouest, et retour à l’est, soleil en face, soleil derrière, et je me retourne, comme les nageurs font leurs longueurs, après avoir fait le tour des rosiers tiédis par le vent. Aller et venir, dans ses couleurs, et des lignes d’odeurs qui changent avec la saison, l’heure et le vent, penser en boustrophédon, à l’air, dehors. (p. 19-20)

Je les imagine très bien, nos invitées, discutant d’une pose de french en institut pour s’autoriser un regard sur les pieds de celle de La Pénibe, et mentalement enregistrer le prochain commérage entre soi, délicieusement grossier et anecdotique. Ou peut-être même un article sur un blog, elles en tiennent toutes un, ça les occupe, et leurs maris font semblant de s’intéresser, leur demandent d’anonymer leur verve, pour dénigrer sans crainte. Les photos et les exploits des bambins, quelques confidences, beaucoup de recettes et trucs et astuces. Je peux déjà mentalement lire le billet d’humour, elles sont si prévisibles. Toute une note sur les pieds de notre invitée. Une note détaillée sur le vernis pâteux des orteils, l’épaisseur de la peau des talons, l’épilation bâclée. (p. 43-44)

C’est quoi, la matière des livres, si ce n’est pas juste de l’écorce manipulée.
D’un livre, on croit toujours en connaître les limites, comme pour les parcelles. Mais d’un livre, on n’en finit jamais d’en sortir, on n’en finit jamais d’y entrer, d’y revenir. C’est plus petit mais plus profond que les parcelles des vignes, les terrasses des châtaigniers.
Oui, c’est ça. Dans son carnet c’est profond entre deux pages et même entre deux lignes, deux phrases, deux mots, et moi je vais y tomber, parce qu’écrire c’est toucher à l’insupportable. (p. 114)

Les mots, je crois bien que ça peut remplacer les fils pour les sutures des plaies. Mais trouver les mots c’est bien plus dur que la couture, que passer le fil dans le chas. J’adore ça, passer le fil dans le chas des aiguilles, alors que maman et mamie elles détestent. Elles n’ont pas ma patience. Elles m’appellent au bout de leur patience pour continuer avec le début de la mienne. Mamie dit toujours, vas-y ma fille, moi ça me mets les nerfs. Je passe le fil. Je le lui rends.
Mais les mots c’est bien plus compliqué. (p. 149)

Emmanuelle Pagano, Les Mains gamines (POL, 2008)

Emmanuelle Pagano est splendide en couverture du Matricule des anges (ce qui lui donne des ailes) et son roman (en dépit des craintes que je formais à l'annonce d'un sujet aussi « littérature à l'estomac ») est magnifique : mais pourquoi ce coup d'arrêt brutal de son blog, où nous avons pu découvrir Les Mains gamines, au fil des relectures par les uns et les autres ? quelqu'un le sait-il ?

::: Martine Laval (Télérama)
::: Aurore Lesage (Parutions.com)
::: Didier da Silva (Les idées heureuses)

mercredi 3 septembre 2008

desservi par sa promo

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Le livre de William a été publié grâce à Claude - une connaissance de chez Fayard.
Megalomaniac Panic Demence H, le livre s'appelait. Supertitre, super.
Il faisait partie du mouvement, alors, de l'autofiction. Quelque chose qui avait commencé la première fois qu'un homme préhistorique avait fait l'expérience de parler de lui-même pour se donner du pouvoir, et que personne n'écoutait déjà plus ce dont il parlait, mais qu'on le regardait parler. Quelque chose qui avait continué avec le fils de Monique, Montaigne et JJR, puis quand on s'était aperçu, nous les modernes, qu'on n'avait plus rien à dire du monde, à part soi-même, qu'on met en scène - mais moi qui, hein ? ça reste à voir, et puis qui avait fini par porter ce nom quand Serge Doubrovsky avait publié Fils en 77. Une quinzaine d'années plus tard, c'était devenu un style, le style : tant que je parle, j'ai raison, je peux mentir ou j'ai rien à dire, j'ai raison - j'ai la parole, et ça s'appelle un livre ; William allait bien là-dedans. Moi, je sais pas, c'est comme ça que Claude le présentait, c'est comme ça qu'il l'a vendu. Alors O.K.
C'était donc de l'autofiction.
Ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’histoire, il y a un discours. C’est quelqu’un qui parle, et on le regarde parler. Bon. O.K., qui parle ? (…)
C'est le genre de livre, vous n'avez aucune idée de ce qui peut les rattacher au monde qui les entoure, à la réalité - et pourtant ils existent, dans le monde. Certainement pas bon, même pas mauvais. Comme un mal de tête puissant, et un objet très laid, mal foutu, inutile, mais bon, qui prend pour un jour ou deux une place gigantesque dans votre vie, et ça vous ne pouvez pas le nier. (p. 135-136 et 139)

Mais il y a bien des manières fidèles d’être traître, et des manières bien traîtres d’être fidèle.
On peut ne pas faire le bien, on peut ne pas faire amoureusement l’amour, et on peut ne pas méchamment faire le mal. Rien de ce que l’on fait n’assure de la manière dont on le fait, ni de ce qu’on est – vous l’avez vu. (p. 303)

Il y a des êtres humains dont toute la valeur, toute la vie, est à l'intérieur, et il n'y a bien sûr aucun autre moyen de le vérifier, de le mesurer, de savoir s'ils sont potentiellement extraordinaires, ou médiocres, que de vivre en leur compagnie. Absents, lointains, ou morts, il ne reste vu de dehors rien de ce qu'il y avait de meilleur en eux : la possibilité, le doute incessant qu'ils soient bien plus, en fait, qu'ils ne sont.
Les êtres humains dont toute l'importance est exhibée, sous forme de faits, de réalisations, de discours parce qu'ils parlent, parce qu'ils agissent et qu'ils travaillent - la mort ne leur ôte guère ; et il me semble de plus en plus que tout ce que j'ai pu admirer dans le monde, idées, œuvres, actes et vies, a dû provenir d'hommes opportunistes, que j'aurais pu côtoyer, dont la plupart m'auraient été indifférents et dont les occasions, bien saisies, ont fait des sortes de génie, en tout genre. (p. 305)

Quant à la meilleure part des hommes qui la gardent dans leur cœur, faute de mieux, jusqu’à la dernière heure, elle vit mais aussi elle meurt avec eux. (p. 306)

Tristan Garcia, La meilleure part des hommes (Gallimard, 2008)

Ce n’est pas tout ça ! c’est bien beau d’affirmer que je lis vite, encore faut-il le prouver en évoquant les livres de la rentrée littéraire dont on parle ... puisque d’après Anne-Sophie Demonchy c’est nécessaire pour qui veut « survivre sur la toile » !

Le premier roman de Tristan Garcia, né en 1981 à Toulouse, normalien tout à fait charmant, désireux de « faire un livre le plus loin de (lui) possible » pour éviter à tout prix l’autofiction, et s’intéressant à la SF, est me semble-t-il totalement desservi par sa promo.

Car les critiques dithyrambiques (ici, , , ou encore ) d'une presse qui s'est peut-être contentée de lire le dossier à elle destiné et crie au « génie » ou à « la révélation de la rentrée », en rendent la lecture décevante, alors même qu'elle est plutôt agréable, souvent drôle, que le portrait de Leibowitz (qui ressemble fort à Finkielkraut) est savoureux, et celui de Willie (qui rappelle fort Guillaume Dustan) très émouvant.

Je serais donc plutôt d'accord avec les avis plus partagés que j’ai pu lire dans les blogs, ici ou , par exemple.

samedi 30 août 2008

hymne à la légèreté empêchée

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Les papillons sur neige

Dans un champ de neige, des fils tendus à deux centimètres du sol enserrent délicatement quelques centaines de papillons. Lorsque la température l’indique, leurs ailes battent et caressent le sol.
La poudreuse remue, le son vient juste après.
Frisetti quasi imperceptibles.
Pédale de bruit blanc.
Hélices de soie sur froid raisonnable.
Cette pièce est courte car les battements d’agonie ne peuvent durer plus de quelques secondes, même avec les espèces les plus résistantes.
Cette pièce est compliquée car on doit conserver les papillons finement ligotés dans de très longues et très coûteuses boîtes climatisées qu’on ouvrira, synchrones, au moment choisi.
Un tel holocauste papillonaire n’est pas très moral, mais qui a entendu cet hymne à la légèreté empêchée ne l’oubliera jamais.

Variante autorisée : Des feuilles à cigarettes remplacent les papillons. Quatre vingt sept pour cent d’effet poétique supprimé.
(p. 10)

Noiseglasses

Il y a de ces chochottes !
On a tellement domestiqué les sons de notre environnement avec des inventions comme l'audiomotique ou les corpositeurs que certaines personnes ne supportent même plus la magnifique disharmonie du son des villes, les frottements hasardeux de bruits qui n'étaient pas faits pour se rencontrer, les collisions désaccordées, les mariages contre-nature.
On a donc créé les noiseglasses, chaussées immédiatement par les pantouflards que trop de vie sonore éblouit. Les noiseglasses domptent, accordent, gèrent les volumes et trient les informations qui parviennent à nos oreilles.
Un klaxon devient une délicieuse tierce mineure, posée en habile contretemps sur les hauts talons qui vous croisent, eux-mêmes calqués sur le tempo d'une sirène d'ambulance, ostinato passager accordé aux mouettes survolant le camion poubelle pentatonique.

L'invention est assez récente et les résultats un peu lisses mais on peut espérer que tout cela va s'affiner. On voit déjà fleurir toute une flopée d'options.
Sur les chantiers, avec l'option « Baroque », le son des pelleteuses et des marteaux piqueurs devient un délice.
On peut aussi inverser le principe en amplifiant les disharmonies.
(p. 70-71)

Raisonnement

Il est entendu qu'un corps sonore mis en mouvement provoque une vibration qui va s'atténuant.
Mais pourquoi s'arrêterait-elle ?
Tous les sons passés résonnent encore, extrêmement faibles, dans un decrescendo infini. On ne les entend plus mais ils sont bien là.
Ils chargent les endroits, influencent une vocation de harpiste, se glissent dans la mélodie machinale d'un air qu'on sifflote, orientent les goûts, suggèrent des phobies et conditionnent le futur sonore environnant.

Ces harmoniques fantômes, diapasons des lieux.
(p. 94)

Effet papillon

Il n'est finalement pas tellement conseillé de pousser trop avant la réalisation de la première recette de ce recueil.
En effet, on nous informe, un peu tard il est vrai, des effets catastrophiques que les quelques concerts de papillons sur neige auraient soi-disant déclenché.
Raz-de-marée, typhons, tornades, tsunamis et tutti quanti.
Tout cela en Floride comme par hasard.

Le principe de précaution rend désormais illicite cette pratique. Vous pouvez donc bazarder vos boîtes climatisées ou en faire des pots d'effleur.
Désolé.
(p. 138)

Olivier Mellano, La Funghimiracolette et autres trésors de l'équilibre (MF, 2008)

Olivier Mellano, né à Paris en 1971, est aussi musicien : son premier livre est une symphonie de pièces musicales imaginaires – des « œuvres irréalisées, impossibles, futures, inaudibles, oubliées, inentendues mais toujours pensables » - en forme de poèmes flirtant avec la (science-)fiction.
Les pièces de cette partition vont souvent par paires : la « Funghimiracolette » qui donne le drôle de titre est une île (p. 59-60) ou une forêt (p. 125) ; ou par séries : à la fin du livre, une table des matières mais aussi une liste de neufs « Parcours thématiques » qui invite à relire chaque pièce comme faisant partie d’une fiction (friction ?)
L'ensemble compose une réjouissante machine textuelle à la Raymond Roussel, comme le souligne Emmanuel Tugny dans sa postface, « D’un théâtre des machines » (p. 141-144).

::: le site d’Olivier Mellano et sa page myspace
::: un entretien sur le Ralbum (Léo Scheer, 2008)
::: « L’effet papillon » selon Laure Limongi

vendredi 29 août 2008

où en est ma mémoire

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En même temps que je continue à raconter mon parcours mathématique, avec pour horizon, dans cette demi-branche, troisième tiers maintenant, le moment de ma thèse, je cherche à voir, comme j'ai dit, où en est ma mémoire. Je ne perds jamais cet objectif de vue. Eh bien, ma mémoire, elle va mal. Je suis passé, sans bien m'en rendre compte au début, d'un état d'incertitude 'locale' sur la position des événements dans le passé à la constatation, oh combien regrettable, de la disparition de vastes secteurs du souvenir. Mais ce qui m'irrite le plus, c'est mon incapacité à situer chronologiquement, à l'année près! à deux années près quelquefois même!, des souvenirs que je conserve et que je veux rapporter. Dans un accès de faiblesse, je suis allé interroger Pierre Lusson, puis je suis allé interroger Bernard Jaulin. Je me suis rendu compte que leurs souvenirs étaient encore moins précis que les miens. Et qui plus est, ils s'en fichaient. Bernard me l'a dit on ne peut plus clairement. Cette entorse à mon protocole prosaïque, j'aurais pu l'éviter. Si je me trompe gravement, tant pis. J'ai d'autant moins d'hésitation à revenir au strict principe de non-vérification externe de mon souvenir que le statut de la demi-branche présente sera, selon toute vraisemblance, d'échapper à l'impression. Les autres morceaux de mon récit ont été publiés, depuis 1989, aux éditions du Seuil, dans la collection 'Fiction & Cie' que dirigeait Denis Roche. J'écris 'dirigeait' car, depuis quelques mois, il n'en est plus le responsable, ayant pris sa retraite. Au mois d'octobre 2004, il lui fut rendu l'hommage d'un cocktail de départ à la Maison de l'Amérique Latine, boulevard Saint-Germain. La veille le journal Le Monde l'avait interrogé. À cette occasion, la journaliste présentait un bilan de la collection qu'avait animée Denis Roche. Je vis avec intérêt que j'étais entièrement absent de cette évocation. J'en conclus que je devais peut-être prendre acte de cet effacement et ne pas chercher à ennuyer le successeur de Roche en lui présentant un volume de la suite, ce que cependant j'ai fini par faire. Je me disais que je pourrais le confier au site de l'Oulipo. Ce n'est pas qu'elle présente la moindre difficulté pour l'édition. Il n'y a ni couleurs ni parenthèses superposées, aucune bizarrerie typographique. De toute façon, la branche 5, dans ses versions 'longue' et 'trèslongue', sera également absente des librairies. Je crains fort qu'elle ne soit aussi absente de l'écran des ordinateurs. Le site de l'Oulipo, accessible à l'intervention personnelle de chaque oulipien, est de fabrication plutôt complexe, et il est hors de question qu'il puisse accommoder mes fantaisies. Well? Je ne sais si j'aurai le courage et les ressources financières adéquates pour me faire fabriquer un site personnel. Il est vrai que j'y songe depuis longtemps. Que depuis longtemps je rêve d'un état de mon texte où je pourrais faire jouer des contraintes pour le lecteur, avec des développements cachés, accessibles seulement à ceux qui seraient en mesure de résoudre quelques puzzles construits à partir de contraintes oulipiennes. J'y pense, j'y pense, mais j'hésite et finalement ne fais rien en ce sens.

Jacques Roubaud, Impératif catégorique (Seuil, 2008, p. 204-205)

... well ? il me paraît urgent que quelqu'un de compétent en crayons de couleur numériques lui vienne en aide, non ?

jeudi 28 août 2008

une rencontre confraternelle

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18 Un jour, vers le milieu des années 60, saisi d'une de ces crises de naïveté outrecuidante dont sont coutumiers les scientifiques, ayant travaillé mathématiquement quelque temps sur les modules algébriques de la syntaxe générative déployés par Marco Polo Schützenberger
18 1 immortalisé par Boris Vian en le personnage de 'l’affreux docteur Schütz'
19 ayant cru ouïr en une rumeur qui était parvenue jusqu'à mes oreilles mathématiques, que I’inconscient avait quelque chose à voir, structurellement, avec le langage, j’écrivis, à la suite d'un article que je lus dans le journal Le Monde, cet organe sacré de I’opinion, une lettre au docteur L., où je lui demandais
19 1 confraternellement
19 1 1 confraternellement dans mon esprit, je n’employai pas, bien sûr, cet adverbe dans ma missive
20 si, peut-être, il ne pensait pas que quelque syntaxe chomskyenne
20 1 et surtout post-chomskyenne
21 pouvait être utile dans sa partie.
22 Quelques jours plus tard, le téléphone sonna. Je décrochai
22 1 en ces temps-là, je répondais au téléphone
23 et dis : « Allô »
23 1 c'est ainsi qu'on dit généralement ; c'est l'équivalent de holo en espagnol ou pronto en italien, etc. ; on n'avait pas encore inventé le répondeur à cette époque, qui répond des choses généralement peu intéressantes
23 1 1 généralement, mais pas toujours ; je me souviens d'une exception ; la voix d'un répondeur, féminine, très douce, disait : « je suis tout seul ! Laissez-moi un message ! »
23 2 Quand je téléphone et que je tombe sur un répondeur, je raccroche immédiatement, tant je suis intimidé. Je n'insiste que quand j'appelle Claude Royet-Journoud parce que je sais que, si le repondeur est mis, c'est le plus souvent qu'il est Ià et il choisira de répondre, ou pas, en entendant le message. Un jour où il n'était pas là, je laissai le message suivant : « Ce message vous est offert par l'AILCR. Pour connaître le contenu de votre message, raccrochez et attendez le message suivant. » Je raccrochai et recommençai, cinq fois de suite, la même opération. La sixième fois, je dis : « Ici l'AILCR, Association internationale de lutte contre les répondeurs. Vous êtes le premier bénéficiaire de notre operation saturation. »
23 3 Ce fut mon premier essai de 'répondeur-art'.
24 Je décrochai donc et dis : « Allô. » Là-bas, à l'autre bout du fil, comme on dit, une voix dit : « C'est moi. » Il y eut un long et certain silence, au bout duquel la voix reprit la parole et dit (je crois) : « Lacan. » C'était lui. II me dit ensuite : « Il faut que nous parlions » ; et il me donna rendez-vous chez lui pour le lendemain. Quand je me présentai
24 1 c'était tout a côté de l'endroit où habitait autrefois Tristan Tzara auquel quelques jeunes idiots de mon genre rendaient parfois visite en 1951-52, histoire de se faire montrer les fameuses épreuves d’Alcools
25 il parut surpris de me voir : il me dit qu'il avait à faire à la librairie La Hune et m'invita à l'accompagner. II acheva de s'accoutrer et nous partîmes. Nous marchions côte a côte, lui perdu dans ses pensées, moi attendant qu'il amorce cette 'parlerie’ annoncée par son coup de téléphone. Nous prîmes la rue des Saints-Pères, nous tournâmes dans le boulevard Saint-Germain ; toujours sans un mot de sa part, ni du mien. En arrivant à la librairie, il me tendit la main en silence.
26 Je ne l'ai jamais revu.

Jacques Roubaud, Impératif catégorique (Seuil, 2008, p. 128-130)

Pour saluer l’excellente initiative de Sébastien Smirou, écrivain et psychanalyste : interroger Jacques Roubaud sur sa thèse « Non-Inc » : « Je n’ai pas d’inconscient » (p. 141, juste après la « non-parlerie » ci-dessus). C'est en une introduction et trois épisodes, là :

« Pourquoi un entretien avec Jacques Roubaud »
« Crise de vers et découverte de l’inconscient »
« Si les japonais n’ont pas d’inconscient, moi non plus »
« Le rêve n’existe pas »

lundi 25 août 2008

le comble du ridicule

Puisqu'il faut bien aborder la rentrée littéraire, et que contrairement aux bonnes résolutions prises ces dernières semaines en mettant (beaucoup trop) de livres en cartons je me suis déjà précipitée chez mes fournisseurs de came habituels, les libraires, les pages de rentrée du site des éditions Gallimard sont cette année encore un moyen de se faire une idée de certains livres grâce à des entretiens vidéo avec leurs auteurs. J'aurais de toutes façons acheté Lacrimosa, mais je sais désormais quel est « le comble du ridicule » selon Régis Jauffret.

::: en attendant de lire Lacrimosa, on peut lire aussi un article de Laure Limongi pour la Revue littéraire
::: et une belle défense contre « Le milieu hostile de l'ânerie » par Didier da Silva

samedi 23 août 2008

régression

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Il faudrait répudier ce moralisme : et apprécier nos comportements sans jugement de valeur, en simples stratégies animales. Une cruauté, une fraude, une fuite, un crime sont d’abord des tactiques de survie, d’expansion de plaisir : souvent elles réussissent, tandis que les vies vertueuses ou non-violentes échouent. La Nature est de droite.
Et les plus sales bêtes sont les plus riches d’avenir. On lit la conjecture selon laquelle l’homme de Neandertal homo sapiens à nos côtés il y a quatre cents siècles, aurait disparu parce que trop doux, face aux petits monstres au crâne rond que nous étions déjà et qui se sont, ici ou là, métissés avec lui. J’imagine sa tête d’âne et ses bons yeux, remplis d’un muet reproche pendant qu’on l’éventrait. Longtemps avant d’avoir domestiqué les loups, nous avons tenu ce frère en esclavage, et nous l’avons mangé.
Par quel miracle, et à quelle fin, serions-nous devenus moins féroces ? Est-ce le bilan de ce siècle d’horreur ?
Quelques peuples ont marqué une pause dans l’atrocité : tant leurs mains étaient lourdes de sang. Le temps qu’ils se décrassent, et tout recommencera.
Les valeurs « humaines » n’expriment que les prétentions d’un animal délirant de fausseté, qui s’est toujours surestimé immensément. Et l’on voit que, sous les noms de sagesse, d’affection, de bonté, de douceur, de solidarité, de raison, de savoir, il cache et il en idolâtre l’éternelle adversaire : obscure, tortueuse et sauvage, incontrôlable, immémoriale, absurde, à jamais criminelle, la force aveugle du vivant.
Années 80.

Tony Duvert, Abécédaire malveillant (Minuit, 1989, « Postface », p. 141-142)

Triste et étrange destin d’écrivain que celui de Tony Duvert, dont l’écriture originale aura été totalement occultée par le contenu de ses livres. Sa « pédhomophilie » (selon son propre terme) est très à la mode dans l’euphorie et la libération sexuelle des années 70, durant lesquelles il obtient en 1973 le prix Médicis, grâce notamment à son ami Roland Barthes, pour devenir scandaleuse voire criminelle dans les années 80 ; en ce début de 21e siècle où la régression moraliste et puritaine s’accentue, il ne trouverait sans doute pas d’éditeur….

Tony Duvert n’avait d'ailleurs plus rien publié depuis cet Abécédaire malveillant en 1989 et avait à 44 ans totalement disparu de la scène littéraire et publique pour retourner vivre chez sa mère, puis seul après la mort de celle-ci, à Thoré-la-Rochette, un village de 900 habitants dans le Loir-et-Cher. Son corps n’y a été découvert, avant-hier, que plus d’un mois après sa mort.

::: les pages des éditions de Minuit
::: un long entretien avec Guy Hocquenghem et Marc Voline pour Libération (11 avril 1979) (dans lequel, ô scandale, il osait en outre citer La Princesse de Clèves !)

jeudi 21 août 2008

la fiction comme alternative

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La littérature invente de l'action fictive. De l'action fiction. De l'action en forme de fiction. La littérature est-elle capable alors d'inventer l'action future de l'espèce ? C'est cela l'ambition la plus totale. Inventer le futur de l'espèce. Littérature occupée à dire l'action future à faire par l'espèce. Aller jusqu'au bout : les actions futures à faire par les espèces qui pensent. Parce qu'il est presque certain que dans le futur seront créées plusieurs espèces à partir de l'espèce originelle homme. (…)

Comment faire de la fiction et comment faire de l'action, cela revient presque au même pour la pensée. Dit autrement : du point de vue de la pensée, faire de la fiction revient à égalité à faire de l'action et vice et versa. Parce que faire de l'action c'est toujours faire de la fiction. C'est juste une question de réglage de la temporalité. Il existe une couche chronologique où faire de la fiction s'apparentera à faire de l'action.

Est-ce cela le programme de cette branche de la littérature qu'est la science-fiction ? Non, parce que la science-fiction se préoccupe uniquement du côté fiction, même avec ce terme de science accolée devant. Non, parce que la science-fiction a choisi la forme désuète du roman, prétendre dire la fiction-action du futur avec cette forme est d'un anachronisme rédhibitoire. (…)

Cela sert à quoi la littérature occupée de la sorte ? Immédiatement, cela permet de fabriquer des fictions inédites, des fictions grandioses, et pendant longtemps. À terme, la fabrication de l'action du futur ça a tout de même de la gueule. La littérature sert à combler nos lacunes de connaissances, sert à créer de l'information inédite, que les autres disciplines de connaissance ne peuvent pas créer.

Dominiq Jenvrey, « La littérature doit s’occuper à fabriquer l’action du futur », TINA, 1, p. 125-127

(...même si je ne suis pas d'accord avec la généralisation du troisième paragraphe concernant la science-fiction...)

Dominiq Jenvrey publiera en octobre 2008, L’E.T., dans la collection « Déplacements » du Seuil.

mercredi 20 août 2008

there is no alternative

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Notons que la solution face à la désertification de l’espace littéraire n’est pas de multiplier les mirages Internet et les blogs en forme de rivière folle à descendre d’un scroll, bordée tous les trois posts des :-) et des ;-), que ce n’est pas un deuxième effet Kiss-Cool – YOU ARE THERE - qu’il faut à la littérature pour survivre dans le désert mais bien quelque chose de plus tout terrain.
(« Edito 1 », TINA, n°1, p. 7)

Notons que Tina n’est pas le diminutif de sainte Pristine, mais l’acronyme de « There Is No Alternative » (phrase utilisée par Margaret Thatcher dans les années 1980 pour justifier sa politique libérale - « en français : t’as pas le choix », d’aucun dixit) et le titre d’une revue belle comme un cœur, et dont le mignon petit format presque carré aux coins arrondis et au papier très agréable tient dans la poche.

Le premier numéro (que j’ai été ravie de découvrir en avant-première dans ma boîte aux lettres non-virtuelle) sort le 27 août 2008, et il est très riche :

un dossier de principe sur « La littérature occupée », par les animateurs de la revue, Éric Arlix, Chloé Delaume, Hugues Jallon, Dominiq Jenvrey, Emily King, Jean-Charles Massera, Jean Perrier et Guy Tournaye, avec le renfort de Pascale Casanova et Christian Salmon ;

mais aussi des « fictions » d'Emmanuelle Pagano (un extrait des Mains gamines à paraître), Lutz Bassmann (« Mille neuf cent soixante-dix-sept ans avant la révolution mondiale »), Karoline Georges, Patrick Bouvet, Émilie Notéris, Ian Soliane (découvert dans Hoax, des mêmes) et Nina Yargekov (qui publiera Tuer Catherine, devenu en ligne Cuisine interne, chez POL en février 2009).

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